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Angélique Gérard du groupe ILIAD : « La complémentarité de l’intelligence artificielle et des émotions humaines, un mariage qui fait des miracles »

Angélique Gérard du groupe ILIAD : « La complémentarité de l’intelligence artificielle et des émotions humaines, un mariage qui fait des miracles »
Publié le 21/04/2022 à 09:45

Difficile de dresser un portrait fidèle d’Angélique Gérard tant son parcours est riche et ses casquettes multiples. Diplômée de l’INSEAD, Angélique Gérard a dirigé pendant 22 ans la relation abonné Free avant d’être aujourd’hui conseillère spéciale du président Niel du Groupe ILIAD. Elle préside également neuf filiales, est membre du comité exécutif d’ILIAD (holding), dont elle dirigeante-fondatrice, et est aussi conférencière et business angel. Chevalier de l’Ordre national du Mérite, Angélique Gérard, très engagée, est également l’auteure de Pour la fin du sexisme - Le Féminisme à l’ère post #Metoo (Eyrolles). Entretien avec une femme aussi brillante qu’inspirante.






Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

J’ai été, pendant 22 belles années, au sein du groupe Iliad, directrice de la Relation Client de Free et Free Mobile, présidente de neuf filiales du Groupe, et membre du comité exécutif d’Iliad.

Après quatre années passées chez l’opérateur historique en tant qu’ingénieure commerciale, j’ai intégré le Groupe Iliad en 2000. Dès lors, je me suis attelée à créer l’omnicanalité, les parcours client, la data, les centres de contact du Groupe, au fur et à mesure du dimensionnement de nos équipes lié à notre développement (Free Mobile, nouvelles offres Freebox) et à l’intégration des ressources après chaque rachat (OneTel, Alice). J’ai grandi avec Free, et me suis attachée à créer et maintenir une culture solide, qui parvienne à souder celles et ceux qui font Free, la grande famille de FreeHelpers, et à ancrer des valeurs de confiance, de bienveillance et d’entraide, en misant très tôt sur une stratégie décisive liée à la Symétrie des Attentions, mêlant subtilement intelligence collective et autonomie.

 

 

Ancienne directrice des relations Abonnés d’Iliad/Free, votre nouveau poste consiste à accompagner le groupe sur des enjeux stratégiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Je suis effectivement en charge de la stratégie digitale dans le cadre de notre plan Odyssée 2024, et les travaux liés à ce plan sont confidentiels.

 

 

Que retenez-vous de ces 20 années passées à la relation client ?

Outre des rencontres aussi incroyables qu’indélébiles, ce sont des révélations humaines. Savoir donner sa confiance et la recevoir en retour, savoir se remettre en question et interroger le collectif, s’entourer d’une communauté inspirante pour avancer plus vite et plus forts, cultiver son ouverture d’esprit, pour rester éveillés sur les tendances, les talents, les idées et les richesses qui nous entourent.

Je retiens par ailleurs des constats déterminants, comme celui de la puissance des alliances et des synergies. La complémentarité de l’intelligence artificielle et des émotions humaines par exemple, un mariage qui fait des miracles. L’évolution des usages en omnicanal également, avec des utilisateurs qui sont aujourd’hui présents partout, notamment avec l’émergence des réseaux sociaux. Cela fait 20 ans que j’entends que le contact téléphonique est mort, et que tous ces nouveaux usages vont le remplacer.

On constate que, plus le temps passe, plus les nouveaux modes de communication apparaissent, et plus le téléphone s’affirme dans nos professions comme le canal de contact n° 1, le moyen de communiquer privilégié des clients.

Dans tous les domaines, lorsqu’un nouvel usage apparaît, il n’est pas systématiquement remplaçant, il peut être complémentaire, s’ajouter à un panel de solutions, et donc apporter de la valeur sans supprimer l’existant. C’est cela, pour moi, la véritable innovation.

 







 

Vous parliez de la stratégie de la Symétrie des Attentions. De quoi s’agit-il ?

Si j’ai bien une fierté, c’est d’avoir guidé nos initiatives pour maintenir l’humain, coûte que coûte, dans tout ce qui a été entrepris, d’avoir porté ce projet d’entreprise en suivant une vision qui avait du sens pour mes collaboratrices et collaborateurs, d’avoir soutenu des victoires qui ont fait de Free l’opérateur le plus primé de son secteur sur l’expérience collaborateur et abonné, à travers un plan stratégique portant sur l’Excellence Relationnelle.

