Le projet
de loi de financement de la Sécurité sociale arrive lundi en séance publique
au Sénat. Les Sénateurs en ont commencé l’examen la semaine dernière en
commission. Et ce alors que, faute de temps, les députés n’en étaient pas venus
à bout. C’est donc en grande partie la copie du gouvernement qui est arrivée à
la chambre haute, rehaussée de quelques amendements validés à l’Assemblée. La commission des affaires sociales du Sénat a de son côté ajouté 76 amendements
avant l’arrivée en séance.
Lundi 18 septembre, le Sénat attaque en
séance publique l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale
(PLFSS), après un passage en commission mardi et mercredi derniers. Le texte
prévoit des dépenses de Sécurité sociale de 662 milliards d’euros en 2025, une
hausse de 2,8% par rapport à 2024, avec un déficit ramené à 16 milliards
d’euros, contre 18 milliards en 2024 – il était annoncé à 10,5 milliards dans
le PLFSS 2023. Outre quatre milliards d’euros d’économies demandées à
l’Assurance maladie, le texte fait notamment débat en ce qui concerne le report
de l’indexation des pensions de retraite sur l’inflation, et une limitation des
allègements de cotisation sur les bas salaires.
Lors d’une conférence de
presse mercredi après-midi, la commission des affaires sociales du Sénat a
livré ses pistes pour faire évoluer le texte du gouvernement. Elle a déposé au
total 76 amendements, et reste dans l’optique des 16 milliards d’euros demandés
par le gouvernement. « Nous avons regardé branche par branche pour
répartir l'effort sur l'ensemble des acteurs : retraités, entreprises,
utilisateurs, salariés, professionnels de santé, patients, complémentaires
santé... Pour une meilleure efficience des dépenses publiques et des
efforts budgétaires », a expliqué le président de la commission,
Philippe Mouiller (Les Républicains). « Ce sont des propositions
douloureuses mais nous ne voyons pas comment faire dans ce contexte alarmant »,
a reconnu pour sa part la rapporteure générale de la commission Elisabeth
Doineau (Union Centriste).
Le président a mis plusieurs
fois en avant la nécessité selon le Sénat de ne pas se contenter d'ajustements
budgétaires d'une année sur l'autre, mais d'engager de vraies réformes pour
rétablir la situation, alors que le déficit pourrait atteindre 19,9 milliards
d’euros en 2028. « On accepte de participer à cette logique mais on ne
veut pas la même situation l'an prochain. Les réformes sont fondamentales sinon
on sera toujours dans une logique d'économies ».
Un
report partiel de la hausse des retraites
Le gouvernement entendait que
l’indexation des pensions sur l’inflation, habituellement réalisée au 1er
janvier, se fasse au 1er juillet 2025, ce qui ferait économiser
quatre milliards d’euros en 2025. Cela suscitait d’ailleurs l’opposition de
nombreux députés, même si l’Assemblée nationale n’a pas statué sur cette mesure
faute de temps.
Mais au final – comme annoncé
à la surprise générale par Laurent Wauquiez, chef de file des députés de la
Droite Républicaine – les sénateurs ont voté un amendement prévoyant une
revalorisation de toutes les pensions de presque la moitié de l’inflation en
début d’année 2025 (0,8%), et, seulement pour les retraités dont le total des
pensions est inférieur à un Smic net, une seconde revalorisation à l’été, ainsi
qu’une compensation du manque à gagner subi durant le premier semestre. Cela
coûterait 500 à 800 millions d’euros par rapport au plan initial, qui table sur
quatre milliards d’euros d’économie.
Les sénateurs introduisent
aussi dans le PLFSS un texte déjà voté au Sénat pour prendre en compte les 25
meilleures années de travail des agriculteurs, aux revenus de plus en plus
irréguliers, dans le calcul de leur retraite et rendre leur régime compatible
avec le régime général, 85% des agriculteurs étant poly-pensionnés. « On
tient à ce que cela se fasse au 1er janvier 2026, c'est très attendu par la
profession agricole », assure la sénatrice Pascale Gruny.
