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« Vous devez être des hérauts du droit » : Les élèves-avocats promotion 2019-2020 intègrent l’EFB

« Vous devez être des hérauts du droit » : Les élèves-avocats promotion 2019-2020 intègrent l’EFB
Publié le 23/02/2019 à 09:30

Les élèves-avocats célébraient leur rentrée solennelle à l’EFB, le 10 janvier dernier, en salle Pleyel., à Paris. Une rentrée placée sous le signe de la professionnalisation, mais aussi des droits de la défense et de la défense des droits. L’occasion pour cette nouvelle promotion, parrainée par Jacques Toubon, de prêter, à l’unisson, son petit serment.


 

 


Jacques Toubon


La salle Pleyel était comble. Les quelque 1 800 élèves-avocats, rassemblés à l’occasion de la rentrée solennelle de l’EFB, le 10 janvier dernier, ont saisi le message : pro-fes-sion-na-li-sa-tion ! Tel sera le maître-mot de leur scolarité au sein de l’établissement, avant de devenir pleinement avocats.


« L’École est là pour entamer votre mue. Vous avez reçu l’ordinateur à la fac, maintenant on va vous donner le système d’exploitation », a lancé son directeur, Pierre Berlioz, punchline qui a été accueillie sous les applaudissements.


« Il n’est plus temps d’apprendre le droit, il est désormais temps de le pratiquer dès l’entrée à l’École, car préparer l’avenir consiste à vous faire appréhender la réalité », a confirmé le bâtonnier Marie-Aimée Peyron. Comme l’a précisé Aliénor Kamara-Cavarroc, directrice pédagogique de l’EFB. Les élèves ne vont donc pas réétudier ce qu’ils ont acquis à l’Université, mais le corps enseignant, composé d’avocats, magistrats, directeurs juridiques, notaires, policiers, négociateurs, comédiens, mais aussi le Défenseur des droits, parrain de cette promotion, leur donnera « des clefs » pour exercer leur future profession, et pour répondre aux attentes de leurs interlocuteurs, parmi lesquels clients, confrères, institutions et juridictions.


La nouvelle promotion se penchera notamment sur les aspects pratiques, de la réception du client jusqu’à la décision finale. « Le métier d’avocat est fait de réflexes, que nous allons vous transmettre, et de rigueur. Nous allons vous enseigner la manière adéquate de poser des questions à vos interlocuteurs pour construire efficacement vos dossiers et écrits, pour analyser les pièces et les documents afin de présenter vos travaux », a indiqué Aliénor Kamara-Cavarroc.


Les élèves seront par ailleurs initiés aux data room, aux due diligences, à l’arbitrage et à la plaidoirie - l’EFB abrite à cet effet une salle d’audience conçue spécialement pour l’entraînement des élèves.


Et en matière d’entraînement, la promotion peut aussi compter sur la petite conférence, calquée sur la Conférence du stage, concours d’éloquence à l’issue duquel 12 secrétaires sont chargés d’assurer des missions pénales et commis d’office par le bâtonnier. Malcolm Mouldaïa-Mauger, 9e secrétaire de la conférence, a insisté sur les enjeux de ce concours : « La Conférence du stage, c’est la probité de l’avocat. Vous allez défendre des gens démunis et vous serez leur seul lien humain ». La petite conférence, quant à elle, ouverte à 64 candidats, débute en mars pour s’achever en juin. Elle se déroule dans les mêmes conditions que son aînée ; trois tours au cours desquels « chaque candidat doit répondre à un sujet issu de l’imagination parfois perverse des secrétaires - par exemple, “Fromage ou dessert ?” - avec un souci d’entretenir l’élégance de la langue française », a souri le 9e secrétaire, l’un des intérêts de l’entraînement étant d’obtenir un feedback des secrétaires sur sa plaidoirie.


Autre façon de pratiquer : l’Association des élèves-avocats (AEA) met en place des permanences pénales afin d’assister l’avocat pénaliste en situation réelle, d’urgence. « Nous organisons aussi un forum des stages chaque année. Cette année, 50 cabinets seront présents : ils veulent vous voir, ils sont motivés pour vous recruter ! », a assuré son président, Stanislas Saied, aux étudiants.


 

 



 Pierre Berlioz


S’ouvrir


Les intervenants ont par ailleurs tous appelé les élèves-avocats à s’ouvrir à l’international.


