Le
24 septembre
dernier, Maîtres Jean-Pierre Prohaszka, président du 116e Congrès
des notaires, et Gilles Bonnet, rapporteur général, ont présenté à la presse
les propositions et recommandations de la profession afin d’améliorer le droit
et la pratique professionnelle en matière de protection (sujet général du
prochain congrès des notaires). Des propositions qui seront débattues et
soumises au vote des notaires de France du 8 au
10 octobre lors du 116e Congrès, avant d’être remises aux
pouvoirs publics.
La crise
sanitaire de la Covid-19 a quelque
peu réorienté les travaux de l’équipe en charge de la préparation du 116e Congrès
des notaires, même si le thème de la protection a été choisi bien avant
l’épidémie, les réflexions sur ce sujet ayant été engagées il y a
deux ans. La crise a en effet rappelé avec force que la protection était
l’une des principales demandes des Français et qu’elle était au cœur des
préoccupations de chacun. Qui ne se sent pas concerné par le besoin de protéger
ses proches, comme ses biens, ses droits ? Qui n’est pas confronté à la
question de la vulnérabilité ?
« Lorsque
nous avons démarré nos travaux il y a deux ans près de Genève, nous
n’imaginions pas qu’un évènement planétaire pouvait lui donner une telle acuité »
peut-on ainsi entendre Jean-Pierre Prohaszka, président du 116e Congrès
dans un discours enregistré sur le site de l’évènement.
« La notion de protection est souvent une question d’équilibre.
Donner plus de protection à l’un revient souvent à en enlever à l’autre. Il
faut donc trouver le juste milieu qui protégera toutes les parties et qui, pour
ce faire, assurera d’une part l’équilibre du contrat et d’autre part sa
fiabilité. Dans ce contexte et à cet effet, le rôle que jouera le notaire sera
déterminant » précise également l’équipe du 116e Congrès
sur ce même site.
Le notariat,
une profession qui reçoit plus de 20 millions de clients chaque année, a
donc décidé de faire entendre sa voix et de formuler des propositions
d’amélioration de la loi. Celles-ci seront débattues et soumises aux votes de
tous les professionnels à l’occasion de cette grand-messe de la profession.
Elles sont organisées en quatre thèmes – qui correspondent aux quatre
commissions de cette grande manifestation de la profession : protéger les
personnes vulnérables ; protéger les proches ; protéger le logement,
l’habitat et le cadre de vie ; protéger les droits.
Face à la
crise, cependant, les notaires ont dû s’adapter. Ils ont décidé de maintenir
« physiquement » leur congrès. « Nous apportons des réponses
à des sujets d’actualité » a souligné Gilles Bonnet, rapporteur
général, à l’occasion de la conférence de presse présentant le futur congrès.
Ils ont également voulu bâtir « un nouveau congrès autour d’incroyables
innovations technologiques ». Les formations qui se dérouleront
pendant l’événement seront entièrement retransmises : « une
e-inscription permettra en effet aux notaires qui ne pourraient pas venir
d’assister à ces formations, à des débats et de voter les propositions »
a-t-il précisé.
Jean-Pierre
Prohaszka et Gilles Bonnet ont ensuite détaillé, les différentes propositions de
la profession1.
Gilles
Bonnet et Jean-Pierre Prohaszka
PREMIÈRE COMMISSION :
PROTÉGER LES PERSONNES VULNÉRABLES
Améliorer le
régime d’administration légale des biens du mineur
Selon les notaires, le droit actuel présente des lacunes pour protéger
le mineur associé d’une société civile. Il existe en effet un paradoxe entre la
rigidité des règles de l’administration légale et de la tutelle destinées à le
protéger, et la facilité avec laquelle la société civile permet de l’exposer à
des risques financiers. Le mineur n’est pas exonéré de cette responsabilité. Il
répond des dettes de la société comme n’importe quel autre associé. Pour
rappel, plus de 100 000 sociétés
civiles sont constituées chaque année, et il est donc de plus en plus fréquent
d’être confronté à un mineur associé.
Les notaires
proposent donc que tout acte de disposition modifiant la composition du
patrimoine du mineur ou la nature de ses droits patrimoniaux soit soumis à
l’autorisation préalable du juge des tutelles.