Les taux de satisfaction abonnés et collaborateurs sont intrinsèquement liés, c’est une conviction. « équipes enchantées » rime avec « abonnés satisfaits » ! Cette logique a été intégrée très tôt au sein de la Direction de la Relation Abonnés de Free, et jusque dans notre culture de service. Tout l’enjeu consiste donc à se demander ce que nous souhaitons transmettre aux utilisateurs. Ce sont les concepts de satisfaction, d’humanité, d’intelligence émotionnelle et collective qui gravitent autour de l’axe stratégique. Une intelligence systématiquement transversale qui est appliquée à un maximum de projets, afin que l’innovation collaborative confère une dimension humaine à l’ensemble des démarches, y compris au plan Qualité. C’est un succès : la diversité est cultivée et les équipes s’enrichissent à travers la mixité des unités, des fonctions et des personnalités de chacun, grâce à un management à l’écoute et à des pôles, dont l’organisation garantit aux équipes communication, fluidité et proximité.

Et ce que nous partageons entre nous transparaît naturellement lors de nos échanges avec nos Freenautes ; les mesures ont très rapidement confirmé l’impact de cet effet miroir. C’est toute cette stratégie d’entreprise qui gravite autour de la politique du Freenaute First et apporte la valeur indispensable à l’équilibre de nos missions.

 

 

Comment votre service Relation Client s’est-il adapté à la crise sanitaire ? Et quels enseignements en tirez-vous ?

Cela fait presque trois ans que nous sommes en crise, il apparaît donc évident que les modifications apportées aux structures perdurent et ne soient pas utilisées de façon temporaire. Dans tous les aspects de nos vies, rien ne sera jamais plus comme avant. D’autant plus que cet impact, au-delà du caractère douloureux de la transition et du contexte médical, me paraît positif dans le changement d’attitude et de perception qu’il apporte. C’est dans les épreuves les plus difficiles, avec des décisions prises dans l’urgence, que les entreprises révèlent le meilleur d’elles-mêmes.

 

 

« Si j’ai bien une fierté, c’est d’avoir guidé nos initiatives pour maintenir l’humain, coûte que coûte, dans tout ce qui a été entrepris. »

 

 

La manière dont nous avons géré la crise au sein des entreprises que j’ai dirigées m’a permis d’appréhender l’après-crise sereinement, malgré le caractère anxiogène qu’elle implique. J’ai pu tirer des enseignements sur l’agilité de notre organisation et son caractère auto-apprenant. Nous avons permis de placer en télétravail plus de 1 000 collaborateurs en trois jours, un plan d’action que nous n’avions jamais activé auparavant. Une véritable réussite qui en dit long sur nos possibilités d’adaptation et de réactivité en intelligence collective. Chaque changement peut être appréhendé avec beaucoup plus de tranquillité d’esprit et de confiance en nos capacités de rebond.

L’importance de l’anticipation est aussi un enseignement à tirer. Nous avions initié un plan de continuité dès le 15 février 2020, et un plan de prévention dans les jours qui ont suivi. Cette capacité à être pro-actifs nous a permis de réagir avec un minimum de recul et sans panique.

Il en est de même pour ce qui est de l’avance prise sur le développement du digital dans nos entreprises. Au-delà du fait que le digital fasse partie de l’ADN Free, nos organisations s’appuient depuis toujours sur des outils numériques développés sur mesure en interne, s’adressant aussi bien aux abonnés qu’aux collaboratrices et collaborateurs. La question de la transformation digitale est centrale depuis longtemps déjà pour l’évolution des entreprises. Le constat d’obligation pour les dirigeant.e.s de travailler sérieusement sur des transformations de fond pour ne pas être relégué au second plan économique a pris tout son sens avec la crise sanitaire. Tout s’est soudainement accéléré, comme pour signaler qu’il fallait y être préparé. Les organisations qui ont pris du retard sur la digitalisation de leurs services et outils sont définitivement distancées. Les entreprises qui ont investi le digital en amont profitent actuellement de cette capitalisation depuis trois à cinq ans au minimum.

