DROIT

Brique par brique, l'espace européen des données de santé se construit

Brique par brique, l'espace européen des données de santé se construit
Publié le 28/11/2024 à 17:30

Le règlement sur l’Espace européen des données de santé doit entrer en vigueur cet hiver. L’enjeu : créer « un cadre juridique solide » pour l’utilisation sécurisée des données de santé dans toute l’Union européenne, tant pour des usages primaires (soins de santé directs) que pour des usages secondaires (recherche, innovation, politiques publiques). Explications.

Le Parlement européen a approuvé définitivement, le 24 avril dernier, une proposition de règlement (1) visant à la création d’un espace européen des données de santé (European Health Data Space ou EHDS en anglais). Initialement proposé par la Commission européenne en mai 2022 lors de la présidence française de l’UE, le texte devrait être publié cet hiver pour entrer en vigueur 20 jours après.

L’enjeu est majeur. Véritable « pilier » de la stratégie que l'UE souhaite bâtir en matière de santé, l’EHDS vise en effet à faciliter le partage sécurisé de données contenues dans les dossiers médicaux (antécédents, traitements en cours, examens de radiologie et de biologie, allergies, groupe sanguin…) entre professionnels de santé européens, avec l’accord des patients bien sûr, pour améliorer les prises en charge transfrontières (on parle ici d’utilisation « primaire » des données).

Le second objectif est de permettre l’utilisation, après pseudonymisation, des données de santé à des fins de recherche et d’innovation pour le développement de nouveaux traitements et dispositifs médicaux, de statistiques officielles et de politique publique (utilisation « secondaire » des données).

De vastes perspectives

« L’EHDS soutiendra les travaux de l’Autorité de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire (HERA) » et « contribuera au plan européen de lutte contre le cancer », évoquent ainsi les institutions européennes dans l’exposé des motifs de la proposition de règlement (1). Et ce, notamment en améliorant « la compréhension, la prévention, la détection précoce, le diagnostic, le traitement et la surveillance du cancer », grâce à « un accès et à un partage transfrontières sécurisés » des « données des personnes physiques relatives au cancer ». En outre, l’Espace « aidera à proposer un état des lieux en temps réel des cancers dans l'ensemble de l’UE », complète la Commission européenne. Il devrait également faciliter la mise en œuvre de la stratégie pharmaceutique pour l'Europe, assure-t-elle.

Une mise en œuvre progressive

La mise en œuvre du règlement « relatif à l’espace européen des données de santé » sera progressive. Elle nécessite en effet de créer deux infrastructures, l’une pour l’utilisation primaire des données, l’autre pour leur utilisation secondaire, « dans le respect des droits des personnes », avec des procédures d’accès aux données « harmonisées et encadrées dans les États membres de l’UE », rappelle le ministère de la Santé français.

Les pays de l’Union ne partent toutefois pas complètement de zéro, puisqu’une infrastructure commune, MaSanté@UE (ou MyHealth@UE), est déjà partiellement opérationnelle au sein de 13 pays pour le partage du volet de synthèse médical (« Patient Summary ») et des prescriptions dématérialisées (afin de permettre aux patients d’obtenir leurs médicaments dans les officines des pays de l’UE). Peu à peu, d’autres catégories de données seront donc également concernées – les comptes-rendus de biologie et d’imagerie, les images médicales et les lettres de sortie d’hospitalisation – ainsi que, d’ici fin 2030, l’ensemble des pays de l’UE.

L’Hexagone à l’œuvre

En France, depuis 2021, le service Sesali.fr, pour « Service européen de santé en ligne », est « le point d’entrée à MaSanté@UE », pointe l’Agence du numérique en santé. Il permet, pour l’heure, « aux professionnels de santé habilités de consulter immédiatement les données de santé » des patients (avec leur accord) issus de sept pays européens (dix l’année prochaine), « de manière sécurisée, structurée et en français ».

