À la fin du
mois de mars 2021, un groupe de travail chargé de faire des propositions en vue
d’améliorer la prise en charge des cold cases (affaires non résolues) a remis à
la Chancellerie un rapport qui contient 26 mesures.
Regroupement des cold cases les plus complexes à un niveau interrégional,
fixation à 30 ans du délai
de prescription pour l’ensemble des crimes de sang, interdiction de la
destruction des scellés, etc. Autant de préconisations ambitieuses qui
pourraient redonner espoir aux familles des victimes.
À l’été 2019, Jacques Dallest, procureur général près la Cour d’appel de
Grenoble, reçoit une lettre de mission de la part de la directrice des Affaires
criminelles et des Grâces – Catherine Pignon – qui le charge de présider un
groupe de travail composé de professionnels expérimentés, de magistrats du
parquet et de l’instruction et d’enquêteurs d’unités spécialisées (1) afin de mener une « réflexion approfondie » pour
l’amélioration du traitement judiciaire des cold cases, des crimes de sang
complexes, des disparitions inquiétantes et des crimes en série.
En effet, « la Chancellerie est (…) fréquemment
interpellée par les proches de victimes ou de personnes disparues qui déplorent
la longueur des enquêtes, s’inquiètent de l’efficacité des investigations et
craignent que la procédure aboutisse à un non-lieu définitif » précise
la lettre de mission reçue le 1er juillet 2019 par le
procureur.
Or, « le traitement actuel des crimes de sang
complexes, des crimes en série et des cold cases est marqué, sur le plan
judiciaire, par l’absence de rapprochement systématique opéré au niveau
national, au sein d’une cour d’appel ou à l’intérieur d’une même juridiction »
déplore la directrice des Affaires criminelles et des Grâces (DACG).
Réfléchir à des outils permettant de procéder à des
recoupements entre les magistrats et enquêteurs saisis de ce genre de dossier,
tel est, en substance, le rôle du groupe de travail.
Son rapport aurait dû être rendu à la Chancellerie au
plus tard le 31 décembre 2019, mais la pandémie a retardé la remise du document d’un an
et demi.
Après de nombreuses auditions, débats et échanges
internes, le 27 mars 2021, les 15 membres du groupe ont proposé 26 « pistes
d'action et des préconisations simples et réalistes aptes à améliorer
sensiblement la gestion pénale de ces affaires et en accroître l'élucidation. »
QU’EST-CE
QU’UN COLD CASE ?
Avant de chercher des solutions pour améliorer le
traitement judiciaire des cold cases, le groupe de travail a commencé par
définir juridiquement ces derniers.
« Les cold cases sont traditionnellement compris
comme étant des atteintes délibérées à la vie ou à l'intégrité humaine non
résolues » précise le rapport en préambule. De plus, « le cold
case se distingue des crimes sériels qui doivent également être pris en compte »
est-il encore précisé.
En résumé, pour les membres du groupe de travail, une affaire
devient non résolue si elle réunit trois critères :
• la gravité,
c’est-à-dire, assassinats, enlèvements et séquestrations, viols de nature
sérielle, actes de torture ;
• l’absence de tout
mobile apparent. On exclut donc les faits liés à la criminalité organisée
(règlement de comptes) ou au cadre familial ;
• la non-élucidation de
l’affaire malgré les investigations réalisées, et le constat d’absence de
nouvelle perspective d’enquête.
Quant à l’état procédural de l’affaire, trois situations
peuvent se présenter, qui intègrent une temporalité différente :
• l’affaire est en cours,
c’est-à-dire qu’une enquête préliminaire (disparition inquiétante ou suspecte)
ou une information judiciaire (pour recherche des causes d’une disparition ou
crime) est ouverte.
