CHRONIQUE. Récit d’un procès en comparution immédiate, pour des
faits de vols avec effraction dans un domicile, devant la 16e chambre
correctionnelle du tribunal de Nanterre.
En ce lendemain
de Noël, l’audience qui s’ouvre au milieu d’une série de comparutions
immédiates n’a rien d’un conte.
Morad*, un Algérien
âgé d’une trentaine d’années, comparaît pour vol avec effraction dans une
maison située à Fontenay-aux-Roses. La victime, Mme Martin*, propriétaire de la
maison, s’est constituée partie civile et est présente à l’audience. Pour
s’introduire dans le logement, le prévenu - avec la complicité d’autres
personnes, aurait notamment brisé une fenêtre, après avoir arraché un volet de
protection. La juge précise que la plaignante va demander un renvoi sur
intérêts civils, mais qu’elle n’a « pas encore eu le temps de
s’organiser » pour cela. Elle indique aussi que « peut-être,
les policiers ont considéré que certaines choses n’étaient pas imputables à
monsieur ».
Des squats temporaires
Le 24 décembre, vers 22h, ce n’est pas pour sauver un réveillon en
péril que les policiers se déplacent à Fontenay-aux-Roses, mais pour aller voir
ce qui se trame dans un pavillon, à la suite de l’appel d’un voisin. Après
avoir appelé la propriétaire, ce dernier les a alertés de bruits suspects,
laissant supposer une intrusion. Deux jours avant, les policiers avaient déjà
été amenés à se rendre à la même adresse : ils avaient constaté que le logement
avait été squatté, sans trouver personne. La maison est inhabitée depuis le
décès de ses occupants, les parents de Mme Martin, il y a plus de trois ans.
Leur fille y passe régulièrement pour récupérer le courrier et vérifier que
tout va bien.
Ce soir de Réveillon,
les policiers trouvent deux individus assis sur un escalier situé à l’extérieur
de la maison, dans le jardin. Morad et un mineur sont munis de valises. Les
policiers les contrôlent : ils portent quatre couches de vêtements, et on
trouve aussi un couteau sur Morad. Les policiers constatent également qu’une
porte-fenêtre a été brisée.
Face à cette
description des faits, le prévenu prend timidement la parole, à propos du
couteau :
« Il était
dans la maison.
- Oui d’accord, c’était dans la maison, mais c’était surtout sous
son aisselle de bras droit. Il a dit sur le coup qu’il pensait que c’était un
porte-clés. Mais on voit bien que c’était un couteau », répond la juge.
Elle projette sur
l’écran les photos de différentes affaires retrouvées sur Morad et le mineur :
un sac, une bouteille de parfum… La magistrate interroge à nouveau le prévenu
:
« Ce sont
les objets que vous aviez. Ça vient d’où ?
- Ce sont les policiers qui ont amené ça de l’intérieur, traduit l’interprète.
-
D’accord. Les policiers n’ont
vraiment rien à faire ces jours-ci, ironise la juge.
Sans offense pour les policiers. En tout cas, ils disent bien sur leur
procès-verbal que vous portiez des valises et des sacs. »
« C’était pour dormir »
Le prévenu dit
qu’il avait un seul sac, avec des cigarettes. Celui-ci ne figure pas sur les
photos, indique la juge. Elle évoque ensuite l’état de la maison, dégradée par
le squat. Puis reprend :
« Question numéro
1, monsieur, que faisiez-vous dans cette maison ?
-
Il n’y avait personne dedans,
c’était pour dormir.
-
D’accord, mais c’est chez
lui, c’est chez quelqu’un ? Où est-ce qu'il a vu que c'était un hôtel ou un
centre d'hébergement, cette maison ? Et comment il y est-t-il entré ? Quand il
a été entendu, il a dit qu'il avait poussé une planche et qu'il était rentré.
-
Oui, c’est ça.
-
Donc cette maison, elle
n'était pas ouverte. Ce n'était pas marqué ‘entrez et installez-vous’. »
Le prévenu répond
qu’il a juste eu à pousser une planche. La juge lui demande pourquoi est-il venu
en France quatre mois avant, alors qu’il est sans-papiers et qu’il n’a personne
pour l’héberger. Morad répond qu’il cherchait à améliorer sa situation. Cela ne
convainc pas la magistrate, qui le ramène aux infractions commises :
« En fait, il reconnaît seulement le couteau, et il reconnaît
être entré en poussant une planche, mais ne il considère pas que c'est une
effraction ?