La « dispensation des médicaments aux personnes munies d’une e-prescription dans les officines françaises » et « l’utilisation de la e-prescription française dans les officines des autres pays de l’UE connectés » seront déployées dès 2026, selon le ministère de la Santé.

Un projet pilote emmené par la France

L’application complète des aspects liés à l’utilisation secondaire des données s’échelonnera, elle, jusqu’en 2028, voire 2030 pour certaines catégories de données sensibles? (données génétiques, notamment), via l’infrastructure « DonnéesSanté@UE » (ou « HealthData@EU »). Sur ce point, un premier jalon a d’ores et déjà été posé dans le cadre du projet Healthdata@EU Pilot. Celui-ci, co-financé par le programme EU4Health de la Commission européenne, est porté par un consortium emmené par le Health Data Hub et composé de 17 organisations dont des organismes responsables de l’accès aux données de santé, des agences de santé européennes et des infrastructures de recherche à travers l’Europe.

« Le projet a démarré en octobre 2022 pour une durée de deux ans prolongée de trois mois et doit se conclure en décembre 2024 », développe Mario Jendrossek, Directeur des Affaires Européennes et Internationales du Health Data Hub qui est, pour rappel, un groupement d’intérêt public français chargé de la mise à disposition des données de santé pour améliorer la qualité des soins. L’enjeu était « de construire et tester une version beta d’infrastructure technique », « d’étudier la faisabilité et le potentiel d’une réutilisation de données issues de plusieurs pays européens » et, enfin, « de fournir des lignes directrices et des spécifications techniques concernant les normes, la qualité, la sécurité et le transfert des données ainsi que la procédure commune de demande d’accès », poursuit-il.

Un « standard européen de métadonnées »

À quelques semaines de la fin du projet, plusieurs livrables ont déjà été rendus et remis à la Commission européenne, dont celui sur « la preuve de concept d’une infrastructure technique facilitant l’échange sécurisé d’informations entre pays, avec un portail centralisé européen, souligne M. Jendrossek. Cette infrastructure a été construite en étroite collaboration avec les équipes de la Commission européenne, qui vont poursuivre son développement dans la durée, dans la continuité de la version pilote ».

Un « standard européen de métadonnées », essentiel pour alimenter un futur « catalogue européen de métadonnées » ainsi qu’un « formulaire unique de demande d’accès aux données » ont également été développés. Ceux-ci sont encore en cours de revue par la Commission.

Enfin, seront publiées « d’ici fin décembre » des « recommandations basées sur cinq cas d’usage testés », parmi lesquels la surveillance de la résistance antimicrobienne ou encore, les risques de troubles de la coagulation chez les patients atteints du Covid-19, note M. Jendrossek.

Des financements européens prévus

Les travaux devront ensuite, bien sûr, se poursuivre pour affiner et tester de nouveau ces premières « briques », afin de veiller à leur efficacité et à leur conformité aux exigences du règlement relatif à l’EHDS. L’enjeu sera également de s’assurer que les différents pays de l’UE pourront bien s’adapter et se connecter sans difficulté et en toute sécurité à la future infrastructure.

« Certains pays, tels que la Finlande et le Danemark, ont des cadres juridiques d’utilisation secondaire des données de santé bien établis, avec une infrastructure solide qui leur permettra de s’adapter plus facilement aux exigences du règlement EHDS. D’autres pays, en revanche, sont moins voire beaucoup moins avancés. C’est la raison pour laquelle des financements européens sont prévus et qu’un délai de plusieurs années a été fixé pour leur permettre de se mettre en conformité », explique le Directeur des Affaires Européennes et Internationales du Health Data Hub.

Des règlements d’exécution nécessaires

Une fois le règlement publié, « des règlements d’exécution, et peut-être des règlements délégués, sont attendus », complète Nathalie de Grove-Valdeyron, Professeur de Droit public au sein de l’Université Toulouse Capitole et Directrice du DU « EDIHL » « Droit européen du numérique en santé » ainsi que du DU d’études de droit de l’Union européenne.

