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Avocat et président de comité, mon défi de faire monter les quartiers Nord de Marseille sur les rings

Avocat et président de comité, mon défi de faire monter les quartiers Nord de Marseille sur les rings
Publié le 25/12/2024 à 12:57

TRIBUNE. Spécialisé en droit du sport et figure du monde de la boxe, Serge Pautot raconte son engagement en faveur des jeunes des cités pour « briser le cycle infernal » à l’aide du sport, malgré le manque de mobilisation à l’échelle de la commune et de l’Etat.

En choisissant la profession d’avocat, il s’agissait pour moi, au-delà de l’aspect professionnel, d’un engagement personnel. Depuis ma jeunesse, révolté par l’injustice, notamment celle qui résulte de l’organisation de la société, je m’étais promis de militer pour améliorer la situation des plus démunis. Grande ambition, bien difficile à réaliser.

Ancien gymnaste de petit niveau, ancien parachutiste du 1er RPIMa, le sport m’agitait, et le hasard a voulu qu’un de mes premiers clients soit entraîneur de boxe. Retrouvant les salles de sport, je suis devenu bénévole au Boxing Club du Gardian, le plus important club de boxe de la ville, sous les gradins du Stade Vélodrome de Marseille.

Peu de temps après mon entrée dans la boxe, un jeune boxeur marseillais est décédé en arrivant aux vestiaires après son combat. Procès en responsabilité. Je suis vite devenu connu dans le milieu de la boxe, des clubs - « un avocat est là pour nous défendre ». Au fil des années, les responsables des clubs de Bouches-du-Rhône m’ont élu président du Comité départemental des Bouches-du-Rhône, puis président du Comité régional, couvrant toute la région.

Mon engagement citoyen a alors pu commencer. Une manière toute personnelle, pour moi, d’être au service de la jeunesse. Cette jeunesse issue de l’immigration, du Maghreb, et que j’ai retrouvée avec plaisir, plusieurs années après avoir été coopérant instituteur à Alger. C'était comme répondre à un nouvel appel de vivre le présent avec une jeunesse qui ne demande qu’à en découdre. 

L’Abbé Guy Gilbert, qui, en sa qualité de « curé des loubards », rendait visite à quelques détenus à la prison de Baumettes, m'a dit un jour : « Te voilà l’apôtre de la boxe. » 

CRS vs projet de ville

Régulièrement, les gouvernements présentent des actions en direction des banlieues. Depuis 1973, je recense une dizaine de « Plans banlieues » pour lutter contre l’exclusion. Le premier de ces plans était intitulé « ni tours ni barre ». Et pourtant, on a beaucoup construit avec le regroupement familial, créant, ici et là, des cités, isolées et coupées des centres vitaux des villes. Et, avec les années, nous avons laissé les cités à l’abandon. Là-bas, dans les banlieues, c’est du « chacun pour soi », et tant pis pour ceux qui n’y arrivent pas. C’est alors le cycle infernal : exclusion, délinquance et prison.

En février 2015, le Premier ministre était à Marseille, éclaboussée par des tirs de kalachnikov, en pleine cité de la Castellane. Manuel Valls était entouré de deux ministres, Najat Belkacem et Myriam El Khomri. Ces ministres venaient relancer leur politique de Zone de Sécurité Prioritaire (ZSP). Très bien, mais comment peut-on changer la vie de jeunes défavorisés si on ne leur offre pas des perspectives, des solutions ? Nous avons entendu beaucoup d’élus de cette ville dire « il faut l’armée », « il faut plus de CRS ». Mais ce n’est pas avec des CRS que l’on va trouver des solutions.

L’implantation d’un tissu associatif au cœur des cités peut au contraire être l’amorce d’une nouvelle méthode de travail associant les élus - car sans eux, pas de structures d’accueil possible -, et la création, le développement de clubs sportifs dans la cité peut constituer un projet de ville auprès de la jeunesse qui attend tant de nous.

