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« Le rapport au travail change, il faut l’accepter et l’étudier » Compte rendu d’un webinaire Eurécia sur le télétravail

« Le rapport au travail change, il faut l’accepter et l’étudier » Compte rendu d’un webinaire Eurécia sur le télétravail
Publié le 06/07/2020 à 10:40


Amélioration de l’impact environnemental, augmentation de la productivité, reconfiguration de nos territoires… Le télétravail peut être bénéfique à la fois pour l’entreprise et le salarié. Guillaume Raverat, expert du travail à distance et cofondateur d’Organyze, présente ses enjeux lors d’un webinaire organisé le 8 juin dernier par l’éditeur de ressources humaines Eurécia. 



« Le télétravail est le futur du travail. » C’est avec certitude que Guillaume Raverat, cofondateur d’Organyze, prononce ces mots, dès les premières minutes du webinaire organisé par Eurécia. « Il y a une grande évolution du télétravail depuis quelques années et on a vu que c’était une tendance de fond assez lente en France. On a donc décidé de participer à ce mouvement pour accélérer le développement de cette culture et accélérer le développement des organisations pour être performantes dans ce mode de travail », explique-t-il. Le spécialiste du travail à distance accompagne des entreprises françaises et internationales dans le déploiement du télétravail depuis 2019. 


Déjà massivement étendue aux États-Unis, au Brésil ou encore en Australie, cette pratique a explosé en France pendant le confinement. Près de 39 % de la population française active a en effet eu recours au télétravail depuis mars dernier. En France, la majorité des actifs n’avait jamais eu l’occasion de travailler à distance avant la pandémie de coronavirus, et se rendait sur son lieu de travail cinq jours par semaine. 


Défini par le Code du travail comme « toute forme d’organisation du travail, dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur », le télétravail « est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Il doit être ajusté « dans le cadre d’un accord collectif ou, à défaut, dans le cadre d’une charte élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique ». 


L’article?précise que la menace d’une épidémie, telle que la Covid-19, « est une circonstance exceptionnelle permettant d’imposer le télétravail sans son accord. Il s’agit alors d’un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. » 


Afin d’aider les responsables d’entreprises à développer le travail à distance, Organyze a réalisé un sondage auprès d’eux en novembre 2019. Pour 26 % des sondés, la communication demeure le principal défi à relever. 13 % estiment qu’il s’agit plutôt du management, 13 % citent la confiance. « En France, le management est un frein important et le changement de culture du manager est aussi lié à la confiance dans l’entreprise... qui est un frein au développement de l’organisation », déchiffre Guillaume Raverat. L’organisation personnelle des salariés au sein de l’entreprise et les méthodes de travail employées arrivent ex-aequo à la quatrième position des préoccupations, avec 12 % des résultats. « On a beaucoup trop parlé de l’organisation personnelle pendant le confinement », estime-t-il, alors qu’il s’agirait plutôt de mettre en place une organisation collective du travail. Les méthodes, elles, « sont liées à plusieurs questionnements : comment partage-t-on l’information, comment partage-t-on les tâches, comment est-on créatifs à distance ? » Enfin, l’isolement apparaît à la dernière place du classement (7 %). 


 


« Savoir gérer la communication synchrone et asynchrone » 


Selon les résultats de l’enquête, la communication en entreprise est donc le principal défi à relever. Communiquer, oui, mais comment ? Si le télétravail implique naturellement des échanges par écrit, le mail n’est pas forcément le moyen le plus pertinent, assure le cofondateur d’Organyze. « Chercher l’information, quand elle n’est pas bien stockée, [peut devenir] un problème important », souligne-t-il. Mieux vaut utiliser « des outils qui permettent de mieux communiquer » comme Slack ou encore Ryver, deux applications qui offrent la possibilité de centraliser des informations en toute transparence.


