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Biodiversité et projets EnR : un équilibre fragile

Biodiversité et projets EnR : un équilibre fragile
Publié le 04/10/2022 à 17:20

Les oppositions les plus véhémentes aux projets d’énergies renouvelables se sont souvent cristallisées autour de la protection du paysage, que des éoliennes ou des champs de panneaux solaires viendraient altérer.

À l’heure actuelle, il semble toutefois de plus en plus rare que le seul argument du paysage permette de mettre fin à un projet, à moins d’un caractère exceptionnel – l’exemple récent d’un projet de parc éolien annulé en raison de son emplacement dans un paysage cité abondamment dans l’œuvre de Marcel Proust en est une illustration singulière (1).

Il est néanmoins un autre intérêt majeur avec lequel doit impérativement composer tout projet de production d’énergies renouvelables : la protection de la biodiversité. C’est ainsi que le risque avicole et chiroptère est l’un des premiers étudiés lors de l’implantation d’un projet d’éoliennes, par exemple.

Les enjeux naturalistes conduisent alors souvent les porteurs de projet à devoir demander une dérogation à l’interdiction stricte de destruction et de perturbation des espèces protégées, prévue par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement.

Cette dérogation peut être obtenue lorsque trois conditions sont réunies : premièrement, une raison impérative d’intérêt public majeur justifie le projet, deuxièmement, aucune alternative satisfaisante au projet n’existe, et troisièmement, l’espèce protégée est maintenue dans un état de conservation favorable.

Il peut être délicat de réunir ces trois conditions, que le juge s’est appliqué à interpréter à de nombreuses reprises, conduisant parfois à l’annulation de certains projets d’énergies renouvelables.

Cependant, il faut aller toujours plus vite pour rattraper le retard colossal pris dans le développement de la filière. C’est sans doute ce qui a conduit le gouvernement à déposer un projet de loi qui permet de créer une sorte de régime d’exception pour les projets d’énergies renouvelables en matière de dérogation « espèces protégées » et d’utilité publique.

 





 


L’appréciation actuelle du juge sur la compatibilité entre projets EnR et espèces protégées

À défaut de précisions réglementaires, le juge administratif s’est attaché à dessiner les contours des trois conditions pour obtenir une dérogation à l’interdiction de détruire ou perturber des espèces protégées. Si aucun critère n’apparaît à l’heure actuelle comme étant déterminant, l’analyse de la jurisprudence concernant les projets d’énergies renouvelables permet de dégager certaines lignes directrices, en particulier à propos de l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur justifiant le projet.

Ainsi, l’on observera que le juge porte une attention particulière à la participation du projet aux objectifs français et européens d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale. Il semble que plus le projet est générateur d’une quantité importante d’énergie renouvelable, et contribue donc de manière déterminante à la réalisation de ces objectifs, plus le juge sera enclin à estimer que le projet revêt un caractère d’intérêt public majeur. À cet égard, le contexte local d’approvisionnement en énergie constitue un des éléments d’appréciation du caractère impératif du projet.

À titre d’exemples, ont été considérés comme revêtus d’un tel caractère et justifiant donc la délivrance d’une dérogation « espèces protégées » : un parc éolien en mer qui permet de couvrir environ 8 % de la consommation de la région Normandie et 4 % de la région des Hauts-de-France (2) ; un parc éolien en mer participant à la réalisation du programme Vendée Energie mis en place en 2012 qui a pour objectif de doubler la production d’électricité de ce département à l’horizon 2020 et permettant de couvrir 8 % de la consommation régionale (3) ; ou encore un parc éolien composé de 16 ou 17 éoliennes d’une puissance totale de plus de 51 mégawatts permettant l’approvisionnement en électricité de plus de 50 000 personnes, dans une région (la Bretagne) qui connaît une situation fragile en matière d’approvisionnement électrique, sa faible production en électricité locale ne couvrant que 8 % de ses besoins alors que ceux-ci connaissent une nette augmentation en raison d’une forte croissance démographique (4).

Le couperet est en revanche tombé pour une centrale hydroélectrique dont la production annuelle projetée était évaluée à 12 millions de kilowattheures, soit la consommation électrique d’environ 5 000 habitants, qui n’était pas de nature à modifier sensiblement en faveur des énergies renouvelables l’équilibre entre les différentes sources d’énergie pour la région Occitanie et pour le territoire national, et ne pouvait être regardée comme contribuant à la réalisation des engagements de l’État dans le développement des énergies renouvelables (5).

Ou encore, plus récemment, un parc éolien dont la contribution aux objectifs d’augmentation de la part d’énergies renouvelables était modeste, celui-ci ne participant qu’à hauteur de 1,5 % à la réalisation des objectifs régionaux en cette matière, dans un contexte où le département de l’Hérault et le département proche de l’Aude comptent déjà de nombreux parcs éoliens répartis dans les zones les plus favorables au développement de cette forme d’énergie, et alors qu’il n’est pas soutenu que ces départements seraient confrontés en matière de diversification des sources de production d’énergie à des déséquilibres particuliers (6).

Parmi les éléments pris en compte par le juge, figure également la réduction du coût de la subvention publique et du montant du tarif d’achat de l’électricité à laquelle a permis d’aboutir la renégociation des appels d’offres (7). À l’inverse, la création d’emplois n’apparaît pas être un argument suffisant (8). Notons également que la reconnaissance du caractère d’utilité publique d’un projet n’emporte pas automatiquement le caractère d’intérêt public majeur (9).

