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(95) Tribunal de Pontoise : « On a l’impression que les policiers ne vous croient pas »

(95) Tribunal de Pontoise : « On a l’impression que les policiers ne vous croient pas »
Publié le 31/01/2025 à 12:23

CHRONIQUE. Le tribunal correctionnel de Pontoise, cet après-midi là, juge une brochette de prévenus tous mis en cause pour des faits relatifs aux stupéfiants. Offre, cession, détention non autorisée… et un jeune majeur qui tente le coup de bluff face à un président pas dupe.

On pose à Christian la question habituelle des comparutions immédiates : « Souhaitez-vous un délai pour préparer votre défense ou préférez-vous être jugé aujourd’hui ? » A 18 ans, Christian est un débutant. Il s’étonne : « Je peux repousser le jugement ? » Son avocate s’empresse de le couper : « Non, non, vous voulez être jugé aujourd’hui ». Visiblement, ils en ont déjà discuté. Le président informe le jeune homme que s’il souhaite un délai, il pourrait attendre la prochaine audience en maison d’arrêt, comme 85% des prévenus.

« Ok. Aujourd’hui, alors ». Christian semble déçu.

Il se trouvait dans un hall d’immeuble à Montmorency, le 8 octobre à 17h, avec un bloc de résine de cannabis, une agrafeuse, une balance de cuisine et un paquet de sachets vides. La police municipale l’a alpagué, le soupçonnant de conditionner le produit pour le compte d’un trafic organisé. Absolument pas, répond Christian. « Vous avez dit aux policiers que vous l’avez trouvé derrière un terrain de tennis, à Soisy-sous-Montmorency.

-     C’est ça.

-     On a l’impression que les policiers ne vous croient pas. Et puis on a aussi l’impression que ça ne change pas grand-chose, à partir du moment où on vous voit découper la substance. Qu’est-ce que vous en pensez ?

-     Quand je l’ai trouvé, je ne savais pas que c’était. Les policiers sont arrivés dès que j’ai commencé à découper.

-     Et le fait d’avoir des balances, ça sert à quoi ?

-     Le sac ne m’appartient pas, donc la balance aurait pu servir à beaucoup d’autres choses.

-     Qu’est-ce qu’on a comme activité légale qui nécessite l’usage d’une balance de précision, de sachets, une plaquette de stupéfiants ? C’est le moment d’être attentif.

-     La cuisine, peut-être ?

-     Est-ce que vous pensiez avoir trouvé du matériel de cuisine ? Et du coup pourquoi vous n’êtes pas dans une cuisine ?

-     Je ne vais pas vous mentir, le sac je l’ai trouvé dans ma cité, je me suis dit que j’allais prendre quelque chose vite fait et le reposer.

-     Vous auriez gagné de l’argent en revendant ce que vous aviez conditionné ?

-     Je n’ai rien eu le temps de conditionner du tout », répond Christian, et sur ce point, personne ne le contredit.

« Je suis de nature curieuse »

La procureure prend la relève, non pour bavasser mais pour qualifier les faits : « On est d’accord qu’au moment où vous trouvez le sac vous avez l’intention de vous l’approprier, au moins temporairement ?

-     Je ne savais pas ce qu’il y avait dedans.

-     Ma question était de savoir pourquoi vous avez pris le sac.

-     Je suis de nature curieuse, mais si j’avais su dès le début, je n’y aurais pas touché. »

Le président se penche sur la personnalité de Christian, qui débute une formation le 14 janvier mais ne sait pas dans quel domaine. « Boulanger ? Gardien d’immeuble ?

-     C’est dans la vente, intervient l’avocate.

-     D’accord, vous avez déjà travaillé ? Non ? Bon, madame la procureure, vous avez la parole pour vos réquisitions.

-     Et le 2e dossier ?

-     Ah. Je ne l’avais pas vu.

-     C’est ce dossier qui motive la comparution immédiate.

-     Alors Monsieur, ce sera un peu plus long, il y a là un deuxième dossier. »

« Ce jour-là, j’étais là pour vendre »

Toujours à Soisy-sous-Montmorency, le 27 décembre, la police nationale en planque a observé Christian en pleine transaction. Les agents ont regardé la cliente s’éloigner puis l’ont contrôlée en toute discrétion. Elle n’avait rien sur elle. « On m’a dit de revenir plus tard car la police est dans le coin », les a-t-elle informés.

Ils changent alors de tactique : ils contrôlent Christian qui n’attend pas d’être palpé et sort trois pochons de son caleçon - 22 grammes de cannabis. Le président avise dans son box le jeune homme, qui parle spontanément :

« Je ne vais pas vous mentir, ce jour-là, j’étais là pour vendre. Mais je ne savais ni ce que je vendais, ni à combien.

-     Oui, c’est un peu comme dans les séries (comme The Wire, ndlr), tout est cloisonné. Est-ce que vous savez que c’est illégal ? »

A ce moment, Christian hésite. Est-ce une perche, est-ce un piège ? Il fonce : « Même pas. Je le vendais 5 euros. C’était juste pour remplacer quelqu’un.

- Est-ce qu’on est d’accord que si ça avait été du thé vert, vous ne l’auriez pas caché dans votre caleçon ?

-     Franchement, pourquoi pas.

-     Est-ce que ça pouvait avoir l’apparence de l’illégalité ? Car la femme appréhendée était venue acheter du cannabis.

-     Oui, je pense. C’est encore une mauvaise décision de ma part.

-     (Juge assesseur) On vous trouve sur deux dossiers similaires à deux semaines d’intervalle (Christian a été interpellé pour des faits similaires début décembre).

-     J’ai l’habitude de me retrouver au mauvais endroit, au mauvais moment.

-     En l’occurrence, c’est 10 ans d’emprisonnement encourus. »

Cette dernière remarque jette un froid. Christian arbore désormais une légère inquiétude, vite balayée quand il entend les réquisitions de la procureure : trois mois de sursis probatoire, incluant notamment une interdiction de séjour à Soisy-sous-Montmorency.

« Il essaie de s’expliquer comme il peut ! »

L’avocate de la défense tente de dissiper l’impression d’insolence pouvant se dégager des réponses de Christian, impression qui découlerait avant tout d’un problème de communication. « Le vocabulaire qui est le sien n’est pas le vocabulaire qui est le vôtre, soyons réalistes. Il essaie de s’expliquer comme il peut ! » Puis, elle surprend tout le monde en demandant la relaxe dans les deux dossiers. « Tout le monde est parti du principe que c’est de la résine, mais il manque les tests qui le prouvent.

-     Et si ce n’est pas du cannabis, qu’est-ce que c’est ?

-     Du CBD, tout simplement.

-     Et ce seraient les pilules ? dit le président, qui n’a pas l’air de vraiment savoir ce qu’est le CBD.

-     Non, la résine ! Je précise que le produit a été détruit par les policiers. »

Et ce, dans les deux dossiers. « J’entends qu’on peut penser qu’il s’agisse de stupéfiants, mais la loi est très claire. »

Coupable, déclare le tribunal, estimant que l’odeur de la résine suffisait à déterminer qu’il s’agissait de cannabis (et prouvant par là qu’il ne sait vraiment pas ce qu’est le CBD). Christian est condamné à 5 mois de prison avec sursis probatoire.

Julien Mucchielli


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