• l’affaire est clôturée,
mais toujours poursuivable : le dossier judiciaire a été classé ou s’est
achevé par un non-lieu. La personne disparue n’a pas été retrouvée ou l’affaire
criminelle n’a pas été résolue. Le dossier peut néanmoins être rouvert, car le
délai de prescription légale (10 ans ou 20 ans depuis la loi du 27 février 2017) n'est pas écoulé.
• l’affaire est clôturée
et non poursuivable. Le dossier judiciaire a été refermé et la prescription
légale est acquise, ce qui interdit toute poursuite pénale utile.
Une question reste en suspens : celle de la fixation
du délai à partir duquel une affaire non résolue devient un cold case. La loi
ne fixe pas de durée précise, toutefois, préconisent les experts, une
circulaire DACG pourrait donner des indications, et le constat de la
non-élucidation pourrait intervenir à l’issue d’un délai variable selon les
cas, après « réflexion conjointe du juge d’instruction et du parquet
avec les enquêteurs et être formalisé dans le dossier pour servir de support à
un éventuel dessaisissement. »
Pour définir juridiquement un cold case, il convient
aussi de s’attacher à la « situation factuelle de l’affaire ».
Ainsi, les cold cases intéressant les seuls crimes
de sang comprennent deux grandes catégories, selon que le cadavre de la victime
a été découvert ou non, et chacune de ces catégories recouvre elle-même
plusieurs situations différentes, précise le rapport dans l’une de ses annexes.
Si par exemple le cadavre est découvert, quatre
hypothèses se rencontrent :
• le cadavre est
identifié et a été manifestement l’objet de violences mortelles ;
• le corps a été
identifié, mais la cause du décès n’a pu être clairement établie ;
• le cadavre n’a pu être
identifié et les causes de la mort sont manifestement criminelles ;
• la dépouille n’a pu
être identifiée et les causes de la mort ne sont pas établies.
Si au contraire le cadavre n’est pas découvert, plusieurs
situations sont également envisageables.
On parle dans ce cas de disparition inquiétante (on
écarte alors la disparition volontaire, droit reconnu à la personne humaine
majeure), catégorie la plus complexe qui suscite aussi les plus fortes
interrogations, estime le rapport, car « aucune scène de crime n’existe
et la recherche de traces et indices est malaisée. »
Il peut s’agir soit d’une disparition à raison d'un acte
criminel probable, soit d’une disparition sans cause criminelle clairement
avérée, ou enfin d’une disparition inconnue.
Bref, « la combinaison de ces facteurs à la fois
procéduraux, temporels et factuels va déterminer les perspectives de résolution
judiciaire de l'affaire. L'ancienneté et la nature du dossier détermineront
très probablement les chances d'élucidation. Le cold case peut assurément
demeurer une énigme parfaite et représenter un constat d'échec pour
l'institution judiciaire » conclut le rapport.
LES FREINS
AU BON TRAITEMENT JUDICIAIRE DES COLD CASES
Comme le rappellent les membres du groupe de travail,
déjà en 2007, une autre équipe avait été réunie par la DACG sur le traitement
des crimes en série. 23 préconisations avaient été formulées, dont la
plupart restent toujours d'actualité.
Depuis quelques années, l’action publique se heurte en
effet à des enjeux sociétaux majeurs, à savoir : des victimes qui exigent
une réponse pénale de plus en plus rapide ; le poids des médias, de tous
types, qui font de la question un fort enjeu concurrentiel (« Pour
dommageable qu'elle soit, cette exigence contemporaine doit pourtant être
comprise par les enquêteurs et les magistrats », estime le
rapport) ; et l'accélération du progrès scientifique qui exige que tout
soit mis en œuvre, sur le temps long, pour tenter de résoudre les crimes
complexes même les plus anciens.
Face à ces exigences sociétales, le fonctionnement et la
réponse de l’institution judiciaire sont loin d’être optimaux, pointent les
experts.
La Justice souffre notamment d'une connaissance précise
et exhaustive de ce genre d’affaires, d'une capacité à rapprocher les crimes de
sang avérés et les disparitions inquiétantes enregistrées sur le territoire
national, ainsi que d'une mémoire criminelle locale.