Dans l’ensemble, il faut bien reconnaître que le juge administratif procède à une analyse très fine et équilibrée de chaque projet, estimant au cas par cas si la dérogation « espèces protégées » devait être délivrée. Sans critères balisés, d’aucuns pourraient considérer que cela crée une insécurité juridique pour chaque projet, et que les projets de petite taille, de contribution modeste aux objectifs nationaux, seraient défavorisés dans le cadre de cette appréciation. À l’inverse, ce garde-fou permet peut-être aussi d’écarter les projets motivés davantage par des considérations économiques que par des besoins locaux réels, dont l’impact sur la biodiversité apparaîtrait alors difficilement justifiable.

À l’évidence, le gouvernement penche plutôt pour la première option. Il est ainsi prévu d’assouplir le régime, en faveur des projets d’énergies renouvelables, dans le projet de loi ayant vocation à être déposé prochainement à l’Assemblée nationale.

 

 


Le basculement vers un régime favorisant les projets EnR

Le projet de loi relatif à l’accélération des énergies renouvelables contient diverses mesures destinées à développer massivement la filière, dont le retard est désormais constaté – et regretté – par la majorité d’entre nous.

Parmi elles se trouve un article 6 qui ajoute un article au sein du Code de l’environnement permettant de reconnaître de façon automatique le caractère de raison impérative d’intérêt public majeur pour les « projets d’installations de production d’électricité et de gaz à partir des sources renouvelables mentionnées à l’article L. 211-2 du Code de l’énergie, ainsi que leurs ouvrages de raccordement aux réseaux d’énergie ». Pour ce faire, les projets EnR devront répondre à des critères techniques fixés par décret en Conseil d’État.

En cas de contentieux, le juge n’aura donc plus que les deux autres conditions de la dérogation « espèces protégées » à apprécier, la raison impérative d’intérêt public majeur ne faisant pas l’objet d’un débat.

Cette exception – à ce qui est déjà une exception (la règle demeurant théoriquement l’interdiction de porter atteinte à une espèce protégée) – a pour dessein, aux termes de l’étude d’impact du projet, la « sécurisation juridique des projets d’énergie renouvelable » par voie, donc, de limitation du contrôle du juge.

Mais l’incise la plus lourde de conséquences se trouve peut-être encore ailleurs. En effet, le projet de loi propose dans ce même article 6 un mécanisme nouveau : la possibilité pour la déclaration d’utilité publique de reconnaître, dans le même temps, le caractère de raison impérative d’intérêt public majeur d’un projet. La nature des projets concernés n’est pas précisée et ne se limite a priori donc pas aux installations de production d’énergies renouvelables.

Aux termes de ce nouvel article proposé, si le caractère d’intérêt public majeur du projet était contesté, il ne pourrait l’être que dans un recours contre la déclaration d’utilité publique et non contre la future dérogation « espèces protégées » délivrée, même par voie d’exception d’illégalité. Là encore, l’objectif est clair : limiter au maximum le contentieux.

Les associations de protection de la biodiversité se sont élevées contre ces dispositions qu’elles considèrent comme une régression environnementale. Interrogé, le Conseil National de la Transition Écologique s’est lui-même déclaré partagé sur ce point (10).

Il ne fait aucun doute que le développement des énergies renouvelables est un enjeu crucial pour la Nation, qui justifie un régime d’exception. Toutefois, la préservation de la biodiversité l’est tout autant (si ce n’est plus, car à quoi bon produire de l’électricité dans un monde vidé du vivant ?). Il apparaît alors risqué de considérer le régime de protection des espèces protégées comme un simple « aléa juridique » à supprimer, d’autant qu’il nous semble que celui-ci est loin d’être le seul frein à ce développement.

Espérons que les discussions autour de ce projet à l’Assemblée apporteront les garanties nécessaires d’un juste équilibre entre ces deux intérêts qui concourent à un objectif commun : nous assurer à tous un avenir habitable.

 

 

1) CAA Versailles, 11 avril 2022, n° 20VE03265, Société Combray Energie.

2) CAA Nantes, 6 oct. 2020, n° 19NT01714, 19NT02501 et 19NT02520, Assoc. Sans offshore à l’horizon et a.

3) CAA Nantes, 3 juill. 2020, n° 19NT01583, Assoc. des commerçants de Noirmoutier.

4) CE, 15 avril 2021, n° 430500, Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France.

5) CE, 15 avril 2021, n° 432158, FNE Midi-Pyrénées.

6) CE, 10 mars 2022, n° 439784, Société parc éolien des Avant-Monts. Notons que le projet allait conduire à la destruction de de 875 spécimens d’oiseaux et 719 spécimens de chiroptères.

7) CAA Nantes, 6 oct. 2020, préc.

8) CE, 10 mars 2022, n° 439784, Société parc éolien des Avant-Monts.

9) CAA Bordeaux, 5e chambre, 10 décembre 2019, Département de la Dordogne et autres n° 19BX02327, 19BX02367, 19BX02369, 19BX02378, 19BX02421, 19BX02422, 19BX02423, 19BX02424.

 

 

Arielle Guillaumot,

Avocate,

Cabinet Huglo Lepage Avocats




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