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Biodiversité, climat et crise sanitaire

Biodiversité, climat et crise sanitaire
Publié le 22/04/2020 à 10:30

Une révélation qui devrait conduire à une révolution des perspectives


La crise actuelle du Covid-19 offre une expérience unique de prise de recul sur notre impact sur l’environnement : entre le 3 février et le 1er mars 2020, les émissions de gaz à effet de serre de la Chine ont chuté d’un quart par rapport à la même période l’année précédente. À Paris, la qualité de l’air s’est améliorée de 20 à 30 %, selon un premier bilan d’Airparif1, une première en quarante années de mesures. 

Les images impressionnantes d’une Chine libérée de sa pollution atmosphérique2, cause de maladies respiratoires chroniques, où la redécouverte d’une eau claire au sein des canaux de Venise3, en raison de la baisse du tourisme de masse, témoignent plus que jamais de l’impact de l’activité humaine sur notre environnement.

Pourtant, ce changement drastique n’est pas le fruit de la prise de conscience de la nécessité de modifier notre rapport à notre environnement que les scientifiques du GIEC réclament depuis plus de 30 ans, mais bien une halte ponctuelle et destinée à disparaître.

Cette halte remet en cause notre vision du lien entre la santé et l’environnement, et doit nécessairement conduire à une révolution du droit de l’environnement.

Les promesses du droit de l’environnement tel que construit depuis la conférence de Stockholm de 1972 n’ont pas été tenues, et les grandes avancées dans la protection de notre environnement et de notre santé sont venues des grands principes des droits humains (I). La crise sanitaire actuelle doit permettre, aujourd’hui plus que jamais, d’entériner le lien évident entre santé et environnement, et de reconstruire le droit de l’environnement autour de ce lien (II).



I. LA PRISE DE CONSCIENCE DES ÉCHECS DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

La construction du droit de l’environnement explique son manque de résultats (A), quand les grands principes des droits humains ont garanti une défense accrue de l’environnement (B).


A. Un droit de l’environnement construit par étapes et finalement par étages qui ne communiquent pas suffisamment

Il faut tirer le constat que le droit de l’environnement est aujourd’hui détaché d’une vision d’ensemble et du lien qui existe entre la santé, la biodiversité et le climat.

Depuis l’apparition du droit de l’environnement dans les années 1970, dont la mission était de traduire la responsabilité humaine dans les atteintes à son milieu et d’atténuer l’impact des activités humaines sur les écosystèmes, les résultats escomptés ne sont, selon Yann Aguila, « pas au rendez-vous »4

En effet, le droit de l’environnement s’est construit sur différents « étages » qui ne communiquent pas entre eux et ne permettent ainsi pas d’appréhender les relations d’interconnexions qui existent entre les secteurs de l’environnement protégés.

Le droit de l’environnement interne est constitué de textes ayant imposé des changements essentiels à la gestion et aux modes de production des installations et ouvrages ayant un impact sur l’environnement5, jusqu’à la gestion de nos déchets6

Initialement limité au droit administratif, le droit de l’environnement s’est étendu à la plupart des domaines du droit : la révolution de l’information et de la participation du public aux projets ayant un impact sur l’environnement7, la création d’infractions pénales spécifiques à la protection des milieux et des espèces, ou l’obligation faite aux entreprises de communiquer annuellement leurs informations sociales, environnementales et de gouvernance8

Or, il convient aujourd’hui de le dire clairement : ce développement, secteur par secteur, n’a pas permis d’appréhender efficacement la réalité de notre impact sur notre environnement. 

En effet, que penser de la distinction qui est faite entre tous les milieux physiques, l’air et le milieu aquatique (Livre II, titres 1 et 2 du Code de l’environnement) et les espaces naturels (Livre III du Code de l’environnement), alors qu’il est aujourd’hui établi qu’une forme de pollution impacte en réalité de nombreux milieux indistinctement, et que la même cause a bien souvent de multiples résultantes ?