Tout ceci laissera sans doute des traces indélébiles dans notre manière de fonctionner : avec moins de freins au changement dans nos organisations, nous exécutons plus rapidement, un process évoluera plus rapidement par exemple. Le cap est donné et suivi avec d’excellents résultats et beaucoup d’implication. C’est souvent lorsque nous n’avons plus le choix de changer qu’on expérimente ce qui nous semblait impossible. Le télétravail est l’exemple par excellence de cette expérience inédite. Le dispositif est totalement réalisable pour l’ensemble des équipes qui jouent parfaitement le jeu ! Mais cela va au-delà du bon fonctionnement : il s’avère que la productivité est même meilleure et les réunions plus efficaces, car elles peuvent démarrer et se terminer à l’heure.

En somme, prendre le temps de créer une politique d’entreprise qui repose sur un socle commun est l’étape indispensable, incontournable d’un système pérenne. C’est tout sauf du fake : on en sort renforcé pour affronter la crise, on prend conscience que c’est ce socle qui nous porte, on est aligné sur les mêmes valeurs. Et ce n’est même pas de la résistance à la crise, c’est une traversée de crise presque sans difficulté.

 

 

Quel manager êtes-vous ?

Ce qu’on dit de moi : je suis une manager enthousiaste, volontaire, disponible, à l’écoute et très exigeante en matière de performances.

Je pense être alignée avec ce profil ; je définirais d’ailleurs mon leadership en trois mots : vision, conviction et humanité. Toujours transmettre sa vision avec passion et bienveillance. Comme un logiciel, le leadership est pour moi la dernière version du management classique. Les façons que nous avons de communiquer, de consommer et de travailler évoluent rapidement ; de la même manière, les codes du management tel qu’on le connaît ont changé. Nous avons quitté le schéma vertical, très hiérarchique et sans création de valeur. Le « petit chef » autoritaire qui s’imposait souvent par la force a laissé place au leader inspiré et inspirant. Je me sens tout à fait à ma place et dans mon époque.

J’estime donc que mon rôle de leader est avant tout d’inspirer. Par la force des choses, on inspire différents publics selon les périodes et les endroits où nous nous trouvons. Je pense donc qu’il faut constamment agir en planneur.euse stratégique en maintenant une veille concernant les changements qui s’opèrent dans la société et la vie publique afin de se trouver en situation d’anticipation permanente et dans les meilleures conditions pour communiquer sur sa vision.

 

 

Quelles sont selon vous les qualités nécessaires pour être à un bon manager ?

Comme je l’évoquais, l’équipe n’est plus au service d’un chef : le.la manager se met au service de son équipe et de l’innovation en entreprise ! Le.la manager est aujourd’hui libéré.e des codes obsolètes et peut s’appuyer sur son intelligence émotionnelle pour innover avec ses équipes, en mettant en place des stratégies faisant appel aux systèmes collaboratifs par exemple. Le.la responsable fait désormais partie de l’équipe, inspire et fait confiance. La vision est bien plus horizontale, et tout fonctionne, de fait, plus rapidement. Les échanges sont plus spontanés et détendus ; les équipes ont la latitude nécessaire pour faire vivre leur créativité, et rester innovantes et productives.

Aujourd’hui, ce sont les collaborateur.trices qui choisissent leur entreprise, et adopter une telle stratégie envoie un message fort en termes de sincérité et de confort sur le lieu de travail. Les résultats se ressentent directement sur la productivité et la qualité de l’engagement de chacun.

Finalement, être un bon manager, c’est se sentir aligné avec ce qu’on offre aux autres au quotidien. C’est avoir des convictions, une ligne de conduite, et ne pas se laisser distraire, y croire sans relâche malgré les vents contraires. C’est aussi savoir inclure ses équipes dans la réflexion pour garder constamment l’esprit ouvert au changement.

Enfin, c’est agir dans le sens de ce qui nous ressemble, sans jamais travestir ses idées pour satisfaire ou faire plaisir. Rester soi-même, tout en s’adaptant aux périodes, aux personnes qui nous entourent, aux nouveaux usages et aux évolutions. Et avoir le courage aussi parfois d’être pionnier du changement.

