ACTUALITÉ ÎLE-DE-FRANCE

(93) Sandrine Beressi, nouvelle bâtonnière : « L’accès au droit pour tous, c’est le socle du barreau de la Seine-Saint-Denis »

(93) Sandrine Beressi, nouvelle bâtonnière : « L’accès au droit pour tous, c’est le socle du barreau de la Seine-Saint-Denis »
Publié le 31/01/2025 à 09:19

INTERVIEW. Avocate depuis trente ans dans le département de Seine-Saint-Denis, la Bâtonnière de l’Ordre des avocats du 93 Sandrine Beressi a pris ses fonctions au 1er janvier 2025 pour un mandat de deux ans. Pour le JSS, elle revient sur les grandes actions qui guideront son bâtonnat, notamment la défense au quotidien des justiciables. Et partage sa vision du rôle et de la place de l’avocat aujourd’hui.

JSS : Vous avez prêté serment le 25 octobre 1995 mais vous navez pas toujours été avocate. Quel a été votre parcours et pourquoi avoir fait le choix dembrasser cette profession ? 

S.B. : Après le bac, jai commencé des études de lettres modernes et de droit mais je ne souhaitais pas mengager tout de suite dans un cycle d’études. Jai eu lopportunité de travailler dans lunivers de la musique. Jai commencé par créer des studios de répétition musicale à Paris, jai aussi travaillé comme assistante de production dans lorganisation de concert, jai également été directrice de tournée, de Manu Dibango notamment…

Puis, au bout de sept ans, jai eu envie de revenir vers les études, alors jai repris le droit pour devenir avocate. J’ai passé lexamen dentrée au CRFPA, à lEFP, j’ai fait ma formation à lEFB et je suis sortie avec le CAPA en poche. Je suis arrivée en Seine-Saint-Denis en octobre 1995. 

JSS  : Quelles sont les raisons qui vous ont amenée à briguer la fonction de bâtonnier ? 

S.B. : Il y a plusieurs raisons. Dabord, parce quon me la demandé. Ensuite, parce quune fois quon ma posé la question, ma réflexion na pas été de savoir si oui ou non javais envie d’être bâtonnière - lenvie nest pas un moteur suffisant -, mais si javais un projet pour mon barreau. En l'occurrence, oui, plusieurs projets. Étaient-ils réalisables ? Est-ce que javais envie dy consacrer du temps pendant les deux années à venir ?

« Quand on travaille en Seine-Saint-Denis, on a à cœur daider les personnes qui sont financièrement démunies »

Je suis avocate depuis bientôt trente ans, je pense quil est intéressant davoir à un moment donné de sa carrière, une autre façon dexercer son métier. La fonction de Bâtonnier permet dexplorer un autre pan de lactivité de la profession davocat qui est de se mettre au service des confrères. Devenir bâtonnière, cest aussi une manière de rendre au barreau de Seine-Saint-Denis, là où jai fait toute ma carrière, tout ce quil ma apporté. Je ne mimaginais pas aller ailleurs que dans ce département. 

JSS : LOrdre des avocats du barreau de Seine-Saint-Denis est connu pour être un barreau engagé et dynamique. Quel regard portez-vous sur ce département où se situe le 2e tribunal judiciaire de France, après Paris ? 

S.B. : Mon intérêt a toujours été de travailler pour les justiciables, pour les plus démunis dentre eux. En Seine-Saint-Denis, nous avons un des taux les plus importants de désignations daide juridictionnelle, cest-à-dire de personnes dont les ressources ont un plafond qui ne dépasse pas - je schématise un peu -  1500 euros mensuels. Il sagit dune grosse partie de la population. On entend souvent dire que ce département est très défavorisé, et donc quand on choisit de travailler en Seine-Saint-Denis, on a à cœur daider les personnes qui sont financièrement démunies, qui n’ont pas daccès aux services, quel quil soit et qui subissent des discriminations de toutes natures.