Ainsi, il a été constaté que si les vagues de chaleur dues au réchauffement climatique augmentent la pollution à l’ozone, elles favorisent en même temps la dispersion de pollens allergisants. La conséquence est un véritable effet cocktail augmentant la part des allergies respiratoires en France – qui affectent 30 % de la population adulte et 20 % de la population infantile – et des périodes de pollution atmosphérique particulièrement importante, qui affectent plus violemment encore les personnes allergiques9.

Les causes sont identiques, les maux sont multiples.

L’absurdité d’un raisonnement sectoriel, quand les maux sont structurels, est pointée du doigt par Yann Tanguy, pour qui « préserver l’environnement dans un système économique et social fondé sur la croissance continue de l’économie et l’idée de progrès et développant une logique productiviste, voilà une ambition qui, si elle n’est pas démesurée, confine, il faut l’admettre, au paradoxe ! »10

À travers son article, ce dernier souligne l’inefficacité d’un droit qui doit se saisir de questions trop vastes et importantes pour quelques mesures essentiellement limitées.

Benoit Jadot a pu exprimer les mêmes critiques envers les « lois de circonstances », quand s’impose la nécessité « d’inscrire le principe du respect de l’environnement dans des textes juridiques fondamentaux », ce qui a finalement été fait, sans doute, mais de manière trop dispersée et trop tardive11. Cette absence de communication entre les différentes matières du droit de l’environnement est d’autant plus grave lorsque la protection qu’est censé offrir le droit de l’environnement se trouve minimisée.

Corinne Lepage soulignait déjà en 200812 les lacunes du droit de l’environnement : « les procédures de prise de décisions demeurent, en France, imperméables à une meilleure appréhension des questions environnementales et sanitaires, qui restent très liées à une meilleure participation du public ».

Les enquêtes publiques « trompent les citoyens quant à leur objectif puisqu’il s’agit, en réalité, non pas de recevoir leurs avis pour en tenir compte, mais de les informer et de permettre à un commissaire-enquêteur, considéré comme tiers au débat, de pouvoir donner un avis, lequel peut être sans aucun rapport avec celui exprimé par le public ». 

La saisine des enjeux environnementaux dans le cadre d’actions en justice ambitieuses, à l’instar de « l’Affaire du siècle », démontre ce caractère d’étages du droit qui ne communiquent qu’à travers un effort juridique important : les écritures déposées devant le juge administratif dans le cadre de ce litige, dont l’objet est de faire reconnaître l’absence de prise de décisions adéquates, de mesures préventives adaptées, et donc de la responsabilité de l’État, dans son incapacité à agir efficacement contre le réchauffement climatique, se transforme en liste de violations des obligations de l’État en matière de transport, de bâtiment, d’évaluation et de suivi, d’amélioration de l’efficacité énergétique, etc13.

Malgré le travail fourni dans le cadre de cette action, la plupart des auteurs mettent en doute les chances de succès des associations dans cette Affaire14.

L’affaire de la commune de Grande-Synthe est un autre exemple de la multiplication des fondements à invoquer dans un contentieux environnemental pour espérer un résultat probant : les requérants y invoquent de multiples fondements, à l’instar de l’Accord de Paris, la Constitution de 1958, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, ainsi que plusieurs articles du Code de l’environnement15.

D’une façon globale, l’une de plus grandes difficultés du droit de l’environnement, comme l’a montré le rapport « Une justice pour l’environnement » des ministères de la Justice et de la Transition écologique et solidaire, de 2019, revient au dualisme d’ordres juridictionnels, ce qu’exprime parfaitement Laurent Fonbaustier lorsqu’il affirme que « les efforts en cours se heurtent […] au double dualisme des polices et ordres juridictionnels, administratif et judiciaire, la multiplication des polices administratives spéciales, en environnement ou dans des domaines susceptibles de l’impacter indirectement, ajoutant encore aux difficultés présentes »16.

Une meilleure appréhension du droit de l’environnement devra venir de nouveaux principes qui s’appuient sur le caractère unitaire du droit de l’environnement, tel qu’exprimé de façon prophétique par le doyen Vedel, dans sa préface au JurisClasseur de l’environnement (1re édition, 1992) : « le droit de l’environnement sera demain le droit du patrimoine commun de l’Humanité », mettant ainsi l’accent sur le vivant.


