Du 12
au 14 octobre, les notaires se réuniront à Marseille, à l’occasion du 118e
Congrès des notaires consacré cette année à l’ingénierie notariale. Alors que
la profession fait face à un changement de paradigme, le président du congrès
et notaire à Paris, Thierry Delesalle, considère que la réponse passera
inévitablement par la formation des collaborateurs, centrée sur le conseil, la
réadaptation des logiciels et la réorganisation des offices.
« L’ingénierie notariale » est l’axe central
choisi pour ce 118e Congrès des notaires. Pourquoi ce sujet ?
Et comment définiriez-vous un « ingénieur notarial » ?
Ce
thème vient, de fait, répondre à la réalité de la profession qui vit
actuellement un véritable tournant.
Au
fil des ans, avec la loi Macron, les notaires ont fait face à une multiplication
du nombre de confrères. Une augmentation qui a inévitablement un impact sur le
marché, et qui demande de se réinventer.
À
cette hausse des effectifs s’ajoute une mutation de l’activité. Le secteur
immobilier, par exemple, risque d’être moins florissant dans les 10, 20 ou
30 ans prochaines années, entre autres en raison de la baisse du nombre de
constructions au profit de la rénovation, ce qui limite par conséquent le
nombre de transactions. Les confrères spécialisés dans ce secteur vont
certainement devoir se réinventer, se diversifier. Le notaire doit replacer le
conseil au centre de son activité, avec une qualité toujours plus accrue. Comme
j’aime à le dire, nous allons passer d’un conseil de « prêt-à-porter » à un
conseil « sur mesure » voire « haute couture » !
La
profession va devoir anticiper ces transformations, notamment au sein de ses
structures. En effet, le notariat est aujourd’hui organisé pour réaliser des
actes : les collaborateurs sont formés en conséquent, et les logiciels
également conçus dans ce but. Nous assistons à un changement de paradigme, et
nous nous devons d’y répondre en formant les collaborateurs autour du conseil,
en réadaptant nos logiciels et en réorganisant nos études.
Le
conseil est dans l’ADN du notaire, et le client en est demandeur. Il est prêt à
le payer si ce dernier est de qualité. L’expression « ingénieur notarial »
vient définir ce nouveau rôle, avec un notariat au cœur des problématiques
sociétales.
« Anticiper, conseiller, pacifier pour une société
harmonieuse », tels sont les mots associés au thème porté par le
congrès. Que signifient-ils pour vous ?
Ces
verbes définissent assurément le rôle du notaire dans son utilité sociale. Sa
mission est en effet d’anticiper le conflit dans une société qui se fracture
depuis plusieurs années. Le notaire a un rôle de pacificateur.
Le congrès s’organise autour de trois commissions :
Immobilier, Entreprise et Familles. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ces
trois commissions reprennent en effet les trois secteurs clés dans lesquels
l’ingénierie notariale s’applique.
Dans
le secteur de l’immobilier, on en a parlé, mais aussi au sein des entreprises,
que la profession a quelque peu délaissées depuis les années 80, à l’époque où
ces actes notariés ne s’imposaient plus aux actes des sociétés. Auparavant,
rappelons-le, il n’était pas rare de voir le notaire du chef d’entreprise
siéger au conseil d’administration. Mais il s’est, depuis, éloigné de cette
mission. Il est aujourd’hui temps, selon moi, de se réapproprier ce secteur. Le
notaire y a clairement un rôle à jouer, notamment de par son statut d’officier
public et ministériel et de partenaire de confiance. À cet égard, le notaire
pourrait se rapprorcher du family officer, car il dispose d’un prisme global,
tant professionnel que personnel. Le notaire est sur les deux fronts. Connaître
le patrimoine personnel et la situation familiale du dirigeant est un vrai
atout pour le conseiller correctement. Le notaire a cette vision d’ensemble, et
cette dimension humaine de « notaire de famille » qui lui permet de guider le
chef d’entreprise dans ses choix professionnels. Dans les transmissions, bien
sûr, mais pas seulement. La formation généraliste du notaire lui permet
d’appréhender les dossiers différemment. Naturellement, le but n’est pas de
remplacer l’avocat ou l’expert-comptable, mais d’être à leurs côtés pour un
meilleur accompagnement du chef d’entreprise.
