Webinar Haas Avocats et Vuca Strategy - 18 juin 2020
Chacun dans sa spécialité, Gérard Haas, avocat au barreau de Paris, et Jean-Paul
Crenn, à la tête de Vuca Strategy, accompagnent et conseillent des
entrepreneurs du secteur numérique. Ensemble, ils nous proposent un tour
d’horizon de l’impact du digital pour l’agriculture.
Capteur météo, piège à insectes, équipement connecté, technique
d’identification ou de sélection du cheptel, l’Agritech se définit comme
l’application de la technologie au monde agricole. Elle offre une multitude
d’informations accessibles tant au producteur qu’au consommateur. Elle profite
d’investissements conséquents en Chine ou aux États-Unis, tandis qu’en France,
seul 1 % des parcelles sont à ce jour traitées avec les outils high tech de
l’agriculture de précision.
Si l’on observe les accès à Internet du monde agricole, en mars 2020 comme
en 2019, un pic de connexion s’amorce nettement mais, à la différence de l’an
passé, il ne va pas à son terme et se conclut par une chute brutale. Les outils
agricoles digitaux ont été très sollicités pendant la période de confinement
due à l’épidémie de la Covid-19. Rappelons que si l’on divise la population
française en catégories socioprofessionnelles, le taux le plus élevé de
possession d’un mobile au sein de celles-ci revient aux agriculteurs (>70
%).
Les plateformes
Le développement des plateformes offre l’opportunité de mettre en place la
protection du savoir-vivre, c’est-à-dire les valeurs traditionnelles liées à
l’exploitation de la terre. Elles sont accompagnées d’un savoir-faire qui peut
être enregistré sous forme de data protégeables. Une plateforme est un
intermédiaire entre les acteurs du marché (fabricant de machine-outil,
exploitant, consommateur, etc.) qui produisent des données. Mais qui possède
ces données ? Qui est fondé à les utiliser ? Celui qui rend possible leur
collecte, celui qui les émet ?
Légalement, une plateforme opère en tant que courtier dans une relation
commerciale, rappelle Gérard Haas. Le 25 mai 2012, la cour d’appel de Paris a
rendu une décision qui reconnaît le statut de courtier à une plateforme,
considérant trois critères : sa mise en relation de plusieurs personnes
désireuses de conclure une convention ; son action dans l’intérêt des parties
qui restent libres de leurs engagements selon des modalités définies par
elles-mêmes ; son contrat de type entreprise et non de type mandat. Point
essentiel, en termes de responsabilité, s’agit-il d’un hébergeur ou bien d’un
éditeur ? L’hébergeur, passif, n’intervient pas sur les contenus. Sa
responsabilité est limitée. Elle n’est engagée que s’il ne réagit pas
instamment à une notification faisant suite à un contenu qu’il accueille,
considéré comme illicite. A contrario, à partir du moment où une plateforme
s’occupe des contenus, avec par exemple un service de modération, elle ne peut
plus se prétendre passive. Elle accède au statut d’éditeur.
La loi sur l’économie numérique fixe le cadre réglementaire de la
plateforme. Elle doit délivrer une information claire, loyale, transparente,
satisfaire à des obligations fiscales et respecter une gouvernance des données.
En outre, il lui faut une structure contractuelle (conditions générales de
vente, d’utilisation, politique de confidentialité…)
Agritech et IA
Les algorithmes travaillent par exemple sur la reconnaissance d’images
capturées par des satellites ou encore construisent des systèmes autoapprenants
pour améliorer l’activité agricole. Biocide, traçabilité des produits,
insecticide, les grandes compagnies investissent dans les start-up de ce
marché. Quelques années ont passé depuis la mode de la délégation à un tiers
des services numériques d’une ferme ; formule qui rendait difficile la
valorisation d’un fonds de commerce et la détermination de son propriétaire. La
transition informatique s’est déployée des années 1950 aux années 1990. Elle a
préparé le terrain de la transformation numérique. Puis sont arrivés le
traitement des données en masse et, en dernier lieu, l’intelligence
artificielle.