Redynamiser
le mandat de protection future avec plusieurs évolutions
Le mandat de
protection future, créé en 2007, permet à chacun (personnes âgées ou non,
dirigeants d’entreprises…) dont les facultés physiques et intellectuelles ne
sont pas altérées, d’anticiper les risques liés à une perte d’autonomie. Il
s’agit d’un outil utile et rassurant qui permet au mandant d'organiser sa
propre vulnérabilité tout en conservant indirectement le contrôle sur la
gestion de son patrimoine et, le cas échéant, sur les actes relatifs à sa
personne. Il est cependant encore trop peu utilisé (moins de 1 % des mesures de protections
juridiques en cours), pour diverses raisons : la personne redoute de
projeter sa propre fin de vie, le chef d’entreprise hésite à anticiper la
future gouvernance au-delà de lui-même. La pratique notariale en fait également
une application prudente et parcimonieuse. Les notaires proposent donc :
• d’élargir
le mandat de protection future à l’assistance avec la création d’un mandat
d’assistance inspiré de ce qui est prévu en matière d’habilitation
familiale ;
• faire du
mandat de protection future une mesure restrictive de droits : « le
mandat de protection future, une fois mis en œuvre, ne fait pas perdre au
mandant sa capacité juridique. Cependant, l’on perçoit difficilement comment
une personne dont les facultés sont altérées au point de devoir activer le
mandat de protection future, puisse continuer à agir dans tous les actes de la
vie civile, et notamment continuer à passer des actes graves sur son
patrimoine » ;
• permettre la
vente du logement sans autorisation du juge dans le cadre du mandat de
protection future : « pourquoi ne pas permettre l’opération de
vente, dans l’intérêt bien compris du majeur protégé (dont la vente du logement
peut être indispensable pour lui permettre de financer son intégration dans un
établissement spécialisé) et dans le respect de la justesse du prix de vente et
de la réaffectation des fonds dans l’intérêt de la personne
vulnérable ? »
Ainsi, précisent les notaires, à condition que le mandat le prévoie
expressément, les actes de dis-position relatifs au « logement de la
personne protégée et [des] meubles dont il est garni » pourraient être
passés par le mandataire, sous réserve qu’il obtienne, au préalable, l’accord
d’un subrogé mandataire.
Prévoir et
légaliser un dispositif pour le notaire confronté à ce que l’on nomme la « zone
grise »
Certains
individus, sans qu’ils puissent être juridiquement qualifiés d’incapables,
commencent à perdre leurs facultés. Cet état présente un risque, car ils ne
sont pas encadrés par les textes et cela contribue à créer une incertitude et
un risque tant pour la personne concernée que pour les tiers qui contractent
avec cette dernière. « Une fois les troubles repérés, il est nécessaire
de mesurer leur étendue et donc leur impact sur la capacité de la personne à
effectuer l’acte de manière éclairée et libre. Il n’entre pas dans les champs
de compétences du notaire de poser des diagnostics. Faire passer des tests
cognitifs, même simples, requiert des compétences spécifiques ; c’est pourquoi
seuls les professionnels de santé y sont habilités. Lorsqu’il a des doutes sur
la capacité de discernement de son client, il appartient donc au notaire de
solliciter un certificat médical. À notre sens, ce mode opératoire doit être
affirmé, généralisé, légalisé » préconisent les notaires.
Limiter la
responsabilité des associés mineurs d’une société civile aux apports
Dans une
société civile immobilière, la responsabilité des associés est illimitée. Le
mineur ne fait pas exception, il répond des dettes de la société comme
n’importe quel autre associé. Le mineur associé, de manière subie ou choisie,
ne bénéficie d’aucune protection. Les notaires souhaitent donc limiter, dans la
société civile, la responsabilité des associés mineurs au montant de leurs
droits dans la société.
DEUXIÈME
COMMISSION : PROTÉGER LES PROCHES
Protéger le
partenaire pacsé survivant dans son logement
Seuls les partenaires et les époux, par la conclusion du contrat de PACS
et par le mariage, ont choisi d’être soumis à un régime juridique spécifique
par une « démarche » particulière. Il apparaît pour les notaires tout
aussi essentiel que les partenaires puissent protéger le survivant en lui
laissant un toit jusqu’à la fin de ses jours. Aujourd’hui, la loi ne garantit
pas cette possibilité lorsqu’il y a des enfants.