Lorsque jai débuté comme avocate, le droit du travail a été mon activité dominante, jai fait toute ma carrière auprès de particuliers, puis je me suis tournée vers le contentieux locatif parce que le logement en Seine-Saint-Denis savère être une vraie problématique. Jai notamment fait partie de la Commission Logement du barreau qui a été créée en 2021. Avec mes consœurs et confrères, nous avons œuvré à rétablir la place de lavocat dans toute la chaîne du contentieux locatif. Un important travail a été réalisé en collaboration avec le département mais aussi lADIL (Agence départementale dinformation sur le logement) car ce contentieux est très large. Il comporte notamment la question des expulsions locatives, celle de lindécence, de linsalubrité, du droit au logement opposable (Dalo) du droit à lhébergement opposable (Daho)…

À lire aussi : L’Avocat dans la Cité : « Permettre au droit d’aller vers le justiciable, non pas l’inverse »

Lorsquon est mal logé, quon na pas de toit décent, cela génère tout un panel de difficultés. Il était important que le barreau se dote dune commission autour de cet enjeu très présent sur ce territoire. Aujourdhui, celle-ci est bien lancée et comporte des projets qui prennent naissance au fur et à mesure. Une focalisation sera faite sur la thématique de linsalubrité et en lien avec le parquet sur celles de l’habitat indigne et de la lutte contre les marchands de sommeil. 

JSS : Quels seront les chantiers prioritaires de votre mandat ?

S.B. : Je souhaite que le barreau sempare des questions de discriminations au sens large : inégalités et difficultés daccès au logement, inégalités et difficultés daccès à une scolarité pour des enfants différents, aux prestations sociales, au travail… 

Le sujet du handicap fera notamment partie dune de mes priorités. Avoir accès à des prestations de toutes sortes quand on est une personne handicapée est dune difficulté incommensurable : aller à l’école, se déplacer, travailler, pouvoir être emmené à ses rendez-vous médicaux… Une commission spécifique dédiée à ces discriminations est actuellement en cours de création, de manière à ce quil y ait une véritable action du barreau sur ces sujets et à tous les niveaux. Il faut faire entrer le droit dans ces problématiques quotidiennes. 

Jaspire aussi à renforcer la présence du barreau auprès des entreprises du département. Nous avons un tissu économique important en Seine-Saint-Denis : artisans, travailleurs indépendants, TPE, PME… Je souhaite que lon continue de créer et consolider nos liens de collaboration avec les acteurs économiques du territoire, comme la Chambre de commerce par exemple, de manière à ce que nous puissions apporter une réponse adéquate, en termes doffres de droit à tout cet écosystème. En particulier sur le volet contentieux : il peut s’agir des difficultés que lentreprise rencontre dans le paiement de ces charges sociales, dans les procédures de recouvrement mises en œuvre, dans le contentieux fiscal de proximité etc.

Les entrepreneurs ont souvent lhabitude de se tourner vers leur expert-comptable qui est un interlocuteur au quotidien mais ils ne doivent pas oublier que les avocats, y compris en Seine-Saint-Denis, ont une expertise importante sur ces thématiques. Souvent, on vient nous chercher quand lentreprise a le couteau sous la gorge ou quand elle fait lobjet de redressement judiciaire mais avant, il y a un volet contentieux qui peut être mis en place par lavocat. Nous devons donc travailler à la promotion de notre savoir-faire sur ces sujets économiques. La commission entreprise du barreau va réfléchir à une offre de droit qui peut être faite dans le quotidien des entreprises présentes sur le département. Il faut quelles aient le réflexe avocat. 

JSS : Poursuivrez-vous les nombreuses visites des lieux de privation de liberté à linstar de votre prédécesseure, Stéphanie Chabauty qui avait été très impliquée sur ces dossiers ? 

S.B. : Oui, bien entendu, je vais continuer ces visites qui sont définies au fur et à mesure avec le conseil de lordre, les délégataires que jai désignés pour maccompagner. Jai dailleurs effectué une première fois en mars dernier, avec lancienne bâtonnière Stéphanie Chabauty et plus récemment avec un membre du conseil de lordre, une visite du local de rétention administrative hébergé au commissariat de Bobigny. On y trouve des étrangers en situation irrégulière ou en transit. Il sagit dun lieu de non exercice de droit. Il ny a aucune présence dassociation daide aux étrangers. Les conditions dhébergement sont indignes. Cest un chantier que je vais suivre de très près.

Et, au barreau de Seine-Saint-Denis nous allons continuer nos combats, de manière à ce que les étrangers qui entrent sur le territoire français puissent bénéficier de toute l’étendue de leurs droits.