Ils définiront, par exemple, les spécifications techniques requises pour assurer l’interopérabilité des infrastructures nationales et leur connexion à l’infrastructure européenne (protocoles de sécurité, standards communs des données…) ou encore, la procédure de traitement des demandes d’accès aux données de santé, par exemple. « Il y aura encore des discussions sur ces différents sujets ; les États membres ainsi que l’ensemble des parties prenantes seront consultés par la Commission européenne : patients, professionnels de santé, chercheurs, industriels, institutionnels, etc », précise le Pr de Grove-Valdeyron.

Diverses interrogations demeurent

D’autant que certaines questions restent encore en suspens à ce jour : quels professionnels de santé collecteront les données des patients pour alimenter l’EHDS ? Comment s’effectueront concrètement le recueil et l’accès aux données pour les praticiens ? Comment le consentement du patient sera-t-il recueilli ?

Ce qui est sûr, c’est que le futur règlement reconnaît une certaine latitude aux États membres de l’UE, qui pourront notamment « proposer un mécanisme d’opposition des patients à l’utilisation primaire et même secondaire de leurs données de santé, évoque Nathalie de Grove-Valdeyron. Les États pourront cependant mettre en place, en vertu de leur droit national, un mécanisme permettant de mettre à disposition les données pour lesquelles le droit d’opposition a été exercé, dans des conditions très strictes définies par le règlement, pour la recherche scientifique ou encore, pour des raisons majeures d’intérêt public, par exemple ».

Création d’un comité de l’Espace européen

Enfin, un comité de l’espace européen des données de santé sera créé. Composé de représentants des États membres et de la Commission européenne, mais aussi d’observateurs, il contribuera « à une application cohérente des règles dans l’ensemble de l’Union », rappelle la Commission européenne. Les « parties prenantes et les tiers concernés », tels que les associations de patients, les chercheurs et les entreprises, pourront « assister aux réunions du comité de l’EHDS et à participer à ses travaux, en fonction des sujets examinés et de leur degré de sensibilité » pour faire part de leurs points de vue, précise la proposition de règlement.

Au total, la Commission apporte 810 millions d’euros pour soutenir l’EHDS, sans compter les 280 millions d’euros disponibles au titre du programme « L’UE pour la santé » ainsi que le soutien du Fonds européen de développement régional, du programme InvestEU et du programme pour une Europe numérique. Les États Membres ont, en parallèle, prévu 12 milliards d’euros d’investissements dans le numérique en santé.

En contrepartie, au-delà des bénéfices majeurs attendus en termes de santé, de recherche et d’innovation, des bénéfices économiques sont escomptés. Au total, l’EHDS devrait en effet permettre à l’UE d’économiser environ 11 milliards d’euros sur dix ans, selon les calculs de la Commission (2). Enfin, « l’Espace européen des données de santé est le premier espace de données sectoriel d’une série de plusieurs à venir qui vont être déployés par l’Union européenne dans le cadre de la stratégie numérique européenne, rappelle le Pr De Grove Valdeyron. Le partage de données est en effet considéré comme porteur dans d’autres domaines comme celui de l’industrie, de l’agriculture ou encore, du climat par exemple. »

Nathalie Ratel
Pi+

1/ Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'espace européen des données de santé
2/ « Une interopérabilité accrue des données de santé entre les prestataires de soins de santé pourrait entraîner des économies importantes pour les patients et les systèmes de santé, étant donné qu’environ 10 % des images médicales prises dans les États membres de l’UE (coûtant environ 14 milliards d’euros par an) sont considérées comme inutiles », relève la Commission dans son étude d’impact de mai 2022 sur l’EHDS. De plus, grâce aux e-prescriptions, « les erreurs de délivrance de produits médicaux pourraient être réduites de 6 % en moyenne et jusqu’à 15 % dans les pays les plus numérisés », selon l’étude « ePrescribing: An International Review » réalisée par la Health Information and Quality Authority (HIQA), agence statutaire financée par le gouvernement en Irlande qui surveille la sécurité et la qualité des systèmes de soins de santé et de protection sociale, parue en mai 2018.

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