L’équipe du Congrès propose ainsi de permettre aux partenaires d’assurer
au survivant d’entre eux la possibilité, dans certaines conditions, de rester
dans le logement avec le mobilier qui s’y trouvera, gratuitement, jusqu’à la
fin de ses jours, et même si ce droit a une valeur qui dépasse la quotité
disponible.
Restaurer la
protection de l’époux professionnel dans le régime matrimonial de la
participation aux acquêts
Le régime matrimonial de la participation aux acquêts est un régime
hybride fonctionnant comme un régime de séparation durant le mariage, puis
opère une répartition des richesses comme un régime communautaire lors de la
dissolution par décès ou divorce. Un divorce anéantit actuelle-ment toute
clause d’exclusion des biens professionnels et de plafonnement de la créance de
participation. Ces clauses sont pourtant de nature à renforcer la protection de
l’entreprise contre les aléas de la vie conjugale de son dirigeant.
L’inefficacité de ces clauses oriente ainsi davantage les époux vers un régime
de séparation pure et simple, ce qui prive le conjoint de tout partage des
richesses accumulées durant le mariage.
Les notaires
proposent donc de réduire les effets du divorce sur les stipulations du contrat
de mariage.
Adaptation
contractuelle de la réserve héréditaire
Avec cette
mesure, les notaires souhaitent protéger le donateur contre une renonciation
par l’un de ses enfants à sa succession, lorsqu’il a reçu une donation de son
vivant, afin de préserver sa quotité disponible ; éviter les conflits
entre les enfants ayant reçu des lots de valeur différente dans une
donation-partage ; et trouver un équilibre entre la liberté du parent
donateur, et la protection des enfants héritiers. Ces derniers proposent par
conséquent d’éclaircir les modalités de liquidation de la succession en
présence d’une donation-partage ; d’anticiper la renonciation du
donataire ; de créer un pacte familial de transmission.
TROISIÈME
COMMISSION : PROTÉGER LE LOGEMENT, L’HABITAT ET LE CADRE DE VIE
Créer un
congé pour rénovation thermique
64 % des bailleurs privés sont propriétaires d’un seul logement, et 20 % de deux. Or, le parc
locatif est le plus énergivore. Quant aux logements les plus énergivores, ils
sont le plus souvent occupés par les locataires les plus modestes, et génèrent
des charges importantes pour l’occupant. Afin d’effectuer les travaux de
rénovation, il convient en premier lieu de libérer le logement. Pour cela, le
bailleur doit donner congé à son locataire, mettant ainsi fin au bail. À
l’heure actuelle, un congé ne peut être délivré par le bailleur que dans les
hypothèses suivantes : en cas de vente, ce qui ne permet pas au
propriétaire de faire les travaux pour relouer le logement ; en cas de
reprise, afin de permettre au bailleur ou à ses proches parents d’habiter
personnellement le logement, ce qui fait sortir le logement du parc
locatif ; pour motif légitime et sérieux (la nécessité de faire des
travaux de rénovation n’entre pas automatiquement dans ce champ).
Les notaires
souhaitent créer un congé pour rénovation thermique afin de rénover les
habitations, lutter contre le mal-logement et revitaliser les centres-ville.
Encourager
la mobilité du parc locatif privé en faveur de la rénovation des logements
Alors que la France manque de logements, le nombre de locaux vacants
augmente chaque année. La raison première de la vacance d’un logement est la
nécessité de faire des travaux de rénovation, permettant de le rendre conforme
aux normes de décence. Parmi ces normes se trouvent des critères de performance
énergétique qui ne cessent de se renforcer. La majorité du parc locatif privé
est détenu par des propriétaires ne trouvant pas les motivations pour réaliser
les travaux de rénovation.
Les notaires
souhaitent que l’on crée un dispositif fiscal de transmission favorisant les
travaux de rénovation des biens destinés à la location.
Protéger la
résidence principale des entrepreneurs associés des sociétés professionnelles
et modifier la publicité de la déclaration d’insaisissabilité
L’équipe du
congrès souhaite pouvoir garantir à tout entrepreneur, quelle que soit la forme
au sein de laquelle il exerce son activité professionnelle, la protection de sa
résidence principale par la généralisation de son insaisissabilité à l’égard des
créanciers professionnels, ainsi que simplifier la publicité des déclarations
volontaires d’insaisissabilité pour en assurer l’efficacité. Cela serait
possible en :
• modifiant
l’article L. 631-7 du Code de la construction et de
l’habitation pour y inclure une présomption de destination d’habitation ;
• modifiant
l’article L. 631-7-1 du Code de la construction et de
l’habitation pour permettre une constatation de l’usage de fait d’un local
durant 30 ans.
