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CESE - Présentation de l’avis « Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture »

CESE - Présentation de l’avis « Entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture »
Publié le 01/07/2020 à 09:48


56 000 agricultrices et agriculteurs ont disparu durant ces 10 dernières années soit, 10 % d’entre eux. Sur les plus de 200 000 qui vont partir à la retraite d’ici 2026, les 2/3 pensent ne pas pouvoir transmettre leurs fermes. Actuellement, on évalue à 20 000 le nombre annuel de cessations d’activité contre environ 14 000 installations seulement.


À ce rythme et compte tenu de la pyramide des âges, c’est un quart des exploitations qui risquent de disparaître dans les cinq années à venir ! Or, comme notre société l’a redécouvert avec la crise de la Covid, l’agriculture est un secteur essentiel puisqu’il nous nourrit !


Cette crise a également fait prendre conscience de l’importance majeure d’enjeux économiques, sociaux et environnementaux, comme la nécessité de mieux rémunérer des métiers peu visibles mais essentiels, le besoin de main-d’œuvre saisonnière, la nécessité de veiller au dynamisme des territoires ruraux, le rôle de la biodiversité pour réduire les risques d’épidémies ou encore notre dépendance énergétique. Quant aux enjeux liés au réchauffement climatique, ils restent plus que jamais d’actualité.


L’agriculture est au cœur de ces défis, mais elle ne pourra les relever que par la présence de nombreux paysans et paysannes dans les territoires. Il est urgent d’arrêter l’hémorragie, il est urgent d’installer de nouveaux paysans. C’est à ce défi que tente de répondre l’avis du CESE : entre transmettre et s’installer, l’avenir de l’agriculture. […]


 


Le contexte agricole


La petite ferme familiale pratiquant la polyculture/élevage, qui a pendant très longtemps constitué le modèle quasi unique, tend à disparaître au profit d’exploitations toujours plus grandes qui se spécialisent dans un nombre réduit de productions, le plus souvent des grandes cultures végétales. Elles représentent aujourd’hui près de la moitié des fermes.


À la fin des années 1950, il y avait 2,5 millions de fermes en France ; il n’en restait qu’un peu plus de 430 000 en 2016. Parallèlement, leur surface moyenne a doublé durant les 30 dernières années pour dépasser 60 hectares aujourd’hui, avec de fortes disparités selon les types de productions et les régions. On note cependant un nouvel essor relativement récent de très petites exploitations.


Globalement, en France, l’emploi agricole représente un peu moins d’un million d’équivalents temps plein avec une certaine stabilité de l’emploi salarié, permanent ou saisonnier.


Les fermes plus grandes et plus capitalisées du fait des bâtiments et des matériels nécessaires à l’exploitation sont nécessairement chères et donc difficiles à reprendre, parfois même au sein du cadre familial. Il convient aussi de souligner que le prix du foncier agricole a doublé en 20 ans, et que les terres fertiles disponibles sont rares ; ce sont d’ailleurs souvent les premières à être artificialisées. C’est pourquoi, aujourd’hui, quand un agriculteur cesse son activité, si ses terres sont fertiles, elles sont trop souvent reprises par des fermes existantes.


Les fermes évoluent et l’organisation du travail change elle-aussi. Le modèle familial sous statut personnel laisse la place à des formes sociétaires qui reposent sur des organisations plus collectives comme les EARL et les GAEC. Cela permet de regrouper les moyens, de répartir le temps de travail, et surtout de mutualiser les risques notamment financiers.


Dans certains cas encore marginaux mais qui se développent dans notre pays, cela peut se traduire par une déconnection entre le capital et l’exercice du métier, ce que le sociologue François Purseigle, auditionné pour ce rapport, qualifie d’agriculture de firme.


Il faut aussi garder à l’esprit que l’agriculture est un secteur économique qui fait l’objet de nombreuses politiques publiques nationales et européennes qui l’encadrent et l’orientent. Notons cependant que les mécanismes de régulation des prix et des volumes de production, via des quotas, ont progressivement été remplacés par des aides directes, notamment calculées sur la base des surfaces, ce qui incite logiquement les agriculteurs à chercher à s’agrandir.


Un autre élément à prendre en compte est la faiblesse des retraites agricoles. La perspective d’une retraite de 700 euros en moyenne peut conduire certains à poursuivre leur activité le plus longtemps possible, quitte à la sous-traiter, pour continuer à bénéficier des aides de la PAC. Elle incite aussi à essayer de vendre la ferme au meilleur prix, le cas échéant, en attendant que certaines parcelles deviennent constructibles, pour réaliser ainsi une importante plus-value.