Notre actuel président de la République, qui ne cesse de venir à Marseille pour annoncer un énième plan de rénovation, avait écrit un ouvrage lors de sa première campagne électorale, intitulé Révolution - c’est notre combat pour la France. La promesse de cette révolution, nous l’attendons toujours. Plus fort encore, son prédécesseur, François Hollande avait publié Changer de destin. Les Français les plus défavorisés attendent toujours ce changement de destin. Face à cette confiance contrariée, à nous d’apporter l’espoir.

Un pacte pour les clubs

Pourquoi la boxe ? Pour tout faire exploser ? Non, justement l’inverse. Je ne vais pas faire un grand discours sur le sport, formidable moteur d’intégration sociale. 

La boxe, dans un contexte économique morose et social difficile, permet de rompre l’isolement des jeunes en les intégrant dans une structure. Cette structure, ce peut être le club de boxe dans lequel le jeune va apprendre le respect, la rigueur, l’honnêteté et le courage. Pas de triche mais une discipline de grande qualité.

Le comité a mené une opération de politique de la ville originale, il y a quelques années, avec la Protection judiciaire de la Jeunesse (PJJ) et la Direction départementale de la jeunesse et des sports, consistant à sélectionner une quinzaine de jeunes boxeurs de Marseille pour les amener au brevet d’Etat sportif, afin qu’ils puissent devenir éducateurs dans leurs quartiers, leurs clubs. Une belle opération. Ils sont tous entraîneurs dans un club qu’ils ont créé à Marseille et fiers de cette réussite.

Nous avons aussi voulu développer des stratégies avec notre fédération en lançant, en 2014, le « Pacte Marseille – Accès à la pratique de la Boxe », un projet de soutien à la création d'écoles de boxe. Il entendait aussi dynamiser les actions socio-éducatives autour de la boxe, via des animations en club ou au pied des immeubles. 

Nous avons organisé une réunion de présentation du Projet en conviant, à l’automne de l’année 2014 , la Direction départementale de la Jeunesse et des Sports, les mairies des 1er et 7e arrondissement, celles des 2e et 3e arrondissements, des 6e et 8e arrondissements, des 9e et 10e arrondissements, des 11e et 12e arrondissements, des 13e et 14e arrondissements et des 15e et 16e arrondissements.

Nous avons reçu deux réponses des adjoints aux sports de seulement deux mairies d’arrondissement, évidemment une grande déception pour nous. Reste que parmi les maires d’arrondissement sollicités, deux sont devenus députés et trois autres, sénateurs ! Sans doute beaucoup plus valorisant et attractif que la jeunesse des quartiers.

A chacun sa partition ! Il est, évidemment, plus agréable de palabrer dans les salons dorés du Palais Bourbon ou de ceux du Sénat ! Mais peut-être n’avais-je pas su convaincre ces « partenaires politiques » du bien-fondé de ce projet. Cependant, nous avons poursuivi notre projet, et à ce jour, nous avons pu mettre en place ou conforter 11 clubs de boxe dans quatre arrondissements*.

Pour nous, il était nécessaire que notre action ait un sens. Dans ces quartiers, nous faisons le maximum. La personnalité se construit dans l’échange avec les entraineurs, les éducateurs, un bon processus d’intégration sociale mais aussi de l’individualisation qui caractérise cet âge transitoire. Nous avons contribué à favoriser la citoyenneté et l’insertion sociale dans les quartiers : c’est hélas une goutte d’eau dans l’océan des banlieues, mais nous sommes fiers de nous mobiliser pour le développement du sport et de l’insertion par le sport dans les quartiers populaires de Marseille.