 

 

Vous êtes également administratrice indépendante. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’occupe effectivement actuellement plusieurs postes. Un mandat pour Big Ben Interactive dans l’industrie des loisirs numériques. Je suis également personnalité qualifiée au sein du conseil de gérance de l’Association Familiale Mulliez, et membre de l’advisory board de Petale Group dans la FinTech.

Je suis par ailleurs administratrice à l’Association française de la relation client (AFRC), et poursuis mes activités de Business Angel, avec une thèse d’investissement qui se porte aujourd’hui uniquement sur l’agri et l’agrotech, afin de répondre aux grands défis humanitaires et environnementaux de demain. L’agroalimentaire me paraît en effet être le secteur qui a le plus besoin de solutions innovantes, pour lui faire passer une nouvelle étape et répondre à des besoins grandissants en termes de qualité et de quantité.

Pour finir, ce qui est le plus fondamental pour moi, c’est le fait de pouvoir transmettre mes aptitudes et mes connaissances, donner ce que je n’ai pas eu la chance d’avoir au début de ma carrière. C’est la mission de mentor, pour laquelle on me fait confiance au sein de la puissante organisation Led by Her, qui m’a permis de concrétiser ce désir en m’offrant d’accompagner des entrepreneuses talentueuses aux profils et activités variées.

L’idée de participer au développement de l’écosystème français est véritablement dynamisante, et, chose qui me touche particulièrement, je sais qu’on vient me solliciter pour bénéficier de mon intuition et de mon expérience en tant que femme. Ces activités m’apportent une véritable oxygénation intellectuelle et la dose d’inspiration dont j’ai besoin ; elles sont l’occasion de me challenger en jonglant avec de nombreux sujets, et d’être impliquée dans des secteurs différents et innovants, où je peux apporter mon expertise et ma vision extérieure.

 

 

Vous êtes engagée pour l’égalité femme/homme ? Quel regard portez-vous sur le leadership au féminin ?

Je ne pense pas qu’on puisse parler de leadership au masculin ou au féminin. Les notions se confondent aujourd’hui, contrairement à la situation d’il y a 15 ou 20 ans, époque où cette notion de leadership au féminin a émergé par manque de femmes leaders sur le marché du travail. Cela montre le chemin parcouru en termes d’évolution des mentalités vis-à-vis de la place de la femme dans l’entreprise. Le fait de mettre en avant de supposées différences de personnalités et d’attitudes en fonction du sexe ne fait qu’accentuer les stéréotypes qu’il faut combattre. Les traits de caractère sont propres à chaque leader, indépendamment de son sexe. Les dirigeants à l’écoute, sensibles et empathiques, ou bien les dirigeantes qui parlent fort, qui ont de la poigne et une grande confiance en elles, existent bel et bien. Le leadership n’est pas genré, il correspond à une posture qui va au-delà du sexe de celui ou de celle qui l’incarne.

Je parlerais donc plutôt de standards de leadership. Au-delà d’une question de sexe, le concept de leadership dépend au départ des notions de personnalité, de vision, de charisme, et c’est souvent les équipes elles-mêmes qui permettent de faire naître un leader et de le construire.

En tant que dirigeante, il faut jouer des coudes au quotidien pour se faire sa place et la conserver ; en tant qu’entrepreneuse, on ressent qu’il faut convaincre deux fois plus pour être crédible, même lorsque le thème de notre projet ne concerne pas les hommes directement ; en tant que business angel aussi, reprendre les propos et attitudes sexistes, se battre contre les stéréotypes pratiquement à chaque rendez-vous. Mon challenge en tant que dirigeante est d’ouvrir la voie, montrer aux femmes que l’égalité est possible, qu’il ne faut pas renoncer à s’imposer !

Le combat pour que les femmes soient plus présentes dans l’univers numérique me touche particulièrement. Une étude du réseau Grandes Écoles au Féminin a démontré que la notion de mixité est jugée indissociable de la performance, mais aussi de la capacité de changement. Les entreprises se rapprochant le plus de la parité bénéficient d’un effet vertueux : process de promotion repensés et remaniés, plus d’agilité, donc plus d’efficacité et de productivité !

 

Propos recueillis par Cécile Leseur et Constance Périn

 

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