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Bâtonnat de Paris 2022 : Entretien avec les candidats Xavier Autain et Clotilde Lepetit

Bâtonnat de Paris 2022 : Entretien avec les candidats Xavier Autain et Clotilde Lepetit
Publié le 23/11/2020 à 10:46


Le 24 novembre prochains, les avocats parisiens seront appelés aux urnes pour élire leurs futurs représentants pour la période 2022-2023. Une élection importante, puisque les candidats élus représenteront les avocats inscrits au barreau de Paris durant les prochaines élections présidentielles, soit 42 % de l’effectif total de la profession. Le JSS a interrogé Xavier Autain et Clotilde Lepetit, candidats au bâtonnat et vice-bâtonnat. Quels sont les principaux axes de leur programme, et comment souhaitent-ils soutenir la relance économique des cabinets ? Entretien.


 


Pourquoi avez-vous choisi d’être candidat au bâtonnat du barreau de Paris ?


Vous employez un singulier, il nous va bien, nous sommes une équipe, un duo, nous nous connaissions et nous appréciions avant cette campagne. C’est pour cela qu’on s’est choisis, le fait de savoir qu’on peut ne pas être d’accord, sans se fâcher, sans querelle d’ego.


Nous sortons tous les deux de six années passées comme élus au barreau de Paris et au CNB (sans avoir siégé ensemble, puisque nous nous sommes croisés), et nous faisons plusieurs constats.


Notre profession a besoin d’unité : être passés tous les deux à la fois par le Conseil et le CNB est, à notre connaissance, une première pour deux membres d’un binôme. Notre attachement à l’unité de notre profession est profond.


En outre, notre Barreau a besoin d’ouverture.


70 % des avocats parisiens s’abstiennent ; l’on peut continuer à faire de la politique (car diriger l’Ordre, c’est faire de la politique) pour soi, mais cela ne mènera à rien.


Et puis, et c’est ce que nous avons choisi, on doit, au-delà des habituels votants, écouter les abstentionnistes et agir pour tous, pas seulement ceux exerçant en judiciaire, pas seulement ceux dont on connaît le visage.?L’Ordre est perçu comme lointain, opaque et manquant à la fois d’objectivité et d’utilité.


Notre Barreau a besoin de perspectives. Depuis des années, beaucoup d’entre nous ont le sentiment de vivre dans une citadelle, assaillie par les non-avocats, doutant de nous-mêmes, alors que nous avons la pluralité des compétences, la force de travail, la compréhension et le dévouement pour ne pas subir mais conquérir le marché du droit dans TOUS ses aspects.


 


Si vous êtes élus, quelles seraient les priorités de votre mandat ?


Continuer à écouter les consœurs et les confrères, comme nous le faisons durant cette campagne.


Faire en sorte que l’Ordre soit vécu comme un soutien, une source de solutions, et pas simplement un organe qui collecte de l’argent et menace de réprimander ses avocats.


Cela se traduira par une professionnalisation accrue de nos services, et notamment une meilleure lisibilité de la déontologie, qui n’offre pas assez de sécurité juridique, indispensable tant aux avocats que pour l’image de notre Barreau.


 


 


« Il faut accompagner et ne pas subir les évolutions technologiques ».


 


 


En cette période de crise, comment accompagneriez-vous la relance des activités économiques des cabinets d’avocats ?


La Covid devrait alors (en janvier 2022) être derrière nous, du moins nous l’espérons. Pour une relance, il faut des instruments macro et microéconomiques.


Nous créerons un Observatoire économique du Barreau pour analyser précisément le marché du droit. Celui sur lequel nous intervenons, mais que nous avons laissé à d’autres acteurs tels que les experts-comptables ou les legaltech non-avocats. Aujourd’hui, on ignore le chiffre d’affaires du Barreau, celui dans différentes matières du droit, la croissance de chaque secteur, les marges, les besoins de droit des justiciables. Pour répondre à cela, il nous faut des indicateurs. Nous pourrons ainsi mener une réflexion prospective sur la profession et proposer des actions ciblées et précises pour le développement de nos cabinets.


En termes micro économiques, les cabinets doivent avoir accès à des audits, des formations pragmatiques et concrètes (management, comptabilité, marketing, informatique, toutes choses au programme de l’EFB mais qu’il faut renouveler à une période plus contemporaine des besoins des avocats) à des coûts contenus.


Il conviendra de travailler aussi avec des partenaires financiers répondant aux besoins de financement et de trésorerie. Pendant la Covid, l’ignorance de banquiers, qui ne retenaient que l’absence de personnalité morale des AARPI, ont rendu l’obtention de prêts garantis par l’État (PGE) plus compliquée pour ces structures.


Il nous faut mieux appréhender notre environnement économique, ne plus subir les choses, être certains de nos forces, comme de nos faiblesses, sans jamais oublier notre rôle sociétal.


 


La mutation numérique est déjà en marche. Comment envisagez-vous d’accompagner le déploiement du digital au sein des cabinets ?


En juin dernier, nous avons écrit une tribune dans Les Échos, où nous évoquions la création d’un fonds d’investissement dans les legaltech. Cette idée doit être bonne, puisqu’elle a été depuis reprise (avec d’autres) par nos amis Julie et Vincent. (NDLR : Julie Couturier et Vincent Nioré, également candidats). Il faut accompagner et ne pas subir les évolutions technologiques.


La version V2 d’e-Barreau, développée au CNB pendant le mandat de Christiane Féral-Schuhl, est une bonne direction, et il faut aller plus loin encore.


L’Ordre pourra labelliser des prestataires, ou développer, logiquement avec le CNB, et aussi avec des prestataires, des outils pour et par les avocats.


 


Comment compteriez-vous agir en faveur de la parité et de la diversité ?