Là encore se pose la question de la propriété. L’algorithme constitue une
suite logique, de l’ordre des idées, qui ne se protège pas. De même, la formule
mathématique ne connaît ni brevet, ni protection. Le code source peut
bénéficier d’une protection, mais pas le code objet. Les jeux de data peuvent
se protéger, c’est notamment le cas en matière de machine learning. Cependant,
en définitive, à qui reviennent les résultats d’exploitation de la data ?
Aux États-Unis d’abord et maintenant en Europe, l’achat d’un tracteur ne
signifie pas automatiquement posséder son système électronique, qui reste
supervisé par son vendeur, note Jean-Paul Crenn. La machine est connectée
d’office sans que son utilisateur puisse directement accéder aux informations
qu’elle relève. Elle dépend du fabricant et de la maintenance commercialisée
par ce dernier. En réaction, les agriculteurs qui refusent cet asservissement
par défaut ont créé un mouvement rebelle à la collecte imposée de leurs données
et de leur savoir-faire. Ils libèrent les équipements de cette mainmise.
Les données agricoles sont soit personnelles, c’est-à-dire relatives à un
algorithme, un savoir-faire, à l’environnement, à un exploitant, ou bien elles
sont publiques (open data). Deux voies s’ouvrent à la protection du
savoir-faire, celle du secret des affaires (pour les informations à valeur
commerciale) en se référant à l’article L. 151-1 du Code de commerce, et celle
du secret de fabrication (articles 621-1 du Code de la propriété intellectuelle
et 1227-1 du Code du travail). Sont concernés les méthodes de travail, les
procédés de fabrication, les techniques de production, les développements
informatiques, les bases de données, etc. La protection permet de prévenir les
atteintes, de les faire cesser et de demander réparation le cas échéant. Pour
les bases de données en particulier, le droit d’auteur s’applique s’il s’agit
d’une création originale. Sinon, on se tourne vers une protection sui generis
contractualisée, dans la mesure où il existe une structure composée de moyens
financiers, humains et matériels. La base identifie les auteurs et les
titulaires des droits.
La chaine de valeur
Du point de vue de l’agriculteur, son processus d’achat montre des
spécificités liées au financement, au système coopératif à la fois client et
fournisseur. Cette chaîne peut être désarticulée par les high tech qui, dès
lors, apparaissent tant comme une opportunité que comme une menace. Le modèle
économique de l’exploitant dépend de l’équilibre entre trois points : la valeur
créée pour lui-même par son activité, ce que lui coûte cette valeur ainsi que
les autres valeurs qu’elle détruit. Quel que soit le secteur d’activité, la
chaîne de valeur « évaluer-choisir-financer-acheter-vendre-consommer
» se retrouve. Ses maillons traditionnellement connexes sont dissociables. En
général, les coûts annexes (service, conseil, essai) sont invisibles, inclus
dans celui du produit. En les séparant du prix de transaction du produit, le
paradigme change toutes les étapes, qui finissent monétisées. Un maillon faible
risque d’être concurrencé par un acteur spécialisé qui, par exemple,
proposerait uniquement des pièces détachées à moindre coût. Du fait du digital,
ces concurrents hyper concentrés sur une étape brisent les liens entre des
activités auparavant soudées. Ils se focalisent sur des produits ou des
services spécifiques. Les modèles économiques antérieurs y perdent
potentiellement leur équilibre. Conserver l’intégralité d’une chaîne de valeur
auprès de son portefeuille de clients devient plus ardu.
Pour Jean-Paul Crenn, c’est l’agriculteur qui disrupte le marché, pas la
start-up. Comme tout chef d’entreprise, il recherche l’intérêt économique de
son affaire à court et à long terme. Dans cette optique, il a tendance à
privilégier la triple réduction argent-temps-effort.
C2M