Pour Guillaume Raverat, « l’un des enjeux de l’organisation à distance est de bien gérer la communication synchrone et asynchrone ». Essentielle mais parfois invasive, la communication synchrone est caractérisée par des échanges directs et instantanés. En présentiel, ceux-ci peuvent avoir lieu autour de la machine à café, ou encore au sein-même de l’open-space. À distance, cette communication se transpose en visioconférence. 


Néanmoins, « beaucoup d’entreprises passent trop de temps en visioconférence et ne bénéficient donc pas de l’avantage de la distance, qui est la création de moments de concentration », déplore Guillaume Raverat. 


La communication asynchrone, elle, correspond aux échanges différés, avec, par exemple, l’envoi de mails. 


« Le fait d’être interrompu va créer une charge mentale. Toutes les activités ne nécessitent pas que j’interrompe mon collègue. Je dois pouvoir lui poser des questions et obtenir une réponse dans deux heures voire dans un jour. Il faut savoir gérer les deux moments », souligne le professionnel. 


Et une bonne communication suppose un bon management. Guillaume Raverat le confirme : « Le management est un frein pour de nombreuses entreprises ». Déployé soudainement au début du confinement, le télétravail a déstabilisé plusieurs entreprises. Certains responsables ont parfois enchaîné les réunions au détriment d’un fonctionnement pérenne. « Le manager peut avoir besoin de contrôler, d’avoir de la visibilité, mais il faut réussir à donner une certaine liberté d’action. Et pour donner cette liberté d’action, il y a l’obligation d’organiser le travail d’équipe et de ne pas être dans l’interruption des tâches quotidiennes », auquel cas le manager se rendrait indispensable, avec la conséquence d’une absence d’autonomie de l’équipe. 


Faire le pont entre les salariés, être à leur écoute ou encore percevoir les tensions... Le manager endosse aussi le rôle d’un coach. Un rôle accru avec le télétravail. 


 


Les bénéfices du télétravail 


Mais le télétravail présente-t-il une réelle opportunité pour toutes et tous ? La réponse est oui, affirme Guillaume Raverat. Pour le salarié, les avantages sont nombreux : moins de temps perdu dans les transports, moins de stress et la possibilité de travailler à son rythme. 


Quant au manager, les bénéfices se traduisent par une équipe qui se sentirait davantage considérée et responsabilisée. « Le manager de demain, c’est un manager qui est capable de travailler à distance sans problème. S’il n’accepte pas le travail à distance, il faut le voir comme un indice plutôt négatif », précise le cofondateur d’Organyze. 


Pratique plébiscitée par la plupart des actifs, le télétravail permettrait aux entreprises de recevoir un meilleur engagement des salariés, mais aussi une meilleure productivité. D’un point de vue énergétique, l’impact RSE de l’entreprise serait amélioré, car « 20 % des impacts sont liés aux transports », rappelle le spécialiste. Enfin, le télétravail engendre une résilience aux évènements extérieurs comme les grèves, les pannes de transports en commun ou encore les aléas climatiques. Finis les retards ou absences liés aux problèmes de circulation ! 


Ceci dit, « là où on a le plus de travail à faire, de façon collective, c’est lorsqu’on aborde les sujets de société », soutient Guillaume Raverat. « L’idée est de voir comment [le travail à] distance peut contribuer aux valeurs de la société. C’est l’occasion d’interroger l’entreprise : se demander quelles sont nos valeurs et comment le télétravail peut m’amener à ces valeurs. » 


Cette période particulière vécue par toutes et tous a obligé la population française à repenser ses relations sociales, notamment avec ses voisins ou les commerces de proximité. Une période où la place de chacun(e) au sein des relations sociales a été remise en question.


« Le Français attend beaucoup de l’entreprise [pour créer du lien social] et je pense que c’est un problème car on est déresponsabilisés de nos relations sociales. Avoir des amis en entreprise, c’est très bien, mais c’est mieux d’en avoir en-dehors. Cela questionne sur le sens que les gens accordent au fait de venir dans l’entreprise », analyse Guillaume Raverat. 