 


Concernant l’installation elle-même


La prise de conscience de la nécessité d’accompagner et de soutenir celles et ceux qui souhaitent devenir agriculteurs n’est pas récente. Le secteur agricole a depuis longtemps mis en place différents outils dans cet objectif. Outil central, la dotation jeunes agriculteurs, DJA, a été créée en 1973. Initialement réservée aux zones de montagne, elle a été étendue à l’ensemble du territoire métropolitain dès 1976. Elle est financée par des fonds européens et nationaux.


Sous réserve de remplir certaines conditions, notamment avoir moins de 40 ans, disposer d’un niveau minimal de formation et avoir suivi un parcours très encadré, elle permet de bénéficier d’aides financières, d’avantages fiscaux et d’un accès facilité aux prêts bancaires.


L’objectif de toutes les conditions à remplir, qui sont souvent jugées très contraignantes, est de s’assurer de la viabilité économique des projets et de l’autonomie de décision des nouveaux installés. La gestion de ce dispositif est confiée conjointement aux chambres d’agriculture et au syndicat Jeunes-Agriculteurs, par le ministère de l’Agriculture. Le montant de la DJA a été revalorisé en 2017 et varie au total entre 8 000 et 36 000 euros sur cinq ans, selon les zones et la nature du projet. La plupart des régions ainsi que certaines collectivités locales apportent des financements complémentaires. La DJA ne bénéficie actuellement qu’à environ 40 % des nouveaux installés. C’est un point important.


Malgré ces soutiens, le financement constitue une question cruciale pour l’installation, particulièrement pour ceux qui ne reprennent pas la ferme familiale. Bâtir un projet à partir de zéro signifie l’achat de l’exploitation et d’un lieu d’habitation, mais aussi du matériel, un troupeau parfois ou des coûts de rénovation des bâtiments pour leur mise aux normes. Cela implique de demander un prêt bancaire éventuellement colossal. Une discrimination est alors faite envers les projets innovants qui, en ne s’inscrivant pas dans la continuité du modèle établi sur l’exploitation, effrayent plus facilement les financeurs. Les femmes sont également moins souvent soutenues.


D’autres problématiques se surajoutent à la question du financement, en particulier celle de trouver des terres, une ferme. Il existe pourtant des instruments publics qui doivent contribuer à favoriser les installations. C’est le cas du contrôle des structures, qui vise à limiter la taille des exploitations, et donc à lutter contre les agrandissements excessifs. Il rend obligatoire l’obtention d’une autorisation pour exploiter des terres, en respectant les orientations du Schéma Directeur Régional des Exploitations Agricoles. Dans le même esprit, les SAFER, Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Établissement Rural, doivent faciliter l’accès à la terre des nouveaux installés. Pour cela, elles peuvent exercer leur droit de préemption lors de la vente de terre.


Même si ces outils permettent une régulation, force est de constater qu’ils ne parviennent pas à atteindre le nombre nécessaire d’installations. Cela est notamment dû au développement des formes sociétaires qui permettent d’éviter certains contrôles publics ou l’intervention des SAFER. Dans d’autres cas, cela résulte du fait que l’installation n’est pas, dans les textes, leur première mission.


À côté de ces dispositifs et acteurs institutionnels, d’autres structures, le plus souvent associatives, ont été créées, parfois dans la mouvance d’organisations syndicales, pour accompagner, voire former, ceux qui se destinent au métier d’agricultrice et d’agriculteur. Nous pouvons ainsi citer, en étant loin d’être exhaustif :


• Terre de Liens, mouvement qui achètent des terres pour les louer à de nouveaux installés ;


• les coopératives agricoles : un nombre de plus en plus important d’entre elles proposent des actions spécifiques destinées à leurs nouveaux adhérents ;


• les ADEAR et acteurs du réseau INPACT, qui interviennent très en amont de l’installation et suivent les nouveaux paysans dans la durée ;


• le réseau Reneta, qui fédère l’ensemble des espaces-tests qui permettent, comme leur nom l’indique, de tester son projet en conditions réelles mais dans un cadre sécurisé.


À cela s’ajoutent de nouveaux acteurs venus de la création d’activité plus classique, qui investissent le champ de l’agriculture, mais aussi les collectivités locales (notamment de nombreux Parcs Naturels Régionaux), de plus en plus proactives, en intégrant parfois ces actions en faveur de l’installation dans un Projet Alimentaire de Territoire.


Cette grande diversité d’intervenants et de types de soutiens, tantôt complémentaires, tantôt concurrents, s’avère très complexe à connaître et à comprendre pour les porteurs de projet, surtout ceux qui ne sont pas issus du milieu agricole.


