La séparation et ses conséquences sur le niveau de vie coûtent cher
aux femmes. Ces dernières jonglent bien souvent post-rupture avec des revenus en
baisse et des pensions alimentaires aléatoirement versées, qu'elles n'ont parfois plus la force de réclamer.
Le divorce, source de liberté ou de réinvention des liens
conjugaux ? Pas forcément. Publiée en janvier 2025, une étude du think tank Terra Nova met en
évidence le coût de la séparation chez les femmes hétérosexuelles. Chaque
année, 425 000 ruptures (divorces, ruptures de PACS ou d’union libres) qui
concernent 380 000 mineurs sont comptabilisées.
Une réalité qui, dans chaque cas, entraîne possiblement un déménagement,
un ajustement des budgets et un partage de l’autorité parentale. Si le déséquilibre financier issu de la séparation peut varier en
fonction de la catégorie socio-professionnelle de l’ancien couple, les femmes
continuent en grande partie de s’occuper des enfants et d’en payer le prix.
A ce titre, l’étude souligne que l’impact économique est nettement plus
prononcé pour elles : leur niveau de vie diminue en moyenne de 20 % dans
l’année qui suit la rupture, pour 10 % pour les hommes. A noter que certains
facteurs aggravent l’appauvrissement des femmes : le fait d’avoir des enfants
et d’appartenir à la génération « séniors ».
Une inégalité structurelle dès le mariage
Valérie Grimaud, avocate spécialisée en droit de la famille et du
patrimoine, confirme : « Le divorce appauvrit hommes et femmes,
mais pas du tout dans les mêmes proportions. Cet appauvrissement du foyer
maternel s’étend sur cinq années, peu importe la mise en place de pensions
alimentaires ou de prestations compensatoires ».
En cause notamment, le fait que les hommes ne demandent la résidence
alternée seulement dans 20 % des contentieux. « La résidence alternée
est par ailleurs un concept bourgeois. C'est-à-dire qu'il faut deux résidences
équivalentes à proximité pour accueillir les enfants. C’est économiquement
très lourd ».
Mais selon
l’avocate, l’inégalité se met en place bien avant le divorce, pendant la vie du
couple. « Lorsque les enfants arrivent, les femmes ont tendance à
mettre plus facilement leur carrière de côté. Les hommes le font moins. Les statistiques
prouvent par ailleurs que la majorité des femmes gagnent moins que leur
conjoint. A partir du moment où les deux travaillent, ils doivent supporter les
charges à 50-50. Ce qui fait que l’un fait des économies, peut investir même
dans l’immobilier ou des projets, tandis que l’autre consacre tout son salaire
dans les besoins du foyer ».
Selon une note de l’Observatoire de l’émancipation
des femmes parue en 2024, plus il y a d’enfants, plus les femmes passent à
temps partiel (à 28 % dans les couples avec un seul enfant, à 42 % pour les mères
de trois enfants). Des chiffres qui ont tendance à prouver que la mère demeure « la
variable de la famille », selon l’expression de Lucile Quillet,
journaliste et essayiste, issue de son essai Le prix à payer – ce que le
couple hétéro coûte aux femmes.
Les faiblesses du système de pension alimentaire
D’après l’étude de Terra Nova, un autre facteur aggravant est le
non-paiement récurrent des pensions alimentaires. En 2016, entre 30 et 40 % des
pensions n’étaient pas versées ou ne l’étaient que partiellement, contribuant à
la précarisation des mères isolées.
Statistiquement, 35 % d’entre elles ont un niveau de vie inférieur au
seuil de pauvreté (à 60 % du revenu médian), et même 42 % dans les familles
avec deux enfants et plus. Bien qu’un service d’intermédiation des pensions
alimentaires (ARIPA) ait été instauré pour lutter contre ces impayés, les
résultats demeurent insuffisants, et les femmes continuent de supporter une
charge disproportionnée.
