Votées à main levée par les
congressistes présents à Bordeaux, ces propositions, qui entendent appréhender
au mieux les risques naturels et environnementaux à l’échelle du droit, tout en
assouplissant les procédures en matière d’urbanisme, ont été accompagnées de la
formulation d’une « ambition commune » complémentaire, divulguée en
fin de congrès.
« Le notariat doit
assumer sa responsabilité, face au plus grand défi de l'histoire de l'humanité ».
D’une voix émue, Elise Carpentier, professeur agrégé de droit public à l’Université
d'Aix-Marseille désignée comme rapporteuse, achevait vendredi soir à Bordeaux l’exercice
de la « synthèse scientifique », qu’elle a souhaité ponctué, tout du
long, d’allégories arboricoles bien trouvées. La Constitution vue comme une
« sève brute », les travaux réalisés sur deux années par les
équipes du CSN associés au « tronc, la partie la plus dense de l’arbre »,
les acteurs institutionnels considérés comme des branches...
Indéniablement, la
professeure de droit n’a pas hésité à user de lyrisme et de références
philosophiques pour poser un point final à la hauteur de ce rendez-vous
historique, animé par un CSN convaincu et volontaire. Car l’événement, qui a
réuni pendant quatre jours plus de 4 000 professionnels en lien avec le
notariat, a été recouvert d’une couche de peinture résolument verte, à l’instar
des douze propositions évoquées pendant deux jours, toutes soumises au vote du
public et toutes acceptées, à l’unanimité.
Déclinée en trois commissions
aux intitulés fédérateurs (anticiper, convaincre, réaliser), la
thématique de « l’urbanisme durable » souhaitait emprunter « un
changement de cap urgent », en portant à la discussion des idées
« frappées du sceau du renouveau et officialisant l’entrée de
notre droit de l’urbanisme, plus généralement de notre droit du sol, dans l’ère
de la post-modernité », a souligné Elise Carpentier. Une mission que
les juristes ont pris à cœur, à commencer par leur travail de réflexion dédiée
à la thématique l’anticipation des défis environnementaux.
Le droit de propriété
temporaire face au retrait du trait de côte
Construit de manière
autonome, au regard du droit de la construction ou des règles de droit de
civil, le droit de l’urbanisme s’est forgé progressivement, au gré de préoccupations
et de volontés politiques changeantes, intégrant de façon bien souvent inégale la
problématique environnementale. Le droit de l’environnement, pour sa part, a
pris en quelques décennies une place exponentielle au sein du droit
administratif, civil ou encore pénal. Témoins directs de cet amoncellement de
règles, observateurs de première ligne des dégâts matériels et humains du
réchauffement climatique, les notaires se retrouvent ainsi confrontés à des
questions juridiques complexes de plus en plus nombreuses, aux solutions peu
prévisibles.
C’est partant de ce postulat et
conscient de l’évolution des nouvelles attentes de leur clientèle que la
première commission, présidée par Éric Meiller, assisté d’Adeline Seguin et
Catherine Berthol, a envisagé des pistes d’amélioration et de simplification,
destinées à identifier les risques climatiques, puis à les intégrer « dans
la conduite des projets, dans l’ordonnancement du droit et dans le régime des
biens et des obligations ». Après avoir défendu un statut de l’arbre
dans le Code civil et un retour « des communs » à l’échelle de la
forêt, la commission s’est penchée sur le cas de l’érosion côtière et du recul
du trait de côte. Ce phénomène, qui désigne le déplacement de la ligne de
rivage vers l’intérieur des terres, affecte aujourd’hui 250 villes françaises.
Si la Loi Climat et
Résilience du 22 août 2021 a bien posé les premiers jalons d’une politique
d’adaptation des territoires aux évolutions du littoral, le 120e
congrès des Notaires de France a décidé, lui, de voir plus loin que ses
propositions qui « préviennent sans guérir », en établissant
l’idée suivante, qui prône la possibilité du propriétaire au bien menacé de ne
pas être complétement lésé.
« Nous proposons
d’anticiper l’intégration de la propriété dans le domaine public maritime en
offrant la possibilité, pour les biens concernés par le droit de préemption
recul du trait de côte, d’une préemption ou d’un délaissement portant uniquement
sur le sol et le tréfonds, explique la commission. Conservant au
propriétaire des élévations seulement un droit superficiaire temporaire, aussi
longtemps que le permettra ».
Outre cette proposition, le
Congrès suggère également d’offrir à l’acquéreur et au vendeur la possibilité
de renoncer l’opération, dans l’hypothèse d’une préemption seulement du sol et
du tréfond. A noter qu’aujourd’hui, 100 % des régions côtières françaises sont
concernées par le recul du trait de côte. D’ici quatre ans, ce seront plus de
1000 bâtiments (représentant une valeur estimée de 240 millions d’euros) qui
pourraient être affectés par le recul du trait de côte.
