Emmanuèle Perron, présidente du CS du Grand
Port Maritime du Havre, Benjamin Zimmer, chargé de mission pour la société Oui
care, Stéphanie Savel, présidente de Wiseed et Gilles Carrez, député du
Val-de-Marne, ont débattu ensemble des pistes à suivre pour aller vers un
investissement constructif.
Emmanuèle Perron, d’expérience, assure que les grands projets permettent de
voir sur le long terme et d'investir dans la formation. Cela engendre le retour
à la dignité des personnes recrutées et formées. Le travail, mais aussi l’investissement
public et privé à grande échelle redynamisent un pays. Ils restaurent confiance
et dignité. Les grands projets de travaux publics ou d'aménagement du
territoire au sens le plus large se font sur le long terme. Entre le moment de
la réflexion et celui de la réalisation, il peut se passer dix à quinze ans. On
parle ici, par exemple, des travaux ferroviaires pour le TGV ou des autoroutes.
C'est du bon investissement.
Avoir une vision du futur provoque l’envie d'investir, de développer, de
continuer à jouer dans la cour des grands. Et réciproquement qui n'investit pas
compromet son avenir. C’est une obligation pour conserver sa place sur l'échiquier,
sinon le danger est de s’affaiblir avant de disparaître complètement. Notre
pays doit accentuer son effort sur la formation. Il ne repartira pas non plus sur
de bonnes bases en pleine mondialisation si ces ports ne fonctionnent pas. Ils
donnent des portes d'échange indispensables pour toutes nos entreprises. Dans
ces deux domaines, la collectivité publique a un rôle majeur à jouer.
« En 2100 sur notre planète, on comptera
trois milliards de terriens de plus de soixante ans », énonce Benjamin
Zimmer. Les entreprises doivent se positionner selon la transition
démographique. 54 % des dépenses totales de la consommation actuelle en
France sont faites par des gens de plus de cinquante ans. En réalité, on
distingue quatre révolutions : démographique, écologique, digitale et le
monde du travail. L'entreprise qui va devenir performante sera celle qui aura
aligné, dans sa stratégie, ces quatre transitions. Aujourd'hui, les Français
sont en concurrence avec des Chinois, des Américains... Or, chacun observe sporadiquement
que l'intelligence des GAFAM ou des BATIX provient souvent d’étrangers qui ont
étudié en France ou de Français émigrés. Autrement dit, le nécessaire se trouve
sur notre territoire, la matière première, la matière grise. Pour se transformer,
il ne faut pas avoir peur. C’est parfois la difficulté, faire bouger les
administrations, le système, et admettre d’aider des jeunes aux idées nouvelles,
parfois radicalement opposées à celles en vigueur antérieurement. Aujourd’hui,
les centraliens ne rêvent plus d'être golden boy. Ils se préfèrent entrepreneur
comme Gustave Eiffel. Créer de la valeur, développer un capitalisme populaire
utilitaire et donner du sens à leur travail, voilà ce qui les motive.
Stéphanie Savel, présidente de Wiseed rappelle que le secteur du crowfunding
(financement participatif) n'existait pas en France, il y a dix ans. C’était
vraiment une révolution du mode de financement. Le procédé a enclenché une
réappropriation du choix d'investissement par les particuliers, et de là, leur
sympathie. Ce phénomène très nouveau est associé à un potentiel énorme. En
effet, on estime que l'épargne des Français représente quatre mille sept cents
milliards d'euros. Elle finance quoi ? Mystère et boule de gomme… sans
doute des fonds monétaires en euros, probablement un peu l'économie, mais pas assez.
C’est donc l’orientation à influer. Cependant, un genre de gabegie d'argent
public et privé pour les start-ups, dans l’air du temps, est visible. En
conséquence, les notions de sélectivité, d'évaluation, de transparence revêtent
une importance capitale pour mieux investir. Beaucoup d'argent public est semé,
mais personne ne regarde jamais les résultats obtenus en première ou en
deuxième intention. Par exemple, investir dans une technologie qui permette de
prévenir directement les chutes désengorge mécaniquement les urgences à
l'hôpital. Et donc indirectement les coûts de sécurité sociale réduisent. Enfin,
les Français ne doivent pas craindre l’échec, et accepter de prendre des
risques. L’investissement est forcément corrélé à des pertes.
Gilles Carrez, ancien président et
membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale, considère que mieux investir, passe d'abord par davantage investir. L'état
investisseur a reculé au cours des dernières décennies. La fonction
d'investissement, dans le budget de l'état, s'est progressivement anémiée. Année
après année, un phénomène d'éviction de la dépense d'investissement s’est imposé
pour lui substituer de la dépense de fonctionnement, de masse salariale, de
transferts sociaux. Une trentaine d'années en arrière, l’analyse du budget de
l'état, laissait apparaitre des investissements qui représentaient à peu près
20 % du total. De nos jours, en incluant la dépense militaire, le ratio est
tombé à 10 %. Nous avons un souci qui n'est pas seulement mieux investir, mais
déjà investir tout simplement. Il s’agit d‘un véritable problème structurel sur
la fonction d'investissement de l'état. Les collectivités territoriales ont
pris partiellement le relais, mais pourront-elles garder le rythme au cours des
prochaines années ?
Dans le budget de l'état, en fin d'année, il faut couvrir des dérapages,
des surconsommations budgétaires, toujours sur les mêmes chapitres, sur la
prime d'activité, sur l’aide médicale d'état, sur les centres d'hébergement
d'urgence… et dès lors que l'on doit couvrir en catastrophe ses sous-budgétisations,
on se tourne du côté des crédits dits « pilotables ».
C'est-à-dire annulables, et, en général, cela concerne du crédit
d'investissement. Et la régulation budgétaire va continuer tant qu’on n'arrivera
pas à maîtriser la dépense publique dans son ensemble. La technique de
régulation conduira ainsi à toujours sacrifier la fonction d'investissement au
profit de transfert. Le député émet un vœu, « essayons de sauvegarder la
fonction d'investissement de l'état ».
On peut considérer deux types d'investissements. D’un côté, dans l’investissement
privé, si vous ne récupérez pas votre mise, si vous ne faites pas de bénéfice,
si votre business plan se termine mal, si vous ne remboursez pas votre dette,
vous avez fait une mauvaise affaire. De l’autre, l'investissement public est
infiniment plus compliqué à jauger. On doit, par convention, valoriser, par
exemple, des économies externes, que sont les émissions de co2, la réduction du
temps perdu dans les déplacements domicile/travail, etc., toutes sortes de
paramètres extrêmement difficiles à quantifier.
Les analyses de critères et de rentabilité manquent de transparence. Elles
devraient entrer dans le débat public. L'argent public étant de plus en plus
rare, il faut se montrer de plus en plus exigeant sur son utilisation. Beaucoup
de domaines sont sous le joug de la dictature financière du court terme. Face à
cela, il serait pertinent de mettre en place des mécanismes qui obligent à financer
davantage sur des durées plus étendues. Notre fiscalité n'est pas suffisamment orientée
vers l'encouragement de l'investissement de moyen et long terme.
C2M