- Il dit qu'il faisait froid, et qu'il voulait s'abriter, répond l’interprète.
- Il vivait où jusqu’ici ?
- Dans d’autres squats.
- Et qui lui a indiqué cette maison ? Parce que, pardon, il faut y
arriver à Fontenay-aux-Roses…
- C’est quelqu’un qui squattait avant qui lui a dit.
-
Mais a priori ça a commencé
dimanche, et Madame vient toutes les semaines. Bon… »
D’après l’enquête sociale, Morad vend des cigarettes illégalement.
La juge lui demande quel est son projet, et il répond qu’il souhaiterait faire
régulariser sa situation. La juge indique qu’il avait déjà été interpellé dans
les mois précédents, pour des faits de vol et de violation de domicile.
« Ils ne respectent même pas ce lieu »
La propriétaire
s’approche de la barre. Elle évoque ses allées et venues, depuis la première
alerte, le dimanche précédent. Des valises à elle ont été retrouvées chez un
voisin, et elle regrette son Noël au commissariat. Elle estime que Morad
n’était pas tout seul, mais appelle « à être clair avec ce qu’on dit et ce qu’on fait ». Elle affirme
qu’il est faux de dire que la police est entrée dans le pavillon, et fustige
l’existence de réseaux.
La procureure
présente la violation de domicile comme un fléau. Rappelant les dégradations
observées sur les photos, elle décrit un processus qui « va très vite » : « En l'espace seulement de quelques heures,
vous avez des personnes, plusieurs, qui s'approprient les lieux comme s'ils
étaient propriétaires, mais même au-delà de ça, parce qu’ils ne respectent même
pas le lieu ». Elle met également en doute que le seul motif de
l’intrusion soit la recherche d’un abri : « En réalité, on voit qu'il y a d'autres motifs derrière ce type
d'agissement, et notamment ces vols, avec, souvent, des réseaux pour la revente
des objets. »
L’avocate du
prévenu dit comprendre « parfaitement »
la peine de Madame Martin. Puis, avec un certain sens de la perspective,
elle évoque sa vie personnelle, pour caractériser, par contraste, la situation
du prévenu : « C'est un
dossier, vous voyez, qui me fait mal au cœur. C'est vrai que nous, on gagne de
l’argent, on est propriétaire, mes parents sont propriétaires, mes
grands-parents ont été propriétaires. J'ai eu une vie de rêve entre Monaco et
l’Italie. Vous voyez, il y a de pauvres gosses - parce qu’il pourrait être quasiment
mon enfant, parce que je vieillis, eh bien, qui n'ont pas cette chance-là. » Un
peu plus tôt, elle expliquait que « d'année en décennie, on demande aux magistrats, à la loi, de régler les
problèmes politiques et sociaux ».
Au vu de la
précarité de Morad, elle en appelle à l’humanité du tribunal, affirmant que
l’on n’a pas affaire là « à
un délinquant qui veut se faire de l'argent sur le dos de la France, mais à un
misérable qui n’a en définitive n'a pas d'autres choix. » Elle
poursuit : « En tout cas, on
ne vous demande pas de résoudre la misère par des sanctions qui soient en
définitive deux poids deux mesures, et où le sursis peut être tout à fait
acceptable pour un étranger, malgré le fait qu'il n’ait pas de papiers, et qu'il
ne soit pas régularisable a priori. »
Après d’autres
audiences et une suspension de séance, le tribunal rend son verdict. Il suit
les réquisitions de la procureure, condamnant Morad à une peine de six mois
d’emprisonnement ferme, avec mandat de dépôt. Le tribunal prononce également à
l’encontre du prévenu - qui fait déjà l’objet d’une OQTF - une interdiction de
paraître sur le territoire français pendant dix ans. La demande sur intérêts
civils de Madame Martin est renvoyée à une audience qui se tiendra en décembre
2025.
Etienne Antelme
* Les noms ont été modifiés