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« Le notaire doit replacer le conseil au centre de son activité » - Entretien avec Thierry Delesalle, président du 118e Congrès des notaires

« Le notaire doit replacer le conseil au centre de son activité » - Entretien avec Thierry Delesalle, président du 118e Congrès des notaires
Publié le 05/10/2022 à 17:32
Du 12 au 14 octobre, les notaires se réuniront à Marseille, à l’occasion du 118e Congrès des notaires consacré cette année à l’ingénierie notariale. Alors que la profession fait face à un changement de paradigme, le président du congrès et notaire à Paris, Thierry Delesalle, considère que la réponse passera inévitablement par la formation des collaborateurs, centrée sur le conseil, la réadaptation des logiciels et la réorganisation des offices.




« L’ingénierie notariale » est l’axe central choisi pour ce 118e Congrès des notaires. Pourquoi ce sujet ? Et comment définiriez-vous un « ingénieur notarial » ?

Ce thème vient, de fait, répondre à la réalité de la profession qui vit actuellement un véritable tournant.

Au fil des ans, avec la loi Macron, les notaires ont fait face à une multiplication du nombre de confrères. Une augmentation qui a inévitablement un impact sur le marché, et qui demande de se réinventer.

À cette hausse des effectifs s’ajoute une mutation de l’activité. Le secteur immobilier, par exemple, risque d’être moins florissant dans les 10, 20 ou 30 ans prochaines années, entre autres en raison de la baisse du nombre de constructions au profit de la rénovation, ce qui limite par conséquent le nombre de transactions. Les confrères spécialisés dans ce secteur vont certainement devoir se réinventer, se diversifier. Le notaire doit replacer le conseil au centre de son activité, avec une qualité toujours plus accrue. Comme j’aime à le dire, nous allons passer d’un conseil de « prêt-à-porter » à un conseil « sur mesure » voire « haute couture » !

La profession va devoir anticiper ces transformations, notamment au sein de ses structures. En effet, le notariat est aujourd’hui organisé pour réaliser des actes : les collaborateurs sont formés en conséquent, et les logiciels également conçus dans ce but. Nous assistons à un changement de paradigme, et nous nous devons d’y répondre en formant les collaborateurs autour du conseil, en réadaptant nos logiciels et en réorganisant nos études.

Le conseil est dans l’ADN du notaire, et le client en est demandeur. Il est prêt à le payer si ce dernier est de qualité. L’expression « ingénieur notarial » vient définir ce nouveau rôle, avec un notariat au cœur des problématiques sociétales.



« Anticiper, conseiller, pacifier pour une société harmonieuse », tels sont les mots associés au thème porté par le congrès. Que signifient-ils pour vous ?

Ces verbes définissent assurément le rôle du notaire dans son utilité sociale. Sa mission est en effet d’anticiper le conflit dans une société qui se fracture depuis plusieurs années. Le notaire a un rôle de pacificateur.

 


Le congrès s’organise autour de trois commissions : Immobilier, Entreprise et Familles. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ces trois commissions reprennent en effet les trois secteurs clés dans lesquels l’ingénierie notariale s’applique.

Dans le secteur de l’immobilier, on en a parlé, mais aussi au sein des entreprises, que la profession a quelque peu délaissées depuis les années 80, à l’époque où ces actes notariés ne s’imposaient plus aux actes des sociétés. Auparavant, rappelons-le, il n’était pas rare de voir le notaire du chef d’entreprise siéger au conseil d’administration. Mais il s’est, depuis, éloigné de cette mission. Il est aujourd’hui temps, selon moi, de se réapproprier ce secteur. Le notaire y a clairement un rôle à jouer, notamment de par son statut d’officier public et ministériel et de partenaire de confiance. À cet égard, le notaire pourrait se rapprorcher du family officer, car il dispose d’un prisme global, tant professionnel que personnel. Le notaire est sur les deux fronts. Connaître le patrimoine personnel et la situation familiale du dirigeant est un vrai atout pour le conseiller correctement. Le notaire a cette vision d’ensemble, et cette dimension humaine de « notaire de famille » qui lui permet de guider le chef d’entreprise dans ses choix professionnels. Dans les transmissions, bien sûr, mais pas seulement. La formation généraliste du notaire lui permet d’appréhender les dossiers différemment. Naturellement, le but n’est pas de remplacer l’avocat ou l’expert-comptable, mais d’être à leurs côtés pour un meilleur accompagnement du chef d’entreprise.

