POLITIQUE

Affaire Sarkozy-Kadhafi, assistants parlementaires du RN... Faut-il (encore) faire évoluer les règles de financement de la vie politique en France ?

Affaire Sarkozy-Kadhafi, assistants parlementaires du RN... Faut-il (encore) faire évoluer les règles de financement de la vie politique en France ?
L'affaire Sarkozy remet au centre de l’actualité le financement de la vie politique © F.Loock
Publié le 12/02/2025 à 16:10

Les procès politico-financiers à l’affiche en ce début d’année peuvent interroger sur l’efficacité du système de financement français des campagnes et des partis. Plus de trente ans après les premières lois en la matière, et alors que la France vient de dégringoler dans l’indice de Transparency International sur la perception de la corruption, le droit doit-il évoluer ?

25e. Voici le rang auquel se situe la France dans l’indice de perception de la corruption (IPC) publié ce mardi 11 février 2025 par l’ONG Transparency International. Un recul sans précédent de l’Hexagone dans le classement. Dix rangs derrière le voisin allemand. Moins bien classée que les Émirats arabes unis, un régime pourtant loin d’être démocratique. Et les affaires politico-financières du cru 2024-2025 n’y sont pas étrangères.

Procès en cours depuis 2 semaines sur les soupçons de financement lybien de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, affaire des assistants parlementaires du RN, campagnes d'Emmanuel Macron et liens présumés avec le cabinet de conseil McKinsey,... Ces affaires remettent au centre de l’actualité la question des règles de financement de la vie politique française.

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) s’en est saisie en organisant fin janvier un colloque au Conseil constitutionnel, en présence notamment de Patrick Lefas, président de Transparency International France. Selon une étude d'opinion réalisée par Harris Interactive fin 2023, indique-t-il, 6 Français sur 10 estiment que les élus et dirigeants politiques sont corrompus.

Une législation novatrice en faveur de la transparence…

Pourtant, sur le papier, la France dispose de l’une des législations les plus avancées en Europe en matière de financement de la vie politique. Depuis 1988 et à la suite de divers scandales de financement occultes, plusieurs lois ont été adoptées afin d’assurer la transparence du financement des partis et des campagnes électorales et de limiter les risques de corruption : en 2011, 2013, 2017 et 2019.

Une législation « novatrice »  et « un motif de satisfaction personnelle »  pour l’un de ses architectes, René Dosière, président de l’Observatoire de l’éthique publique, député pendant 25 ans, qui a constaté « l’avancée considérable du financement de la vie politique en France ». Deux dispositions assurent selon lui l’exemplarité et l’efficacité de notre système : le plafonnement des dépenses et le remboursement public de l’apport personnel des candidats. « Ces dispositions permettent d'assurer l’égalité des candidatures et de limiter les recours aux techniques de communication les plus coûteuses mais aussi les plus dégradantes ».

…mais des dérives liées au nombre et à la définition des partis

Mais l’ancien élu entrevoit aujourd’hui des limites au mode de financement institué par la France. La première étant la multiplication des partis politiques liée à la générosité du système. Dans son dernier rapport d'activité, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a recensé 609 partis. C’est 3 fois plus qu’il y a 20 ans (200 partis en 2003) et au moins 20 fois plus qu’il y a 30 ans (23 en 1990) ! « Nombreux sont ceux qui souhaitent toucher une partie du magot public en créant une organisation dont ils espèrent qu’elle obtiendra 1% des suffrages exprimés dans 50 circonscriptions », un des deux critères cumulatifs prévus par la loi pour bénéficier d’un financement public, résume l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) dans un article récent.

Autre cause à ce pullulement de (micro-)partis : « une définition juridico-financière minimale dans la Constitution, préjudiciable aux véritables partis politiques français qui ne sont en réalité qu'une quinzaine », souligne René Dosière. « Quelle que soit l’importance et le fonctionnement de ces groupements, ils bénéficient de la protection constitutionnelle, c’est-à-dire de l’absence de tout contrôle sur leur activité », le fonctionnement des partis étant placé sous la bannière de la liberté d’action qui leur est reconnue par l’article 4 de la Constitution.

