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(92) Tribunal de Nanterre : « Il n’y avait personne dedans, c’était pour dormir »

(92) Tribunal de Nanterre : « Il n’y avait personne dedans, c’était pour dormir »
Publié le 10/01/2025 à 16:12

CHRONIQUE. Récit d’un procès en comparution immédiate, pour des faits de vols avec effraction dans un domicile, devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Nanterre.

En ce lendemain de Noël, l’audience qui s’ouvre au milieu d’une série de comparutions immédiates n’a rien d’un conte. 

Morad*, un Algérien âgé d’une trentaine d’années, comparaît pour vol avec effraction dans une maison située à Fontenay-aux-Roses. La victime, Mme Martin*, propriétaire de la maison, s’est constituée partie civile et est présente à l’audience. Pour s’introduire dans le logement, le prévenu - avec la complicité d’autres personnes, aurait notamment brisé une fenêtre, après avoir arraché un volet de protection. La juge précise que la plaignante va demander un renvoi sur intérêts civils, mais qu’elle n’a « pas encore eu le temps de s’organiser » pour cela. Elle indique aussi que « peut-être, les policiers ont considéré que certaines choses n’étaient pas imputables à monsieur ».

Des squats temporaires 

Le 24 décembre, vers 22h, ce n’est pas pour sauver un réveillon en péril que les policiers se déplacent à Fontenay-aux-Roses, mais pour aller voir ce qui se trame dans un pavillon, à la suite de l’appel d’un voisin. Après avoir appelé la propriétaire, ce dernier les a alertés de bruits suspects, laissant supposer une intrusion. Deux jours avant, les policiers avaient déjà été amenés à se rendre à la même adresse : ils avaient constaté que le logement avait été squatté, sans trouver personne. La maison est inhabitée depuis le décès de ses occupants, les parents de Mme Martin, il y a plus de trois ans. Leur fille y passe régulièrement pour récupérer le courrier et vérifier que tout va bien.

Ce soir de Réveillon, les policiers trouvent deux individus assis sur un escalier situé à l’extérieur de la maison, dans le jardin. Morad et un mineur sont munis de valises. Les policiers les contrôlent : ils portent quatre couches de vêtements, et on trouve aussi un couteau sur Morad. Les policiers constatent également qu’une porte-fenêtre a été brisée.

Face à cette description des faits, le prévenu prend timidement la parole, à propos du couteau :

« Il était dans la maison.

-      Oui d’accord, c’était dans la maison, mais c’était surtout sous son aisselle de bras droit. Il a dit sur le coup qu’il pensait que c’était un porte-clés. Mais on voit bien que c’était un couteau », répond la juge.

Elle projette sur l’écran les photos de différentes affaires retrouvées sur Morad et le mineur : un sac, une bouteille de parfum… La magistrate interroge à nouveau le prévenu : 

« Ce sont les objets que vous aviez. Ça vient d’où ?

-      Ce sont les policiers qui ont amené ça de l’intérieur, traduit l’interprète.

-      D’accord. Les policiers n’ont vraiment rien à faire ces jours-ci, ironise la juge. Sans offense pour les policiers. En tout cas, ils disent bien sur leur procès-verbal que vous portiez des valises et des sacs. »

« C’était pour dormir »

Le prévenu dit qu’il avait un seul sac, avec des cigarettes. Celui-ci ne figure pas sur les photos, indique la juge. Elle évoque ensuite l’état de la maison, dégradée par le squat. Puis reprend :

« Question numéro 1, monsieur, que faisiez-vous dans cette maison ?

-      Il n’y avait personne dedans, c’était pour dormir.

-      D’accord, mais c’est chez lui, c’est chez quelqu’un ? Où est-ce qu'il a vu que c'était un hôtel ou un centre d'hébergement, cette maison ? Et comment il y est-t-il entré ? Quand il a été entendu, il a dit qu'il avait poussé une planche et qu'il était rentré.

-      Oui, c’est ça.