B. La remise en ordre des choses à travers l’analyse des grands principes du droit de l’environnement

Des garanties plus fortes ont été apportées au droit de l’environnement lorsque le droit de la protection de la nature et les droits de l’Homme se sont rencontrés, alliant ainsi santé et environnement. 

Seuls les grands principes des droits humains ont, en effet, la portée nécessaire et le caractère général essentiel à la garantie d’une appréhension efficace de la protection de l’environnement.

La Déclaration universelle des droits de l’humanité est un texte synthétique de droit souple rédigé sous l’impulsion de Corinne Lepage, regroupant les initiatives prisent par la société civile, et qui a été adoptée lors de la réunion de Durban du 15 novembre 2019 du Conseil Mondial de Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) qui regroupe près de 240 000 villes et près de 5 milliards d’habitants de la planète.

Elle dispose en son premier article que « l’humanité et la nature sont en péril et qu’en particulier les effets néfastes des changements climatiques, l’accélération de la perte de la biodiversité, la dégradation des terres et des océans constituent autant de violations des droits fondamentaux des êtres humains et une menace vitale pour les générations présentes et futures ».

Cette protection avait déjà été observée au travers de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, consciente de l’importance du sujet et qui a su opérer une véritable révolution jurisprudentielle. 

Si cette Cour est par essence ethnocentrée, et ne doit se limiter qu’à la lettre de la Convention européenne des droits de l’homme, qui n’évoque jamais l’environnement, sa jurisprudence a su reconnaître le lien inévitable qui existe entre l’Homme et son environnement, et prendre en compte cette dimension essentielle dans la défense des droits humains. 

Elle se saisit de la question de l’environnement à travers ses effets sur les droits protégés par les articles de la Convention : ainsi, dans un arrêt Powell et Rayner contre le Royaume-Uni du 21 février 199017, elle admet que son article 8, qui protège le droit à la vie privée et le domicile, peut également conduire à des inclusions indirectes, et qu’une nuisance sonore particulièrement importante contribue à diminuer la qualité de la vie privée et les agréments du foyer des requérants protégés par l’article 8 de la Convention. 

En 1994, c’est l’arrêt majeur Lopez Ostra18 qui va distinctement reconnaître que « des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale ».

On le voit plus précisément encore au sein de l’arrêt Moreno Gomez contre Espagne19, qui affirme que l’article 8 ne vise « pas seulement les atteintes matérielles ou corporelles, telles que l’entrée dans le domicile d’une personne non autorisée, mais aussi les atteintes immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres ingérences. Si les atteintes sont graves, elles peuvent priver une personne de son droit au respect du domicile parce qu’elles l’empêchent de jouir de son domicile. »

Enfin, c’est l’article 2 de la Convention, garantissant le droit à la vie, qui va être utilisé pour établir le lien indissociable entre protection du droit à la vie et protection de l’environnement, et les obligations positives qui reposent sur l’État dans la prévention des atteintes à ce droit et donc, par extension, à l’environnement20.

D’évidence, ce travail a impressionné nos juridictions suprêmes, et ce sont à nouveau les grands principes du droit qui ont conduit aux meilleures protections de l’environnement dans la jurisprudence interne, ainsi que les décisions récentes du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État en attestent.

Le 20 décembre 201921, le Conseil constitutionnel contrôle l’action de « décarbonation du secteur des transports terrestres » de l’État au regard du droit à un environnement sain et équilibré, et déduit le devoir objectif de l’État de protéger le droit de toute personne à un environnement.

Pour Yann Aguila, « en exerçant un contrôle sur le caractère suffisant d’une loi mettant en œuvre l’article 1er de la Charte, le Conseil constitutionnel rehausse le niveau des exigences pesant sur le législateur ».

Il tisse également le lien entre cette décision et celle du 31 janvier 202022 qui reconnaît que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle » qui peut justifier des « atteintes à la liberté d’entreprendre ».

Le Conseil d’État a suivi la même logique dans ses ordonnances de référé très remarquées, rendues sous la présidence du Président de la section du contentieux, sur recours d’associations de médecins concernant l’adéquation prise par le gouvernement sur les graves questions sanitaires liées au développement du Covid-19, et affirmant la reconnaissance du droit à la vie comme une liberté fondamentale23.