Et l’international peut commencer à Paris : « Nous avons un barreau très ouvert sur le monde », a souligné Brice Martin, responsable des relations internationales à l’EFB, qui a évoqué l’opportunité d’assister à de grandes rencontres internationales organisées chaque année au sein de l’École, ou encore la possibilité de rencontrer des associations internationales d’avocats. Hors de Paris, Brice Martin a notamment mentionné l’existence de partenariats entre l’EFB et des établissements à l’étranger, afin de réaliser, par exemple, un LL.M (diplôme très prisé de troisième cycle en droit, entrepris à l’étranger) accéléré dans le cadre de leur Projet pédagogique individuel, l’un des stages à accomplir au cours de la formation à l’EFB ; ou encore des stages dans des pays anglophones, francophones, en Inde et en Chine, que ce soit en cabinet d’avocat ou dans tous types de structures, par exemple des juridictions internationales.


S’ouvrir à l’international, donc, mais aussi s’ouvrir aux autres corps et institutions. Pierre Berlioz a insisté sur ce point : « Confrontez-vous aux autres professions ! L’heure est à l’alliance des compétences, à l’intelligence collective. » Emmanuelle Hoffman, présidente déléguée de l’EFB, a ainsi cité à ce titre la grande conférence interprofessionnelle organisée au sein de l’établissement chaque année, afin de « tisser des liens » avec les autres professions du droit, au premier rang desquels, les magistrats : « Dès l’école, vous devez comprendre qu’il est essentiel que nous travaillions ensemble pour une bonne administration de la justice ». Gardez présent à l’esprit que vous poursuivez la même mission : être au service des citoyens, de la justice », a opiné Marie-Aimée Peyron, qui a souligné la nécessité d’instaurer des relations sereines et empreintes de respect avec les magistrats. Chantal Arens a d’ailleurs rappelé que magistrats et greffes accueillaient volontiers les futurs avocats dans les juridictions, « afin de leur faire découvrir “de l’intérieur” le fonctionnement, l’organisation, les contraintes des différents services d’une juridiction ». « Il faut maintenir cette passerelle entre les avocats et les juridictions », a appuyé la Première présidente de la cour d’appel.


Au-delà des professions du droit, Emmanuelle Hoffman a invité la promotion à « prendre conscience du lien avec les entreprises », et de comprendre les besoins de ces dernières, afin d’établir avec elles une « relation de confiance ».



Marie-Aimée Peyron


 


Prendre le virage du numérique


Alors que l’École a dévoilé son nouveau logo (qui se modernise très subtilement), cette dernière ne cache pas son ambition de modernité, et Marie-Aimée Peyron non plus : « Depuis un an, nous avons souhaité mettre fin à un enseignement didactique, académique, avec une refonte totale, pour plus de réalisme et de dynamisme. »


L’École a notamment souhaité prendre le virage de la révolution numérique : le Lab EFB, un espace de formation dédié aux enjeux de la transformation numérique de la filière, a été créé lors de la rentrée précédente, et inauguré par la garde des Sceaux. « C’était une réponse politique à une situation de fait : les justiciables sont déjà largement passés au numérique, et les avocats ont toujours du retard », a indiqué Alexis Deborde, associé fondateur de la legaltech Hercule et coordinateur du Lab. L’objectif du Lab est donc de répondre à des attentes bien précises des clients : plus de fluidité dans la communication avec l’avocat, une relation dématérialisée, une accessibilité et une transparence de l’information. « Vous devez vivre dans votre temps, et cela implique de savoir travailler de manière plus efficiente et confortable », a souligné Alexis Deborde. À cet effet, un cours en amphithéâtre et des ateliers sont proposés, lors desquels les élèves sont invités, accompagnés par des experts, à choisir un thème qu’ils désirent mieux appréhender  : business development (développement de l’activité), marché et droit (concevoir des offres de services plus parlantes pour le justiciable), modélisation juridique (automatisation et transformation des modes production), ou legal design (rendre des problématiques complexes plus simples à l’aide d’une visualisation schématique).