JSS : Le garde des Sceaux Gérald Darmanin a visité début janvier le tribunal de Bobigny…

S.B. : Le garde des Sceaux sest en effet déplacé en Seine-Saint-Denis pour se rendre compte de lactivité civile du tribunal. Le bâtonnier a été invité à cette visite et à la réunion de travail qui sest déroulée en présence du magistrat du pôle civil. Nous avons bien entendu fait part de nos inquiétudes sur la détérioration des délais de la justice. Nous verrons quelles seront ses orientations politiques pour la justice du quotidien.

Il ne faut pas oublier que le civil, cest 70 % de lactivité dun tribunal, le pénal nen occupe que 25 à 30 % et cest pourtant ce volet qui, médiatiquement, prend toute la place. Alors qu’au jour le jour, les concitoyens se rendent très rarement devant la justice pénale. Ils vont voir le juge aux affaires familiales, le juge des contentieux, celui de la protection pour des problématiques de logement, ils vont devant le conseil de prudhommes quand ils ont des problèmes avec leur travail… Le pénal, cela reste tout à fait accidentel dans la vie dune personne, mais cela occupe tout le devant de la scène avec la question sécuritaire, les mises en cause des avocats qui sont d’ailleurs totalement inacceptables.

JSS : Vous souhaiteriez donc que lon braque davantage les projecteurs sur le quotidien des justiciables ? 

S.B. : Attention, les questions de sécurité sont importantes, il nest pas question de les éluder. Mais, le mal logement, les gens qui vivent dans des cités ou dans des grosses copropriétés qui sont totalement à labandon créent également de linsécurité au quotidien, on ne doit pas lignorer.

La problématique du trafic des stupéfiants est importante, mais je ne crois pas que le département de la Seine-Saint-Denis soit en tête de liste sur ces sujets-là. Ils gangrènent toutes les grandes villes : Marseille, Lyon, Grenoble. Également les villes moyennes, de province. Le problème du trafic de stupéfiants ne va pas se régler dans les prétoires, il se réglera avec une volonté politique et des moyens.

« Aujourdhui, un couple qui veut divorcer en Seine-Saint-Denis doit attendre minimum 11 mois avant de voir un juge »

Mais, en attendant, les gens vivent. Ils se marient, ils se séparent, ils ont des enfants, des enfants malades, certains qui ne peuvent aller à l’école faute de place pour eux, en crèche ou autres… Cest ça la vie de tous les jours, et pas seulement le trafic de stupéfiants au coin de la rue, bien qu’il crée de linsécurité et des conditions de vie difficiles pour tout un chacun. 

JSS : Le manque de moyens alloués au tribunal de Bobigny est fortement dénoncé tant par les magistrats que par les avocats. Lors des JOP 2024, cela a été le cas. Aujourdhui, post Jeux, quelles sont les préoccupations du barreau concernant la question des moyens de la justice ? 

S.B. : Sur le volet pénal, nous avons, lors des Jeux Olympiques et Paralympiques, multiplié le nombre de coordinateurs, de personnes de permanence, dastreintes garde à vue pour une activité qui, si elle a été légèrement supérieure à celle habituelle, na pas été aussi importante que celle à laquelle on sattendait. Le barreau sest adapté et continue de le faire. Sil faut un, deux, trois, quatre, cinq confrères de permanence en plus, on les aura car on  sait faire face à lafflux de demandes. On va donc revenir post JOP à une situation quon connaissait auparavant.

En revanche, on a toujours des inquiétudes concernant les libertés publiques. Un certain nombre de dérogations à ces libertés avaient été mises en place pour assurer la sécurité des JOP, notamment la surveillance par drone de certaines zones. Ces dispositifs-là sont aujourd'hui maintenus au-delà de ce qui a été nécessaire. Nous surveillons de près ce sujet. 

