Le constat de la Cour des comptes est sans
appel. Dans son « Approche méthodologique des coûts de la justice - Enquête sur
la mesure de l’activité et l’allocation des moyens des juridictions judiciaires
» parue le 28 janvier dernier et réalisée à la demande de la Commission des
finances de l’Assemblée nationale, la Cour pointe une baisse de performance des
juridictions financières, en dépit de la hausse du budget lui ayant été alloué.
« La présente enquête a pour
objet d’analyser les méthodes utilisées actuellement par le ministère de la
Justice pour définir ses besoins en matière d’effectifs dans les juridictions judiciaires,
puis de proposer les méthodes alternatives qui pourraient être employées, au vu
notamment d’exemples comparables français ou étrangers », annonce la Cour des
comptes en préambule de son rapport consacré à l’activité et l’allocation des
moyens des juridictions judiciaires.
Malgré la hausse du budget alloué
à la Justice – « la LFI pour 2018 a prévu un budget de 3,44 milliards d’euros
pour le programme 166, soit une hausse de 12,4 % par rapport à 2013 » – les
résultats ne sont pas là. Le rapport de la juridiction financière constate en
effet un manque d’effectif criant, les dépenses de personnel représentant « les
deux tiers des crédits du programme 166 », programme « Justice judiciaire ». « Entre 2013 et 2017, les emplois votés en
lois de finances ont augmenté de 3,5 % pour les magistrats et de 6,6 % pour les
fonctionnaires, alors que les effectifs de magistrats affectés en juridictions
ont été quasiment stables (+0,5 %) et ceux des personnels administratifs en
légère hausse (+1,8 %) », explique la Cour des comptes, qui met en cause la
durée du cursus des magistrats et des personnels de greffe. La Cour regrette
alors le manque d’ « amélioration
significative » sur cette période, malgré une légère diminution du nombre
des nouvelles affaires et des stocks en matière civile, résultant de la loi de
modernisation de la justice du XXIe siècle ; une première. Cependant, la
juridiction financière constate une augmentation des tribunaux de grande
instance en situation de fragilité, face au rallongement des délais des
jugements en matière civile principalement.
Pour la Cour des comptes, le
constat est simple : « Les outils de
mesure de l’activité et de répartition des moyens à la disposition du ministère
s’avèrent inadaptés, et les travaux menés sur la charge de travail des
magistrats insuffisamment. » Cette dernière poursuit : « Aucun outil spécifique n’a été mis en œuvre
pour appréhender la charge de travail des magistrats et évaluer les moyens
humains nécessaires au fonctionnement des juridictions ». Même OUTILGREF
(Outil de Gestion et de Répartition des Emplois de Fonctionnaires), considéré
comme le « seul outil reconnu par les
acteurs comme permettant d’approcher la charge de travail des personnels des
greffes », ne trouve pas grâce aux yeux de la Cour des comptes, son
actualisation se faisant à fréquence trop espacée. Enfin, l’administration centrale
ne valide pas les référentiels fournis par les juridictions, considérant qu’ils
ne sont « pas aboutis », mais ne
propose, en réponse, aucun outil compensatoire. La Cour suggère ainsi de
repenser « à court et moyen termes »
« l’ensemble du dispositif de productions
des données d’activité du ministère », afin que la préparation du budget
soit faite sur la base de données fiable représentant la réalité des
juridictions et leurs évolutions. L’institution critique aussi le trop grand
nombre d’ acteurs présents dans le processus de dialogue budgétaire, mais aussi
le calendrier, considéré comme incompatible « avec celui imposé par les arbitrages interministériels ».
S’inspirant principalement des modèles étrangers (Allemagne notamment), mais
aussi de ceux appliqués dans le secteur hospitalier et de ceux existants – le
logiciel OUTILGREF actualisé et élargi aux magistrats pourrait devenir une base
de travail –, la Cour formule dans ce cadre neuf recommandations visant à
développer un outil performant, permettant au ministère de juger de façon plus
fine les besoins des juridictions, tant financiers qu’humains.
Constance Périn
Les recommandations de la Cour
des comptes
1. Renforcer la coordination par
l’administration centrale des activités de saisie des données d’activité et
diffuser dans le réseau les guides métiers et fiches procédures relatifs au
traitement des données.
2. Favoriser la création de pôles
d’analyse des données d’activité dans l’ensemble des cours d’appel BOP (Budgets
opérationnels de programme).
3. Identifier un service
spécifiquement dédié à l’élaboration d’études transversales, à l’analyse de
l’activité juridictionnelle et au suivi des études d’impact des projets de loi,
en lien avec le secrétariat général et les autres directions ministérielles, et
au niveau local, avec les pôles d’analyse des données des cours d’appel BOP.
4. Réorganiser le dialogue de
gestion entre la direction des services judiciaires/RPROG et les cours d’appel,
afin de disposer d’une vision globale des moyens de chaque entité budgétaire en
établissant un lien explicite entre ces moyens et la performance.
5. Avancer le calendrier et
réévaluer la méthodologie de la construction budgétaire, afin de mieux intégrer
l’expression de besoins des cours d’appel, en l’appuyant sur une démarche
renforcée d’analyse des coûts.
6. Harmoniser les dates et le
rythme des mouvements des magistrats, des personnels de greffe et des
personnels des corps communs ; limiter ces mouvements à deux par an sans
préjudice des mutations décidées en cours d’année pour des motifs exceptionnels
ou tirés des nécessités de service.
7. Rendre explicites les critères
actuellement utilisés par l’administration pour répartir les moyens, en
particulier en personnels, alloués aux juridictions.
8. Participer au groupe de
travail sur la pondération des affaires de la CEPEJ (Conseil de l’Europe) et
tirer ainsi bénéfice des expériences européennes sur ce sujet.
9. Créer dans les trois ans un
système de pondération se fondant sur une typologie des affaires judiciaires et
sur les actuels et futurs outils de gestion afin de garantir une allocation
efficiente des moyens des juridictions et une connaissance précise de
l’activité judiciaire.