Simplifier la
compensation environnementale et soutenir les porteurs de projets
Outre son plaidoyer pour un
régime du proto-aménagement et la suggestion d’une libéralisation de l’assiette
des autorisations d’urbanisme, la commission 2 (Convaincre les acteurs)
s’est attelée à défendre le développement de la compensation environnementale,
en complément des politiques déjà existantes.
Face à l’effondrement de la
biodiversité, la loi du 10 juillet 1966 relative à la protection de la nature
(modifié à la faveur de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la
biodiversité) avait effectivement mis en place la démarche Eviter, Réduire,
Compenser (ERC), qui s’applique aujourd’hui à tout projet immobilier au
possible impact environnemental.
Mais jugeant ces efforts
« trop peu ou trop mal appliqué » et sa mise en œuvre « limitée »,
l’équipe présidée par Antoine Urvoy, assisté de Virginie Deshays et Thomas
Plottin, a tenu à soutenir un régime juridique plus adapté. Selon la loi, les
compensations visent à « apporter une contrepartie aux incidences
négatives et notables, directes ou indirectes du projet sur l’environnement ».
Elles sont mises en œuvre en priorité sur le site affecté ou à proximité de
celui-ci.
Pour ce faire, les pouvoirs
publics ont créé des sites naturels de compensation, au sein desquels des
opérateurs réalisent par avance des travaux de restauration écologique et
proposent ensuite des unités de compensation à des aménageurs soumis à des
obligations. Et c’est justement avec la volonté de renforcer et généraliser ces
dispositions, que les notaires entendent agir, en commençant par sécuriser la
maîtrise du foncier nécessaire à la compensation environnementale.
« L'idée, c'est qu'à
partir du moment où un porteur de projet a identifié un terrain destiné à la
réalisation de mesures de compensation environnementale, il soit exempté de
droits de préemption, qui représentent des freins et des risques pour la réalisation
de ces opérations », explique Antoine Urvoy.
Dans la même veine, la
création d’un bail emphytéotique environnemental, en tant que nouvel outil
contractuel, viendrait s’inscrire comme une mesure facilitatrice, selon le
président de la commission : « Aujourd’hui, de nombreux
propriétaires fonciers n’ont aucune envie de se séparer de leur terrain qu’il
souhaitant préserver pour le transmettre aux générations futures. Nous défendons
l’idée que des porteurs projets puissent réaliser des opérations de
compensation, sur des terrains dont ils ne vont pas se porter acquéreur ».
Concédant ainsi au propriétaire foncier de consentir un droit réel sur son
terrain, pour une longue durée.
Dernière mesure pensée en
lien avec l’approfondissement de la compensation environnementale, le CSN
propose de fluidifier ses mécanismes financiers, en créant un fonds de
péréquation à compétence nationale, chargé de récolter les fonds permettant de
financer les mesures de gestion des aires protégées. Il soutient par ailleurs
l’autorisation, pour le débiteur, d’une obligation de compensation
environnementale de verser à titre exceptionnel une somme d’argent dans ce
fonds.
Pour une ZAN plus souple et
pragmatique
Dernière commission, et pas
des moindres, l’équipe composée de Michèle Raunet (présidente), François
Gouhier et Anne-Laure Dorey, s’est attelée pour sa part à « Réaliser
des projets adaptés aux nouveaux modes de vie » et naturellement,
adaptés aux mutations des territoires. Privilégiant un « urbanisme de
la construction » à celui de la transformation, incitant à la
conversion des entrées des villes commerciales en « quartiers mixtes et
durables », le CSN a également suggéré de « placer
l’environnement au cœur des projets immobiliers et d’aménagements pour
sécuriser ceux qui les portent », dès les prémices de leur conception.
Cheval de bataille du
congrès, évoqué sans détour par Guillaume Guérin, vice-président de l’AFM, à l’occasion
de la session plénière d’ouverture, l’urgence « d’assouplir le ZAN »
a bien évidemment constitué le cœur de ses propositions. Acté par la loi Climat
et Résilience du 22 août 2021 et assigné aux projets de construction, le fameux
Zéro Artificialisation Nette, s’il incarne en lui-même une véritable
révolution en matière de construction, puisqu’il interdit de nouvelles
autorisations commerciales impliquant une artificialisation des sols, suscite
en revanche des inquiétudes profondes.