À lire aussi : La nouvelle première présidente de la cour d’appel de Colmar veut « accorder plus de visibilité et d’attention » à la justice civile

Sur la question des moyens, je vous donne un exemple : aujourdhui, un couple qui veut divorcer en Seine-Saint-Denis doit attendre minimum 11 mois avant de voir un juge. Cela est inacceptable. Cest le cas dans notre département mais le problème se pose partout en France. Attendre un an pour voir un juge quand on ne supporte plus, ou afin de savoir qui va rester dans le logement familial lorsque les bailleurs sociaux refusent de décohabiter tant quun juge na pas rendu une ordonnance attribuant le logement à lun ou à lautre…

Les personnes en situation de divorce se voient contraintes de continuer à vivre ensemble et ce, parfois dans des conditions de violence, avec des enfants qui sont au milieu. Tout cela génère dautres situations compliquées derrière. Il sagit dun mépris total pour les justiciables. On ne comprend pas nous, avocats, cet allongement des délais autrement que par un budget déficient. Le législateur a sorti il y a quelques années le divorce par consentement mutuel de la main du juge, cest donc tout un pan de divorce qui maintenant lui échappe et qui aurait dû libérer de lespace pour le divorce au contentieux. On ne comprend pas cette absence de volonté politique de régler la situation familiale de nos concitoyens. Le budget de la justice est dune incurie incroyable.

JSS : Quel rôle doit jouer lavocat auprès des justiciables en temps de crise économique, politique, sociale, bref, quand tout va mal ?

S.B. : Lavocat est avant tout un accompagnateur et un facilitateur. Il est aussi un intermédiaire pour toutes les personnes qui se sentent perdues dans cet océan de droit, cette surenchère législative qui ne se dément pas. Année après année, on ne fait quaugmenter le mille-feuille législatif. Les textes sont de plus en plus nombreux, sempilent,  parfois se contredisent, le justiciable est perdu. Et pas simplement vous et moi, les sociétés aussi sont perdues. En temps de crise, lavocat a un rôle de pivot. Non pas quil sache tout du droit mais ce que lavocat sait faire, cest chercher linformation juridique mieux que quiconque. En cela, il est aussi un passeur. Il répond à la problématique qui lui est posée et lui apporte une réponse juridique, voire si nécessaire judiciaire. 

Donc, aujourdhui, on ne peut pas se passer de lavocat même sil existe un bon nombre de procédures où lavocat nest pas obligatoire. Un autre de mes chevaux de bataille durant mon bâtonnat sera consacré à la défense du consommateur. Dans des audiences ou tribunaux de proximité, il y a un volet de lactivité du juge des contentieux et de la protection qui est lié au crédit à la consommation. On y retrouve des personnes surendettées, certaines se retrouvent devant le juge car elles sont poursuivies par des organismes de crédit. La plupart du temps, ces personnes se déplacent sans avocat car elles ne savent pas qu'elles peuvent en bénéficier. Qui aujourdhui peut aller devant un juge sans être accompagné dun avocat ? Il faut pouvoir se défendre et nous sommes là pour ça.

JSS : Quels mots ou messages aimeriez-vous adresser aux 650 avocats de lOrdre du barreau de Seine-Saint-Denis ? 

S.B. : Ensemble, pour nous et pour nos concitoyens. Il ne faut pas oublier que le bâtonnier est le défenseur naturel de ses confrères. Il doit être présent pour eux. Nous, avocats, subissons des attaques tout à fait injustifiées depuis quelque temps. On entend bien cette petite musique, celle où lavocat serait le responsable de lembolisation de la justice.

« En temps de crise, lavocat a un rôle de pivot »

Je considère au contraire quil est aujourdhui son meilleur allié. Ce nest pas nous qui embolisons la justice, cest le manque de moyens récurrent depuis des années qui ne donne pas à notre pays les moyens dune justice digne. Les avocats assument un rôle tampon considérable entre le justiciable et son juge, nous expliquons la justice, nous désamorçons les colères, les haines, les rancœurs. Tout ce travail, nous le faisons dans le secret de nos cabinets. 

Nous ne sommes pas un barreau qui communique beaucoup sur nos actions mais elles sont le lit de notre activité quotidienne.

En droit de la famille, en contentieux locatif, en droit des étrangers, les avocats de Seine-Saint-Denis se battent quotidiennement sur tous les fronts. Nous accompagnons nos clients qui sont dans des situations difficiles tout en faisant face à des délais de justice qui ne cessent de sallonger. Le jour où lavocat n'exerce plus ce rôle social, je pense que les rues seront différentes. Lune de mes préoccupations majeures, cest que lavocat reste au cœur de la cité car cest son rôle naturel. Laccès au droit pour tous, cest le socle du barreau de la Seine-Saint-Denis. 

Propos recueillis par Yslande Bossé

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles