DROIT

Au Congrès des notaires, 12 propositions adoptées en faveur d’un urbanisme durable

Au Congrès des notaires, 12 propositions adoptées en faveur d’un urbanisme durable
Publié le 30/09/2024 à 11:57

Votées à main levée par les congressistes présents à Bordeaux, ces propositions, qui entendent appréhender au mieux les risques naturels et environnementaux à l’échelle du droit, tout en assouplissant les procédures en matière d’urbanisme, ont été accompagnées de la formulation d’une « ambition commune » complémentaire, divulguée en fin de congrès.

« Le notariat doit assumer sa responsabilité, face au plus grand défi de l'histoire de l'humanité ». D’une voix émue, Elise Carpentier, professeur agrégé de droit public à l’Université d'Aix-Marseille désignée comme rapporteuse, achevait vendredi soir à Bordeaux l’exercice de la « synthèse scientifique », qu’elle a souhaité ponctué, tout du long, d’allégories arboricoles bien trouvées. La Constitution vue comme une « sève brute », les travaux réalisés sur deux années par les équipes du CSN associés au « tronc, la partie la plus dense de l’arbre », les acteurs institutionnels considérés comme des branches...

Indéniablement, la professeure de droit n’a pas hésité à user de lyrisme et de références philosophiques pour poser un point final à la hauteur de ce rendez-vous historique, animé par un CSN convaincu et volontaire. Car l’événement, qui a réuni pendant quatre jours plus de 4 000 professionnels en lien avec le notariat, a été recouvert d’une couche de peinture résolument verte, à l’instar des douze propositions évoquées pendant deux jours, toutes soumises au vote du public et toutes acceptées, à l’unanimité.  

Déclinée en trois commissions aux intitulés fédérateurs (anticiper, convaincre, réaliser), la thématique de « l’urbanisme durable » souhaitait emprunter « un changement de cap urgent », en portant à la discussion des idées « frappées du sceau du renouveau et officialisant l’entrée de notre droit de l’urbanisme, plus généralement de notre droit du sol, dans l’ère de la post-modernité », a souligné Elise Carpentier. Une mission que les juristes ont pris à cœur, à commencer par leur travail de réflexion dédiée à la thématique l’anticipation des défis environnementaux.

Le droit de propriété temporaire face au retrait du trait de côte

Construit de manière autonome, au regard du droit de la construction ou des règles de droit de civil, le droit de l’urbanisme s’est forgé progressivement, au gré de préoccupations et de volontés politiques changeantes, intégrant de façon bien souvent inégale la problématique environnementale. Le droit de l’environnement, pour sa part, a pris en quelques décennies une place exponentielle au sein du droit administratif, civil ou encore pénal. Témoins directs de cet amoncellement de règles, observateurs de première ligne des dégâts matériels et humains du réchauffement climatique, les notaires se retrouvent ainsi confrontés à des questions juridiques complexes de plus en plus nombreuses, aux solutions peu prévisibles.

C’est partant de ce postulat et conscient de l’évolution des nouvelles attentes de leur clientèle que la première commission, présidée par Éric Meiller, assisté d’Adeline Seguin et Catherine Berthol, a envisagé des pistes d’amélioration et de simplification, destinées à identifier les risques climatiques, puis à les intégrer « dans la conduite des projets, dans l’ordonnancement du droit et dans le régime des biens et des obligations ». Après avoir défendu un statut de l’arbre dans le Code civil et un retour « des communs » à l’échelle de la forêt, la commission s’est penchée sur le cas de l’érosion côtière et du recul du trait de côte. Ce phénomène, qui désigne le déplacement de la ligne de rivage vers l’intérieur des terres, affecte aujourd’hui 250 villes françaises.

Si la Loi Climat et Résilience du 22 août 2021 a bien posé les premiers jalons d’une politique d’adaptation des territoires aux évolutions du littoral, le 120e congrès des Notaires de France a décidé, lui, de voir plus loin que ses propositions qui « préviennent sans guérir », en établissant l’idée suivante, qui prône la possibilité du propriétaire au bien menacé de ne pas être complétement lésé.

« Nous proposons d’anticiper l’intégration de la propriété dans le domaine public maritime en offrant la possibilité, pour les biens concernés par le droit de préemption recul du trait de côte, d’une préemption ou d’un délaissement portant uniquement sur le sol et le tréfonds, explique la commission. Conservant au propriétaire des élévations seulement un droit superficiaire temporaire, aussi longtemps que le permettra ».

Outre cette proposition, le Congrès suggère également d’offrir à l’acquéreur et au vendeur la possibilité de renoncer l’opération, dans l’hypothèse d’une préemption seulement du sol et du tréfond. A noter qu’aujourd’hui, 100 % des régions côtières françaises sont concernées par le recul du trait de côte. D’ici quatre ans, ce seront plus de 1000 bâtiments (représentant une valeur estimée de 240 millions d’euros) qui pourraient être affectés par le recul du trait de côte[1].

Simplifier la compensation environnementale et soutenir les porteurs de projets

Outre son plaidoyer pour un régime du proto-aménagement et la suggestion d’une libéralisation de l’assiette des autorisations d’urbanisme, la commission 2 (Convaincre les acteurs) s’est attelée à défendre le développement de la compensation environnementale, en complément des politiques déjà existantes.

Face à l’effondrement de la biodiversité, la loi du 10 juillet 1966 relative à la protection de la nature (modifié à la faveur de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité) avait effectivement mis en place la démarche Eviter, Réduire, Compenser (ERC), qui s’applique aujourd’hui à tout projet immobilier au possible impact environnemental.

Mais jugeant ces efforts « trop peu ou trop mal appliqué » et sa mise en œuvre « limitée », l’équipe présidée par Antoine Urvoy, assisté de Virginie Deshays et Thomas Plottin, a tenu à soutenir un régime juridique plus adapté. Selon la loi, les compensations visent à « apporter une contrepartie aux incidences négatives et notables, directes ou indirectes du projet sur l’environnement ». Elles sont mises en œuvre en priorité sur le site affecté ou à proximité de celui-ci.

Pour ce faire, les pouvoirs publics ont créé des sites naturels de compensation, au sein desquels des opérateurs réalisent par avance des travaux de restauration écologique et proposent ensuite des unités de compensation à des aménageurs soumis à des obligations. Et c’est justement avec la volonté de renforcer et généraliser ces dispositions, que les notaires entendent agir, en commençant par sécuriser la maîtrise du foncier nécessaire à la compensation environnementale.

« L'idée, c'est qu'à partir du moment où un porteur de projet a identifié un terrain destiné à la réalisation de mesures de compensation environnementale, il soit exempté de droits de préemption, qui représentent des freins et des risques pour la réalisation de ces opérations », explique Antoine Urvoy.

Dans la même veine, la création d’un bail emphytéotique environnemental, en tant que nouvel outil contractuel, viendrait s’inscrire comme une mesure facilitatrice, selon le président de la commission : « Aujourd’hui, de nombreux propriétaires fonciers n’ont aucune envie de se séparer de leur terrain qu’il souhaitant préserver pour le transmettre aux générations futures. Nous défendons l’idée que des porteurs projets puissent réaliser des opérations de compensation, sur des terrains dont ils ne vont pas se porter acquéreur ». Concédant ainsi au propriétaire foncier de consentir un droit réel sur son terrain, pour une longue durée.

Dernière mesure pensée en lien avec l’approfondissement de la compensation environnementale, le CSN propose de fluidifier ses mécanismes financiers, en créant un fonds de péréquation à compétence nationale, chargé de récolter les fonds permettant de financer les mesures de gestion des aires protégées. Il soutient par ailleurs l’autorisation, pour le débiteur, d’une obligation de compensation environnementale de verser à titre exceptionnel une somme d’argent dans ce fonds.

Pour une ZAN plus souple et pragmatique

Dernière commission, et pas des moindres, l’équipe composée de Michèle Raunet (présidente), François Gouhier et Anne-Laure Dorey, s’est attelée pour sa part à « Réaliser des projets adaptés aux nouveaux modes de vie » et naturellement, adaptés aux mutations des territoires. Privilégiant un « urbanisme de la construction » à celui de la transformation, incitant à la conversion des entrées des villes commerciales en « quartiers mixtes et durables », le CSN a également suggéré de « placer l’environnement au cœur des projets immobiliers et d’aménagements pour sécuriser ceux qui les portent », dès les prémices de leur conception.

Cheval de bataille du congrès, évoqué sans détour par Guillaume Guérin, vice-président de l’AFM, à l’occasion de la session plénière d’ouverture, l’urgence « d’assouplir le ZAN » a bien évidemment constitué le cœur de ses propositions. Acté par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 et assigné aux projets de construction, le fameux Zéro Artificialisation Nette, s’il incarne en lui-même une véritable révolution en matière de construction, puisqu’il interdit de nouvelles autorisations commerciales impliquant une artificialisation des sols, suscite en revanche des inquiétudes profondes.

