Le tribunal
administratif de Cergy-Pontoise a, le 10 avril, condamné l’Etat
pour avoir failli à sa mission d’enseignement après que des élèves de l’académie
de Versailles aux enseignants absents non-remplacés ont été privés de dizaines d’heures de cours. Le ministère de l’Education nationale
annonce au JSS étudier les voies de recours.
« Cette première
décision était très attendue », réagit Joyce Pitcher au JSS, l’une
des avocates des parents d’élèves après la condamnation de l’Etat
par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le 10 avril, à réparer le préjudice subi par
des enfants dont les heures d’enseignement perdues n’ont pas été remplacées. La
juridiction reconnaît la « responsabilité de l’Etat
pour carence dans l’organisation du
service public de l’enseignement », après
que plusieurs élèves de l’académie
de Versailles ont intenté un recours motivé par le non-remplacement de professeurs absents. L’Etat est condamné à verser des indemnisations à huit
requérants à la suite des préjudices « nés de la perte de
chance de leurs enfants de réussir leurs années et cursus scolaires futurs en
raison de la rupture de la continuité pédagogique ». Trois affaires sont en outre renvoyées et une requête rejetée.
Pas de quoi entacher une
« victoire » pour les familles, comme l’affirme Joyce Pitcher, spécialisée
dans les affaires de contentieux de masse. Cette décision confirme la faute de
l’Etat en cas de manquement à sa « mission d’intérêt général d’enseignement » et condamne
aussi l’attitude du rectorat dans ce
dossier, souligne l’avocate. Contacté, le rectorat de Versailles n’a pas répondu à nos sollicitations. De son côté, le
ministère de l’Education national
fait savoir au JSS qu'il « allait étudier de près ces jugements pour voir
dans quelles conditions faire appel » et assure que « l’ensemble des services du ministère, administration
centrale et services déconcentrés sont pleinement mobilisés pour améliorer le
remplacement des enseignants absents ».
Pour le TA, un non-remplacement entraîne un préjudice automatique
Le 12 mars, le
tribunal de Cergy-Pontoise était saisi de douze requêtes provenant de parents d’élèves
d’écoles publiques de l’académie
de Versailles. Dans ces douze affaires, « les élèves se plaignaient d’avoir été privés soit d’un
volume d’heures d’absence
cumulées très important au cours d’une même
année scolaire, soit d’une part
importante du volume horaire annuel d’un
enseignement obligatoire sans que le recteur de l’académie de Versailles n’ait pu
justifier de nécessités inhérentes à l’organisation
du service », détaille le communiqué de la
juridiction. L’administration n’a
ni assisté à l’audience du 12 mars,
ni n’y a été représentée.
« Le rectorat avait
répondu à nos requêtes en nous disant que le décompte fait par les familles
était faux et contestait à chaque fois le nombre d’heures
comptabilisées sans apporter la moindre preuve mais le tribunal a confirmé que
leur argument était irrecevable », explique
Joyce Pinter. D’autre part, le
rectorat contestait l’existence
d’un préjudice effectif en avançant qu’il
s’agissait d’un raisonnement fallacieux. Mais là encore, pour le tribunal, le
non-remplacement des enseignants entraîne en réalité un préjudice automatique.
Assurer le service
public en cas d’absence des
professeurs
Déjà, en 2017, le TA de
Cergy-Pontoise avait condamné l’Etat à verser
un euro par heure d’enseignement non
assuré aux parents d’un élève de troisième
du collège Lakanal de Colombes, dans les Hauts-de-Seine. Il avait manqué des
dizaines d'heures en histoire-géographie, espagnol ou encore éducation physique
durant l’année scolaire 2014-2015. Mais la
procédure groupée emmenée par Joyce Pitcher est unique au vu du nombre de requêtes
soumises devant la juridiction du Val d’Oise. Elle
émane du mouvement #OnVeutDesProfs, créé en 2022, qui engage des actions
ciblées en justice contre l’Etat dans
plusieurs villes de France. L’objectif
est de faire en sorte que le service public soit tout de même assuré en cas d’absence des professeurs et que l’Etat
ne manque pas à ses obligations.
Aujourd’hui,
ce sont environ « 250 dossiers qui sont en attente de date d’audience,
et on en reçoit encore quotidiennement », avance Joyce Pitcher, également
représentante du mouvement #OnVeutDesProfs. Dans deux jugements en date du 3
avril publiés sur son site, dont l’un
concerne une élève en classe de cinquième au collège George Pompidou de
Villeneuve-la-Garenne qui a été privée de 156 heures de cours en 6e et en 5e,
et une autre, inscrite en CE2 à l’école élémentaire Les Tilleuls de
Cergy-Pontoise, qui a raté 30 jours de cours, le tribunal a condamné l’Etat à verser 150 euros à chaque famille au titre du
préjudice subi. Une somme jugée beaucoup trop « symbolique » par l’avocate, représentante de trois des requérants ayant
obtenu une indemnisation. « On se réserve encore le droit de faire appel car
ces montants ne sont pas de nature à faire réagir et à imposer à l’Etat de prendre des mesures », indique Joyce
Pinter, qui déplore également la non prise en compte dans le jugement du préjudice
moral mais aussi financier des parents dans ces affaires.
Les parents également lésés
« Pour moi, il
est évident qu’ils devraient être
indemnisés de manière automatique comme pour les élèves, car ce sont les
parents qui doivent pallier aux défaillances de l’éducation nationale. [Ce
sont les parents] qui s’inquiètent
de fournir les apprentissages aux élèves en sachant que cela crée un déséquilibre
entre les familles car tout le monde n’est pas en
mesure de donner une instruction à ses enfants. Cela génère beaucoup d’inquiétudes », avance Joyce Pitcher. L’avocate
indique par exemple qu’un parent
a déboursé 1000 euros de cours particuliers pour son enfant mais cela n’a pas été retenu comme un préjudice par le tribunal.
La Direction de l’évaluation,
de la prospective et de la performance estime que chaque année « 15 millions d’heures » d'enseignement sont perdues en raison
d'absences d'enseignants non remplacés. Selon les chiffres du service statistique
rattaché au ministère de l’Eduction nationale, 8,8% des 175 millions d'heures
dispensées dans le second degré (collèges et lycées) en 2020-2021 n'ont pas été
assurées, soit 15,4 millions d'heures. Mais selon la Cour des comptes, qui s’appuie sur un rapport de 2021 portant sur l’enseignement
dans le secondaire, près de 10% des heures de cours avaient été perdues en
2018-2019, en hausse de 24% sur un an, en raison principalement des difficultés
de remplacement des absences de courte durée, soit moins de 15 jours.
Yslande Bossé