Plus poussé, le parcours « Talents et innovation » à destination des élèves souhaitant développer un projet ou simplement approfondir ces notions, « donne les moyens humains et méthodologiques de se saisir de cette révolution digitale », a témoigné Christophe Delaisement, élève-avocat de la promotion 2018-2019. « On nous apprend ce qu’est un client, comment établir son projet, comment faire un business model. On sort du cadre juridico-juridique, c’est rafraîchissant ! », a confirmé sa camarade Clara Zlotykamien, qui s’est penchée sur le sujet de la propriété intellectuelle dans l’optique de rendre cette matière plus accessible, via infographies, motion design, explications de jurisprudence et fil d’actualité dédié.


Une façon, comme l’a énoncé la Première présidente de la cour d’appel de Paris, Chantal Arens, de répondre à l’exigence de se former à l’utilisation des outils numériques, mais également « de se positionner efficacement à leur égard, car c’est en connaissant bien ces nouveaux instruments que les avocats pourront en retirer le meilleur ».


 


L’avocat innovateur


Plus « ouvert », plus « numérique », l’élève-avocat, et, dans son prolongement immédiat, l’avocat, est ainsi amené, aujourd’hui, à devenir plus créatif, un précurseur. C’est en tout cas le souhait émis par le directeur de l’EFB. « Georges Ripert a dit qu’un juriste est un conservateur, à peine de ne plus être un juriste - c’était en 1955. En 2019, un juriste est un innovateur, à peine de ne plus être un juriste », a assuré Pierre Berlioz.


À côté de la technique du métier, l’équipe pédagogique s’est dotée d’un objectif plus large : « On vous aidera à anticiper, à être agiles, réactifs, capables de vous adapter à l’évolution ». Pour le directeur de l’EFB, il est en effet essentiel que face à l’automatisation, l’avocat soit conscient de la révolution des services. « Être un bon juriste, ce n’est pas être une base de données sur pattes : cela ne sert à rien d‘accumuler des connaissances, car nous avons l’information à disposition. Au contraire, il faut être stratège, avoir de l’imagination, tenter des choses, essayer. Si on ne prend pas le risque de dire des âneries, on peut pas dire de choses intelligentes ». Le directeur de l’EFB a donc invité ses étudiants à ne jamais rien prendre pour acquis et à être imaginatifs ; en bref, à devenir de vrais caméléons du droit. « Ne restez pas à votre bureau, ouvrez vos fenêtres ! Voyez le sang, le labeur, les larmes, la sueur du monde. »


 


L’avocat réformateur


Si Chantal Arens a rappelé le rôle déterminant des avocats dans le bon fonctionnement d’un système judiciaire indépendant, affirmant que l’ « L’Histoire nous enseigne que partout où la défense recule, la démocratie, les valeurs fondamentales et la justice suivent la même dérive », la Première présidente de la cour d’appel a également réclamé des avocats qu’ils sachent, plus que jamais, remettre en cause les dysfonctionnement et saisissent les enjeux actuels inhérents à la justice et du droit. Face à la multiplication de textes législatifs et réglementaires nationaux « trop souvent conçus dans la précipitation et parfois mal rédigés », l’importance grandissante du droit européen et la rapide évolution des jurisprudences de la Cour de cassation, « Votre génération doit participer activement à un mouvement de modernisation des méthodes, sans lequel la crédibilité de nos professions respectives ne pourra être confortée », a certifié la Première présidente de la cour d’appel.


Autre combat dans lequel la « nouvelle génération » devra s’engager : celui de l’égalité hommes-femmes au sein même de la profession, a pointé l’avocate Valence Borgia. Puisqu’aujourd’hui, et malgré des progrès, l’avocature, qui compte 54 % de femmes, souffre toujours d’un écart de revenus allant en moyenne du simple au double entre les hommes et les femmes. Une réalité contre laquelle tous les membres de la profession doivent s’élever, tous sexes confondus, a considéré l’avocate.


Que ce soit en matière d’égalité et de respect des droits plus globalement, les élèves-avocats auront ainsi « un rôle déterminant à jouer pour proclamer le droit, un rôle citoyen, une mission d’intérêt général », a pour sa part estimé le Défenseur des droits.



 



Un « crépuscule des droits fondamentaux » ?