Baisse
des allègements de cotisations
Autre point chaud : la
diminution des allègements de charges sociales sur les bas salaires. Le
gouvernement prévoit de progressivement réduire ces allègements en 2025 et
2026. Cela ferait économiser quatre milliards d’euros en 2025. Les
rémunérations des contrats d’apprentissage devraient également être soumises à
moins d’aides de l’Etat pour les salaires les plus élevés.
Si la commission du Sénat
approuve la nécessité de réduire ces allègements, elle a pointé le contexte
économique difficile pour moduler le plan du gouvernement. La rapporteure
générale de la commission Elisabeth Doineau a rappelé que ces allègements
coûtaient environ 80 milliards d’euros par an aux finances publiques, dont 65
milliards à la Sécurité sociale.
Mais alors que le
gouvernement veut limiter ces allègements dès les plus bas salaires, autour du
Smic, avec jusqu’à deux points d’allègement en moins en 2025 et encore deux
points de moins en 2026, les sénateurs ne veulent pas toucher aux allègements
des plus bas salaires. Notamment car cela concerne en grande partie « les
entreprises de nettoyage, de gardiennage, d'aide autour du domicile. Nous ne
voulons pas pénaliser ces entreprises parce que nous estimons que leur marge
n'est pas très importante, certaines souffrent déjà du contexte économique
explique la rapporteure. La situation économique dans le pays est inquiétante
et nous ne voulons pas trop de casse de l'emploi ».
En compensation, pour
conserver les quatre milliards d’économie prévus, la commission propose que les
allègements sur les cotisations sociales maladie et familiales ne concernent
respectivement que les salaires jusqu’à 2,1 et 3,1 Smic, contre 2,5 et 3,5 Smic
actuellement. Le gouvernement, lui, ne prévoyait que d’aller jusqu’à
respectivement 2,2 et 3,2 Smic. Et, alors que le gouvernement prévoit d’arrêter
les allègements au-delà de trois Smic en 2026, le Sénat plaide pour les arrêter
après 2,05 Smic – sauf pour les Outre-Mer et l’agriculture. Le Gouvernement se
dit prêt à négocier. « On est très ouverts à vouloir corriger les
impacts sur les très bas salaires, c'est-à-dire les 1-1,2 SMIC », a ainsi
assuré lors d’une audition devant le Sénat mardi 5 novembre la ministre du
Travail, Astrid Panosyan-Bouvet.
La commission a également
voté un amendement pour instituer un comité de suivi des allègements généraux,
afin d’évaluer leur efficacité et leur évolution possible. Coût de la mesure :
un milliard d'euros. Par ailleurs, la rapporteure s’est dite favorable à la
proposition gouvernementale que la prime de partage de la valeur soit prise en
compte dans l'assiette de calcul des allègements. « De plus en plus de
compléments de salaires qui n'entrent pas dans le calcul des cotisations, cette
correction me semble utile ».
Ne
pas asphyxier hôpitaux et collectivités
Représentants des
collectivités territoriales, les sénateurs ont également assuré être attentifs
à la situation des collectivités territoriales et des hôpitaux. En cause :
le gouvernement veut leur faire payer plus de cotisations employeurs pour
réduire le déficit de la Caisse nationale de retraites des agents des
collectivités locales (CNRACL), à laquelle cotisent les fonctionnaires
territoriaux et hospitaliers, en relevant le taux de cotisation de douze points
en trois ans. Le Sénat a donc introduit un amendement pour que ce relèvement se
fasse sur quatre ans, mettant en avant les énormes difficultés financières des
hôpitaux et de certaines collectivités territoriales.
Bataille
sur le ticket modérateur
Le Sénat se dit aussi décidé
à limiter voire supprimer si possible - sans croire à cette seconde option,
selon le président de la commission - la hausse du ticket modérateur (la part
des dépenses non prise en charge par la Sécurité sociale) des consultations des
médecins et sage-femmes, prévue par le gouvernement. Son objectif : transférer
1,1 milliard d’euros de dépenses de l’Assurance maladie vers les
complémentaires santé. « Les arbitrages ne sont pas faits, rien n'est
arrêté, mais nous faisons tout pour que l'option ne soit pas retenue »,
assure Corinne Imbert. Ce sujet n’est cependant pas inscrit dans le projet de
loi, s’agissant d’une mesure réglementaire.