Yann Aguila appelle alors à « libérer le potentiel de la Charte » et à appréhender la protection de l’environnement à l’échelle universelle24.

En effet, le patrimoine qu’est l’environnement « dépasse le cadre national : il est partagé par l’ensemble des êtres humains », « la pollution ne connaît pas les frontières des États. La nature forme un écosystème dans lequel tout est lié. Une action sur le territoire d’un État est susceptible d’avoir un impact à l’échelle globale. »

Ces décisions, du fait de leur utilisation des grands principes du droit, ont une portée bien plus importante et contraignante. Le fait que de telles décisions soient rendues par les juridictions les plus élevées devrait ouvrir la voie à la création d’un itinéraire rapprochant plus fortement droit de la santé et droit de l’environnement, et achève de démontrer la nécessité de dépasser une vision sectorielle et fragmentée dans la protection de l’environnement.



II. UNE RÉVOLUTION NÉCESSAIRE DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

La première étape devra évidemment être de reconnaître les liens étroits entre santé et environnement, tant en ce qui concerne les faits (A) que le droit (B).



(© Jean-René Tancrède)







A. Reconnaître les liens entre la santé et l’environnement

L’une des difficultés les plus grandes actuellement est celle de la reconnaissance des liens étroits gouvernant les rapports entre la santé et l’environnement.

Cette difficulté est malheureusement l’objet de polémiques assez peu admissibles, qui vont au détriment de l’établissement d’un lien positif entre les deux notions : l’affaire du glyphosate illustre cette tension25.

Il existe encore bien d’autres exemples, comme l’affaire des lignes à haute tension26, qui peuvent expliquer les multiples hésitations entre précaution et prévention, sans oublier d’ailleurs la stigmatisation volontaire du principe de précaution comme prétendu facteur de paralysie du progrès. 

Une telle perspective n’est plus admissible lorsque l’on parle de choses aussi graves que le Covid-19, dont les symptômes sont notamment aggravés par la pollution de l’air27.

Aujourd’hui, l’alerte a été lancée sur les liens entre l’apparition des virus et la perte de richesse en biodiversité : dans un article du 25 mars 2020, Juliette Duquesne pointe du doigt le lien entre la baisse de biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies dans le monde, en l’occurrence le développement du Covid-1928.

Elle souligne ainsi qu’aux États-Unis, « le nombre de personnes infectées a en effet baissé de 95 % entre 1900 et 1980. Et pourtant, au niveau mondial, le nombre d’épidémies a été multiplié par plus de 10 entre 1940 et aujourd’hui. » 

L’explosion des épidémies est due, selon elle, à la disparition de la biodiversité : plus la biodiversité est forte, plus il existe de virus circulant à « faible bruit », c’est-à-dire qui se transmettent mal, car ils sont absorbés par des espèces jouant le rôle de véritables tampons entre l’animal et l’homme. 

Une étude sur la diversité des oiseaux nord-américains et le développement de la fièvre du Nil occidental démontre ainsi que plus la population d’oiseaux est diverse, plus cette diversité aide à protéger et filtrer cette infection et ainsi éviter sa propagation à l’être humain. Pour un de ses auteurs, c’est une illustration importante du lien entre la biodiversité et la santé humaine29

Or, les populations d’oiseaux ont chuté de plus de 25 % ces dernières années en Amérique du Nord30.

C’est lorsque cette biodiversité chute, du fait notamment de la réduction de l’habitat sauvage, de la disparition d’espèces étroitement liées à leurs habitats, que l’Homme favorise les contacts et la transmission : « avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter » dénonce Sonia Shah31.

Un même constat peut être dressé du fait de la disparition des forêts dans le Nord-Est américain, où le développement urbain chasse les opossums, qui ont toujours contribué à réguler la population de tiques en servant d’hôtes pour celles-ci, au profit d’espèces moins adaptées à cette régulation, comme le cerf. La conséquence directe de cet appauvrissement est le développement de la transmission de la maladie de Lyme, passant de 48 610 cas en 2016 à 59 349 cas en 2017 aux États-Unis32. Pour Inès Leonarduzzi, la fréquence des épidémies s’est accélérée ces dernières années, sans signe de décroissance à l’horizon, car notre mode de vie, qui tend à détruire des zones de vie sauvage, contraint des animaux porteurs de maladies à s’installer dans notre habitat, sans espace entre la maladie et l’être humain : « C’est en fait tout notre mode de fonctionnement qu’il faut mettre à jour. »33

Ce lien a également été reconnu par des instances en charge de la protection de la biodiversité.