Succédant à Jean-Michel Darrois, parrain de la promotion précédente, Jacques Toubon, parrain de la promotion 2019-2020, a placé la rentrée de l’EFB sous le signe de la défense des droits et des droits de la défense. Pointant une absence de débat « réel, rationnel, informé » entre exigences sécurité et garanties nécessaires du respect des libertés, ainsi qu’un recul du principe universel de l’état de droit, ce dernier a interpellé ses filleuls sur un « crépuscule des droits fondamentaux ». « Le droit pénal et la procédure pénale introduisent continûment de nouvelles restrictions aux libertés, en particulier aux droits de la défense ; pilule empoisonnée dans notre corps social et dans notre corps juridique », a lancé Jacques Toubon. À l’appui de ces accusations, ce dernier a notamment cité l’article 27 du projet de loi Justice, dans le cadre duquel le procureur pourra procéder en urgence à une interception qui pourra durer jusqu’à 24h, « sans autorisation et sans contrôle, sans protection des droits de la défense », a-t-il fermement dénoncé.


« Vous ne serez pas seulement des auxiliaires de justice, vous devez être des hérauts du droit », a donc souligné le Défenseur des droits. Ayant lui-même lancé le projet Educadroit, programme destiné à sensibiliser les enfants et les jeunes au droit et à leurs droits, Jacques Toubon a également recommandé à sa promotion de se former et de former dans des domaines « loin d’être acquis », tels que les droits de l’enfant, mais aussi de la non-discrimination. « Le droit n’est pas seulement un outil, il doit être le vôtre, comme il est mon combat permanent, a persisté le Défenseur des droits. Les Français doivent comprendre que le droit est comme l’oxygène de l’air : indispensable à la vie. »


  


La déontologie, « obligation fondamentale dont on ne se départ jamais »


Basile Ader a prévenu les élèves-avocats : l’ADN fondamental de l’avocat est la déontologie. « Vous allez devenir des citoyens à qui on réclame plus qu’un citoyen ordinaire. Le principal enseignement de cette année sera donc de vous apprendre à avoir un comportement éthique ». Et en effet, la déontologie est l’examen le plus important à passer pour réussir l’examen du barreau. Au centre de cette dernière, le secret professionnel doit faire l’objet de toutes les attentions. « Tout ce que votre client va venir vous dire, dès la première minute, sera couvert par le secret. C’est une obligation fondamentale, absolue, dont on ne se départ jamais », a rappelé le vice-bâtonnier de Paris.


Et pour Catherine Champrenault, la déontologie, qui constitue le « meilleur rempart » face aux défis et aux mutations qui attendent ces futurs avocats, est aussi l’essence même du serment prêté par l’avocat. « Ce serment insiste sur la responsabilité éthique et déontologique sans lesquelles on ne peut se prétendre auxiliaire de justice. Ce sera la fondation de votre profession, et cela deviendra de véritables réflexes, qui présideront à votre stratégie de défense et à vos rapports avec vos interlocuteurs », a martelé la procureure générale de la cour d’appel de Paris, qui s’est par ailleurs dite « convaincue que le respect qu’une profession inspire se mesure à l’aune des exigences qu’elle impose et à la capacité de ses membres à les accepter et à les respecter ».


Mais avant de prêter serment « tout court », les élèves-avocats étaient tous ensemble invités à prêter leur petit serment face à la cour d’appel de Paris, spécialement délocalisée pour les besoins de cette audience de rentrée. « L’unisson ne saurait occulter le fait que ce serment vous engage, chacune et chacun d’entre vous, individuellement et fortement ! », a rappelé, non sans bienveillance, la procureure générale. Et si ce petit serment n’est pas encore celui de l’avocat, « Il a essentiellement pour objet de vous permettre de participer à toutes les activités de formation en partageant le secret professionnel et les secrets auxquels sont tenus ceux qui vont vous former, a de son côté indiqué Chantal Arens. Reste qu’il importe que vous soyez immédiatement conscients que vous devrez être prêts, à l’issue de votre scolarité, à exercer les fonctions d’avocat avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité », a prescrit la Première présidente de la cour d’appel.


En attendant d’être prêts, l’ensemble des élèves-avocats étaient donc pleinement éclairés. Je jure de conserver le secret de tous les faits et actes dont j’aurai eu connaissance en cours de formation et de stage… » : d’une seule voix, ferme, et d’une main droite levée, à peine tremblante, la promotion 2019-2020 l’a affirmé solennellement : « je le jure ».


 


Bérengère Margaritelli


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