 


Profils actuels des candidats à l’installation


[…]


Les profils changent. Auparavant, la grande majorité des nouveaux agriculteurs, généralement des garçons, issus du milieu agricole, s’installaient jeunes, après des études agricoles, en reprenant la ferme familiale. Si ce profil existe toujours, beaucoup d’autres apparaissent comme en atteste la diversité des porteurs de projet qui se présentent aux Points Info Installation, point d’entrée existant dans chaque département. Ainsi, les personnes non-issues du milieu agricole représentent près des deux tiers des personnes, et plus d’un tiers d’entre elles sont des femmes. Toutefois ces nouveaux profils dont l’agriculture a besoin s’intègrent moins bien dans les dispositifs et se trouvent davantage en difficulté face aux institutions. Seulement, un tiers des DJA est attribué à des personnes non-issues du milieu agricole, et un cinquième à des femmes.


L’éventail des projets qu’ils souhaitent mettre en œuvre s’élargit lui aussi. Nombreux sont également ceux qui envisagent ainsi de créer des activités de transformation, de vente directe ou d’agrotourisme. Nombreux sont ceux qui font le choix du bio et de l’agroécologie, ce qui participe à faire progresser ces productions. Ces projets et leurs porteurs ont besoin, pour certains, d’être confrontés au réel, afin d’en vérifier la faisabilité et la viabilité. C’est l’enjeu des formations et des outils de test ou de parrainage. C’est également, plus en amont, l’intérêt de l’accompagnement à l’émergence et la définition de projet. Ils permettent de sécuriser les installations et de favoriser leur intégration dans l’environnement local.


Les attentes évoluent elles aussi, les futurs paysans souhaitent, comme l’ensemble des Français, mieux concilier vie professionnelle et personnelle, même si cela ne se fait pas toujours simplement […]. Cela signifie qu’ils ont plus d’exigence que les générations précédentes en termes de durée du travail, de logement, d’accès aux services publics, à la santé, aux établissements scolaires pour leurs enfants ou à la culture. Ce qui pose la question du dynamisme des territoires ruraux.


Nombreux sont enfin ceux qui envisagent de s’intégrer ou de construire des projets collectifs en partageant physiquement une ferme indépendamment du statut juridique de leur installation.


Cette diversité croissante des projets et des profils est source de problématiques nouvelles, matérielles ou culturelles, mais en premier lieu, elle oblige plus qu’avant à penser la transmission.


 


Sans transmission pas d’installation


Cet enjeu essentiel, partagé par tous, reste sous-estimé et trop peu pris en compte par les politiques publiques. Transmettre est pourtant un projet en lui-même qu’il est nécessaire d’anticiper, d’accompagner, de soutenir ! […] Les enjeux sont multiples.


Ils sont économiques, car le niveau des retraites oblige à attendre un profit conséquent de la vente. Or, il est aujourd’hui souvent moins avantageux de transmettre que de céder ses terres pour l’agrandissement d’une ferme existante.


Mais également au niveau psychosocial, transmettre c’est accepter de prendre sa retraite, de voir une personne nouvelle s’emparer et transformer un outil que l’on a souvent mis toute sa vie à construire. La question du logement est elle aussi centrale lorsque l’exploitation et le lieu d’habitation sont confondus. C’est aussi vendre ce dont on a souvent hérité et donc devoir accepter psychologiquement d’être le dernier maillon d’une chaine générationnelle qui prend fin comme l’a expliqué Dominique Jacques-Jouvenot, sociologue, lors de son audition.


L’anticipation et l’accompagnement sont essentiels pour faire de la transmission une source de fierté […]. Toutefois, cela repose trop aujourd’hui sur la volonté individuelle, d’où l’importance de renforcer la panoplie d’outils.


 


Présentation des principales préconisations de l’avis


Elles s’articulent autour de quatre axes :


• mobiliser l’ensemble des acteurs (1),


• encourager et accompagner les transmissions (2),


• accueillir et soutenir les porteurs de projet, particulièrement ceux non-issus du milieu agricole (3),


• et enfin, faciliter l’accès à la terre (4).


(1) La mobilisation de l’ensemble des acteurs passe notamment par les collectivités locales. Leur action, que ce soit dans le repérage des terres disponibles et le soutien aux structures qui œuvrent pour favoriser la transmission et l’installation, est souvent très efficace. Mais l’ensemble des acteurs et dispositifs doivent être plus articulés et lisibles pour les porteurs de projet, c’est la condition de leur efficience. Pour cela, le CESE appelle à la création de déclinaison départementale des comités régionaux installation/transmission, les CRIT, avec un large tour de table d’acteurs agricoles ou non pour assurer la mise en œuvre d’une politique ambitieuse.


