Mi-juillet, l’activité juridictionnelle ronronne en Essonne. Seules les
comparutions immédiates sont jugées. Un vol simple, des stupéfiants.
Ce sont
les vacations estivales et le tribunal d’Évry est très calme. Seule une chambre
correctionnelle était active, le 12 juillet dernier. C’est évidemment celle des
comparutions immédiates, qui ne s’arrête jamais.
En début
d’après-midi, un jeune homme dépenaillé à l’air fourbu agite son toupet hirsute
derrière la vitre blindée de son box, peu sensible à la virulence des
réquisitions que lui assène le procureur. Il voudrait dormir, comme il a voulu
dormir dans la salle des professeurs de ce collège la nuit précédente, dans
lequel il est entré sans effraction avant de se faire un café.
On a
retrouvé ses empreintes sur la tasse et il plaide coupable, mais on ne l’accuse
pas de cela. Un smartphone a disparu. L’accusation assure que c’est lui qui a
fait le coup, mais sur le fondement de quelle preuve, sinon la coïncidence ? Le
téléphone a disparu et le jeune homme, en « rupture familiale »
et à la rue, réfute être le voleur. Bénéfice du doute, relaxe, joie inespérée
sur le visage crasseux mais poupon, qui n’ira pas en prison.
Le
gaillard suivant arrive dans le box en sifflotant. Gary, 26 ans. Affaire de
stupéfiants, la présidente prévient, « je vais prendre ma respiration
parce qu’il y a beaucoup de faits ». Et c’est partie pour une litanie
: transport et détention, complicité de cession et d’acquisition, refus de
donner la convention de déchiffrage de son téléphone, conduite après avoir fait
usage de stupéfiants, port d’une arme de catégorie D (gazeuse et batte de
baseball, matraque télescopique). Récidive pour les infractions liées aux
stupéfiants.
Lieu de
deal connu
« Le
9 juillet à 14h30, comme vous circulez à vive allure, les policiers décident de
procéder à un contrôle routier. Vous ouvrez la fenêtre, ils sentent une odeur
de stupéfiant et voient un sac en plastique noir renversé qui laisse apparaitre
plusieurs petits sachets qui contiennent ce qui ressemble à de la résine et de
l’herbe de cannabis. »
377 grammes de résine, 48 grammes d’herbe.
Dépistage salivaire positif. Les armes sont dans la boite à gants. Les
policiers notent que le lieu du contrôle est adjacent à un lieu de deal connu.
Autour d’eux, des jeunes observant la scène ont décroché leur téléphone, comme
pour prévenir que leur collègue s’est fait arrêter.
Interpellé
et interrogé, Gary explique avoir emprunté le véhicule à son ami Nabil ; quand
il a vu qu’il y avait des stup’, il a voulu lui ramener le produit et s’est
fait arrêter. Nabil explique aux policiers qu’il loue ce véhicule et l’avait
prêté à Gary depuis deux semaines pour qu’il puisse aller à sa formation. Il ne
sait pas ce que ce produit fait dans sa voiture.
La
présidente commence par les armes. Pourquoi ? « Mon frère a essayé de
s’en prendre à moi, c’est pour me défendre, et puis je les ai oubliées dans ma
voiture.
- Vous
comprenez que ça peut interroger d’avoir ça en plus de cannabis ? »
Gary admet. La
conduite sous cannabis ? « J’ai
arrêté de consommer il y a une semaine, au début de ma formation.
- Oui,
mais il y a des traces de THC.
- Oui,
mais je maintiens.
- Oui,
mais ça peut rester plusieurs semaines. Pensez-vous que l’infraction puisse
être caractérisée ?
- C’est-à-dire
caractérisée ?
- …
- Oui
d’accord, je comprends. »
Pourquoi
ne pas donner son code de déverrouillage ? Gary répond : intimité, comme tout
le monde. La présidente ironise : « C’est pas des photos de vous à poil
dans la salle de bain, avec votre compagne ou votre compagnon, qui intéressent
les policiers. On se dit que c’est peut-être parce que vous avez des éléments
incriminants.
- J’entends,
mais je maintiens que j’ai toujours pas envie de donner mes codes.
- Ok. »
« J’ai
rendu service en transportant du stup’ »
Les
choses sérieuses débutent : « Le transport et la détention et la
détention de cannabis ?
- Je
reviens sur ce que j’ai dit, ce jour-là j’ai rendu service en transportant du
stup’, mais je n’ai rien à voir avec les réseaux.
- Oui,
mais on dit que vous êtes complice ; est-ce que transporter ce n’est pas être
complice ?
- Peut-être,
mais c’était spontané, pas régulier.
- Oui,
la date de prévention c’est le 9 juillet uniquement.
- J’étais
même pas au courant de ce qu’il y avait dans le sac
- Vous
savez que c’était des stup’
- Non,
je l’ai appris après.
- Monsieur
c’est contradictoire : vous venez de dire que vous avez accepté de rendre
service. Vous êtes consommateur, ça sentait fort dans le sac, vous ne pouvez
pas l’ignorer.
- Oui,
j’ai senti mais je suis pas parti fouiller dans le sac.
- Oui,
mais vous saviez.
- Par
déduction. »
Déjà
condamné pour des faits similaires en 2023, Gary est en cours de réinsertion
via un disposition « CDD insertion ». Malheureusement pour lui, le
procureur a décidé d’interrompre cette réinsertion. Il a un sursis « au-dessus
de la tête » dont il demande la révocation partielle (6 mois), en plus
de 10 mois de prison ferme, assortis d’un mandat de dépôt.
La
défense demande deux choses : la relaxe sur toutes les infractions liées aux
stupéfiants, en dehors du transport, et la non incarcération du prévenu, qui
serait un désastre pour lui. Le tribunal après en avoir délibéré convient qu’il
n’existe pas de preuve suffisante pour condamner Gary des chefs de de
complicité d’acquisition et de cession, ni même de détention, mais comme le
demande la défense, seulement de transport.
Comme le
demande la défense, il ne partira pas en prison. Six mois de prison ferme,
révocation de son sursis à hauteur de six mois, le tout aménagé ab initio,
c’est à dire par le tribunal et non en passant par la case du juge de l’application
des peines, sous la forme d’une détention à domicile sous surveillance
électronique. Gary est content.
Julien Mucchielli