Mais ce que reprochent le plus les membres du groupe de
travail à notre système judiciaire, c’est l'absence de coordination entre les
acteurs judiciaires locaux et régionaux, de même que l’insuffisance des
échanges entre les magistrats des juridictions concernées, y compris au sein
d’un même tribunal.
« Le cloisonnement et l'oubli sont les maux
essentiels dont souffre l'institution judiciaire face à la plus grave des
criminalités, celle qui justifierait pourtant le plus grand engagement. »
La carte judiciaire telle qu’elle existe à l’heure
actuelle nuit aussi à la fluidité de la communication entre juridictions de
ressorts, ou de cours d’appel différentes, selon les experts.
En outre, la résolution de ce genre d’affaires patît de
la priorité accordée par les magistrats au traitement de la délinquance de
masse.
Il convient aussi d’améliorer la gestion des dossiers de
découverte de cadavres non identifiés, les techniques d’exploitation des
éléments recueillis dans le cadre de ce genre de crimes, de revoir la place
réservée aux victimes, aux associations de victimes et aux organes de presse,
etc.
Bref, pour le groupe de travail, il est urgent de créer
une véritable « culture du cold case » au sein de l’institution
judiciaire.
Pour ce faire, le groupe de travail a défini trois axes
d’amélioration majeure :
• le renseignement :
comment mieux identifier ces dossiers de crimes s’inscrivant dans un phénomène
sériel ou correspondant à des cold cases, et créer une véritable mémoire
judiciaire de ces procédures ?
• la procédure pénale et
l’organisation des services : comment améliorer le cadre juridique
d’enquête et l’adapter à la spécificité de ces dossiers ?
• la nécessaire
adaptation des moyens : comment exploiter les nouvelles techniques
d’enquête et de police technique et scientifique afin de les introduire dans la
procédure d’enquête ?
TENIR UNE
MÉMOIRE CRIMINELLE
« Aujourd’hui, un chef de parquet dans un pôle
criminel est en difficulté s’il désire connaître de façon exhaustive les
affaires criminelles non résolues et archivées dans sa juridiction »
dénonce le rapport.
Bien souvent, il devra en effet en appeler aux services
d’enquête de son ressort.
Il est donc essentiel, estiment les experts, que l’autorité
judiciaire dispose de ses propres moyens afin d’identifier les dossiers anciens
nécessitant un suivi particulier.
Une des solutions consisterait à recenser toutes les
affaires non élucidées, en cours, mais aussi clôturées.
Ce recensement pourrait être mené, par exemple, dans
chaque parquet général, afin que se dégage à l’échelon national une véritable
carte des affaires dites « cold case ».
Cependant, pour que cette vaste opération permette de
vraiment relancer les enquêtes, il est impératif de savoir où sont précisément
conservés les scellés. Il faudra donc solliciter les laboratoires qui sont
intervenus durant la procédure.
Dans tous les cas, indique le rapport, ce recensement de
grande ampleur devra recourir à une numérisation systématique des procédures et
à un système de classement suivant des thématiques précises à l’instar de ce
qui existe aujourd’hui dans SALVAC (Système d'analyse des liens de la violence
associée aux crimes).
Pour un suivi efficace de ce genre d’affaires, le groupe
de travail préconise aussi la mise en place d’un bureau des enquêtes
criminelles cold cases dans chaque cour d'appel, sous l’égide
d’un magistrat du parquet général et d’un greffier. Ce bureau aurait pour
mission de tenir un état des affaires en cours dans le ressort ainsi qu’un état
des affaires classées « auteur inconnu » et du devenir des scellés.