Cette préconisation a fait l’objet d’un dissensus de la part du Groupe Environnement Nature et de plusieurs membres de la section qui considèrent que les chambres d’agricultures et le syndicat JA n’intègrent pas suffisamment les autres organismes et associations qui interviennent sur le thème de l’installation.


(2) Par ailleurs, mieux accompagner les cédants dans le processus de transmission est un enjeu central, trop peu pris en compte. Pour cela, le CESE préconise d’accompagner davantage les futurs cédants en organisant systématiquement une rencontre cinq ans avant le départ prévu en retraite. Parallèlement, de nouveaux outils doivent être développés pour la transmission : il faut l’inciter financièrement. Il est donc urgent de revaloriser les retraites à hauteur au minimum de 85 % du SMIC. L’incitation financière passe également par l’instauration d’une indemnité viagère de transmission et la remise à plat des avantages fiscaux liés à la transmission. Il faut aussi supprimer les aides de la PAC après 70 ans ou dès que les conditions pour une retraite complète sont réunies.


Au-delà des aspects financiers, il faut mieux prendre en compte les freins psychosociaux. Céder sa ferme, c’est aussi souvent devoir trouver un logement, cela peut être soutenu par des prêts à taux zéro, des aides au logement ou encore l’accès facilité aux logements communaux dans les zones en tension immobilière.


Et puis, il n’est pas toujours simple de trouver un repreneur. Le répertoire Départ Installation est un bon outil, mais son utilisation est encore trop restreinte. Il faut donc systématiser l’inscription des cédants et des porteurs de projets sur ce répertoire pour faciliter leur mise en relation.


(3) Les candidats à l’installation ont des profils très variés et sont de moins en moins issus du milieu agricole. Il faut faciliter le fait de s’y retrouver dans la multitude d’acteurs et de dispositifs existants. La préconisation n° 7 demande la mise en place de réunions collectives multipartenaires régulières de premier accueil.


La formation est cruciale, il est important de continuer d’adapter les outils de formation en particulier le Brevet Professionnel de Responsable d’Entreprise Agricole pour qu’elle réponde aux besoins de tous les porteurs de projet.


Au-delà de la formation, il faut permettre au futur installé de s’essayer dans un cadre sécurisé, c’est l’ambition d’un maillage complet du territoire en espaces tests, mais également la généralisation d’outils tel que le parrainage, le GAEC à l’essai ou encore l’implication des coopératives agricoles.


Concernant la DJA, destinée à réduire les risques d’échec, elle doit évoluer pour devenir une Dotation Nouvel Installé accessible jusqu’à 50 ans et dont le Projet d’entreprise qui l’accompagne serait plus pédagogique et moins coercitif tout en étant enrichi d’un volet « transition agroécologique ».


Cette préconisation fait l’objet d’un dissensus de la part du groupe de l’Agriculture qui estime que la limite d’âge doit être maintenue à 40 ans, car les jeunes doivent bénéficier d’un soutien prioritaire et que c’est cette priorité qui a permis de faire financer la DJA au niveau européen. Pour ce groupe, assouplir cette condition risquerait de remettre en cause ce financement et diluerait l’enveloppe.


Enfin, concernant la question financière, la PAC doit être davantage mobilisée pour l’installation par le doublement de 2 à 4 % du volet « nouvel installé » du 1er pilier. De plus, cette aide devrait être attribuée de manière forfaitaire pour chaque nouvel installé et non en fonction de la surface de sa ferme.


L’installation étant un outil efficace au service des transitions, l’avis préconise également la prise en charge sur les cinq premières années des coûts de certification en agriculture biologique.


(4) Il est peut-être le plus structurant car il n’est pas normal que l’accès à la terre constitue une difficulté essentielle de l’installation. Des mesures énergiques s’imposent donc de façon urgente.


L’adoption d’une loi foncière d’ampleur est indispensable pour endiguer l’artificialisation des sols, mais aussi leur changement de destination. Comme cela a été demandé par un large spectre d’organisations en novembre dernier, il faut « partager et protéger la terre ».


La protéger, c’est mieux définir l’usage des terres et supprimer la possibilité de contourner les outils de régulation, en posant le principe de zéro artificialisation net. Protéger la terre agricole, c’est également taxer plus fortement les plus-values réalisées lors des changements de destination pour être dissuasif.


Enfin, partager, c’est faire de l’installation l’objectif prioritaire des outils de régulation.


C’est sur cet enjeu essentiel que se termine cet avis. Il est urgent que le gouvernement, les parlementaires, notamment européens, s’emparent de ce sujet. Ce doit être également un outil pour faciliter localement le fait que les acteurs se mettent autour de la table pour agir.


Cet avis ne doit pas être un avis de plus sur l’installation, il est temps de penser à l’avenir !

 

Bertrand Coly,

Rapporteur de l’avis

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