Sans réponse

Quelques années après la tentative de 2014, nous avons tenté, une nouvelle fois, d’intéresser concrètement nos institutions à nos actions – même s’il faut reconnaître que l’Etat, par le biais aujourd’hui de l’Agence nationale du Sport ainsi que des collectivités, le Conseil régional, le Conseil départemental et les mairies, apporte des aides financières aux clubs et met à disposition des locaux. Ces aides sont indispensables, mais nous aimerions qu’ils s’intéressent plus concrètement à notre travail.

Ainsi, au printemps 2023, nous avons sollicité une nouvelle fois la mairie de Marseille, le Conseil Régional, la Préfecture de Police des Bouches du Rhône, les mairies d’arrondissement des 15e et 16e, du 13e et 14e, et 11e et 12e. Nous n’avons reçu de ces mairies d’arrondissements, qui sont au cœur des cités de Marseille, aucune réponse !

Et pourtant, des dispositifs d’accueil pourraient être mis en place. Il est encore temps. Le maire de Marseille et le préfet de police nous ont fait recevoir par un collaborateur, sans suite concrète. Dommage, car à cette période, et peut-être plus encore actuellement, Marseille était aux prises de bandes de jeunes qui s’entretuaient sur un fond de trafic de drogue. D’ailleurs, ça n’a pas changé ; les règlements de comptes mortels se poursuivent.

Certes, nous n’apportons pas de solution miracle, mais nous pouvons, modestement, être utiles et complémentaires de l’action politique et communale. Il s’agit de convaincre nos partenaires politiques, élus locaux et sociaux que nous sommes essentiels à la fois dans le fonctionnement démocratique dans la cité. Mais aussi au service de la jeunesse, plus particulièrement des quartiers populaires, avides de réussite et d’égalité. Nous ne voulons pas laisser cette jeunesse en péril.

L’envie et le cœur

Récemment, j’ai découvert à travers les médias que l’opération « Marseille en grand » décidée par le Président de la République, sur place, en grande pompe, à l’automne 2021, avec un budget de cinq milliards, est bien mal partie. Sur les cinq milliards annoncés, la Chambre régionale des comptes livre un rapport sur lequel seulement 1,31 % a été engagé. La faute à qui ?

Quel était le calendrier de la programmation de ce plan d’investissement ? Qui était le « pilote à bord » ? Et la Chambre régionale de conclure : « Les moyens que l’Etat a consacré au suivi du Plan ne sont pas à la hauteur des enjeux et peuvent être qualifiés d’indigents. »

Alors, bon, continuons notre mission de bénévoles, sans argent et sans moyens, mais avec l’envie et le cœur. Et laissons les acteurs du développement et du déploiement des projets sur Marseille-Nord continuer de parler et délibérer sur des projets qui ne se réalisent pas.

Serge Pautot est avocat, spécialiste en droit du sport. Avec son fils Michel, avocat également, il a défendu la basketteuse polonaise Lilia Malaja, opérant une petite révolution du droit européen. Président du Comité départemental de décembre 1994 à juin 2024, vice-président de la Fédération Française de Boxe depuis janvier 2000, il préside également l’association Légisport et il est l’auteur de divers ouvrages : Le sport et la loi, Les responsables du drame de Furiani, La sécurité des équipements sportifs, La convention collective nationale du sport, Nos combats pour le sport et la justice. Il a lancé également la campagne « Mettre KO la violence et le racisme dans le sport ». Il est chevalier de la Légion d’honneur au titre du ministère des Sports.

* Boxing club Saint-Jérôme (Les Balustres – 13013), Boxing club Saint-Louis (Les Aygalades – 13015), Boxing club Saint-Thys (La Valbarelle – 13011), Challenge boxing (Quartier Saint-Jérôme – 13013), Club sportif savinois  (La Savine – 13015), Duble choc power (Cité Font-Vert – 13014), NNoble art boxing 15 (Le Castellas – 13014), Rap’n boxe (La Buserine – 13014), Ring club valley (Air Bel – 13011), Ring olympique de Marseille (Saint-Marcel – 13011), Sport et culture est marseillais (La Pomme – 13011)

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