TRIBUNE. Spécialisé en droit du sport
et figure du monde de la boxe, Serge Pautot raconte son engagement en faveur
des jeunes des cités pour « briser le cycle infernal » à l’aide
du sport, malgré le manque de mobilisation à l’échelle de la commune et de l’Etat.
En choisissant la profession
d’avocat, il s’agissait pour moi, au-delà de l’aspect professionnel, d’un
engagement personnel. Depuis ma jeunesse, révolté par l’injustice, notamment
celle qui résulte de l’organisation de la société, je m’étais promis de militer
pour améliorer la situation des plus démunis. Grande ambition, bien difficile à
réaliser.
Ancien gymnaste de petit
niveau, ancien parachutiste du 1er RPIMa, le sport m’agitait, et
le hasard a voulu qu’un de mes premiers clients soit entraîneur de boxe.
Retrouvant les salles de sport, je suis devenu bénévole au Boxing Club du
Gardian, le plus important club de boxe de la ville, sous les gradins du Stade
Vélodrome de Marseille.
Peu de temps après mon entrée
dans la boxe, un jeune boxeur marseillais est décédé en arrivant aux vestiaires
après son combat. Procès en responsabilité. Je suis vite devenu connu dans le
milieu de la boxe, des clubs - « un avocat est là pour nous
défendre ». Au fil des années, les responsables des clubs de Bouches-du-Rhône
m’ont élu président du Comité départemental des Bouches-du-Rhône, puis président
du Comité régional, couvrant toute la région.
Mon engagement citoyen a
alors pu commencer. Une manière toute personnelle, pour moi, d’être au service
de la jeunesse. Cette jeunesse issue de l’immigration, du Maghreb, et que j’ai
retrouvée avec plaisir, plusieurs années après avoir été coopérant instituteur à Alger.
C'était comme répondre à un nouvel appel de vivre le présent avec une jeunesse
qui ne demande qu’à en découdre.
L’Abbé Guy Gilbert, qui, en sa qualité de « curé des loubards », rendait visite à quelques détenus à la prison de Baumettes, m'a dit un jour : « Te voilà l’apôtre de la boxe. »
CRS vs projet de ville
Régulièrement, les
gouvernements présentent des actions en direction des banlieues. Depuis 1973,
je recense une dizaine de « Plans banlieues » pour lutter contre
l’exclusion. Le premier de ces plans était intitulé « ni tours ni barre ».
Et pourtant, on a beaucoup construit avec le regroupement familial, créant, ici
et là, des cités, isolées et coupées des centres vitaux des villes. Et, avec
les années, nous avons laissé les cités à l’abandon. Là-bas, dans les
banlieues, c’est du « chacun pour soi », et tant pis pour ceux qui
n’y arrivent pas. C’est alors le cycle infernal : exclusion, délinquance
et prison.
En février 2015, le Premier ministre
était à Marseille, éclaboussée par des tirs de kalachnikov, en pleine cité de
la Castellane. Manuel Valls était entouré de deux ministres, Najat Belkacem et
Myriam El Khomri. Ces ministres venaient relancer leur politique de Zone de
Sécurité Prioritaire (ZSP). Très bien, mais comment peut-on changer la vie de
jeunes défavorisés si on ne leur offre pas des perspectives, des solutions ?
Nous avons entendu beaucoup d’élus de cette ville dire « il faut
l’armée », « il faut plus de CRS ». Mais ce n’est pas
avec des CRS que l’on va trouver des solutions.
L’implantation d’un tissu
associatif au cœur des cités peut au contraire être l’amorce d’une nouvelle
méthode de travail associant les élus - car sans eux, pas de structures
d’accueil possible -, et la création, le développement de clubs sportifs dans
la cité peut constituer un projet de ville auprès de la jeunesse qui attend
tant de nous.
