Vendredi 17 avril 1665 : Le comte Roger de
Bussy-Rabutin, maître de camp général de la cavalerie légère du royaume, arrêté
par le chevalier du guet Testu, arrive à la Bastille, dont le gouverneur est
François de Montlezun, ancien capitaine des Gardes de Mazarin. Il connaît bien
la forteresse parisienne construite par Charles V pour y avoir déjà été
incarcéré sur ordre de Louis XIII pendant cinq mois en 1641. à l’époque, il avait laissé ses soldats
se transformer en faux-sauniers et faire la contrebande du sel. Cette fraude à
la gabelle lui avait valu un séjour en cellule individuelle.
Cette fois-ci, c’est Louis XIV qui le punit, car le Roi ne lui pardonne
pas son « Histoire amoureuse des Gaulles » dont une édition peut-être falsifiée par Condé fin de le mettre en difficulté
a été imprimée et distribuée à son insu. Le dimanche 19 avril 1665, le lieutenant criminel Jacques Tardieu (qui
sera assassiné le 24 août suivant*), assisté de son greffier, vient procéder à
l’interrogatoire de l’embastillé. L’officier général, qui a été reçu à
l’Académie française quatre mois plus tôt, élu grâce à ses « Maximes d’amour », réaffirme
tout le respect qu’il a pour le Roi et sa cour. Pourtant, dans sa chronique,
Rabutin met en scène les aventures amoureuses, la frivolité et les
polissonneries des membres de la cour, reconnaissables malgré leurs pseudonymes
fantaisistes (le Roi y est Théodate, Mazarin y est le Grand Druide…). Les
scènes relatées sont particulièrement réalistes. Des hypotyposes qui ne
trompent personne. Surtout pas le monarque qui trouve que le cavalier léger a
la plume légèrement cavalière.
Rabutin aurait dû se méfier. Car, malgré ses exploits militaires, il
n’était guère apprécié par le Souverain. Ce
dernier, lors du carrousel de 1662 dans la cour
des Tuileries lors duquel il avait adopté le soleil comme emblème, ne l’avait
pas invité ! Le Roi Soleil met donc le persifleur à l’ombre, loin de ses
rayons. C’est ainsi que l’académicien va rester treize mois dans la forteresse,
aidé dans ses tâches quotidiennes par un valet allemand, certes dans une
chambre spacieuse, mais très isolé.
Pendant cet enfermement, il ne cesse de penser à celle qu’il aime,
Cécile-Elisabeth Hurault de Cheverny, marquise de Montglas, qui est sa
maîtresse depuis douze ans. Il l’a mise en valeur dans son « Histoire
amoureuse des Gaulles » sous
le pseudonyme de « Bélise ». Il aime ses « yeux petits,
noirs et brillants ». Il admire sa « gorge la mieux
faite du monde », son « esprit vif et pénétrant », ses qualités de chanteuse et de danseuse.
Hélas pour lui, pendant qu’il se morfond à la Bastille, la marquise
Cécile de Montglas l’abandonne. De leur amour, en son absence, elle sonne
unilatéralement le glas. Après la chaleur des sentiments, de la rupture le
verglas ! Il va en garder une rancune tenace.
à l’issue de son incarcération, celui qui fut
un officier courageux du royaume et qui fut le second de Condé est exilé sur
ses terres de Bourgogne, dans son château de Bussy-le-Grand, bel édifice aux
tours rondes, entouré d’une fausse-braie, dont la façade Renaissance présente
une modénature plutôt réussie. Il aime cette demeure, qu’il qualifie de « maison
magnifiquement bâtie, avec des dedans d’une beauté singulière qu’on ne voit
point ailleurs ». Il est
proche de sa cousine la marquise de Sévigné. Tous deux se livrent à des « rabutinages » qui rappellent les
traits caractéristiques de leur famille mais sont aussi des moqueries
littéraires divertissantes. Les deux épistoliers échangent pendant des années,
alternant picoteries et rabibochages, brouilles, compliments et turlupinades
réciproques.
Et Rabutin décore une pièce de son château, qu’on présente lors des
visites comme la salle des devises, avec des scènes qui ridiculisent la
marquise de Montglas, qualifiée de « plus légère que l’air »… Il est
vrai que lors de son admission à l’Académie française en janvier 1665, au
fauteuil numéro 20, il avait dit dans son discours : « je crois
que vous êtes trop justes, pour ne pas excuser les fautes d’un homme, lequel a
fait toute sa vie un métier véritablement qui donne de la réputation, mais qui
d’ordinaire ne donne guère de politesse ». La marquise, qu’il qualifie
de traitresse dans ses écrits, et qu’il compare à un monstre, est représentée
en sirène, en hirondelle qui s’enfuit, en croissant de lune. Il se met
également en scène lui-même, comme banni, attendant en vain un retour en grâce,
avec des formules telle « in me me
involgo », « je m’enferme moi-même ».
Bussy-Rabutin… Un être fantasque, libertin, taquin, mondain, caustique,
rancunier, passionné, audacieux, ripailleur, moqueur, ne respectant pas
toujours le carême, mais soldat valeureux, officier exemplaire et solide
écrivain, mémorialiste précieux, qui traduit les lettres d’Héloïse à Abélard et
met en valeur la littérature de la marquise de Sévigné. Son château est un peu
le miroir de sa personnalité. Il écrit à la fin de sa vie : « Enfin, Dieu m’a fait comprendre ce
que dit un Père de l’Eglise : Il n’y a rien de plus malheureux que le
bonheur des gens qui vivent au gré de leurs passions. »
* Voir notre
chronique « 1665 : qui assassine le procureur de
Paris ? » publiée dans le JSS 95du 13 décembre 2017.
Étienne
Madranges,
Avocat à la
cour,
Magistrat
honoraire