Les
procès politico-financiers à l’affiche en ce début d’année peuvent interroger
sur l’efficacité du système de financement français des campagnes et des
partis. Plus de trente ans après les premières lois en la matière, et alors que
la France vient de dégringoler dans l’indice de Transparency International sur
la perception de la corruption, le droit doit-il évoluer ?
25e. Voici le rang auquel se
situe la France dans l’indice de perception de la corruption (IPC) publié ce
mardi 11 février 2025 par l’ONG Transparency International. Un recul sans
précédent de l’Hexagone dans le classement. Dix rangs derrière le voisin allemand.
Moins bien classée que les Émirats arabes unis, un régime pourtant loin d’être
démocratique. Et les affaires politico-financières du cru 2024-2025 n’y sont
pas étrangères.
Procès en cours depuis 2 semaines sur les
soupçons de financement lybien de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, affaire
des assistants parlementaires du RN, campagnes d'Emmanuel Macron et liens présumés avec le
cabinet de conseil McKinsey,... Ces affaires remettent au
centre de l’actualité la question des règles de financement de la vie politique
française.
La Commission nationale des comptes de
campagne et des financements politiques (CNCCFP) s’en est saisie en organisant
fin janvier un colloque au Conseil constitutionnel, en présence notamment de
Patrick Lefas, président de Transparency
International France. Selon une étude d'opinion réalisée par Harris
Interactive fin 2023, indique-t-il, 6 Français sur 10 estiment que les élus et
dirigeants politiques sont corrompus.
Une
législation novatrice en faveur de la transparence…
Pourtant, sur le papier, la France
dispose de l’une des législations les plus avancées en Europe en matière de
financement de la vie politique. Depuis 1988 et à la suite de divers scandales
de financement occultes, plusieurs lois ont été adoptées afin d’assurer la
transparence du financement des partis et des campagnes électorales et de
limiter les risques de corruption : en 2011, 2013, 2017 et 2019.
Une législation « novatrice »
et « un motif de satisfaction
personnelle » pour l’un de ses architectes, René Dosière, président
de l’Observatoire de l’éthique publique, député pendant 25 ans, qui a constaté « l’avancée considérable du financement de
la vie politique en France ». Deux dispositions assurent selon
lui l’exemplarité et l’efficacité de notre système : le plafonnement des
dépenses et le remboursement public de l’apport personnel des candidats. « Ces dispositions permettent d'assurer
l’égalité des candidatures et de limiter les recours aux techniques de
communication les plus coûteuses mais aussi les plus dégradantes ».
…mais
des dérives liées au nombre et à la définition des partis
Mais l’ancien élu entrevoit aujourd’hui
des limites au mode de financement institué par la France. La première étant la
multiplication des partis politiques… liée à la générosité du système. Dans son dernier rapport d'activité, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements
politiques (CNCCFP) a recensé 609
partis. C’est 3 fois plus qu’il y a 20 ans (200 partis en 2003) et au moins 20 fois plus qu’il y a 30 ans (23 en 1990)
! « Nombreux
sont ceux qui souhaitent toucher une partie du magot public en créant une
organisation dont ils espèrent qu’elle obtiendra 1% des suffrages exprimés dans
50 circonscriptions », un des deux critères
cumulatifs prévus par la loi pour bénéficier d’un financement public, résume l’Institut de recherches
économiques et fiscales (IREF) dans un article récent.
Autre cause à ce pullulement de
(micro-)partis : « une définition
juridico-financière minimale dans la Constitution, préjudiciable
aux véritables partis politiques français qui ne sont en réalité qu'une
quinzaine », souligne René Dosière. « Quelle que soit l’importance et le
fonctionnement de ces groupements, ils bénéficient de la protection
constitutionnelle, c’est-à-dire de l’absence de tout contrôle sur leur activité
», le fonctionnement
des partis étant placé sous la bannière de la liberté d’action qui leur est
reconnue par l’article 4 de la Constitution.