Clotilde, qui fut la présidente de la toute première Commission Égalité du CNB en charge de ces questions, a déjà démontré son attachement sur ces thématiques, c’est une préoccupation commune. Dans le cadre de cette Commission, une Charte de Responsabilité Sociétale des Cabinets d’Avocats (RSCA) avait été éditée, il faut la faire vivre et aller plus loin en accompagnant les consœurs et confrères qui souhaitent rédiger la charte de leurs cabinets et leur propre outil auto-diagnostic adaptés à leur identité et leur structure.


Nous serons vigilants et l’Ordre incitatif, qu’il s’agisse d’égalité femme/homme (dans les carrières, les rémunérations ou aussi les congés parentaux), de discrimination, de harcèlement. Nous améliorerons la visibilité et le fonctionnement de la Commission Harcèlement et Discrimination (COMHADIS) en ajoutant un numéro d’urgence dédié, et donnerons les suites disciplinaires qui s’imposeront.


Nos itinéraires personnels nous ont sensibilisés sur l’égalité des chances, premier pas pour permettre la diversité, c’est pourquoi nous mettrons un œuvre un mentoring.


Un certain nombre de confrères, lorsqu’ils arrivent dans la profession, n’ont ni les codes ni les réseaux, alors même que leurs compétences et leurs talents ne demandent qu’à s’épanouir.
Le mentor répond à ça, un parrain dans la profession, quelqu’un qui vous écoute, vous apprend ce que les écoles n’apprennent pas, vous guide, vous écoute.


L’accueil au barreau de Paris est très perfectible.


 


Quels sont les changements que vous souhaitez apporter à l’Ordre ?


D’abord, il y a plein de choses qui fonctionnent, de choses à maintenir, faire perdurer à l’Ordre, faire évoluer ou mieux faire connaître.


Et puis, il y a des choses à changer.


Il faut une plus grande transparence, pour ne pas nourrir les suspicions d’entre soi, réelles ou fantasmées. L’éthique et la transparence sont un passage obligé, pas simplement en apparence, mais dans la réalité, pas seulement pour nourrir la confiance démocratique et ramener les confrères à voter, mais parce qu’en tant qu’institution publique qui tire son pouvoir de la loi, un Ordre professionnel doit être vertueux pour justifier de sa légitimité. Nous créerons dans ce sens un poste de directeur de l’Éthique et de la Conformité indépendant, qui s’assurera du caractère toujours irréprochable de l’Ordre en publiant un rapport annuel.


C’est d’ailleurs cette exemplarité de l’Institution qui justifie notre autonomie ; qui légitimise la gestion de notre discipline, et justifie aussi la sanctuarisation du secret professionnel que nous confient nos clients.


 


Quel regard portez-vous sur la réforme des retraites ?


C’est un épisode intéressant, parce que pour la première fois, il a mis en évidence une volonté d’unité dans notre profession, au-delà des modes d’exercice.


Nous avons un système autonome depuis 70 ans, solidaire entre avocats, égalitaire femme/homme, solidaire avec le reste de la nation – nous reversons 100 millions par an au système de compensation.


Nous aurions donc dû servir de modèle plutôt que de voir des technocrates vouloir créer un système prétendument universel, très désavantageux pour les avocats et mettant en risque les confrères aux revenus les plus modestes, alors même qu’ils sont les piliers de l’accès au droit.


On ne va pas reprendre ici l’ensemble des arguments, en particularité de solidarité, que nous avons portés (Xavier, notamment, tant auprès des pouvoirs publics que dans les médias).?Il faut rester vigilant, la réforme des retraites a été votée par l’Assemblée nationale et rien ne dit qu’après la Covid, le gouvernement n’y revienne pas.


 


Quel regard portez-vous sur la nomination d’un avocat à la tête de la Chancellerie ? Et de la nomination d’une avocate à la direction de l’ENM ?


La nomination d’un avocat à la Chancellerie n’est sans doute pas étrangère au mouvement contre la réforme des retraites de l’hiver dernier.


C’est bien d’avoir un professionnel à la tête de ce ministère, mais ça ne garantit rien sur son action, ni son budget.


Prenons par exemple la question du secret professionnel. Le ministre annonce une commission (comme disait Clemenceau, quand on veut enterrer une question, on met sur pied une commission).


Pour quoi faire d’ailleurs ? Le CNB a voté un rapport il y a quelques jours, fruit de travaux et de discussions abouties, nous connaissons les solutions.


Il faut une loi, et rapidement, sur ce sujet brûlant.


Nous jugerons aux actes, à la capacité à discuter avec les représentants élus de la profession d’avocats, à obtenir un budget digne d’un plan Marshall de la Justice.


Le ministère de la Justice ne doit pas être le seul interlocuteur des avocats, nous devons parler avec plein d’autres ministères, des administrations, les exécutifs locaux.


Concernant la désignation de Nathalie Roret à la tête de l’ENM, c’est une belle symbolique. C’est une avocate de qualité, une femme engagée, c’est une bonne nouvelle selon nous qui prônons l’interpénétration des formations des professions judiciaires et juridiques.


Cette candidature aurait pu être soumise au CSM, pour respecter un peu les formes et faciliter l’arrivée de Nathalie, évitant de fournir du carburant à ceux qui n’y voient qu’une provocation.


 


Pour finir, en quelques mots, quelle serait, selon vous, votre plus-value pour le Barreau ?


Nous n’étions pas attendus, pas programmés pour cette élection. Mais une volonté de réforme nous anime, que l’Ordre réponde et ressemble aux 32 000 avocats parisiens, pas simplement au microcosme des élus.


Cette position nous rend libres de résoudre les questions, d’entendre les remises en cause, pour que l’Ordre redevienne la maison commune de chacun.


Propos recueillis par Constance Périn


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