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(78) La Cour des comptes condamne des responsables d’AgroParisTech pour la vente de mobilier de l’État au domaine de Grignon

(78) La Cour des comptes condamne des responsables d’AgroParisTech pour la vente de mobilier de l’État au domaine de Grignon
Publié le 30/12/2024 à 14:54

Deux dirigeants de l’école ont écopé de 4 000 et 5 000 euros d’amende. Deux responsables de la Direction nationale des interventions domaniales ont aussi été condamnés.

La vente par l’État du domaine de Grignon, l’un des sites de l’école AgroParisTech, continue de faire parler d’elle. Après un acte judiciaire au tribunal administratif de Versailles de la part d’un promoteur immobilier qui considérait le rejet de son offre d’achat comme illégal – la vente ayant depuis été abandonnée et le domaine restant donc pour l’heure propriété de l’État –, c’est cette fois la Cour des comptes qui s’est penchée sur le sujet.

En cause : la vente de meubles appartenant au domaine public entreposés dans les bâtiments cédés, suspectée d’avoir eu lieu « en méconnaissance des règles applicables à la gestion de biens d’intérêt historique et culturel de l’État, en particulier au regard du principe essentiel d’inaliénabilité » explique la Cour des comptes. Un « préjudice financier significatif » est avancé par la juridiction, qui vise l’article L. 131-9 du Code des juridictions financières.

Une estimation cinq fois trop basse pour certains meubles

Résumé des faits. La Direction nationale des interventions domaniales (DNID), service à compétence nationale rattaché au directeur de l’immobilier de l’État de la direction générale des finances publiques, met en vente en ligne les 15 juin et 20 septembre 2022 le mobilier entreposé au château de Grignon, dans le cadre du déménagement du site d’AgroParisTech sur le campus situé dans le pôle scientifique et technologique Paris-Saclay. 36 des 40 lots de meubles conçus en lien avec les agents d’AgroParisTech avaient été vendus.

Mais les meubles, d’abord présentés comme étant de style Louis XVI, sont ensuite reconnus comme authentiques par une maison de ventes aux enchères le 8 novembre 2022. Un changement qui n’est pas sans conséquences sur le prix des biens : une console en chêne sculpté qui porte la marque SAG (pour Société d’agronomie de Grignon), adjugée pour 2 550 € par la DNID, est par exemple vendue 13 000 € par la maison de ventes à une antiquaire parisienne, soit une multiplication par cinq. Un manque à gagner important pour l’État.

C’est un historien et docteur en droit qui, quelques semaines plus tard, à l’occasion de la consultation du catalogue de la vente, identifie la marque du château de Grignon sur certains meubles et constate qu’ils ont été vendus par l’État quelques semaines plus tôt à des prix faibles. Il en informe le directeur de la publication du média spécialisé La Tribune de l’art, qui publie un article pour révéler l’affaire au grand jour. Des procédures amiables avec certains propriétaires privés des meubles sont alors entamées par la DNID, en lien avec le Mobilier national, pour récupérer les biens.

L'instruction permet finalement de déterminer que sur les 40 lots mis en vente, 20 comprenaient des biens antérieurs à XIXe siècle, et les 20 autres étaient des meubles du XIXe siècle.

La Cour des comptes estime un manque à gagner de 159 000 euros pour l’État – la valeur vénale du mobilier litigieux s’établissant à 180 000 euros pour une vente n’ayant rapporté que 21 000 euros. Il faut à cela ajouter les coûts des procédures engagées par le Mobilier national pour se faire restituer certains lots, soit 60 000 euros. Au total, le préjudice financier s’élève à 219 000 euros, soit 13 % du montant des crédits de paiement consommés en 2022 par le site de Grignon.

« Intérêt trop tardif au patrimoine mobilier »

Une faute principalement imputable à AgroParisTech qui, selon la Cour des comptes, « a porté un intérêt trop tardif au patrimoine mobilier du site de Grignon, et ce malgré plusieurs alertes relevant l’absence d’inventaire, attendant d’être tenu par l’échéance de vente du site pour diligenter une mission d’inventoriste, laquelle produira au demeurant des résultats non satisfaisants ». L’institut national des sciences et industries du vivant et de l’environnement a méconnu le principe d’inaliénabilité des biens appartenant au domaine public, estime la Cour.

Par ailleurs, l’école avait selon elle conscience, avant le lancement de la procédure de vente, que le site de Grignon accueillait du mobilier précieux devant probablement être protégé par le Mobilier national. « Le choix réitéré d’AgroParisTech de ne pas se saisir des propositions d’analyse de ses collections et meubles et de n’engager aucune démarche pour apprécier leur réelle valeur et leur niveau de protection potentiel constitue une faute grave. » De plus, le Mobilier national aurait dû être saisi par l’école, comme la loi l’impose pour chaque sujet important concernant les meubles appartenant à des administrations de l’État.

Mais la DNID a également une part de responsabilité, souligne la Cour des comptes, qui relève que le service n’est pas compétent pour procéder à la vente d’objets mobiliers appartenant au domaine public. « Or, en réalisant la vente des 36 lots du domaine de Grignon, elle a implicitement mais nécessairement reconnu à tort sa compétence. » La requalification de certains meubles passant « d’époque » à « de style » a été opérée à la suite d’un dialogue au sein de la DNID, le service devant, en cas de qualification « d’époque », s’engager sur leur authenticité. « Ainsi, alors qu’ils en avaient la faculté, en s’abstenant de recourir à une expertise pour certains des meubles mis en vente, les agents de la DNID n’ont pas mis tout en œuvre pour les valoriser au plus juste. »

De 3 000 à 5 000 euros d’amende

Le procureur général près la Cour des comptes avait renvoyé devant l’institution la directrice générale adjointe de l’établissement public AgroParisTech, le directeur du site de Grignon, la responsable de la division réseau de ventes de la DNID et une commissaire aux ventes au sein de cette direction, en poste au moment des faits. Le magistrat soupçonnait ces personnes d’avoir commis « une faute grave caractérisant une infraction aux règles de gestion des biens de l’État ».

La directrice générale adjointe d’AgroParisTech est finalement condamnée à une amende de 5 000 euros. « Son attitude a incontestablement contribué à négliger le mobilier détenu sur le site de Grignon et à ce que le Mobilier national ne soit pas tenu informé de l’existence de meubles susceptibles d’être protégés », constate la Cour des comptes.

Il est toutefois reconnu au directeur du site de Grignon des circonstances atténuantes, ce dernier ayant « à plusieurs reprises attiré l’attention de ses supérieurs et des agents de la DNID sur la qualité de certains meubles et sur l’intérêt d’interroger les services compétents quant à leur protection ». Il devra tout de même s’acquitter d’une amende de 4 000 euros.

La responsable de la division réseau de ventes de la DNID et la commissaire aux ventes ont quant à elles écopé de 3000 euros de sanction financière. Elles aussi ont pu compter sur des circonstances atténuantes, respectivement pour une prise de poste récente avec un contexte personnel difficile et pour une absence durant plusieurs mois pour raisons de santé ne lui ayant pas permis d’assister aux visites du site de Grignon.

La commissaire aux ventes était néanmoins « la principale responsable de la remise des meubles, de l’établissement du catalogue de vente et de la procédure de vente », ayant pris part à la confection du catalogue, à la qualification erronée de la valeur du mobilier et exerçant « une autorité hiérarchique sur les agents du commissariat aux ventes », précise la Cour des comptes.

Alexis Duvauchelle

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