Car si dans ses principes,
l’ambition est claire, « le ZAN doit tenir compte de la diversité des
territoires et des projets », dans la pratique… sa mise en œuvre
s’avère être un sérieux casse-tête au sein des collectivités territoriales. Les
premières, selon le CSN, « à s’être véritablement saisies du sujet pour
l’instant ».
Attentifs à ces
préoccupations, les juristes ont donc plaidé en faveur d’un système de
réallocation des droits à artificialiser, encadré et instauré à l’échelle de
chaque région. L’objectif de cette « bourse d’échange » étant de
donner l’opportunité aux autorités en charge des documents d’urbanisme de céder
tout ou partie des droits à artificialiser qui lui auront été alloués au titre
des décennies 2020, 2030 ou 2024 ou au contraire, d’acquérir des droits
complémentaires auprès d’un teneur de compte. Les conditions de détermination
du prix d’achat ou de vente des droits artificialisés seraient, elles, fixées
par décret, en résonnance avec le coût de désartificialisation d’un hectare de
friche urbaine.
Présent dans le parterre
d’invité du 120ème Congrès des Notaires de France, le sénateur Jean-Baptiste
Blanc, rapporteur d'une mission de suivi de l'application concrète du ZAN, a
réagi avec enthousiasme à la proposition, rappelant au micro que le sujet donnait
habituellement lieu à « beaucoup de postures, mais à peu de droit »
et félicitant le CNS de son initiative… laquelle pourrait sans doute trouver un
retentissement rapide auprès de la chambre haute.
Une recodification du Code de
l’urbanisme
Pas de côté, nourri d’une
conviction tout aussi forte, la traditionnelle Ambition commune aux trois
commissions, sorte d’épilogue collaboratif et tourné vers l’avenir, a été
présentée par Hervé de Gaudemar, rapporteur général, accompagné des présidents
de trois commissions. Ensemble, les quatre notaires ont défendu le rêve audacieux
de la rédaction d’un Code de l’urbanisme durable.
« Ce n’est ni une
révolution, ni une déconstruction » a exposé le rapporteur général, évoquant
ensuite les arguments de cet idéal collectif : « Le droit de
l’environnement a infusé le code de l’urbanisme. Cette pénétration résulte
aussi de la constitutionnalisation de la charte de l’environnement, du principe
de précaution ou de la communautarisation du droit de l’environnement qui a un
effet attractif sur lui. C’est pourquoi nous pensons que le code de l’urbanisme
est désormais assez mûr, pour être écrit avec cette identité ».
Plaidant en parallèle pour une harmonisation des trois codes (urbanisme,
environnement, construction et habitation), Hervé de Gaudemar a appelé enfin à
un « réagencement des objets », afin que ces derniers soient « davantage
maniables, juridiquement sécurisants et plus lisibles ».
Largement plébiscité à l’applaudimètre
(mais non soumis aux votes, l’Ambition commune n’étant pas intégrée aux
12 propositions), ce dernier engagement du CSN a laissé place au passage de
flambeau de l’équipe 2024 à la « tribu de notaires » chargée de
l’organisation du 121ème Congrès des Notaires de France, lequel se tiendra
à Montpellier en 2025.
Car de tribu, il sera bel et
bien question durant ce rendez-vous, consacré pour sa prochaine édition à la
thématique « Famille et création notariale ». Une mission dont Jean
Gasté, nouveau président, s’est déjà saisi à bras le corps : « En
une génération, nous sommes passés du singulier au pluriel, de l’unicité à la
pluralité des modes de familles. Et c’est le rôle des notaires que de savoir
les accompagner ». Preuve d’un CSN décidément bien ancré dans son
temps.
Les 12 propositions votées
au 120ème Congrès des Notaires de France de Bordeaux
1re commission
- Anticiper les défis environnementaux
. Pour un statut de l’arbre
dans le Code civil
. Face au recul du rivage
maritime, l’intérêt de la propriété temporaire
. Pour un retour des
« communs » : l’exemple de la forêt
. Pour un état des risques
et pollution à la hauteur des enjeux
2e commission
- Convaincre les acteurs
. Plaidoyer pour un régime
du proto-aménagement
. Libéraliser l’assiette
des autorisations d’urbanisme
. Développer la
compensation environnementale
. Déployer le projet urbain
partenarial (PUP)
3e commission
- Réaliser des projets adaptés aux nouveaux modes de vie
. Donner de la souplesse au
ZAN
. Favoriser la conversion
des entrées de ville commerciales en quartier mixte et durable
. Passer d’un urbanisme de
la construction à un urbanisme de la transformation
. Mettre l’environnement au
cœur des projets immobiliers et d’aménagement pour sécuriser ceux qui les
portent
|
Laurène
Secondé