Dans le cadre d’une séparation sans divorce, le cadre réglementaire
n’existe tout simplement pas. Jennifer, secrétaire médicale mosellane de 42
ans, se retrouve dans une situation financière délicate après sa séparation. « Lorsque
nous étions en couple, même si mon compagnon gagnait plus que moi, nous
fonctionnions en 50-50 pour les dépenses communes et les frais fixes. Mais pour
l’habillement des enfants ou les frais médicaux, je m’en chargeais seule ».
De son côté, l’ex-conjoint possédait son propre compte, sur lequel il épargnait
régulièrement, affirme-t-elle.
Après leur rupture, la situation de la secrétaire médicale s’assombrit.
« Je suis repartie de zéro. J’ai dû tout racheter : meubles,
voiture… L’investissement de départ était énorme ». Plus les enfants
grandissent, plus les frais augmentent, le père insistant pour qu’ils soient
scolarisés dans le privé. « Mon niveau de vie s’est dégradé, d’autant
plus que je ne touche pas de pension alimentaire. Je n’en ai jamais fait la
demande, parce qu’il faut payer un avocat, perdre du temps, poser des heures de
congés… ».
Bénéficiaire des APL et de la prime d’activité de la CAF, elle sait en
outre qu’en cas de pension alimentaire, ses aides diminueraient. Pour compenser
ses pertes, elle n’hésite donc pas à cumuler plusieurs jobs, en complétant son
travail par des heures de ménage chez des particuliers.
Pour mémoire, selon le ministère des Solidarités et de
la Santé, le coût
annuel d'un enfant de moins de 18 ans est estimé à 9 000 euros en moyenne, soit environ
750 euros par mois. Or, aujourd’hui, toujours en moyenne, d’après
la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de la statistique
(Drees), « les parents qui déclarent verser des pensions alimentaires
renseignent un montant mensuel de 190 euros par enfant », sachant que « deux
parents sur trois versent un montant inférieur au barème indicatif établi ».
« Je n’avais pas envie de me battre »
Dans le cas de la séparation d'un couple pacsé, le recours au juge pour
fixer une pension alimentaire est moins systématique. Les couples non mariés
doivent souvent initier une procédure pour obtenir ce soutien, ce qui dépend
donc du bon-vouloir de chacun.
Claire, 38 ans, est journaliste à Bordeaux. Elle a quitté son conjoint avec
lequel elle était pacsée et a eu un enfant. Elle raconte : « Je
gagnais plus que lui. Cela me paraissait logique de dépenser plus pour le
couple. Le loyer et les frais fixes étaient débités sur notre compte commun,
mais je prenais en charge les courses et toutes les dépenses en lien avec notre
fille : école, cantines, vêtements, activités, médecin… Ma
culpabilité d’être partie m’a empêchée de mettre les choses à plat.
Aujourd’hui, je continue de payer tout ce qui concerne notre fille malgré la
garde alternée. » avoue Claire.
Si dans les faits, le budget de Claire n’a pas vraiment évolué, elle
regrette pourtant la sécurité financière que son foyer lui prodiguait. « Certains
frais étaient partagés, et mon ex-compagnon bénéficiait d’avantages avec son
travail. Il pouvait aussi faire passer certains frais auprès de son entreprise.
Aujourd’hui, il change d’activité et prévoit de faire une formation dans une
nouvelle branche. J’anticipe aussi ce changement à venir ».
Leur arrangement à l’amiable, dénué d’un cadre réglementaire, astreint
au départ la mère de famille à ne pas demander plus. « Je n’avais pas
envie de me battre, pas le courage de me lancer dans une procédure auprès du juge
aux affaires familiales (JAF). Je n’aime pas le conflit. J’ai accepté de payer
plus, malgré l’incompréhension de mes proches. La priorité restait le bien-être
de ma fille. Et pour mon ex-conjoint, c’est celui qui gagnait le plus qui
payait le plus ».