Attachée, selon ses dires, à « mieux
maîtriser les dépenses de soin » et à « la pertinence de la
prescription », la commission a introduit un amendement qui encourage
l'utilisation du dossier médical partagé, pas assez utilisé selon les
sénateurs, qui pourrait permettre d'éviter les doublons de prescription, et
veut généraliser la carte vitale sécurisée pour lutter contre la fraude. Alors
que le gouvernement institue un contrôle des prescriptions médicales par la
Sécurité sociale avant remboursement, avec la publication d’un décret à ce
sujet le 31 octobre dernier, la commission prévoit de limiter ce contrôle aux
soins les plus onéreux ou à ceux à risque de mésusage.
Les sénateurs ont aussi affirmé
soutenir les mesures de prévention introduites à l'Assemblée Nationale et
reprises par le gouvernement dans la version transmise au Sénat, notamment la
taxation plus forte des boissons sucrées, afin d’inciter les producteurs à
diminuer les quantités de sucres, ce qui rapporterait, selon eux, 200 millions
d’euros. Elisabeth Doineau a d’ailleurs expliqué qu’elle aurait même préféré
que soient taxés l’ensemble des sucres dans ces boissons, et non seulement les
sucres ajoutés. Mais le Sénat augmente les taux prévu par l’Assemblée : 4 %
au lieu de 3,5 %, et 3,5 % au lieu de 2,8 %, et durcit le barème pour les
boissons avec édulcorants. La taxation sur le sucre ajouté dans les produits
ultra-transformés n’a en revanche pas été retenue par le gouvernement.
Par ailleurs, le Sénat entend
taxer davantage les plateformes de paris sportifs en ligne, ce qui rapporterait
également 200 millions d’euros. Quant au prix du tabac, il continuera également
d’augmenter pour atteindre 13 euros l’an prochain, ce qui devrait rapporter 150
millions d’euros. Le Sénat assume en revanche de ne pas toucher aux taxes sur
le vin et sur les courses hippiques, notamment en raison de leur importance
économique.
Un
jour de travail gratuit dans l’année ?
La commission des affaires
sociales a aussi insisté sur la nécessité d’une loi grand âge, évoquée depuis
longtemps, et prévoit donc d’introduire dans le cadre du PLFSS une mesure qui
servirait notamment à financer cette future loi. Il s’agirait de sept heures de
temps de travail supplémentaires dans l’année, effectué gratuitement par les
salariés, à la répartition libre, dont les cotisations sociales correspondantes
représenteraient deux milliards et demi d’euros supplémentaires.
Outre l’initiation de la loi
grand âge, ces fonds seraient fléchés pour soutenir les établissements
d’accueil des personnes âgées et handicapées, les départements qui financent
l’aide à domicile, la réforme fauteuil roulant. Une mesure que le ministre de
l’Economie, Antoine Armand, a jugée « intéressante ».
Les sénateurs socialistes ont
de leur côté annoncé qu’ils allaient porter des mesures alternatives. « Ce
PLFSS met à mal l’esprit de notre protection sociale. Il augmente très
timidement les recettes, augmente drastiquement les dépenses, en les mettant à
la charge des malades », a dénoncé, ce 13 novembre, la sénatrice socialiste
Annie Le Houérou. Ils plaident notamment pour des « taxes
comportementales » (sur l’alcool, le tabac ou le sucre) et pour aller
plus loin que le gouvernement dans la réduction des allègements de cotisations,
à huit millions d’euros. Le Sénat devrait discuter le texte jusqu’au 23 ou 26
novembre.