Notre actuel président de la
République, qui ne cesse de venir à Marseille pour annoncer un énième plan de
rénovation, avait écrit un ouvrage lors de sa première campagne électorale, intitulé
Révolution - c’est notre combat pour la France. La promesse de
cette révolution, nous l’attendons toujours. Plus fort encore, son
prédécesseur, François Hollande avait publié Changer de destin. Les
Français les plus défavorisés attendent toujours ce changement de destin. Face
à cette confiance contrariée, à nous d’apporter l’espoir.
Un pacte pour les clubs
Pourquoi la boxe ? Pour tout faire exploser ? Non, justement l’inverse. Je ne vais pas faire un grand discours sur le sport, formidable moteur d’intégration sociale.
La boxe, dans un contexte économique morose et social difficile, permet de rompre l’isolement des jeunes en les intégrant dans une structure. Cette structure, ce peut être le club de boxe dans lequel le jeune va apprendre le respect, la rigueur, l’honnêteté et le courage. Pas de triche mais une discipline de grande qualité.
Le comité a mené une opération de politique de la ville originale, il y a quelques années, avec la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et la Direction départementale de la jeunesse et des sports, consistant à sélectionner une quinzaine de jeunes boxeurs de Marseille pour les amener au brevet d’Etat sportif, afin qu’ils puissent devenir éducateurs dans leurs quartiers, leurs clubs. Une belle opération. Ils sont tous entraîneurs dans un club qu’ils ont créé à Marseille et fiers de cette réussite.
Nous avons aussi voulu
développer des stratégies avec notre fédération en lançant, en 2014, le « Pacte
Marseille – Accès à la pratique de la Boxe », un projet de soutien à la création d'écoles de boxe. Il entendait aussi dynamiser les actions socio-éducatives autour de la boxe, via des animations en club ou au pied des immeubles.
Nous avons organisé une
réunion de présentation du Projet en conviant, à l’automne de l’année
2014 , la Direction départementale de la Jeunesse et des Sports, les
mairies des 1er et 7e arrondissement, celles
des 2e et 3e arrondissements, des 6e et
8e arrondissements, des 9e et 10e arrondissements,
des 11e et 12e arrondissements, des 13e et
14e arrondissements et des 15e et 16e arrondissements.
Nous avons reçu deux réponses
des adjoints aux sports de seulement deux mairies d’arrondissement, évidemment
une grande déception pour nous. Reste que parmi les maires d’arrondissement
sollicités, deux sont devenus députés et trois autres, sénateurs !
Sans doute beaucoup plus valorisant et attractif que la jeunesse des quartiers.
A chacun sa partition ! Il
est, évidemment, plus agréable de palabrer dans les salons dorés du Palais
Bourbon ou de ceux du Sénat ! Mais peut-être n’avais-je pas su convaincre
ces « partenaires politiques » du bien-fondé de ce projet. Cependant,
nous avons poursuivi notre projet, et à ce jour, nous avons pu mettre en place
ou conforter 11 clubs de boxe dans quatre arrondissements*.
Pour nous, il était
nécessaire que notre action ait un sens. Dans ces quartiers, nous faisons le
maximum. La personnalité se construit dans l’échange avec les entraineurs, les
éducateurs, un bon processus d’intégration sociale mais aussi de
l’individualisation qui caractérise cet âge transitoire. Nous avons contribué à
favoriser la citoyenneté et l’insertion sociale dans les quartiers : c’est
hélas une goutte d’eau dans l’océan des banlieues, mais nous sommes fiers de
nous mobiliser pour le développement du sport et de l’insertion par le sport
dans les quartiers populaires de Marseille.
Sans réponse
Quelques années après la
tentative de 2014, nous avons tenté, une nouvelle fois, d’intéresser
concrètement nos institutions à nos actions – même s’il faut reconnaître que
l’Etat, par le biais aujourd’hui de l’Agence nationale du Sport ainsi que des
collectivités, le Conseil régional, le Conseil départemental et les mairies, apporte des
aides financières aux clubs et met à disposition des locaux. Ces aides sont
indispensables, mais nous aimerions qu’ils s’intéressent plus concrètement à
notre travail.