La situation s’est, depuis, améliorée entre eux. À la suite de
discussions récentes, ils ont décidé de remplir une « convention
parentale relative aux modalités d’exercice de l’autorité parentale et à la
contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant », prévue par l'article 373-2-7 du Code civil.
Claire explique : « Chacun remplit ses revenus, ses dates de
garde, les vacances scolaires… Le document peut être déposé auprès du JAF. Pour
moi, c’est l’assurance d’un cadrage. Une sorte de petite pression ‘soft’ ».
Un difficile équilibre à trouver
Dans les témoignages de femmes séparées ou divorcées,
l’impossibilité de demander à l’ex-conjoint son dû s’explique par plusieurs
raisons : peur de lui, peur des répercussions sur l’enfant, peur du
conflit, peur de frais supplémentaires à engager…
L’avocate Valérie Grimaud décèle une autre
explication. « Les femmes que j’accompagne, dès lors qu’elles
travaillent et qu’elles touchent un revenu de cadre par exemple, ont du mal à
accepter de demander une pension alimentaire alors qu’elles ont la résidence
des enfants. Parce qu’elles ont l’impression que cette demande les humilie. De
mendier auprès de leur ex-mari. En parallèle, beaucoup d’hommes considèrent que
la pension alimentaire est une sorte de racket. Dans leur imaginaire, la
pension alimentaire permet possiblement à la mère d’en profiter ».
Par principe, la pension alimentaire sert pourtant à payer
la quote-part du loyer avec des chambres supplémentaires et à soutenir à
équilibre les revenus pour que l’enfant n’ait pas à subir la disparité de
niveau de vie entre ses parents. A ce titre, si ce sont souvent les femmes qui
trinquent, des pères de famille « bons payeurs » s’estiment eux aussi
lésés.
Jean-Philippe, 47 ans, est actuellement chef de projet
à Paris. Il a divorcé en 2023 après quinze ans de mariage. Père de deux enfants
en garde alternée, il raconte qu’à l’époque, la santé financière de sa famille
dépendait uniquement de son travail. « Mon salaire étant quatre fois
plus élevé que celui de mon ex-épouse, du fait de mon poste au Luxembourg, nous
avons décidé qu’elle s’occuperait des enfants dans les premières années, pour
leur bien-être. Nous profitions d’un niveau de rythme élevé, partions en
vacances plusieurs fois par an et je pouvais investir des sommes confortables
dans mes passions ».
Le Parisien déchante après sa rupture. « A
compter de notre séparation, j’ai donné une part importante de mon salaire à
mon ex-femme pour qu’elle puisse vivre confortablement et que les enfants ne
manquent de rien. Cette somme est montée jusqu’à 2000 euros par mois. Depuis que le divorce est prononcé, je lui
verse 500 euros par mois en guise de prestation compensatoire, et 450 euros par
enfant. Sachant que j’ai récemment quitté le Luxembourg et que mon salaire a
baissé d’environ 20 %. Pour autant, j’ai décidé de ne pas demander de
réévaluation des montants à verser ».
Il choisit plutôt de s’adapter à sa baisse de revenus en diminuant
aujourd’hui son niveau de vie, tout en nourrissant une certaine amertume.
« Il me semble normal de compenser une partie des salaires qu’elle n’a
pas touché. Cela dit, durant toutes ces années, je me suis usé en me levant
tous les matins à 4h30 et en rentrant à 19h30. J’ai subi un stress immense car
mon travail était l’unique source du foyer. J’estime avoir payé mon dû, en
partie. Il me semble aujourd’hui injuste de de verser 1400 euros par mois à mon
ex-femme dont la maison est plus grande que la mienne ».
Les femmes séniors divorcées : la double peine
Selon l’INED, Institut national d'études démographiques,
le nombre de divorces des plus de 60 ans a doublé depuis 1985, et après 30 ou
35 ans de mariage, il a été multiplié par neuf. Quel que soit l’âge auquel
elles divorcent, les femmes n’échappent pas aux inégalités financières :
pire, elles représentant en fait l’un des profils les plus vulnérables en cas
d’un divorce.