Dans le cadre de la déclaration de Gangwon, en Corée du Sud, à l’issue de sa 12e Conférence des parties, la Convention pour la diversité biologique a ainsi reconnu « la valeur de l’approche “Un monde, une santé” pour traiter la question intersectorielle de la diversité biologique et de la santé humaine, en tant que stratégie intégrée […] qui tient compte des corrélations complexes entre humains, microorganismes, animaux, végétaux, agriculture, vie sauvage et environnement »34.

Elle encourage également ses parties à promouvoir au niveau national une coopération entre agences responsables de la biodiversité, et celles en charge de la santé.

Les experts du GIEC alertent également sur le fait que le changement climatique entraîne des risques de morbidité et de mortalité liés à la chaleur, à l’ozone et à certaines maladies à transmission vectorielle plus importants35.

Les déséquilibres écologiques sont à l’origine de ces pandémies, et s’il n’y avait pas eu le Covid-19, une autre pandémie serait survenue36.

Notre situation actuelle est « un coup de boomerang qui nous revient à la figure et que nous avons nous-mêmes lancé », selon les mots de Jean-François Guégan37.

Et Serge Morand, chercheur au CNRS-Cirad, d’alerter : « si nous ne préservons pas la biodiversité, les crises sanitaires vont se multiplier. Pour prévenir une prochaine crise comme celle-ci, il faut traiter les causes plutôt que de se retrouver encore et encore à traiter les conséquences. »38

Il y a fort à parier que lors de la prochaine réunion à Kunming, en Chine, de la Conférence des parties à la Convention pour la diversité biologique, ces questions seront au cœur des débats. 


B. Reconstruire le droit autour de ce lien

Il est évident qu’il serait présomptueux d’imaginer ce que pourrait être le droit international tel qu’il résultera de la réunion chinoise précitée en espérant que des dispositions contraignantes, notamment sur l’obligation d’information et la coopération scientifique en ressortiront – comme cela a été le cas à la suite de l’accident de Tchernobyl où il n’avait pas fallu attendre six mois pour édicter une convention internationale qui s’imposait, notamment sur l’information de la population en cas d’accident nucléaire39.

La crise actuelle doit transformer la révélation du lien intrinsèque entre la protection de l’environnement et notre santé, en une révolution de notre appréhension de ce lien.

La cause de la crise environnementale étant globale, la réponse apportée par le droit doit également être globale.

Plus modestement, au seul niveau national, il faut bien constater que cette défaillance est connue, mais non traitée. Et la critique la plus forte est celle qui a porté sur la faiblesse des plans santé et environnement.

Si le Conseil général de l’environnement et du développement durable souligne en effet dans un rapport d’avril 2013 que « les écosystèmes rendent des services qui sont bénéfiques à la santé » et que « la préservation de la biodiversité est aussi un enjeu de santé », cette reconnaissance n’a pas été traduite en actes40.

Dans un article relatif à la loi santé de 201641, Béatrice Parance critique les faiblesses de la prise en considération de ce lien, aux yeux duquel les prévisions de cette loi paraissent bien maigres : « de nombreux élus et associations ont fortement regretté que cette loi n’ait pas permis d’avancer plus avant sur la question des risques liés aux substances chimiques, dont certaines ont des fonctions de perturbation endocrinienne, aux pesticides ou encore aux nanomatériaux. Seules deux questions ont retenu l’attention en substance, celle de la qualité de l’air et celle de l’amiante. »42

Elle rappelle également le jugement sévère porté par la Cour des comptes sur les politiques nationales de lutte contre les pollutions atmosphériques43, qui « affirme d’emblée le caractère artificiel de la volonté politique de lutte contre la pollution atmosphérique alors même que les coûts sanitaires et économiques liés à cette pollution sont très importants. »

La référence à des expériences étrangères serait la bienvenue : en effet, l’initiative « Un monde, une santé » de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) a pour ambition de créer des liens entre la santé humaine, animale, et environnementale, pour garantir le développement et la santé globale de tous les organismes44.