Pour mener à bien cette entreprise de classement et
d’identification, l’équipe de travail estime qu’on ne peut pas non plus faire
l’économie d’une forme de médiatisation des affaires : « Face à
une société hyper connectée, l’autorité judiciaire ne peut ignorer le rôle que
pourraient occuper les médias dans l’élucidation d’affaires très anciennes »
exhorte le rapport (c’est d’ailleurs déjà le cas avec le dispositif « Alerte
enlèvement »).
Les experts recommandent par exemple la mise en place
d’un site Internet en accès libre recensant les affaires non élucidées, avec
des mentions relatives à la victime, aux circonstances de sa disparition et aux
coordonnées du service enquêteur, etc.
Une relance de la médiatisation de la procédure pourrait
également servir à relancer des enquêtes. « La Chancellerie a été
contactée par trois producteurs qui souhaitent mettre en place dès le premier
semestre 2021 une émission d’appel à témoins sur trois chaînes de télévision » précise le
rapport. [Depuis le 7 juin 2021, la chaîne M6 a lancé l’émission « Appel à témoins », présentée
par Julien Courbet et Nathalie Renoux, construite en partenariat avec
les ministères de l'Intérieur et de la Justice. Chaque épisode
se consacre à plusieurs affaires criminelles françaises non
élucidées. NDLR].
Enfin, la communication entre les différents magistrats
en charge des cold cases devant être améliorée, les experts recommandent la
mise en œuvre d’un système informatique de communication interne, à l’image du
RESOgend utilisé par la Gendarmerie nationale.
RÉORGANISER
LES SERVICES
Comment améliorer le cadre juridique d’enquête et
l’adapter à la spécificité des cold case ?
Afin de favoriser le traitement
judiciaire des crimes complexes, le rapport préconise la centralisation de ce
type de procédures avec une spécialisation des magistrats et l’instauration
d’une temporalité compatible avec le traitement de ces dossiers.
Objectif : permettre la spécialisation des magistrats et du greffe et
procéder à des rapprochements entre dossiers par un recoupement des
renseignements.
Quelle autorité judiciaire devrait se
charger de cette centralisation ? « La JIRS [soit 8 pôles. NDLR] ou plus exactement le niveau interrégional,
au regard de son pouvoir d’évocation, de l’étendue géographique, de ses
compétences et de l’expérience acquise dans la conduite de dossiers au long
cours, pourrait se voir opportunément attribuer le traitement de ces crimes
lorsqu’ils sont ou apparaîtraient complexes »
considèrent les experts.
Quant aux affaires qui nécessitent
une coopération internationale par exemple, elles pourraient être centralisées
au niveau national.
Si la centralisation au niveau des
JIRS est impossible, l’équipe de travail menée par Jacques Dallest envisage un
regroupement au sein du pôle criminel dans chaque cour d’appel en retenant le
pôle de la juridiction la plus importante du ressort.
Une fois les dossiers aux mains des
JIRS, il faudra bien sûr déterminer de quelle façon devront être conduites les
investigations « de manière complémentaire et efficace. »
Il est en tout cas impératif, selon
les experts, qu’un nouveau regard soit porté sur l’enquête, en adjoignant au
service d’enquête initialement saisi un nouveau service spécialisé.
Deux possibilités : le Service
central de renseignement criminel de la Gendarmerie nationale (SCRC), lequel
dispose d’un pôle de spécialistes qui relisent, étudient et analysent les
affaires non résolues, ou l’OCRVP (Office central pour la répression des
violences aux personnes), qui emploie une équipe d’enquêteurs de différentes
spécialités effectuant une relecture des dossiers.
En cas de suspicion de crimes
multiples, le rapport préconise de créer un nouveau cadre d’enquête sous la direction
du parquet JIRS – voire du juge d’instruction JIRS saisi – pour permettre
d’investiguer sur le parcours de vie du criminel.
Ce parcours de vie devant ensuite
permettre de faire des recoupements. « En cas de révélation de faits
sériels, il serait opportun que la JIRS soit saisie après dessaisissement du
juge d’instruction ou du parquet de la juridiction locale » recommande
le rapport.