-      Donc cette maison, elle n'était pas ouverte. Ce n'était pas marqué ‘entrez et installez-vous’. »

Le prévenu répond qu’il a juste eu à pousser une planche. La juge lui demande pourquoi est-il venu en France quatre mois avant, alors qu’il est sans-papiers et qu’il n’a personne pour l’héberger. Morad répond qu’il cherchait à améliorer sa situation. Cela ne convainc pas la magistrate, qui le ramène aux infractions commises : 

« En fait, il reconnaît seulement le couteau, et il reconnaît être entré en poussant une planche, mais ne il considère pas que c'est une effraction ?

-     Il dit qu'il faisait froid, et qu'il voulait s'abriter, répond l’interprète.

-     Il vivait où jusqu’ici ?

-     Dans d’autres squats.

-     Et qui lui a indiqué cette maison ? Parce que, pardon, il faut y arriver à Fontenay-aux-Roses…

-     C’est quelqu’un qui squattait avant qui lui a dit.

-     Mais a priori ça a commencé dimanche, et Madame vient toutes les semaines. Bon… »

D’après l’enquête sociale, Morad vend des cigarettes illégalement. La juge lui demande quel est son projet, et il répond qu’il souhaiterait faire régulariser sa situation. La juge indique qu’il avait déjà été interpellé dans les mois précédents, pour des faits de vol et de violation de domicile.

« Ils ne respectent même pas ce lieu »

La propriétaire s’approche de la barre. Elle évoque ses allées et venues, depuis la première alerte, le dimanche précédent. Des valises à elle ont été retrouvées chez un voisin, et elle regrette son Noël au commissariat. Elle estime que Morad n’était pas tout seul, mais appelle « à être clair avec ce qu’on dit et ce qu’on fait ». Elle affirme qu’il est faux de dire que la police est entrée dans le pavillon, et fustige l’existence de réseaux.

La procureure présente la violation de domicile comme un fléau. Rappelant les dégradations observées sur les photos, elle décrit un processus qui « va très vite » : « En l'espace seulement de quelques heures, vous avez des personnes, plusieurs, qui s'approprient les lieux comme s'ils étaient propriétaires, mais même au-delà de ça, parce qu’ils ne respectent même pas le lieu ». Elle met également en doute que le seul motif de l’intrusion soit la recherche d’un abri : « En réalité, on voit qu'il y a d'autres motifs derrière ce type d'agissement, et notamment ces vols, avec, souvent, des réseaux pour la revente des objets. »

L’avocate du prévenu dit comprendre « parfaitement » la peine de Madame Martin. Puis, avec un certain sens de la perspective, elle évoque sa vie personnelle, pour caractériser, par contraste, la situation du prévenu : « C'est un dossier, vous voyez, qui me fait mal au cœur. C'est vrai que nous, on gagne de l’argent, on est propriétaire, mes parents sont propriétaires, mes grands-parents ont été propriétaires. J'ai eu une vie de rêve entre Monaco et l’Italie. Vous voyez, il y a de pauvres gosses - parce qu’il pourrait être quasiment mon enfant, parce que je vieillis, eh bien, qui n'ont pas cette chance-là. » Un peu plus tôt, elle expliquait que « d'année en décennie, on demande aux magistrats, à la loi, de régler les problèmes politiques et sociaux ».

Au vu de la précarité de Morad, elle en appelle à l’humanité du tribunal, affirmant que l’on n’a pas affaire là « à un délinquant qui veut se faire de l'argent sur le dos de la France, mais à un misérable qui n’a en définitive n'a pas d'autres choix» Elle poursuit : « En tout cas, on ne vous demande pas de résoudre la misère par des sanctions qui soient en définitive deux poids deux mesures, et où le sursis peut être tout à fait acceptable pour un étranger, malgré le fait qu'il n’ait pas de papiers, et qu'il ne soit pas régularisable a priori. »

Après d’autres audiences et une suspension de séance, le tribunal rend son verdict. Il suit les réquisitions de la procureure, condamnant Morad à une peine de six mois d’emprisonnement ferme, avec mandat de dépôt. Le tribunal prononce également à l’encontre du prévenu - qui fait déjà l’objet d’une OQTF - une interdiction de paraître sur le territoire français pendant dix ans. La demande sur intérêts civils de Madame Martin est renvoyée à une audience qui se tiendra en décembre 2025.

Etienne Antelme


* Les noms ont été modifiés


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