D’ailleurs, « la CNCCFP ne contrôle pas les comptes de partis politiques. Elle les analyse et les publie mais n'a pas les moyens législatifs du contrôle », rappelle l’ancien élu. « La question de la définition et de la nature juridique des partis n’est pas nouvelle mais en attendant une déclaration constitutionnelle, certes difficile, une loi simple ou organique permettrait de limiter la multiplication des partis », estime le fondateur de l'observatoire de l’éthique publique.

1 % : trop facile !

Pour éviter une addiction à l’aide publique « qui atteint aujourd’hui 55% à 60 % des ressources des partis, voire 90 % pour certains », l’ancien élu invite encore à relever de 1 % à 3 % des suffrages exprimés le seuil des voix à obtenir au premier tour des législatives pour qu’un parti soit financé.

Et René Dosière de se saisir d’un exemple récent pour illustrer cette nécessité. L’élection partielle en Isère, remportée le 19 janvier dernier par le camp présidentiel sur le militant des droits de l’enfant Lyes Louffok investi par LFI, « aboutit à ce que 1 % représente… 300 voix ». « J’ai été élu dans une circonscription de 200 communes. Inutile de vous dire à quel point il est facile de les obtenir », raille-t-il.

À noter qu’en 1989, juste avant l’entrée en vigueur de la loi, il avait été suggéré de monter le seuil à 5 %, mais le Conseil constitutionnel avait censuré la mesure pour protéger « l’expression de nouveaux courants d’idées et d’opinions ».

Relever les plafonds dans la loi ?

Autre piste évoquée par René Dosière pour repenser l’aide publique : encourager la mise à contribution des citoyens au financement des partis politiques. Sous forme de prêts encadrés pendant la période électorale, mais aussi de dons et de crédits d'impôts. Régis Fraisse, conseiller d’Etat et membre de la CNCCFP, abonde, estimant « utile que les citoyens participent autrement que par l’avantage fiscal au financement des partis ».

En matière de prêts, la commission penche pour 50 000 euros par an et par personne physique pour les partis politiques ; 10 000 euros par élection et par personne physique pour les candidats. Quant aux plafonds de dons des particuliers, « ils devraient être modifiés », estime le conseiller d’Etat. « La législation n’a pas été changée depuis 35 ans, alors même que la loi de 2011 prévoit une révision annuelle en fonction de l'inflation. Il serait peut-être temps de relever les plafonds à l'heure où l'argent se fait rare ». 

Un avis que ne partage pas le président de Transparency International France : « Pouvoir donner 7500 euros au parti et 4600 euros à un candidat la même année alors que ces deux dons vont très vraisemblablement atterrir dans le même compte de campagne est problématique. », estime-t-il, avant de se prononcer pour l’interdiction du cumul des dons pendant une année d'élection.

Patrick Lefas estime encore qu’il faut interdire le versement de primes de fin de campagne et le remboursement des dons privés en liquide, actuellement limités à 150 euros. Et ce, à la lumière du procès de l’ex-président Nicolas Sarkozy qui se tient actuellement. « Il ne s'agit évidemment pas de préjuger de ce que seront les conclusions du tribunal, mais dans cette affaire, il y vraisemblablement eu une circulation d’espèces relativement importante. Cela nous amène plutôt à considérer la baisse du plafond des dons en liquide. Aujourd'hui, tout le monde paie avec sa carte de crédit ou son téléphone. 150 euros, me paraisse très élevé ».

Clarifier la loi en matière de dépenses électorales

En matière de dépenses engagées pour une élection, le texte de loi « gagnerait à être plus clair pour éviter des contentieux inutiles », estime enfin Régis Fraisse. « Un candidat obligé de faire garder ses enfants pour participer à une élection ne serait-il pas en droit de penser qu’il s’agit d’une dépense réglementaire comme le dit le Code électoral ? », se demande le conseiller d’État.

Pour dissiper ce flou, la loi pourrait s'inspirer de la définition jurisprudentielle qui ajoute l’adjectif « direct ». Ainsi, une dépense électorale serait « une dépense engagée directement en vue d’obtenir les suffrages des électeurs ». « Ce qui ferait sauter la question du petit déjeuner avec l'équipe de campagne », conclut-il.

Delphine Schiltz


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