Concernant la prescription
criminelle, l’équipe de travail estime que les attentes des proches ne doivent
pas se heurter « au couperet juridique que constitue la prescription de
l'action publique ». Celle-ci est donc en faveur d’un allongement des
délais de prescription criminelle de 20 à 30 ans
pour l’ensemble des crimes de sang (homicides, coups mortels), quel que soit
l’âge de la victime. [À l’heure actuelle, l’article 7 du Code de procédure pénale prévoit
que la prescription en matière de crime est de 20 ans
ou 30 ans.]
DES OUTILS
PLUS EFFICACES
Enfin, les rédacteurs du rapport ont réfléchi au moyen
d’exploiter au mieux les nouvelles techniques d’enquête et de police technique
et scientifique pour faire avancer les enquêtes.
Il leur a semblé opportun de s’inspirer de ce qui se
fait chez nos voisins européens. Pour cela, le groupe de travail a procédé à l’audition
de Caroline Blanken, attachée de police des Pays-Bas en France, et d’Aart
Garssen, chef unité Gelderland Zuid, responsable national cold cases de la
Police nationale néerlandaise, qui ont présenté le dispositif néerlandais en
matière de traitement des cold cases.
Le traitement judiciaire des affaires non résolues y est
nettement plus dur et organisé.
En résumé, aux Pays-Bas, chaque unité de police dispose
d’une équipe cold case avec entre trois et 20 enquêteurs par unité, outre un référent national.
Là-bas, les meurtres/homicides commis à partir de 1988 et autres
délits punis de plus de 12 ans d’emprisonnement dès 1992 sont
imprescriptibles. Quant à l’ADN, il est possible de le conserver durant 30 ans pour
tout crime puni de six ans ou plus.
S’inspirant des USA, les Néerlandais diffusent aussi
dans les établissements pénitentiaires et les hôpitaux psychiatriques
pénitentiaires un calendrier qui contient dans une semaine de l’année le
descriptif d’une affaire non élucidée accompagné d’une indication financière
relative à la rétribution de l’informateur qui pourrait faire avancer la
procédure.
Le dispositif mis en place par les Pays-Bas confirme la
nécessité d’une organisation judiciaire et policière spécifique au traitement
des cold cases et rappelle l’importance des recours aux témoignages,
reconnaissent les experts français dans le rapport.
Le groupe de travail a trouvé particulièrement
intéressante l’idée d’un calendrier à diffuser dans les prisons contenant des
affaires non élucidées (au lieu de récompenses pécuniaires, y seraient
rappelées les dispositions en matière de réduction de peine). En effet, les
détenus parlent en prison. Rappelons par exemple que Monique Olivier s’est
confiée auprès de ses codétenues au sujet d’Estelle Mouzin.
Pour les experts, il ne faut pas non plus hésiter à
recourir aux techniques actuelles de police scientifique, notamment celles qui
ont trait aux recherches ADN : élaboration d’un portrait-robot génétique
si un ADN a été mis en évidence, recherches génétiques en parentalité…
À l’heure actuelle, précise le rapport, la législation
ne prévoit pas l’enregistrement dans le FNAEG (Fichier national automatisé des
empreintes génétiques) de victimes identifiées. Par conséquent, le groupe de
travail préconise que les empreintes génétiques des victimes identifiées de
crimes de sang soient enregistrées dans ce fichier aux fins de comparaisons
ultérieures, dans le cadre de faits sériels notamment.
« L'affaire Fourniret démontre l'intérêt d'un
tel dispositif à travers la mise en évidence de plusieurs ADN sur un matelas
lui appartenant » précise le rapport.
Concernant le suivi des dossiers, le groupe de travail
préconise un « examen en collégialité » à échéance régulière
(« Les futurs pôles judiciaires cold cases devront organiser des réunions
régulières avec les enquêteurs spécialisés en la matière ou ceux en charge des
différents dossiers »), complété par la rédaction d’une fiche de suivi
au niveau du parquet et du juge d’instruction.
