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Agritech : risques et opportunités

Agritech : risques et opportunités
Publié le 16/07/2020 à 10:30
Webinar Haas Avocats et Vuca Strategy - 18 juin 2020


Chacun dans sa spécialité, Gérard Haas, avocat au barreau de Paris, et Jean-Paul Crenn, à la tête de Vuca Strategy, accompagnent et conseillent des entrepreneurs du secteur numérique. Ensemble, ils nous proposent un tour d’horizon de l’impact du digital pour l’agriculture.


Capteur météo, piège à insectes, équipement connecté, technique d’identification ou de sélection du cheptel, l’Agritech se définit comme l’application de la technologie au monde agricole. Elle offre une multitude d’informations accessibles tant au producteur qu’au consommateur. Elle profite d’investissements conséquents en Chine ou aux États-Unis, tandis qu’en France, seul 1 % des parcelles sont à ce jour traitées avec les outils high tech de l’agriculture de précision.


Si l’on observe les accès à Internet du monde agricole, en mars 2020 comme en 2019, un pic de connexion s’amorce nettement mais, à la différence de l’an passé, il ne va pas à son terme et se conclut par une chute brutale. Les outils agricoles digitaux ont été très sollicités pendant la période de confinement due à l’épidémie de la Covid-19. Rappelons que si l’on divise la population française en catégories socioprofessionnelles, le taux le plus élevé de possession d’un mobile au sein de celles-ci revient aux agriculteurs (>70 %).


 


Les plateformes


Le développement des plateformes offre l’opportunité de mettre en place la protection du savoir-vivre, c’est-à-dire les valeurs traditionnelles liées à l’exploitation de la terre. Elles sont accompagnées d’un savoir-faire qui peut être enregistré sous forme de data protégeables. Une plateforme est un intermédiaire entre les acteurs du marché (fabricant de machine-outil, exploitant, consommateur, etc.) qui produisent des données. Mais qui possède ces données ? Qui est fondé à les utiliser ? Celui qui rend possible leur collecte, celui qui les émet ?


Légalement, une plateforme opère en tant que courtier dans une relation commerciale, rappelle Gérard Haas. Le 25 mai 2012, la cour d’appel de Paris a rendu une décision qui reconnaît le statut de courtier à une plateforme, considérant trois critères : sa mise en relation de plusieurs personnes désireuses de conclure une convention ; son action dans l’intérêt des parties qui restent libres de leurs engagements selon des modalités définies par elles-mêmes ; son contrat de type entreprise et non de type mandat. Point essentiel, en termes de responsabilité, s’agit-il d’un hébergeur ou bien d’un éditeur ? L’hébergeur, passif, n’intervient pas sur les contenus. Sa responsabilité est limitée. Elle n’est engagée que s’il ne réagit pas instamment à une notification faisant suite à un contenu qu’il accueille, considéré comme illicite. A contrario, à partir du moment où une plateforme s’occupe des contenus, avec par exemple un service de modération, elle ne peut plus se prétendre passive. Elle accède au statut d’éditeur.


La loi sur l’économie numérique fixe le cadre réglementaire de la plateforme. Elle doit délivrer une information claire, loyale, transparente, satisfaire à des obligations fiscales et respecter une gouvernance des données. En outre, il lui faut une structure contractuelle (conditions générales de vente, d’utilisation, politique de confidentialité…)


 


Agritech et IA


Les algorithmes travaillent par exemple sur la reconnaissance d’images capturées par des satellites ou encore construisent des systèmes autoapprenants pour améliorer l’activité agricole. Biocide, traçabilité des produits, insecticide, les grandes compagnies investissent dans les start-up de ce marché. Quelques années ont passé depuis la mode de la délégation à un tiers des services numériques d’une ferme ; formule qui rendait difficile la valorisation d’un fonds de commerce et la détermination de son propriétaire. La transition informatique s’est déployée des années 1950 aux années 1990. Elle a préparé le terrain de la transformation numérique. Puis sont arrivés le traitement des données en masse et, en dernier lieu, l’intelligence artificielle.


Là encore se pose la question de la propriété. L’algorithme constitue une suite logique, de l’ordre des idées, qui ne se protège pas. De même, la formule mathématique ne connaît ni brevet, ni protection. Le code source peut bénéficier d’une protection, mais pas le code objet. Les jeux de data peuvent se protéger, c’est notamment le cas en matière de machine learning. Cependant, en définitive, à qui reviennent les résultats d’exploitation de la data ?


Aux États-Unis d’abord et maintenant en Europe, l’achat d’un tracteur ne signifie pas automatiquement posséder son système électronique, qui reste supervisé par son vendeur, note Jean-Paul Crenn. La machine est connectée d’office sans que son utilisateur puisse directement accéder aux informations qu’elle relève. Elle dépend du fabricant et de la maintenance commercialisée par ce dernier. En réaction, les agriculteurs qui refusent cet asservissement par défaut ont créé un mouvement rebelle à la collecte imposée de leurs données et de leur savoir-faire. Ils libèrent les équipements de cette mainmise.


Les données agricoles sont soit personnelles, c’est-à-dire relatives à un algorithme, un savoir-faire, à l’environnement, à un exploitant, ou bien elles sont publiques (open data). Deux voies s’ouvrent à la protection du savoir-faire, celle du secret des affaires (pour les informations à valeur commerciale) en se référant à l’article L. 151-1 du Code de commerce, et celle du secret de fabrication (articles 621-1 du Code de la propriété intellectuelle et 1227-1 du Code du travail). Sont concernés les méthodes de travail, les procédés de fabrication, les techniques de production, les développements informatiques, les bases de données, etc. La protection permet de prévenir les atteintes, de les faire cesser et de demander réparation le cas échéant. Pour les bases de données en particulier, le droit d’auteur s’applique s’il s’agit d’une création originale. Sinon, on se tourne vers une protection sui generis contractualisée, dans la mesure où il existe une structure composée de moyens financiers, humains et matériels. La base identifie les auteurs et les titulaires des droits.


 


La chaine de valeur


Du point de vue de l’agriculteur, son processus d’achat montre des spécificités liées au financement, au système coopératif à la fois client et fournisseur. Cette chaîne peut être désarticulée par les high tech qui, dès lors, apparaissent tant comme une opportunité que comme une menace. Le modèle économique de l’exploitant dépend de l’équilibre entre trois points : la valeur créée pour lui-même par son activité, ce que lui coûte cette valeur ainsi que les autres valeurs qu’elle détruit. Quel que soit le secteur d’activité, la chaîne de valeur « évaluer-choisir-financer-acheter-vendre-consommer » se retrouve. Ses maillons traditionnellement connexes sont dissociables. En général, les coûts annexes (service, conseil, essai) sont invisibles, inclus dans celui du produit. En les séparant du prix de transaction du produit, le paradigme change toutes les étapes, qui finissent monétisées. Un maillon faible risque d’être concurrencé par un acteur spécialisé qui, par exemple, proposerait uniquement des pièces détachées à moindre coût. Du fait du digital, ces concurrents hyper concentrés sur une étape brisent les liens entre des activités auparavant soudées. Ils se focalisent sur des produits ou des services spécifiques. Les modèles économiques antérieurs y perdent potentiellement leur équilibre. Conserver l’intégralité d’une chaîne de valeur auprès de son portefeuille de clients devient plus ardu.


Pour Jean-Paul Crenn, c’est l’agriculteur qui disrupte le marché, pas la start-up. Comme tout chef d’entreprise, il recherche l’intérêt économique de son affaire à court et à long terme. Dans cette optique, il a tendance à privilégier la triple réduction argent-temps-effort.


C2M


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