Elle invite les professionnels de la santé publique, la santé animale, la santé végétale et de l’environnement, à « unir leurs forces à l’appui des approches “ Un monde, une santé  », qui permettent de « détecter, traiter et prévenir efficacement les flambées épidémiques de zoonoses et les problèmes de sécurité sanitaire des aliments ». Ces actions invitent également « les responsables des administrations publiques, les chercheurs et les travailleurs travaillant aux niveaux local, national, régional et mondial » à « mettre en œuvre des interventions conjointes pour répondre aux menaces qui pèsent sur la santé ».

Le malheur est que le Président des États-Unis vient de décider la mise entre parenthèses des lois environnementales pour une durée indéterminée, dans le contexte du Covid-1945.

Plusieurs directions doivent être explorées.

Pour Yuval Noah Harari, une bataille s’engage dès aujourd’hui pour faire de notre santé un terrain de surveillance accrue, et une donnée partagée non seulement avec notre État, mais potentiellement d’autres États46

Selon Inès Leonarduzzi, cette pandémie doit engendrer un « plan social écologique » qui aurait pour but d’intégrer l’écologie et les principes du développement durable dans une démarche transversale47.

Dans un second temps, des « états généraux du futur de l’agriculture et du bien-bâtir » viseraient à repenser le modèle de construction agricole autour de ces principes de bonne gestion écologique.

Ces états généraux « seraient l’occasion de définir de nouveaux modes d’expansion des circuits courts, et une consommation française à la fois équilibrée et responsable. Pour cela, on pourrait s’orienter vers l’habitat et l’agriculture verticale, l’écoconception ou le réemploi des matériaux et respecter les saisonnalités. Cela permettrait par ailleurs d’assainir les sols, rétablir des forêts pour y réintégrer oiseaux et animaux délogés, en cours d’extinction, et rééquilibrer les écosystèmes naturels. » 

Il n’y a pas seulement à regarder du côté du droit de l’agriculture et de l’alimentation, mais aussi du droit des techniques spécifiques qui ont créé le droit de l’environnement. Il s’agit ici de parler brièvement de la nécessaire extension du droit de l’évaluation environnementale, notamment lorsque la biodiversité, et en particulier la biodiversité forestière, doit être impliquée.

La jurisprudence internationale en matière d’étude d’impact climatique a réussi ce tour de force d’obliger les auteurs d’étude d’impact à se préoccuper non seulement des effets directs, mais également des effets indirects d’un projet. Une affaire judiciaire tranchée en Australie illustre bien ce propos : l’administration australienne reprochait à un projet d’équipement minier consacré au charbon et dans lequel l’aspect indirect de la production du charbon, c’est-à-dire la vente de ce charbon dans le monde, n’avait pas été mesurée au regard des critères du réchauffement climatique – c’est ce que l’on appelle l’évaluation de l’effet indirect48.

L’idée ici serait d’orienter la recherche sur les effets d’un projet appauvrissant la biodiversité sur le risque de développement viral, étude délicate on en convient, sans doute très onéreuse, mais totalement nécessaire.

De même, la question des élevages intensifs, vecteurs de virus49, devrait être repensée en incluant cette même dimension. C’est dire qu’il faut condamner clairement les tentatives qui ont lieu en France de réduire, voire même d’écarter l’étude d’impact, et l’évaluation environnementale d’un projet50.

Pour Laurent Fonbaustier, l’urgence environnementale impose de s’interroger clairement sur les « modes de production, de distribution et de consommation écologiquement et socialement très néfastes […] depuis longtemps généralisés et juridiquement permis. Leur traitement supposerait un changement d’échelle, une modification du regard sur les liens de causalité, ainsi qu’un dépassement d’une optique strictement juridique et contentieuse. À mi-chemin […] dans certaines situations, l’intervention d’un juge serait inopérante ou inadaptée, et la “pression sociétale semble alors la seule issue possible pour faire changer les comportements individuels ” »51.