Ainsi, au printemps 2023, nous
avons sollicité une nouvelle fois la mairie de Marseille, le Conseil Régional, la
Préfecture de Police des Bouches du Rhône, les mairies d’arrondissement des 15e
et 16e, du 13e et 14e, et 11e et 12e.
Nous n’avons reçu de ces mairies d’arrondissements, qui sont au cœur des cités
de Marseille, aucune réponse !
Et pourtant, des dispositifs
d’accueil pourraient être mis en place. Il est encore temps. Le maire de
Marseille et le préfet de police nous ont fait recevoir par un
collaborateur, sans suite concrète. Dommage, car à cette période, et peut-être plus encore actuellement, Marseille était aux prises de bandes de jeunes qui
s’entretuaient sur un fond de trafic de drogue. D’ailleurs, ça n’a pas changé ; les règlements de comptes mortels se poursuivent.
Certes, nous n’apportons pas
de solution miracle, mais nous pouvons, modestement, être utiles et
complémentaires de l’action politique et communale. Il s’agit de convaincre nos
partenaires politiques, élus locaux et sociaux que nous sommes essentiels à la
fois dans le fonctionnement démocratique dans la cité. Mais aussi au service de
la jeunesse, plus particulièrement des quartiers populaires, avides de réussite
et d’égalité. Nous ne voulons pas laisser cette jeunesse en péril.
L’envie et le cœur
Récemment, j’ai découvert à
travers les médias que l’opération « Marseille en grand » décidée par
le Président de la République, sur place, en grande pompe, à l’automne 2021,
avec un budget de cinq milliards, est bien mal partie. Sur les cinq milliards
annoncés, la Chambre régionale des comptes livre un rapport sur lequel seulement
1,31 % a été engagé. La faute à qui ?
Quel était le calendrier de
la programmation de ce plan d’investissement ? Qui était le « pilote
à bord » ? Et la Chambre régionale de conclure : « Les moyens
que l’Etat a consacré au suivi du Plan ne sont pas à la hauteur des enjeux et
peuvent être qualifiés d’indigents. »
Alors, bon, continuons notre
mission de bénévoles, sans argent et sans moyens, mais avec l’envie et le cœur.
Et laissons les acteurs du développement et du déploiement des projets sur
Marseille-Nord continuer de parler et délibérer sur des projets qui ne se
réalisent pas.
Serge Pautot est avocat, spécialiste
en droit du sport. Avec son fils Michel, avocat également, il a défendu la
basketteuse polonaise Lilia Malaja, opérant une petite révolution du droit
européen. Président du Comité départemental de décembre 1994 à juin 2024, vice-président
de la Fédération Française de Boxe depuis janvier 2000, il préside également
l’association Légisport et il est l’auteur de divers ouvrages : Le
sport et la loi, Les responsables du drame de Furiani, La
sécurité des équipements sportifs, La convention collective nationale
du sport, Nos combats pour le sport et la justice. Il a lancé
également la campagne « Mettre KO la violence et le racisme dans le
sport ». Il est chevalier de la Légion d’honneur au titre du
ministère des Sports.
|
* Boxing
club Saint-Jérôme (Les Balustres – 13013), Boxing club Saint-Louis (Les
Aygalades – 13015), Boxing club Saint-Thys (La Valbarelle – 13011), Challenge
boxing (Quartier Saint-Jérôme – 13013), Club sportif savinois (La Savine – 13015), Duble choc power (Cité
Font-Vert – 13014), NNoble art boxing 15 (Le Castellas – 13014), Rap’n boxe (La
Buserine – 13014), Ring club valley (Air Bel – 13011), Ring olympique de
Marseille (Saint-Marcel – 13011), Sport et culture est marseillais (La Pomme –
13011)