Selon la chercheuse Léa Cimelli, économiste et
post-doctorante à l’Ined, les hommes se portent mieux en moyenne après une
dissolution d’union. En effet, après un divorce chez les plus de 50 ans, le
niveau de vie diminue de 5 % pour les hommes et de 24 % pour les femmes en
moyenne. Elle explique : « Les principaux risques [à prendre en
compte] sont les suivants, en particulier chez femmes de plus 50 ans : une
large variation de niveau de vie, un choc économique, le risque d’entrer en
précarité, voire en pauvreté ».
Au moment du divorce, on identifie ainsi une chute de
revenus des femmes sexagénaires de près de 31 %, selon les données 2024 de
l’Observatoire économique de l’émancipation des femmes. Au-delà de cette perte
de niveau de vie et de cette paupérisation, la femme sénior fraichement
divorcée se confronte à d’autres difficultés. La nouvelle autonomie qu’elle
découvre peut parfois être source d’inquiétude, face à des problématiques
comptables ou administratives qu’elle ne maîtrise pas forcément.
Cette réalité se reflète dans le quotidien de
Catherine, âgée aujourd’hui de 62 ans et institutrice à Metz : « Je
fais très attention à mon budget. En cas de grosse dépense, je la prévois
longtemps à l’avance et je l’échelonne sur plusieurs mois. C’est une charge
mentale en plus des apprentissages que j’ai réalisés sur le tard : gestion de
mes comptes, affaires courantes et administratives… ».
Mariée à 19 ans, elle divorce après 35 ans de mariage.
Elle fuit la maison familiale où son ex-mari demeure, quitte le rythme de vie
confortable qu’elle menait, n’emporte que très peu d’affaires avec elle et se
retrouve seule, pour la première fois de sa vie. Elle emménage dans un
appartement en tant que locataire, dont elle prend le loyer en charge, le
meuble, et gère aussi, seule, ses frais fixes.
« Pendant un an, je n’ai touché absolument
aucune somme de mon ex-mari. Nous étions pourtant propriétaires d’une maison et
de deux appartements. J’ai fonctionné sur mes propres fonds ». Les
frais d’avocat qu’elle a dû avancer ont, pour leur part, été payés grâce à
l’aide de son père. Mais son ex-conjoint lui verse désormais 1 000 euros par
mois, depuis que la procédure judiciaire l’y contraint. « Malgré la
prestation compensatoire que je touche, je n’ai clairement plus la même vie
qu’avant ».
Repenser en profondeur les modèles existants
Face à ces angles morts, plusieurs voix font entendre la nécessité de
faire évoluer le cadre législatif relatif aux ruptures, séparations ou
divorces. A l’instar de Valérie Grimaud, qui souhaite notamment que les
pensions alimentaires augmentent. « C’est une question de
responsabilité des adultes. Ce n’est pas indispensable dans la vie d’être
propriétaire immobilier, en revanche, d’élever des enfants, si. Il s’agit
également d’une question d’éducation, homme comme femme ».
L’avocate en droit de la famille milite aussi pour la défiscalisation
des pensions alimentaires. « Le créancier, qu’il soit homme ou femme,
ne devrait absolument pas payer d’impôt sur cette somme qui est totalement
absorbée par les besoins des enfants. Ce n’est pas un revenu. C’est une
indemnité qui couvre des frais ».
Dans la même lignée, Terra Nova suggère quelques pistes d’amélioration,
comme la révision du mode de calcul des pensions alimentaires, « en
s’inspirant de l’exemple québécois qui intègre un indicateur relatif au temps
passé avec les enfants ».
A une autre échelle, le think tank propose également de lutter contre le
désinvestissement trop fréquent des pères, en mettant en place « une
approche progressive, pour encourager l’implication du parent non-gardien via
un accompagnement et une sensibilisation, des incitations, des sanctions
légères à modérées et une réévaluation des droits parentaux en dernier recours ».
Laurène Secondé