Un
texte présenté au Sénat très semblable à la copie du gouvernement
Au final, le texte arrivé au
Sénat le 8 novembre dernier, après l’examen par l’Assemblée Nationale, est
essentiellement celui présenté initialement par le Gouvernement. En effet, fait
inédit, la chambre basse du Parlement n’a pas réussi à aller au bout de
l’examen du projet de loi. L’article 47-1 de la Constitution impose en effet un
délai légal de vingt jours à l’Assemblée pour étudier le PLFSS une fois le
texte transmis, et la « date couperet » tombait mardi 5 novembre.
Or, mardi minuit, il restait
encore 400 amendements à étudier, sur 2400 au total. L’occasion pour le gouvernement
de faire passer son texte au Sénat sans avoir recours à l’article 49-3 de la
Constitution, qui permet une validation à l’Assemblée nationale sans vote. Une
attitude vivement critiquée par de nombreux députés d’opposition, qui ont
accusé le gouvernement et ses groupes d’avoir fait durer les débats pour que
l’examen du texte n’aille pas au bout et que les amendements adoptés n’aient
pas l’obligation d’être repris.
Le gouvernement a repris ses
propres amendements déposés durant l’examen du texte par l’Assemblée nationale
(face au peu de temps dont il disposait suite à sa nomination), notamment
concernant le cumul emploi-retraite des médecins, la lutte contre la fraude
sociale, la généralisation de la vaccination des collégiens contre la méningite
et la réforme du calendrier des examens de prévention bucco-dentaires. Il a
aussi annoncé qu’il redéposerait ses amendements qui n’avaient pu être discutés
à l’Assemblée. Parmi les amendements parlementaires retenus, outre celui sur la
taxe soda, ceux permettant le remboursement des tests permettant de détecter la
soumission chimique.
Le projet de loi prévoit aussi
une baisse du prix des médicaments et des dispositifs médicaux et du plafond
des indemnités journalières pour arrêt maladie. Mais aussi le développement des
maisons de santé, des services d’accès aux soins non programmés, des soins
palliatifs, de la prise en charge de la santé mentale. Côté famille, le budget
de la Sécurité sociale doit aider au développement du service public de la
petite enfance à compter de 2025 et acter la réforme du complément de
libre-choix du mode de garde.
De
grandes modifications votées par l’Assemblée Nationales qui n’arriveront pas au
Sénat
De leur côté, les députés
avaient tout de même adopté la partie « recettes » du texte (à 126
voix pour et 98 contre), malgré un rejet du texte initial en commission des
affaires sociales, mais n’ont pas eu le temps de procéder à un vote solennel du
texte dans son ensemble. La version initiale du gouvernement avait été
sensiblement modifiée, à tel point que le volet recettes avait été adopté par
la gauche, avec une abstention du Rassemblement national, et une opposition des
groupes de gouvernement, Ensemble pour la République et La Droite républicaine.
Les modifications adoptées supprimaient
du texte plusieurs transferts financiers entre les branches de la Sécurité
sociale, la hausse du reste à charge après consultation chez le médecin et l’article
prévoyant que les administrations de la Sécurité sociale engrangent davantage
de recettes que de dépenses. Surtout, la limitation des allègements de
cotisations avait été rejetée, suite au vote des députés de la coalition
gouvernementale elle-même, quand la gauche s’était prononcée pour.
En revanche, les députés
avaient adopté la hausse de trois points du taux de CSG sur les revenus du
capital et rendu obligatoire la mention du nutriscore sur tous les supports
publicitaires. Les amendements adoptés par l’Assemblée prévoyaient notamment
une hausse de 15 à 20 milliards d’euros de cotisations sociales, selon les
députés. La gauche avait aussi réussi à faire adopter un amendement supprimant
le rehaussement de l’âge légal de la retraite à 64 ans, un malus sur les
entreprises enregistrant un taux trop élevé d’accidents du travail, ainsi
qu’une extension des cotisations sociales aux dividendes, aux primes
d’intéressement et aux primes de participation. Des députés de droite et
d’extrême droite avaient quant à eux fait voter une mesure obligeant les
retraités résidant à l’étranger à se rendre chaque année au consulat pour
continuer de toucher leur retraite.
Aude
David