CHRONIQUE. Jason,
détenu provisoirement pour des faits d’assassinats, est jugé en
comparution immédiate pour des menaces de mort visant la préfète de l’Essonne
et une cheffe de service, dans lesquelles il faisait référence à l’assassinat
de Samuel Paty. Le prévenu, au parcours de vie chaotique, a préféré garder le
silence.
Un matin, la
préfète de l’Essonne ouvre son courrier et lit la lettre suivante :
« Dès que je
sors de prison je te bute t’es la 2e sur ma liste d’assassinat sale pute de
préfète je suis là parce que j’ai assassiné, je n’ai qu’une putain de parole,
la vie humaine aucune importance à mes yeux les keufs je vous brûle vivant je
vous décapite je suis pire qu’un terroriste Samuel Paty c’est de la rigolade ce
n’est pas des menaces c’est des putains de promesses » (sic). Le tout est signé d’un numéro
d’écrou. Quelques jours avant, le 5 novembre, Jason, en détention provisoire
depuis 2022 à la prison de Fleury-Mérogis, est notifié, par le service
compétent de la préfecture du département, d’une interdiction de porter une
arme. C’est une formalité découlant d’une condamnation prononcée quelques temps
auparavant.
De toute
façon, Jason étant détenu pour des faits d’assassinats - qu’il reconnaît -, ses
perspectives de sortie de détention à court terme sont faibles. Mais ce
jour-là, dit-il aux policiers saisis par la préfète, il était pris d’une
douloureuse rage de dents que le dentiste n’avait pas eu le temps de soigner et
que les anti-douleurs ne parvenaient pas à calmer. C’est sans réfléchir, et
d’une écriture désordonnée et confuse, qu’il a propulsé ces termes menaçants
sur sa feuille, expulsant rage et frustration, injures et menaces contre les
deux fonctionnaires, toutes deux parties civiles et représentées à cette
audience par un avocat.
Jason, lui,
est bien là, dans son box, en jean bleu-clair et veste de survêtement blanc,
barbe aux poils longs et clairsemés, regard sans affect. Aux policiers, il a
dit qu’il n’en pensait rien, de ces mots haineux, et qu’il regrettait. Au
tribunal, il dit : « je garde le silence ». Pour en finir au plus
vite.
Une enfance
démolie, des troubles bipolaires
La juge lit
alors divers passages de la lettre de menaces, au cas où le tribunal n’avait
pas compris le caractère menaçant des propos écrits. C’est assez clair. Puis,
elle passe à la personnalité, car si Jason est déféré aujourd’hui, c’est plus
pour ce qu’il est que pour ce qu’il a fait.
Cet homme de
26 ans, célibataire, est en détention pour avoir assassiné son colocataire
après que ce dernier lui aurait fait des avances de nature sexuelles. Le
dossier sera jugé en 2025 par la cour d’assises d’Évry. Il a vécu, très jeune,
de graves violences intrafamiliales qui ont conduit à le placer en divers
foyers, d’où il a beaucoup fugué. A sa majorité, sans ressources, sans repères,
sans soutiens, il dort à la rue. Jason se débrouille pour passer un CAP cuisine
et vivote, mais souffre de troubles de la personnalité et, à 20 ans, on lui
diagnostique un trouble bipolaire, pour lequel il est traité depuis. Le jeune
homme a tenté de se suicider plusieurs fois, s’automutile et présente une
addiction lourde à l’alcool et au cannabis.
En deux ans
de détention, il a fait l’objet de 13 rapports d’incidents, a passé deux
semaines en soins intensifs à la suite d’une bagarre impliquant des armes
blanches artisanales, a commis lui-même des violences sur des co-détenus et
enfreint continuellement le règlement (cannabis, téléphone portable). Le
dentiste de la maison d’arrêt a rapporté avoir été ainsi menacé : « J’ai
déjà ôté la vie à quelqu’un, je vais vous balafrer la gueule, pas grave si je
prends perpétuité ». Des menaces récurrentes qui, de la part d’un homme
inculpé d’homicide, font toujours leur petit effet.
Le psychiatre
dit de lui qu’il est antisocial et impulsif, qu’il présente une intolérance à
la frustration, un défaut d’empathie et une recherche permanente de sensations
fortes, ce qui fait de lui quelqu’un de dangereux, mais de réadaptable.
Jason préfère
encore garder le silence sur son « parcours de vie ». C’est l’avocat des
parties civiles qui s’exclame : « Heureusement qu’il n’était atteint
que d’une rage de dents ! » Il demande 900 euros par victime et 1200
euros pour lui, « ce qui correspond à la somme avancée par le
contribuable », pour représenter les intérêts de ces deux
fonctionnaires.
D’un ton
grave, l’air inquiet, la procureure avertit le tribunal : « Il n’y a
rien qui puisse être fait pour que Monsieur comprenne. C’est le profil le plus
dangereux que vous verrez en comparution immédiate aujourd’hui. Je vais
demander une peine lourde : 2 ans et 8 mois », avec maintien en
détention.
« Monsieur
a complètement disjoncté »
C’est ce que
pense la défense, qui se démène pour Jason. « Contrairement à ce qu’il
vous a été soutenu, cette lettre est le fruit d’un parcours de vie difficile et
de la maladie mentale ». Elle explique que le traitement du prévenu
pour sa bipolarité a été récemment modifié et qu’il ne convenait pas. « Monsieur
a complètement disjoncté. Il suffit de lire cette lettre pour comprendre qu’il
n’est pas dans son état normal, qu’il y a un débordement émotionnel. Monsieur
n’était pas en pleine possession de ses moyens ». Elle propose
implicitement de retenir une altération du discernement.
« J’ai
rien à dire », conclut
Jason.
Avant que le
tribunal ne revienne de son délibéré, le prévenu attend dans le box, assis. On
le voit remuer les lèvres doucement, fixant la vitre devant lui, le regard
allumé par une étrange lueur. Le policier sur sa droite tourne la tête, sourit
et parle à son tour. La policière derrière lui entame la conversation. Jason ne
monologuait pas, il s’adressait aux policiers sans les regarder. Pendant 15
minutes, les trois papotent, comme pour passer le temps. A cet instant, ils
sont logés à la même enseigne, réunis dans le même box, attendant la même
décision. Unis par la procédure. Les visages sont apaisés. Jason est souriant
et très expressif. L’ambiance, détendue, tranche radicalement avec celle de
l’audience. Jason n’est plus une bête féroce. Il est redevenu un homme
exprimant des émotions. Le tribunal l’a condamné à 12 mois de prison, avec
maintien en détention, soit 20 mois de moins que ce qu’avait demandé le
parquet.
Julien Mucchielli