Cette fiche de suivi permettrait une information régulière
du ministère public, mais aussi de faciliter les échanges avec les parties
civiles « en ce qu’elles traduisent l’état du dossier ». À ce
sujet, le groupe de travail recommande aux magistrats de recevoir à échéances
régulières les familles des victimes, de les associer aux investigations (si
bien entendu aucune suspicion ne pèse sur un membre de la famille), et de
procéder régulièrement à leur audition.
La protection des scellés doit également être optimale,
recommandent les experts. Ces derniers souhaitent notamment interdire la
destruction des scellés criminels tant que l’affaire à laquelle ils se
rapportent n’est pas résolue, et veiller à assurer leur traçabilité via
l’utilisation d’une alerte dans Cassiopée2.
Une attention particulière doit être apportée aux
personnes disparues de façon inquiétante ou suspecte, ainsi que les personnes
décédées ou vivantes non identifiées (amnésiques), préconise également le
rapport. Celles-ci doivent obligatoirement être inscrites au Fichier des
personnes recherchées (FPR) [la loi le prévoit déjà, mais dans les faits cette
obligation est peu respectée. NDLR]. En effet, les différents éléments de leur
signalement – description des objets et vêtements, des photographies, lieu et
date de découverte, le service d’enquête saisi – peuvent être croisés avec ceux
des personnes signalées disparues.
En outre, le groupe de travail désire que des
prélèvements biologiques soient effectués dès la découverte d’un cadavre non
identifié, mais aussi qu’une enquête en recherche des causes de la mort soit
ouverte.
Enfin, dès qu’un cold case est résolu, l’équipe de
travail dirigée par Jacques Dallest est favorable à la mise en œuvre d’un
retour d’expérience (RETEX) « afin de déterminer les éléments qui se
sont révélés déterminants dans cette résolution ».
« Ces RETEX devraient être organisés comme un
“rendez-vous judiciaire” entre les acteurs du dossier que sont le ou les
juge(s) d’instruction, le procureur de la République et les services d’enquête.
Les avocats des parties civiles pourraient également être associés à ce retour
d’expérience partagé » conclut l’équipe de travail.
Dès réception de ce rapport, sévère, mais juste, le
ministère de la Justice a affirmé (selon l’AFP) que les recommandations
étaient à l'étude, tout en précisant que certaines ne semblaient « pas
pertinentes à ce stade ».
Espérons comme Maître Didier Seban, interviewé par BFMTV
juste après la parution du rapport, que « ce travail ne sera pas un
énième rapport classé dans les placards du ministère ».
Liste des recommandations du groupe de
travail consacré au traitement judiciaire des cold cases, des crimes sériels et
autres crime complexes
Recommandation n° 1 : recenser les dossiers anciens en cours d'enquête ou
d'instruction, puis des dossiers clôturés non résolus, avec leurs scellés dans
chaque cour d'appel.
Recommandation n° 2 : tenir, au sein des parquets et des parquets
généraux, une mémoire criminelle des dossiers en cours ainsi que des dossiers
clôturés pour défaut d'élucidation.
Recommandation n° 3 : établir et diffuser un questionnaire type
permettant d’apprécier le caractère inquiétant d’une disparition.
Recommandation n° 4 : mettre en place un site Internet en accès libre
recensant les affaires non élucidées, en présentant les principaux éléments des
faits et intégrant une rubrique consacrée aux disparitions d’enfants.
Recommandation n° 5 : sensibiliser le public grâce à la presse et aux
média sur les dossiers anciens et non élucidés afin de recueillir de nouveaux éléments
de preuve.
Recommandation n° 6 : regrouper les procédures les plus complexes de
cold cases et les crimes sériels à un niveau interrégional, au sein ou aux
côtés des JIRS (soit 8 pôles).