Car si dans ses principes, l’ambition est claire, « le ZAN doit tenir compte de la diversité des territoires et des projets », dans la pratique… sa mise en œuvre s’avère être un sérieux casse-tête au sein des collectivités territoriales. Les premières, selon le CSN, « à s’être véritablement saisies du sujet pour l’instant ».

Attentifs à ces préoccupations, les juristes ont donc plaidé en faveur d’un système de réallocation des droits à artificialiser, encadré et instauré à l’échelle de chaque région. L’objectif de cette « bourse d’échange » étant de donner l’opportunité aux autorités en charge des documents d’urbanisme de céder tout ou partie des droits à artificialiser qui lui auront été alloués au titre des décennies 2020, 2030 ou 2024 ou au contraire, d’acquérir des droits complémentaires auprès d’un teneur de compte. Les conditions de détermination du prix d’achat ou de vente des droits artificialisés seraient, elles, fixées par décret, en résonnance avec le coût de désartificialisation d’un hectare de friche urbaine.

Présent dans le parterre d’invité du 120ème Congrès des Notaires de France, le sénateur Jean-Baptiste Blanc, rapporteur d'une mission de suivi de l'application concrète du ZAN, a réagi avec enthousiasme à la proposition, rappelant au micro que le sujet donnait habituellement lieu à « beaucoup de postures, mais à peu de droit » et félicitant le CNS de son initiative… laquelle pourrait sans doute trouver un retentissement rapide auprès de la chambre haute.  

Une recodification du Code de l’urbanisme

Pas de côté, nourri d’une conviction tout aussi forte, la traditionnelle Ambition commune aux trois commissions, sorte d’épilogue collaboratif et tourné vers l’avenir, a été présentée par Hervé de Gaudemar, rapporteur général, accompagné des présidents de trois commissions. Ensemble, les quatre notaires ont défendu le rêve audacieux de la rédaction d’un Code de l’urbanisme durable.

« Ce n’est ni une révolution, ni une déconstruction » a exposé le rapporteur général, évoquant ensuite les arguments de cet idéal collectif : « Le droit de l’environnement a infusé le code de l’urbanisme. Cette pénétration résulte aussi de la constitutionnalisation de la charte de l’environnement, du principe de précaution ou de la communautarisation du droit de l’environnement qui a un effet attractif sur lui. C’est pourquoi nous pensons que le code de l’urbanisme est désormais assez mûr, pour être écrit avec cette identité ». Plaidant en parallèle pour une harmonisation des trois codes (urbanisme, environnement, construction et habitation), Hervé de Gaudemar a appelé enfin à un « réagencement des objets », afin que ces derniers soient « davantage maniables, juridiquement sécurisants et plus lisibles ».

Largement plébiscité à l’applaudimètre (mais non soumis aux votes, l’Ambition commune n’étant pas intégrée aux 12 propositions), ce dernier engagement du CSN a laissé place au passage de flambeau de l’équipe 2024 à la « tribu de notaires » chargée de l’organisation du 121ème Congrès des Notaires de France, lequel se tiendra à Montpellier en 2025.

Car de tribu, il sera bel et bien question durant ce rendez-vous, consacré pour sa prochaine édition à la thématique « Famille et création notariale ». Une mission dont Jean Gasté, nouveau président, s’est déjà saisi à bras le corps : « En une génération, nous sommes passés du singulier au pluriel, de l’unicité à la pluralité des modes de familles. Et c’est le rôle des notaires que de savoir les accompagner ». Preuve d’un CSN décidément bien ancré dans son temps.

Les 12 propositions votées au 120ème Congrès des Notaires de France de Bordeaux

1re commission - Anticiper les défis environnementaux 

. Pour un statut de l’arbre dans le Code civil

. Face au recul du rivage maritime, l’intérêt de la propriété temporaire

. Pour un retour des « communs » : l’exemple de la forêt

. Pour un état des risques et pollution à la hauteur des enjeux

 

2e commission - Convaincre les acteurs

. Plaidoyer pour un régime du proto-aménagement

. Libéraliser l’assiette des autorisations d’urbanisme

. Développer la compensation environnementale

. Déployer le projet urbain partenarial (PUP)

 

3e commission - Réaliser des projets adaptés aux nouveaux modes de vie 

. Donner de la souplesse au ZAN

. Favoriser la conversion des entrées de ville commerciales en quartier mixte et durable

. Passer d’un urbanisme de la construction à un urbanisme de la transformation

. Mettre l’environnement au cœur des projets immobiliers et d’aménagement pour sécuriser ceux qui les portent

 


Laurène Secondé




[1] Sources CEREMA

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