Finalement, c’est une véritable révolution du droit de l’environnement, souché sur le droit de la santé, et donc le droit à la vie, qu’il faudra entreprendre. L’opération sera difficile, car la tentation sera forte, à l’issue de la crise, de privilégier le court terme sur le long terme.



Christian Huglo, avocat à la Cour, Docteur en droit

Raphaël Gubler, élève-avocat



1) Évaluation de l’impact sur la qualité de l’air en Île-de-France des premiers jours de confinement mis en place dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19 - Bilan provisoire de la semaine du 16 au 20 mars 2020, Airparif, 24 mars 2020.

2) « Coronavirus : la pollution au dioxyde d’azote en chute libre en Chine », Les Échos, 2 mars 2020.

3) « À Venise, les eaux n’ont jamais été aussi claires », Nathalie Mayer, Futura Planète, 20 mars 2020. 

4) « Le droit à l’épreuve de la crise écologique » - Dossier par Yann Aguila, Revue des juristes de Sciences Po n° 18, janvier 2020, 3.

5) Loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l’environnement.

6) Loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

7) Titre II du Livre I du Code de l’environnement.

8) Article L. 225-102-1 du Code de commerce.

9) « Effets des pollens sur la santé », ministère des Solidarités et de la Santé, publié le 26 décembre 2018 ; « Changement climatique et pollinisation », P. Besancenot, M. Thibaudon, Revue des Maladies Respiratoires, Volume 29, Issue 10, december 2012, pp 1238-1253.

10) L’environnement malade de son droit, Introduction générale, Yann Tanguy, Revue Juridique de l’Ouest, 1992, pp. 5-20.

11) « L’environnement n’appartient à personne et l’usage qui en est fait est commun à tous. Des lois de police règlent la manière d’en jouir », p. 93 à 143 dans « Quel avenir pour le droit de l’environnement ? », François Ost et Serge Gutwirth, Presse de l’Université Saint-Louis, 1996.

12) « Les véritables lacunes du droit de l’environnement », Corinne Lepage, dans Pouvoirs 2008/4 (n° 127), pages 123 à 133.

13) Argumentaire du mémoire complémentaire de « l’Affaire du siècle ».

14) « L’affaire du siècle donnera-t-elle lieu au jugement du siècle ? » - Étude par Arnaud Cabanes, Énergie - Environnement - Infrastructures n° 11, novembre 2019, étude 15.

15) « Le recours de la commune de Grande-Synthe et de son maire contre l’insuffisance des actions mises en œuvre par l’État pour lutter contre le changement climatique », Christian Huglo et Théophile Bégel, Énergie - Environnement - Infrastructures n° 5, Mai 2019, dossier 19.

16) Rapport « Une justice pour l’environnement » - Des constats lucides et des préconisations fortes, sources d’inspiration d’un projet de loi en cours d’adoption, Laurent Fonbaustier, La Semaine Juridique, Édition Générale n° 10, 9 mars 2020, 260.

17) CEDH, Affaire Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, n° 9310/81.

18) CEDH, Lopez Ostra contre Espagne, 9 décembre 1994, n° 16798/90.

19) CEDH, Affaire Moreno Gomez contre Espagne, 16 novembre 2004, n° 4143/02.

20) CEDH, Affaire Oneryldiz contre Turquie, 30 novembre 2004, n° 48939/99.

21) Décision du Conseil constitutionnel n° 2019-794 DC, Loi d’orientation des mobilités, 20 décembre 2019.

22) Décision du Conseil constitutionnel n° 2019-823 QPC, Union des industries de la protection des plantes, 31 janvier 2020.

23) Conseil d’État, 28 mars 2020, Demande de recommandation temporaire d’utilisation pour le Plaquenil, n° 439765 ; Conseil d’État, 28 mars 2020, SMAER. Demande de mesures pour production de masques, dépistage, administration hydroxychloroquine et azithromycine, n° 439726 ; Conseil d’État, 28 mars 2020, Demande de mesures pour mise à disposition de matériel aux personnels de santé, n° 439693.