Recommandation n° 7 : mettre en œuvre une formation spécifique des
magistrats chargés de ces affaires et les recruter sur des appels à candidature
profilés.
Recommandation n° 9 : adjoindre un nouveau service d’enquête spécialisé
au service enquêteur initialement saisi pour la poursuite des investigations.
Recommandation n° 10 : en cas de suspicion de crimes multiples, créer un
nouveau cadre d’enquête sous la direction du parquet JIRS voire du juge
d’instruction JIRS saisi pour permettre d’investiguer sur le parcours de vie
d’un criminel.
Recommandation n° 11 : détacher un officier de liaison dans les parquets
JIRS dédiés aux cold cases et aux crimes sériels.
Recommandation n° 12 : fixer à 30 ans le délai de prescription pour
l’ensemble des crimes de sang.
Recommandation n° 13 : disposer d'un support numérique idoine pour
conserver avec le dossier numérisé de l'instruction les actes interruptifs
postérieurs à la clôture de l'information, réalisés par le parquet et les
verser par ailleurs au dossier dans une cote ad hoc qui pourrait
consister en l’ajout d’une rubrique dans la NPP.
Recommandation n° 14 : procéder à échéances déterminées à des actes
interruptifs de prescription pour les dossiers de cold case.
Recommandation n° 15 : établir tous les ans un calendrier recensant 52
affaires non élucidées et assurer sa diffusion à destination de l’ensemble de
la population carcérale.
Recommandation n° 16 : en zone frontalière, mettre en œuvre les
dispositifs d'entraide pénale afin de rechercher des recoupements avec des
faits commis dans les pays limitrophes.
Recommandation n° 17 : systématiser les recherches génétiques en
parentalité, les renouveler à échéance périodique dans les cold cases et
systématiser la réalisation de portrait-robot génétique.
Recommandation n° 18 : enregistrer dans le FNAEG les empreintes
génétiques des victimes identifiées de crimes de sang et veiller à
l'enregistrement systématique des empreintes génétiques des personnes
disparues.
Recommandation n° 19 : élaborer au niveau des bureaux d’enquête criminels
et des cabinets d’instruction des fiches de suivi récapitulatives des actes
réalisés, permettant de mettre en évidence les principaux actes réalisés et les
derniers actes interruptifs de prescription.
Recommandation n° 20 : organiser impérativement des réunions avec les
victimes, souvent pro-actives dans la communication médiatique et dans la
recherche d’éléments de preuve, et procéder régulièrement à leurs auditions, le
cas échéant en présence du parquet et du directeur d’enquête.
Recommandation n° 21 : interdire la destruction des scellés dans les
cold cases au regard des progrès scientifiques et du délai de prescription de
l’action publique, et veiller à assurer leur traçabilité via l’utilisation
d’une alerte dans Cassiopée.
Recommandation n° 22 : procéder à une nouvelle analyse génétique des
scellés lorsque ceux-ci ont fait l’objet d‘expertises anciennes.
Recommandation n° 23 : inscrire systématiquement au FPR les personnes
disparues de façon inquiétante ou suspecte ainsi que les personnes décédées ou
vivantes non identifiées.
Recommandation n° 24 : systématiser l’ouverture d’une enquête en
recherche des causes de la mort pour toute découverte de cadavre non identifié,
y compris lorsque la mort n’apparaît pas d’origine criminelle.
Recommandation n° 25 : prévoir un programme, hors toute procédure
judiciaire, de dragage de l’ensemble des lacs et autres eaux stagnantes (ports
notamment) de France.
Recommandation n° 26 : procéder à un Retex sur chaque cold case
significatif de crime de sang finalement résolu ou non.
1)
La liste complète des membres du groupe de travail est en page 4 du rapport.
2) Chaîne
Applicative Supportant le Système d’Information Orienté Procédure pénale Et
Enfants.
Maria-Angélica Bailly