Donner aux villes le moyen de préserver leur parc locatif destiné à
l’habitation principale
La location
meublée touristique du type Airbnb se développe. Ce nouveau mode d’exploitation
des logements conduit à des nuisances de voisinage, affaiblit l’activité
traditionnelle de l’hôtellerie et supprime certains commerces de centres-ville
qui se transforment en locaux destinés à de la location de meublés
touristiques. Le développement de cette activité réduit corrélativement l’offre
de logement destinée à l’habitation principale. Dans un souci de donner aux villes
le moyen de préserver leur parc locatif destiné à l’habitation principale, et
de permettre aux villes et à toutes personnes y ayant intérêt (syndicat des
copropriétaires par exemple) de faire constater les infractions la législation,
les notaires proposent donc de :
• modifier
l’article L. 631-7 du Code de la construction et de
l’habitation pour y inclure une présomption de destination d’habitation ;
• modifier l’article L. 631-7-1 du Code de la construction et de l’habitation pour
permettre une constatation de l’usage de fait d’un local durant trente ans.
Aujourd’hui en effet, un logement peut être exploité en location meublée
touristique en sollicitant une autorisation de changement d’usage. En l’absence
d’autorisation, et pour s’assurer qu’un logement n’est pas exploité en location
meublée touristique en contravention de la législation, il est imposé aux
villes d’apporter la preuve de l’usage d’un local au 1er janvier
1970 pour faire cesser une activité non autorisée. Le
contrôle de l’exploitation des logements est ainsi rendu difficile par la
nécessité pour les villes de justifier d’un usage de fait remontant à plus de
50 ans.
QUATRIÈME
COMMISSION : PROTÉGER LES DROITS
Protéger la reconnaissance et les effets du divorce par consentement
mutuel à l’international avec un dépôt « authentifiant » de la
convention de divorce
En 2018, en France, 50 000 divorces ont été constatés au
moyen de la nouvelle procédure sans juge. 30 % d’entre eux concernent des couples expatriés. Les règlements
européens dotent l’acte authentique de la même force exécutoire que les
« décisions », facilitant sa reconnaissance et son exécution. Tous
les pays ayant instauré un divorce sans juge ont exigé que celui-ci le soit par
acte authentique. Or, dans l’Hexagone, le dépôt par le notaire de la convention
de divorce ne confère pas à celle-ci la qualité d’acte authentique. L’époux
créancier d’une prestation compensatoire ne bénéficie pas des atouts de l’acte
authentique pour demander l’exécution du paiement, et cette forme d’acte n’assure
pas une reconnaissance à l’étranger du divorce. Les notaires souhaitent par
conséquent que l’on confère aux conventions de divorce la même force que tout
acte authentique, afin d’en assurer l’exécution et la reconnaissance à
l’étranger.
Diagnostics
immobiliers : rendre plus lisibles les conclusions de préconisation de
travaux et le chiffrage des coûts
Les notaires
souhaitent rendre plus lisibles les diagnostics immobiliers et permettre à un
candidat acquéreur, à ses frais, d’imposer au vendeur qu’il donne accès à sa
propriété afin que soit réalisée une étude chiffrée des travaux à réaliser.
Protéger les irrégularités du formalisme de la loi ALUR par le
formalisme de l’authenticité
La loi ALUR
impose de fournir à un acquéreur de très nombreux documents, parfois sans lien
avec le local. Il s’agit de permettre à un acquéreur de renoncer à ce qu’il lui
soit délivré certains documents, s’il juge, en toute connaissance de cause,
qu’ils ne lui sont pas utiles.
Aménager le
délai de prescription en cas de succession et suppression de l’exigibilité du
droit de partage au cas d’incorporation
Il s’agit de
protéger le contribuable en lui assurant un point de départ effectif du délai
de prescription fiscale et d’encourager également la réincorporation des
donations antérieures aux donations-partages.
Pour finir, Jean-Pierre Prohaszka et Gilles Bonnet ont tenu à remercier
tous ceux qui relaient leurs propositions, notamment les journalistes :
« vous avez compris que notre thème a une dimension sociétale très importante,
et vous êtes notre relai à l’égard de la population, des juristes… pour que nos
propositions soient portées vers l’extérieur ».