24) « Environnement - Charte de l’environnement : le temps de la récolte » - Note sous arrêt par Yann Aguila et Lucie Rollini, La Semaine Juridique, Édition Générale n° 10, 9 mars 2020, 275.

25) « Pas de glyphosate dans la commune » - Veille par Lucienne Erstein, Énergie – Environnement – Infrastructures n° 12, décembre 2019, alerte 182.

26) « Les lignes à haute et très haute tension et champs électromagnétiques : risques pour la santé », Notre-planète.info, 27 août 2019.

27) « Coronavirus : la pollution de l’air est un « facteur aggravant », alertent médecins et chercheurs », Stéphane Mandard, Le Monde, 30 mars 2020.

28) Covid-19 : La baisse de la biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies, Carnets d’alerte, Juliette Duquesne, 25 mars 2020.

29) Diversity Of Birds Buffer Against West Nile Virus, BirdLife International, 6 mars 2009.

30) « Birds are vanishing from North America », Carl Zimmer, The New York Times, 19 septembre 2019.

31) Contre les pandémies, l’écologie, Sonia Shah, Le Monde diplomatique, 17 mars 2020.

32) « Lyme and other tickborne diseases increasing », Centers for Disease Control and Prevention, 22 avril 2019.

33) « Opinion | Coronavirus : le pangolin n’y est pour rien », Inès Leonarduzzi, Les Echos, 20 mars 2020.

34) Décision adoptée le 17 octobre 2014 par la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, dans le cadre de la douzième réunion à Pyeongchang (République de Corée), du 6 au 17 octobre 2014. 

35) « Global Warning of 1.5°C, Summary for Policymakers », GIEC, 2018.

36) Propos de Serge Morand, chercheur CNRS-Cirad, recueillis par Juliette Duquesne dans « Coronavirus : « La disparition du monde sauvage facilite les épidémies », Marianne, 17 mars 2020.

37) Le coronavirus, « un boomerang qui nous revient dans la figure », 22 mars 2020, Jade Lindgaard et Amélie Poinssot, Médiapart.

38) « Covid-19 : La baisse de la biodiversité et la hausse du nombre d’épidémies », Carnets d’alerte, Juliette Dusquene, 25 mars 2020.

39) Convention sur la notification rapide d’un accident nucléaire, 26 septembre 1986.

40) « Les liens entre santé et biodiversité », rapport d’avril 2013 du Conseil général de l’environnement et du développement durable, n° 008095-01.

41) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

42) « Les faiblesses de la prise en considération du lien Santé Environnement dans la nouvelle loi santé », Béatrice Parance, Journal de Droit de la Santé et de l’Assurance Maladie, 1er mars 2016, pp. 119-121.

43) Les politiques publiques de lutte contre la pollution de l’air, Cour des comptes, 21 janvier 2016.

44) L’approche multisectorielle de l’OMS « Un monde, une santé », OMS, septembre 2017.

45) « EPA suspends enforcement of environmental laws amid coronavirus », The Hill, Rebecca Beitsch, 26 mars 2020.

46) Le monde après le coronavirus, vu par Yuval Noah Harari, Catherine Frammery, Le Temps, 24 mars 2020.

47) « Opinion | Coronavirus : le pangolin n’y est pour rien », Inès Leonarduzzi, Les Échos, 20 mars 2020.

48) Dialogues franco-australiens sur la justice climatique, Thomas Thuillier, Énergie - Environnement - Infrastructures, LexisNexis, 2019, p. 46 – voir également à ce sujet, Méthodologie de l’étude d’impact climatique Droits européen, français et anglo-saxon, Christian Huglo, 1re édition, Éditions Bruylant, 2020. 

49) Quand l’homme favorise les épidémies, Laure Cailloce, 23 septembre 2014, Journal du CNRS.

50) « Évolution du droit de l’environnement : entre le chaud et le froid », Christian Huglo, Énergie - Environnement - Infrastructures n° 3, mars 2020, repère 3.

51) Rapport « Une justice pour l’environnement » ; « Des constats lucides et des préconisations fortes, sources d’inspiration d’un projet de loi en cours d’adoption », Laurent Fonbaustier, La Semaine Juridique, Édition Générale n° 10, 9 mars 2020, 260.




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