 


Pérenniser durablement le télétravail


Pour pérenniser le travail à distance, résoudre les freins techniques, comme la mise en place d’une bonne connexion réseau ou un poste de travail efficace, est primordial. Il convient ensuite de sortir de la vision individualisée du télétravail. « Il faut réfléchir à comment sortir de ce dogme du télétravailleur soumis à son climat et à son contexte de travail, seul. Il faut qu’il y ait une réflexion collective, un dialogue collectif qui s’instaure », souligne Guillaume Raverat. 


Frileuses face au déploiement du télétravail, certaines entreprises doivent aussi « faire le deuil de croyances et arrêter de croire que la présence au bureau est essentielle ». La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a d’ailleurs rappelé, lundi 4 mai sur France Info, l'importance de poursuivre le travail à domicile, au moins jusqu’à l’été. « On ne peut pas travailler comme avant pour l’instant. Mais, entre ne pas travailler et travailler quand même, travailler c’est mieux pour l’économie, pour l’emploi et pour chacun. Il faut être compréhensif », a-t-elle exprimé.


Mais gare à la surcharge de travail ! 33 % des télétravailleurs estiment en effet que le télétravail a un impact négatif sur leur charge de travail, et 30 % sur leur motivation. Pendant le confinement, 30 % des travailleurs à distance considèrent que leur santé psychologique s’est dégradée, et 25 % déclarent que leur santé physique s’est elle aussi détériorée. 


Alors, pour éviter les abus, la ministre du Travail préconise la mise en place d’une « charte », d'un « accord » avec les syndicats, ou d’« un mode d’emploi du télétravail » qui prévoit notamment « les heures de déconnexion ». 


Télétravailler ou ne pas télétravailler ? Guillaume Raverat estime que « la question est de savoir si on va revenir en présentiel et pour quoi faire ? Et en questionnant ce pourquoi, on obtient des réponses. Est-ce qu’on doit changer notre organisation ? Si on revient pour capter de l’information, potentiellement, c’est qu’il y a de l’information qui passe mal dans l’entreprise. »


Toujours selon l’étude du CSA pour Malakoff Humanis, 73 % des télétravailleurs interrogés souhaitent en tout cas demander à pratiquer le télétravail de manière régulière (pour 32 %) ou ponctuelle (41 %).


Des chiffres qui permettent aux entreprises d’anticiper le monde de demain. Pour les accompagner dans cette démarche, Guillaume Raverat présente les pratiques d’organisations qui l’ont déjà entamée à 100 %. 


Indispensable au bon fonctionnement d’une entreprise, « la confiance est au cœur de leur culture ». Au niveau du management, aucun contrôle n’est fait sur les horaires. Ces entreprises laissent la possibilité au salarié d’ajuster son mode de travail en fonction de ses préférences et de son efficacité. 


Pour maintenir le lien social, elles prévoient des rituels réguliers tels que des rétrospectives ou des séminaires trimestriels. « Le problème personnel du travail à distance c’est souvent la perte de lien social. Il est difficile d’avoir un esprit d’équipe à distance, on n’a pas de sentiment d’appartenance... Mais ceux qui travaillent à distance à 100 % sont ravis. Déjà parce qu’ils sont dans l’entreprise pour les bonnes raisons : ils ont choisi l’entreprise dans laquelle ils allaient télétravailler et pas parce que c’est à 5 km de leur travail. Le retour au présentiel doit nous amener à nous questionner : est-ce que j’ai besoin de venir travailler un vendredi alors que je ne vais échanger avec personne ? », explique le cofondateur d’Organzye.


Des changements structurels accélérés par le travail à distance sont aussi à envisager.
Il peut s’agir d’un développement de nouvelles compétences comme les soft skills, d’un recrutement régional voire national, ou encore d’un nouveau rapport au travail.


Le cofondateur d’Organyze conclut : « On a découvert qu’on était capable de travailler efficacement tout en étant libre. Le rapport au travail change, il faut l’accepter et l’étudier. » 


 


Jadine Labbé Pacheco


 


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