Deux dirigeants de l’école
ont écopé de 4 000 et 5 000 euros d’amende. Deux responsables de la
Direction nationale des interventions domaniales ont aussi été condamnés.
La vente par l’État du
domaine de Grignon, l’un des sites de l’école AgroParisTech, continue de faire
parler d’elle. Après
un acte judiciaire au tribunal administratif de Versailles de
la part d’un promoteur immobilier qui considérait le rejet de son offre d’achat
comme illégal – la vente ayant depuis été abandonnée et le domaine restant donc
pour l’heure propriété de l’État –, c’est cette fois la Cour des comptes qui
s’est penchée sur le sujet.
En cause : la vente de meubles
appartenant au domaine public entreposés dans les bâtiments cédés, suspectée
d’avoir eu lieu « en méconnaissance des règles applicables à la gestion
de biens d’intérêt historique et culturel de l’État, en particulier au regard
du principe essentiel d’inaliénabilité » explique la Cour des comptes.
Un « préjudice financier significatif » est avancé par la
juridiction, qui vise l’article L. 131-9 du Code des juridictions financières.
Une estimation cinq fois trop
basse pour certains meubles
Résumé des faits. La
Direction nationale des interventions domaniales (DNID), service à compétence
nationale rattaché au directeur de l’immobilier de l’État de la direction
générale des finances publiques, met en vente en ligne les 15 juin et 20
septembre 2022 le mobilier entreposé au château de Grignon, dans le cadre du
déménagement du site d’AgroParisTech sur le campus situé dans le pôle
scientifique et technologique Paris-Saclay. 36 des 40 lots de meubles conçus en
lien avec les agents d’AgroParisTech avaient été vendus.
Mais les meubles, d’abord
présentés comme étant de style Louis XVI, sont ensuite reconnus comme
authentiques par une maison de ventes aux enchères le 8 novembre 2022. Un
changement qui n’est pas sans conséquences sur le prix des biens : une
console en chêne sculpté qui porte la marque SAG (pour Société d’agronomie de
Grignon), adjugée pour 2 550 € par la DNID, est par exemple vendue 13 000 € par
la maison de ventes à une antiquaire parisienne, soit une multiplication par
cinq. Un manque à gagner important pour l’État.
C’est un historien et docteur
en droit qui, quelques semaines plus tard, à l’occasion de la consultation du
catalogue de la vente, identifie la marque du château de Grignon sur certains
meubles et constate qu’ils ont été vendus par l’État quelques semaines plus tôt
à des prix faibles. Il en informe le directeur de la publication
du média spécialisé La Tribune de l’art, qui
publie un article pour révéler l’affaire au grand jour. Des procédures amiables
avec certains propriétaires privés des meubles sont alors entamées par la DNID,
en lien avec le Mobilier national, pour récupérer les biens.
L'instruction permet
finalement de déterminer que sur les 40 lots mis en vente, 20 comprenaient des
biens antérieurs à XIXe siècle, et les 20 autres étaient des meubles
du XIXe siècle.
La Cour des comptes estime un
manque à gagner de 159 000 euros pour l’État – la valeur vénale du
mobilier litigieux s’établissant à 180 000 euros pour une vente n’ayant
rapporté que 21 000 euros. Il faut à cela ajouter les coûts des procédures
engagées par le Mobilier national pour se faire restituer certains lots, soit
60 000 euros. Au total, le préjudice financier s’élève à 219 000
euros, soit 13 % du montant des crédits de paiement consommés en 2022 par le
site de Grignon.
« Intérêt trop tardif
au patrimoine mobilier »
Une faute principalement
imputable à AgroParisTech qui, selon la Cour des comptes, « a porté un
intérêt trop tardif au patrimoine mobilier du site de Grignon, et ce malgré
plusieurs alertes relevant l’absence d’inventaire, attendant d’être tenu par
l’échéance de vente du site pour diligenter une mission d’inventoriste,
laquelle produira au demeurant des résultats non satisfaisants ». L’institut
national des sciences et industries du vivant et de l’environnement a méconnu
le principe d’inaliénabilité des biens appartenant au domaine public, estime la
Cour.
Par ailleurs, l’école avait selon
elle conscience, avant le lancement de la procédure de vente, que le site de
Grignon accueillait du mobilier précieux devant probablement être protégé par
le Mobilier national. « Le choix réitéré d’AgroParisTech de ne pas se
saisir des propositions d’analyse de ses collections et meubles et de n’engager
aucune démarche pour apprécier leur réelle valeur et leur niveau de protection
potentiel constitue une faute grave. » De plus, le Mobilier national
aurait dû être saisi par l’école, comme la loi l’impose pour chaque sujet
important concernant les meubles appartenant à des administrations de l’État.
Mais la DNID a également une
part de responsabilité, souligne la Cour des comptes, qui relève que le service
n’est pas compétent pour procéder à la vente d’objets mobiliers appartenant au
domaine public. « Or, en réalisant la vente des 36 lots du domaine de
Grignon, elle a implicitement mais nécessairement reconnu à tort sa compétence. »
La requalification de certains meubles passant « d’époque » à
« de style » a été opérée à la suite d’un dialogue au sein de la
DNID, le service devant, en cas de qualification « d’époque »,
s’engager sur leur authenticité. « Ainsi, alors qu’ils en avaient la
faculté, en s’abstenant de recourir à une expertise pour certains des meubles
mis en vente, les agents de la DNID n’ont pas mis tout en œuvre pour les
valoriser au plus juste. »
De 3 000 à 5 000
euros d’amende
Le procureur général près la
Cour des comptes avait renvoyé devant l’institution la directrice générale
adjointe de l’établissement public AgroParisTech, le directeur du site de
Grignon, la responsable de la division réseau de ventes de la DNID et une commissaire
aux ventes au sein de cette direction, en poste au moment des faits. Le magistrat
soupçonnait ces personnes d’avoir commis « une faute grave
caractérisant une infraction aux règles de gestion des biens de l’État ».
La directrice générale
adjointe d’AgroParisTech est finalement condamnée à une amende de 5 000 euros. « Son
attitude a incontestablement contribué à négliger le mobilier détenu sur le
site de Grignon et à ce que le Mobilier national ne soit pas tenu informé de
l’existence de meubles susceptibles d’être protégés », constate la
Cour des comptes.
Il est toutefois reconnu au
directeur du site de Grignon des circonstances atténuantes, ce dernier ayant « à
plusieurs reprises attiré l’attention de ses supérieurs et des agents de la
DNID sur la qualité de certains meubles et sur l’intérêt d’interroger les
services compétents quant à leur protection ». Il devra tout de même s’acquitter
d’une amende de 4 000 euros.
La responsable de la division
réseau de ventes de la DNID et la commissaire aux ventes ont quant à elles
écopé de 3000 euros de sanction financière. Elles aussi ont pu compter sur des
circonstances atténuantes, respectivement pour une prise de poste récente avec
un contexte personnel difficile et pour une absence durant plusieurs mois pour
raisons de santé ne lui ayant pas permis d’assister aux visites du site de
Grignon.
La commissaire aux ventes était
néanmoins « la principale responsable de la remise des meubles, de
l’établissement du catalogue de vente et de la procédure de vente »,
ayant pris part à la confection du catalogue, à la qualification erronée de la
valeur du mobilier et exerçant « une autorité hiérarchique sur les
agents du commissariat aux ventes », précise la Cour des comptes.
Alexis
Duvauchelle