La commission Famille était elle aussi une évidence. Le notaire est au cœur des histoires familiales ; il est à même de trouver des solutions pour pacifier les relations, notamment en cas de divorce et de succession, amenés à se complexifier avec la multiplication des familles recomposées. Son rôle est de trouver un accord, et à l’heure où les modes alternatifs de règlement des différends ont le vent en poupe, il est important de rappeler que le rôle de conciliateur-médiateur-arbitre est dans l’ADN même de notre profession.




« Le notaire a un rôle de pacificateur. »

 



Qu’attendez-vous de ce congrès ?

Après les deux dernières éditions marquées par la crise sanitaire (masques, gestes barrières et jauges), la profession a soif de se retrouver. Et nous le constatons dans le nombre très important d’inscriptions en présentiel, qui composent 95 % des congressistes.

Nous avons choisi d’axer ce congrès sur la formation. En effet, les choses changent et la formation est une réponse à ces nouveaux défis sociétaux auxquels le notaire doit s’adapter. Nous restons ouverts à ces changements. Au total, 34 professeurs prestigieux ont répondu présents avec un enthousiasme total, et participeront à ces parcours de formations. C’est inédit ! Un parcours dédié au family office sera par exemple proposé, en écho à la future formation des 1er et 2 février 2023 et à la tenue de tables rondes animées par des banquiers, des professionnels en gestion du patrimoine, à destination des notaires. Au congrès, ces formations sont d’ailleurs ouvertes aux autres professions (conseils en gestion du patrimoine, experts-comptables, avocats…), en présentiel ou en digital, sous réserve, pour les inscrits, d’être recommandés par un notaire.

Pour parler des temps forts du Congrès, je relèverais la présence, on l’espère, de Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, et du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, qui devrait rebondir, en clôture, sur nos travaux.

 


Aujourd’hui, la place accordée au contrat progresse. En quoi le rôle du notaire, comme acteur de la prévention des litiges et comme pourvoyeur de sécurité juridique, est-il affecté ?

Notre rôle, encore une fois, est de répondre à ces enjeux de sécurité en faisant du sur-mesure. Notre approche des conflits est très simple : il en va de faire l’inventaire des principaux conflits qui pourraient exister chez nos clients et d’imaginer par la suite ce qui pourrait être mis en place en amont, en termes de contrats ou de clauses, pour éviter ces contentieux. Je pense par exemple à la prestation compensatoire en cas de divorce, ou aux régimes matrimoniaux. Le sur-mesure est la réponse.

 


Dans votre avant-propos, vous déclarez avoir à cœur « d’inventer des nouveaux contrats, des nouvelles missions qui seront par la suite présentés aux pouvoirs législatif, réglementaire et judiciaire ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

La profession tient à participer aux débats et aux enjeux sociétaux. Les notaires sont aux côtés du gouvernement pour apporter des solutions. C’est pourquoi, en amont du congrès, j’ai rendez-vous avec la Chancellerie pour présenter au ministre nos travaux. Le but étant que lors de l’événement, le garde des Sceaux puisse y répondre dans son discours.

 


Numérisation, innovation, simplification du droit… Quelles sont les principales actualités qui animent aujourd’hui la profession ?

Aujourd’hui, avec le plein emploi, la profession peine à recruter. Les outils numériques et l’IA apparaissent comme de bons outils pour nous dégager du temps, en nous permettant de nous consacrer au conseil, mission que la machine ne pourra jamais réaliser. Cela demande une vue transversale et une adaptabilité propres à l’humain. Il y a cet aspect psychologique dans notre profession que l’IA ne peut déceler. La technologie apporte une aide précieuse pour les actions répétitives, libérant du temps et donc de la valeur ajoutée.

Vous parlez de simplification, en faisant référence, je suppose, aux 15 propositions de simplification formulées récemment par le Conseil supérieur du notariat. Toutes les idées sont bonnes à prendre quand il s’agit de simplifier. Depuis que j’ai débuté dans la profession, il y a 42 ans, les codes ont tout bonnement doublé de volume, sans parler des nouveaux qui sont créés chaque année.

Je pense par exemple au Code de droit international privé. Attention, je ne dis pas que ces nouveaux ouvrages ne sont pas utiles pour regrouper les textes, mais nous le constatons, le droit se complexifie.

On a tendance à dire que le législateur devrait supprimer une dizaine de textes avant d’en créer un nouveau. Aujourd’hui, les textes s’élaborent trop rapidement. Tout cela manque à mon sens de cohérence.

 

Propos recueillis par Constance Périn



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