CHRONIQUE. Le
tribunal correctionnel de Pontoise, cet après-midi là, juge une brochette de
prévenus tous mis en cause pour des faits relatifs aux stupéfiants. Offre,
cession, détention non autorisée… et un jeune majeur qui tente le coup de bluff
face à un président pas dupe.
On pose à
Christian la question habituelle des comparutions immédiates : « Souhaitez-vous
un délai pour préparer votre défense ou préférez-vous être jugé aujourd’hui ? »
A 18 ans, Christian est un débutant. Il s’étonne : « Je peux repousser
le jugement ? » Son avocate s’empresse de le couper : « Non,
non, vous voulez être jugé aujourd’hui ». Visiblement, ils en ont déjà
discuté. Le président informe le jeune homme que s’il souhaite un délai, il
pourrait attendre la prochaine audience en maison d’arrêt, comme 85% des
prévenus.
« Ok.
Aujourd’hui, alors ». Christian semble déçu.
Il se
trouvait dans un hall d’immeuble à Montmorency, le 8 octobre à 17h, avec un
bloc de résine de cannabis, une agrafeuse, une balance de cuisine et un paquet
de sachets vides. La police municipale l’a alpagué, le soupçonnant de
conditionner le produit pour le compte d’un trafic organisé. Absolument pas,
répond Christian. « Vous avez dit aux policiers que vous l’avez trouvé
derrière un terrain de tennis, à Soisy-sous-Montmorency.
- C’est
ça.
- On a
l’impression que les policiers ne vous croient pas. Et puis on a aussi
l’impression que ça ne change pas grand-chose, à partir du moment où on vous
voit découper la substance. Qu’est-ce que vous en pensez ?
- Quand je
l’ai trouvé, je ne savais pas que c’était. Les policiers sont arrivés dès que
j’ai commencé à découper.
- Et le
fait d’avoir des balances, ça sert à quoi ?
- Le sac
ne m’appartient pas, donc la balance aurait pu servir à beaucoup d’autres
choses.
- Qu’est-ce
qu’on a comme activité légale qui nécessite l’usage d’une balance de précision,
de sachets, une plaquette de stupéfiants ? C’est le moment d’être attentif.
- La
cuisine, peut-être ?
- Est-ce
que vous pensiez avoir trouvé du matériel de cuisine ? Et du coup pourquoi vous
n’êtes pas dans une cuisine ?
- Je ne
vais pas vous mentir, le sac je l’ai trouvé dans ma cité, je me suis dit que
j’allais prendre quelque chose vite fait et le reposer.
- Vous
auriez gagné de l’argent en revendant ce que vous aviez conditionné ?
- Je n’ai rien eu le temps de conditionner du
tout », répond Christian, et sur ce point,
personne ne le contredit.
« Je
suis de nature curieuse »
La procureure
prend la relève, non pour bavasser mais pour qualifier les faits : « On
est d’accord qu’au moment où vous trouvez le sac vous avez l’intention de vous
l’approprier, au moins temporairement ?
- Je ne
savais pas ce qu’il y avait dedans.
- Ma
question était de savoir pourquoi vous avez pris le sac.
- Je suis de nature curieuse, mais si j’avais
su dès le début, je n’y aurais pas touché. »
Le président
se penche sur la personnalité de Christian, qui débute une formation le 14
janvier mais ne sait pas dans quel domaine. « Boulanger ? Gardien d’immeuble
?
- C’est dans la vente, intervient l’avocate.
- D’accord,
vous avez déjà travaillé ? Non ? Bon, madame la procureure, vous avez la parole
pour vos réquisitions.
- Et le 2e
dossier ?
- Ah. Je
ne l’avais pas vu.
- C’est ce
dossier qui motive la comparution immédiate.
- Alors Monsieur, ce sera un peu plus long, il
y a là un deuxième dossier. »
« Ce
jour-là, j’étais là pour vendre »
Toujours à
Soisy-sous-Montmorency, le 27 décembre, la police nationale en planque a
observé Christian en pleine transaction. Les agents ont regardé la cliente
s’éloigner puis l’ont contrôlée en toute discrétion. Elle n’avait rien sur
elle. « On m’a dit de revenir plus tard car la police est dans le coin »,
les a-t-elle informés.
Ils changent
alors de tactique : ils contrôlent Christian qui n’attend pas d’être palpé et
sort trois pochons de son caleçon - 22 grammes de cannabis. Le président avise
dans son box le jeune homme, qui parle spontanément :
« Je ne vais pas vous mentir, ce jour-là, j’étais là pour vendre.
Mais je ne savais ni ce que je vendais, ni à combien.
- Oui, c’est un peu comme dans les séries (comme The Wire, ndlr), tout est
cloisonné. Est-ce que vous savez que c’est illégal ? »
A ce moment,
Christian hésite. Est-ce une perche, est-ce un piège ? Il fonce : « Même
pas. Je le vendais 5 euros. C’était juste pour remplacer quelqu’un.
- Est-ce
qu’on est d’accord que si ça avait été du thé vert, vous ne l’auriez pas caché
dans votre caleçon ?
- Franchement,
pourquoi pas.
- Est-ce
que ça pouvait avoir l’apparence de l’illégalité ? Car la femme appréhendée
était venue acheter du cannabis.
- Oui, je
pense. C’est encore une mauvaise décision de ma part.
- (Juge assesseur) On vous trouve sur deux
dossiers similaires à deux semaines d’intervalle (Christian a été
interpellé pour des faits similaires début décembre).
- J’ai
l’habitude de me retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment.
- En l’occurrence, c’est 10 ans
d’emprisonnement encourus. »
Cette
dernière remarque jette un froid. Christian arbore désormais une légère
inquiétude, vite balayée quand il entend les réquisitions de la procureure : trois
mois de sursis probatoire, incluant notamment une interdiction de séjour à
Soisy-sous-Montmorency.
« Il
essaie de s’expliquer comme il peut ! »
L’avocate de
la défense tente de dissiper l’impression d’insolence pouvant se dégager des
réponses de Christian, impression qui découlerait avant tout d’un problème de
communication. « Le vocabulaire qui est le sien n’est pas le
vocabulaire qui est le vôtre, soyons réalistes. Il essaie de s’expliquer comme
il peut ! » Puis, elle surprend tout le monde en demandant la relaxe
dans les deux dossiers. « Tout le monde est parti du principe que c’est
de la résine, mais il manque les tests qui le prouvent.
- Et si ce
n’est pas du cannabis, qu’est-ce que c’est ?
- Du CBD,
tout simplement.
- Et ce seraient les pilules ? dit le président, qui n’a pas l’air de vraiment
savoir ce qu’est le CBD.
- Non, la résine ! Je précise que le produit a
été détruit par les policiers. »
Et ce, dans
les deux dossiers. « J’entends qu’on peut penser qu’il s’agisse de
stupéfiants, mais la loi est très claire. »
Coupable,
déclare le tribunal, estimant que l’odeur de la résine suffisait à déterminer
qu’il s’agissait de cannabis (et prouvant par là qu’il ne sait vraiment pas ce
qu’est le CBD). Christian est condamné à 5 mois de prison avec sursis
probatoire.
Julien Mucchielli