La
commission Famille était elle aussi une évidence. Le notaire est au cœur des
histoires familiales ; il est à même de trouver des solutions pour pacifier les
relations, notamment en cas de divorce et de succession, amenés à se
complexifier avec la multiplication des familles recomposées. Son rôle est de
trouver un accord, et à l’heure où les modes alternatifs de règlement des
différends ont le vent en poupe, il est important de rappeler que le rôle de
conciliateur-médiateur-arbitre est dans l’ADN même de notre profession.
« Le notaire a un rôle de pacificateur. »
Qu’attendez-vous de ce congrès ?
Après
les deux dernières éditions marquées par la crise sanitaire (masques, gestes
barrières et jauges), la profession a soif de se retrouver. Et nous le
constatons dans le nombre très important d’inscriptions en présentiel, qui
composent 95 % des congressistes.
Nous
avons choisi d’axer ce congrès sur la formation. En effet, les choses changent
et la formation est une réponse à ces nouveaux défis sociétaux auxquels le
notaire doit s’adapter. Nous restons ouverts à ces changements. Au total,
34 professeurs prestigieux ont répondu présents avec un enthousiasme total, et
participeront à ces parcours de formations. C’est inédit ! Un parcours dédié au
family office sera par exemple proposé, en écho à la future formation des 1er
et 2 février 2023 et à la tenue de tables rondes animées par des banquiers, des
professionnels en gestion du patrimoine, à destination des notaires. Au
congrès, ces formations sont d’ailleurs ouvertes aux autres professions
(conseils en gestion du patrimoine, experts-comptables, avocats…), en
présentiel ou en digital, sous réserve, pour les inscrits, d’être recommandés
par un notaire.
Pour
parler des temps forts du Congrès, je relèverais la présence, on l’espère, de
Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la
Formation professionnels, et du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti,
qui devrait rebondir, en clôture, sur nos travaux.
Aujourd’hui, la place accordée au contrat progresse. En
quoi le rôle du notaire, comme acteur de la prévention des litiges et comme
pourvoyeur de sécurité juridique, est-il affecté ?
Notre rôle, encore une
fois, est de répondre à ces enjeux de sécurité en faisant du sur-mesure. Notre
approche des conflits est très simple : il en va de faire l’inventaire des
principaux conflits qui pourraient exister chez nos clients et d’imaginer par
la suite ce qui pourrait être mis en place en amont, en termes de contrats ou
de clauses, pour éviter ces contentieux. Je pense par exemple à la prestation
compensatoire en cas de divorce, ou aux régimes matrimoniaux. Le sur-mesure est
la réponse.
Dans votre avant-propos, vous déclarez avoir à cœur
« d’inventer des nouveaux contrats, des nouvelles missions qui
seront par la suite présentés aux pouvoirs législatif, réglementaire et
judiciaire ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
La
profession tient à participer aux débats et aux enjeux sociétaux. Les notaires
sont aux côtés du gouvernement pour apporter des solutions. C’est pourquoi, en
amont du congrès, j’ai rendez-vous avec la Chancellerie pour présenter au
ministre nos travaux. Le but étant que lors de l’événement, le garde des Sceaux
puisse y répondre dans son discours.
Numérisation, innovation, simplification du droit… Quelles
sont les principales actualités qui animent aujourd’hui la profession ?
Aujourd’hui,
avec le plein emploi, la profession peine à recruter. Les outils numériques et
l’IA apparaissent comme de bons outils pour nous dégager du temps, en nous
permettant de nous consacrer au conseil, mission que la machine ne pourra
jamais réaliser. Cela demande une vue transversale et une adaptabilité propres
à l’humain. Il y a cet aspect psychologique dans notre profession que l’IA ne
peut déceler. La technologie apporte une aide précieuse pour les actions
répétitives, libérant du temps et donc de la valeur ajoutée.
Vous
parlez de simplification, en faisant référence, je suppose, aux 15 propositions
de simplification formulées récemment par le Conseil supérieur du notariat.
Toutes les idées sont bonnes à prendre quand il s’agit de simplifier. Depuis
que j’ai débuté dans la profession, il y a 42 ans, les codes ont tout bonnement
doublé de volume, sans parler des nouveaux qui sont créés chaque année.
Je
pense par exemple au Code de droit international privé. Attention, je ne dis
pas que ces nouveaux ouvrages ne sont pas utiles pour regrouper les textes,
mais nous le constatons, le droit se complexifie.
On
a tendance à dire que le législateur devrait supprimer une dizaine de textes
avant d’en créer un nouveau. Aujourd’hui, les textes s’élaborent trop
rapidement. Tout cela manque à mon sens de cohérence.
Propos
recueillis par Constance Périn