D’ailleurs, « la CNCCFP ne contrôle pas les comptes de partis
politiques. Elle les analyse et les publie mais n'a pas les moyens législatifs
du contrôle »,
rappelle l’ancien élu. « La question de la définition et de la nature juridique des partis n’est
pas nouvelle mais en attendant une déclaration constitutionnelle, certes
difficile, une loi simple ou organique permettrait de limiter la multiplication
des partis », estime le fondateur de l'observatoire de l’éthique publique.
1 % : trop facile !
Pour
éviter une addiction à l’aide publique « qui
atteint aujourd’hui 55% à 60 % des ressources des partis, voire 90 % pour
certains », l’ancien élu invite encore à relever de 1 % à 3 % des suffrages
exprimés le seuil des voix à obtenir au premier tour des législatives pour
qu’un parti soit financé.
Et
René Dosière de se saisir d’un exemple récent pour illustrer cette nécessité.
L’élection partielle en Isère, remportée le 19 janvier dernier par le camp
présidentiel sur le militant des droits de l’enfant Lyes Louffok investi par
LFI, « aboutit à ce que 1 % représente…
300 voix ». « J’ai été élu dans une circonscription de 200 communes.
Inutile de vous dire à quel point il est facile de les obtenir »,
raille-t-il.
À
noter qu’en 1989, juste avant l’entrée en vigueur de la loi, il avait été
suggéré de monter le seuil à 5 %, mais le Conseil constitutionnel avait censuré la mesure pour protéger « l’expression de nouveaux courants d’idées et d’opinions ».
Relever les plafonds dans la loi ?
Autre
piste évoquée par René Dosière pour repenser l’aide publique : encourager la
mise à contribution des citoyens au financement des partis politiques. Sous
forme de prêts encadrés pendant la période électorale, mais aussi de dons et de
crédits d'impôts. Régis Fraisse, conseiller d’Etat et membre de la CNCCFP, abonde,
estimant « utile que les citoyens
participent autrement que par l’avantage fiscal au financement des partis ».
En
matière de prêts, la commission penche pour 50 000 euros par an et par personne
physique pour les partis politiques ; 10 000 euros par élection et par personne
physique pour les candidats. Quant aux plafonds de dons des particuliers, « ils devraient être modifiés », estime le
conseiller d’Etat. « La législation n’a
pas été changée depuis 35 ans, alors même que la loi de 2011 prévoit une
révision annuelle en fonction de l'inflation. Il serait peut-être temps de
relever les plafonds à l'heure où l'argent se fait rare ».
Un
avis que ne partage pas le président de Transparency
International France : « Pouvoir
donner 7500 euros au parti et 4600 euros à un candidat la même année alors que
ces deux dons vont très vraisemblablement atterrir dans le même compte de
campagne est problématique. », estime-t-il, avant de se prononcer pour
l’interdiction du cumul des dons pendant une année d'élection.
Patrick
Lefas estime encore qu’il faut interdire le versement de primes de fin de
campagne et le remboursement des dons privés en liquide, actuellement limités à
150 euros. Et ce, à la lumière du procès de l’ex-président Nicolas Sarkozy qui
se tient actuellement. « Il ne
s'agit évidemment pas de préjuger de ce que seront les conclusions du tribunal,
mais dans cette affaire, il y vraisemblablement eu une circulation d’espèces
relativement importante. Cela nous amène plutôt à considérer la baisse du
plafond des dons en liquide. Aujourd'hui, tout le monde paie avec sa carte de
crédit ou son téléphone. 150 euros, me paraisse très élevé ».
Clarifier la loi en matière de dépenses
électorales
En
matière de dépenses engagées pour une élection, le texte de loi « gagnerait à être plus clair pour éviter des
contentieux inutiles », estime enfin Régis Fraisse. « Un candidat obligé de faire garder ses enfants pour participer à une
élection ne serait-il pas en droit de penser qu’il s’agit d’une dépense
réglementaire comme le dit le Code électoral ? », se demande le conseiller
d’État.
Pour
dissiper ce flou, la loi pourrait s'inspirer de la définition jurisprudentielle
qui ajoute l’adjectif « direct ». Ainsi, une dépense électorale serait « une dépense engagée directement en vue
d’obtenir les suffrages des électeurs ». « Ce qui ferait sauter la question du petit déjeuner avec l'équipe de
campagne », conclut-il.
Delphine Schiltz