Douze magistrates sont devenues les marraines
de douze étudiantes en prépa Talents le 8 mars dernier, lors d’une chaleureuse
cérémonie d’entraide féministe. Sororité et passage de témoin étaient au
programme de cette journée soutenue par l’association Femmes de justice.
Les rayons de soleil qui percent les fenêtres
de la salle d’audience n°1 de la cour d’appel de Versailles annoncent l’aube
d’un renouveau. Dans une atmosphère gaie émaillée d’échanges chaleureux, douze
magistrates s’apprêtent, le 8 mars dernier, à transmettre symboliquement le
relai générationnel à autant d’étudiantes de la prépa Talents dont elles
deviendront les marraines. Le but : coacher les élèves tout au long de la
préparation du concours d’entrée à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM).
L’opération intitulée Femmes Entraide Justice
est la première cérémonie de ce type organisée par la cour d’appel de
Versailles, avec Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et l’université de
Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). L’initiative est conduite sous le
haut marrainage de Chantal Arens, première présidente honoraire de la cour de
Cassation, avec la participation de l’association Femmes de justice.
« Se sentir légitime à réussir »
Rédaction d’un CV et d’une lettre de
motivation, aide dans la préparation du grand oral… Ces magistrates travaillant
à la cour d’appel de Versailles auront un an pour soutenir et accompagner leurs
filleules, sélectionnées parmi des élèves boursières, par le biais de contacts
réguliers. Les mots d’ordre : sororité et passage de témoin.
« Aujourd’hui, nous portons la même lutte :
celle des droits des femmes et du droit pour les femmes de se sentir légitimes
à réussir, explique la présidente de Femmes de justice, Sonya
Djemni-Wagner, avocate générale chargée de mission au cabinet du procureur
général près la cour d’appel de Versailles. C’est d’autant plus important
pour nos fonctions de justice, puisque l'égalité fait partie de nos combats
». Le choix de la date, celle de la Journée internationale des droits des
femmes, ne doit rien au hasard. « Fêter le 8 mars avec des jeunes est très
symbolique, très stimulant, assure la magistrate dans un sourire. C’est
une façon de dire que le combat des femmes n’est pas terminé. On passe le
relais. »
« Soyez les femmes que vous souhaitez voir »
Et dans les combats, il faut savoir prendre
des coups. « Je veux montrer qu’il n’y a pas qu’une voie pour accéder à ce
qui est fait pour nous. Un échec est souvent une porte très grande ouverte à
d’autres aventures et à des chemins qui peuvent être bien plus inspirants que
ceux que l’on avait initialement à l’esprit », lance avec passion Mariella
Sognigbé, la directrice pénitentiaire d'insertion et de probation du service
pénitentiaire du Val d’Oise, reconnaissable à sa paire de lunettes rondes
montée sur des boucles d’oreilles dorées.
Cette pétillante et charismatique trentenaire
revient de loin. Après avoir obtenu son master de droit en 2014, elle a « échoué
» à la magistrature. Si elle a travaillé comme journaliste en parallèle pendant
dix ans, elle choisira finalement d’intégrer Sciences Po Paris. « Puis, j’ai
découvert par hasard la fiche de ce qui deviendra mon poste, sur le site du
ministère de la Justice », poursuit Mariella Sognigbé, émue de se trouver
aujourd’hui dans la salle où elle a prêté serment.
Pour elle, témoigner face à une assemblée de
femmes est important. « On est en capacité de générer des changements de
posture et d'insuffler quelque chose de plus combatif et dynamique. Je pense
que tout est absolument possible », confie-t-elle. Ne rien se refuser :
c’est son message pour la prochaine génération. « Mesdames, soyez
audacieuses, exhorte-t-elle. N’ayez pas peur, allez-y pleinement. Soyez
précisément là où on ne vous attend pas. Soyez les femmes que vous souhaitez
voir autour de vous. » Tonnerre d’applaudissements.
La sororité contre les discriminations
« Il faut de l’audace, mais pas seulement :
parfois, il y a sur le chemin des obstacles qui ne sont pas de votre fait
», nuance toutefois Sonya Djemni-Wagner. La marraine de la première promotion
de Femmes Entraide Justice évoque notamment les discriminations liées au genre,
encore bien présentes au sein de la justice. Même si les femmes réussissent
très bien en concours, elles ne se sentent pas toujours légitimes à les passer.
Et même une fois en poche, ces diplômes ne constituent pas une garantie d’accès
aux postes à responsabilité, plus souvent occupés par des hommes à niveau de
compétence égal, comme le soulignait une étude du Conseil supérieur de la
magistrature de 2020.
« Ces derniers mois, beaucoup de jeunes
professionnelles nous ont rapporté qu’il y avait encore des problèmes autour de
la gestion de la parentalité, développe Sonya Djemni-Wagner. On leur
reprochait d'être enceintes, d'être mères, ou encore de ne pas être assez
disponibles. » Pour la magistrate, les femmes doivent avoir conscience le
plus tôt possible de ces questions, pour ne pas « culpabiliser » et
intégrer que c’est l’institution qui est en tort, pas elles. « Ces problèmes
se résoudront avec de l’action, de la conviction, et du travail d’équipe. On y
arrivera, mais ensemble, conclut Sonya Djemni-Wagner. Il faut un appui
et du collectif pour vous aider : c’est ce qui vous est proposé avec ce
marrainage ».
« J’aime bien l’idée de pionnières »
Une à une, les paires marraine-filleule se
forment pour signer ensemble la Charte des Marraines. Moment redouté : le
courant va-t-il passer ? « J'appréhendais un petit peu car j'avais peur de
tomber sur une marraine très différente de moi, confie Yohanna Boulay
Pesenti, 23 ans. Mais, visiblement, elle est très sympa et ouverte d’esprit,
je suis ravie ! En plus elle est présidente d'une chambre de l’instruction et
je suis passionnée par la matière pénale : on va vraiment bien s'entendre.
»
Au milieu du joyeux brouhaha, Sarah Soula, 27
ans, et la première présidente de chambre à la cour d’appel de Versailles,
Nathalie Bourgeois-De Ryck, échangent leurs numéros. La magistrate chevronnée,
ancienne conseillère à la Cour de cassation, enfile le costume de marraine par
conviction féministe : « J’aime bien l’idée de pionnières,
sourit-elle. Il existe encore une forme de plafond de verre, et surtout,
d’autocensure : malgré tout, on grandit dans un monde d'hommes. Pour nous, qui
avons eu une carrière très riche, c’est important de montrer que c’est
possible, en tant que femmes. »
Plus loin, Clémence Benoit, 23 ans, et Soisic
Iroz, substitute du procureur général près la cour d’appel de Versailles,
partagent un moment de complicité : « C’est une belle rencontre !,
s’exclame cette dernière. J’ai croisé tout au long de mon parcours des
personnes très inspirantes, notamment des femmes. Elles m'ont prise sous leurs
ailes avec l’envie que je réussisse. Aujourd’hui, je souhaite transmettre à mon
tour. » Clémence Benoit acquiesce : « Avoir une marraine pourrait me
permettre de me projeter vers le poste où j’aimerais arriver un jour, en me
disant : je veux être cette femme ». Soisic Iroz sourit et ajoute : « Tout
le monde se porte, ensemble. »
Floriane Valdayron