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(91) Tribunal d’Évry : « C’est le profil le plus dangereux que vous verrez aujourd’hui »

(91) Tribunal d’Évry : « C’est le profil le plus dangereux que vous verrez aujourd’hui »
Publié le 03/02/2025 à 17:51

CHRONIQUE. Jason, détenu provisoirement pour des faits d’assassinats, est jugé en comparution immédiate pour des menaces de mort visant la préfète de l’Essonne et une cheffe de service, dans lesquelles il faisait référence à l’assassinat de Samuel Paty. Le prévenu, au parcours de vie chaotique, a préféré garder le silence.

Un matin, la préfète de l’Essonne ouvre son courrier et lit la lettre suivante :

« Dès que je sors de prison je te bute t’es la 2e sur ma liste d’assassinat sale pute de préfète je suis là parce que j’ai assassiné, je n’ai qu’une putain de parole, la vie humaine aucune importance à mes yeux les keufs je vous brûle vivant je vous décapite je suis pire qu’un terroriste Samuel Paty c’est de la rigolade ce n’est pas des menaces c’est des putains de promesses » (sic). Le tout est signé d’un numéro d’écrou. Quelques jours avant, le 5 novembre, Jason, en détention provisoire depuis 2022 à la prison de Fleury-Mérogis, est notifié, par le service compétent de la préfecture du département, d’une interdiction de porter une arme. C’est une formalité découlant d’une condamnation prononcée quelques temps auparavant.

De toute façon, Jason étant détenu pour des faits d’assassinats - qu’il reconnaît -, ses perspectives de sortie de détention à court terme sont faibles. Mais ce jour-là, dit-il aux policiers saisis par la préfète, il était pris d’une douloureuse rage de dents que le dentiste n’avait pas eu le temps de soigner et que les anti-douleurs ne parvenaient pas à calmer. C’est sans réfléchir, et d’une écriture désordonnée et confuse, qu’il a propulsé ces termes menaçants sur sa feuille, expulsant rage et frustration, injures et menaces contre les deux fonctionnaires, toutes deux parties civiles et représentées à cette audience par un avocat.

Jason, lui, est bien là, dans son box, en jean bleu-clair et veste de survêtement blanc, barbe aux poils longs et clairsemés, regard sans affect. Aux policiers, il a dit qu’il n’en pensait rien, de ces mots haineux, et qu’il regrettait. Au tribunal, il dit : « je garde le silence ». Pour en finir au plus vite.

Une enfance démolie, des troubles bipolaires

La juge lit alors divers passages de la lettre de menaces, au cas où le tribunal n’avait pas compris le caractère menaçant des propos écrits. C’est assez clair. Puis, elle passe à la personnalité, car si Jason est déféré aujourd’hui, c’est plus pour ce qu’il est que pour ce qu’il a fait.

Cet homme de 26 ans, célibataire, est en détention pour avoir assassiné son colocataire après que ce dernier lui aurait fait des avances de nature sexuelles. Le dossier sera jugé en 2025 par la cour d’assises d’Évry. Il a vécu, très jeune, de graves violences intrafamiliales qui ont conduit à le placer en divers foyers, d’où il a beaucoup fugué. A sa majorité, sans ressources, sans repères, sans soutiens, il dort à la rue. Jason se débrouille pour passer un CAP cuisine et vivote, mais souffre de troubles de la personnalité et, à 20 ans, on lui diagnostique un trouble bipolaire, pour lequel il est traité depuis. Le jeune homme a tenté de se suicider plusieurs fois, s’automutile et présente une addiction lourde à l’alcool et au cannabis.

En deux ans de détention, il a fait l’objet de 13 rapports d’incidents, a passé deux semaines en soins intensifs à la suite d’une bagarre impliquant des armes blanches artisanales, a commis lui-même des violences sur des co-détenus et enfreint continuellement le règlement (cannabis, téléphone portable). Le dentiste de la maison d’arrêt a rapporté avoir été ainsi menacé : « J’ai déjà ôté la vie à quelqu’un, je vais vous balafrer la gueule, pas grave si je prends perpétuité ». Des menaces récurrentes qui, de la part d’un homme inculpé d’homicide, font toujours leur petit effet.

Le psychiatre dit de lui qu’il est antisocial et impulsif, qu’il présente une intolérance à la frustration, un défaut d’empathie et une recherche permanente de sensations fortes, ce qui fait de lui quelqu’un de dangereux, mais de réadaptable.

Jason préfère encore garder le silence sur son « parcours de vie ». C’est l’avocat des parties civiles qui s’exclame : « Heureusement qu’il n’était atteint que d’une rage de dents ! » Il demande 900 euros par victime et 1200 euros pour lui, « ce qui correspond à la somme avancée par le contribuable », pour représenter les intérêts de ces deux fonctionnaires.

D’un ton grave, l’air inquiet, la procureure avertit le tribunal : « Il n’y a rien qui puisse être fait pour que Monsieur comprenne. C’est le profil le plus dangereux que vous verrez en comparution immédiate aujourd’hui. Je vais demander une peine lourde : 2 ans et 8 mois », avec maintien en détention.

« Monsieur a complètement disjoncté »

C’est ce que pense la défense, qui se démène pour Jason. « Contrairement à ce qu’il vous a été soutenu, cette lettre est le fruit d’un parcours de vie difficile et de la maladie mentale ». Elle explique que le traitement du prévenu pour sa bipolarité a été récemment modifié et qu’il ne convenait pas. « Monsieur a complètement disjoncté. Il suffit de lire cette lettre pour comprendre qu’il n’est pas dans son état normal, qu’il y a un débordement émotionnel. Monsieur n’était pas en pleine possession de ses moyens ». Elle propose implicitement de retenir une altération du discernement.

« J’ai rien à dire », conclut Jason.

Avant que le tribunal ne revienne de son délibéré, le prévenu attend dans le box, assis. On le voit remuer les lèvres doucement, fixant la vitre devant lui, le regard allumé par une étrange lueur. Le policier sur sa droite tourne la tête, sourit et parle à son tour. La policière derrière lui entame la conversation. Jason ne monologuait pas, il s’adressait aux policiers sans les regarder. Pendant 15 minutes, les trois papotent, comme pour passer le temps. A cet instant, ils sont logés à la même enseigne, réunis dans le même box, attendant la même décision. Unis par la procédure. Les visages sont apaisés. Jason est souriant et très expressif. L’ambiance, détendue, tranche radicalement avec celle de l’audience. Jason n’est plus une bête féroce. Il est redevenu un homme exprimant des émotions. Le tribunal l’a condamné à 12 mois de prison, avec maintien en détention, soit 20 mois de moins que ce qu’avait demandé le parquet.

Julien Mucchielli

 

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