Les comparutions
immédiates de Marseille jugent plusieurs dossiers de trafic de stupéfiants,
dont certains mettent en cause des personnes extérieures à la ville, venues
spécialement pour être employées par le réseau. Un phénomène récent qui prend
de l’ampleur et inquiète le ministère public.
Il fait chaud ; de la
fenêtre ouverte du fond de la salle, provient un vacarme qui couvre les voix.
La présidente hausse le ton : « Vous habitez Bordeaux, vous êtes en Terminale, pour une raison qu’on ignore vous êtes allé sur Marseille, et là on
vous retrouve sur des points de vente de stup’. Vous passez le bac dans un mois
; qu’est-ce que vous faites sur un point de deal ? »
« J’ai été
forcé », répond Nour, un homme de 19 ans tout habillé de noir. Il a
été arrêté le 25 mars et condamné le 11 avril pour du trafic de stup’, et le
voici un mois plus tard devant la même chambre des comparutions immédiates de
Marseille, pour la même raison. « Par manque d’argent aussi »,
rajoute le jeune prévenu.
« Vous connaissez
quelqu’un à Marseille ? Non ? Vous avez trouvé une annonce sur Snapchat ? Non,
vous savez de réputation ? C’est ça ? Vous voulez pas passer votre bac ?
- Si.
- Vous avez eu quelle
condamnation en avril ?
- 200 heures de
travaux d’intérêt général.
- Vous ressortez du
tribunal, et qu’est-ce qui se passe ?
- Je repars à
Bordeaux, et je reviens ici car j’ai des litiges avec ma famille à Bordeaux et
que je pouvais être hébergé ici. J’ai croisé un groupe de jeunes à la cité, ils
m’ont forcé à vendre.
- Pourquoi vous ?
- Ce soir-là, je
dormais dans la rue, j’ai croisé les jeunes qui m’ont proposé de dormir dans un
hôtel en échange d’un service, mais je ne savais pas quoi, et le lendemain ils
me disent que je dois vendre.
- Les policiers sont
en surveillance et ils vous voient dissimuler un paquet qu’ils saisissent :
300g de cannabis 16g de cocaïne et 160 euros. »
Première incarcération
Nour est détenu depuis
3 jours. « C’est votre première incarcération ?
- Oui.
- Et alors ?
- J’espère que c’est
ma dernière.
- Vous êtes combien en
cellule ?
- On est 3.
- Et vous avez dormi
par terre ?
- Oui. »
Il est
en terminale management et gestion, et n’avait pas d’antécédent jusqu’au
11 avril dernier. « C’est quoi vos projets ?
- Avoir le bac et
poursuivre mes études
- (Procureur) Vous
fumez de la résine de cannabis et vous pensez avoir votre bac ?
- Je vois pas en quoi
ça m’empêcherait d’avoir mon bac.
- (Présidente) Vous
pensez que c’est une réponse adaptée ? »
« Du ferme pour
quelqu’un qui prépare le bac ? Je suis contre ça »
Le procureur, d’un ton
mélancolique, s’émeut de ce que le cas de Nour révèle de la physionomie du
trafic à Marseille : « Depuis
quelques mois, on assiste à la mise en cause de personnes dans le trafic de
stupéfiants venant de l’extérieur de Marseille. Ils viennent de Rennes, de
Bordeaux, de la région parisienne. Pourquoi ? Parce que la plupart des
Marseillais qui charbonnent sont soit en prison, soit assassinés, et il qu’il y
a une pénurie de main d’œuvre. »
A la différence près
que ces nouveaux profils issus du reste de la France « n’ont pas
l’expérience de nos Marseillais et se font vite attraper avec une facilité
déconcertante », précise le procureur, qui indique qu’il s’agit du
cinquième cas où un dealer habitant loin de Marseille, condamné dans la cité
phocéenne, revient sur les lieux.
La raison de cette
étrange prise de risque ? Le réseau obligerait les personnes condamnées à
revenir vendre gratuitement pour rembourser leur dette. « Mais ça il ne
le dit pas, il dit juste : “j’étais contraint”. Ce qui me gêne, c’est
que vous avez affaire à un étudiant. C’est tragique. Quelle peine je vais
demander ? Du ferme pour quelqu’un qui prépare le bac ? Je suis contre ça, je
ne suis pas d’accord car ça va saper son avenir », estime le
procureur. Il requiert 6 mois de prison avec un sursis probatoire de 3 ans,
avec obligation de soins, et une interdiction de fréquenter le département du
13 pour une durée de 5 ans.
L’avocat avait plaidé
des conclusions de nullité et demande l’annulation de la procédure. Sur le
fond, il n’a rien à ajouter au réquisitoire du procureur. Le tribunal non plus
: rejet des conclusions et 6 mois de prison avec sursis probatoire avec les modalités
requises.
« Vous avez la
mentalité d’un mineur »
C’est au tour du très
jeune Salah, 18 ans, qui en paraît 15 (freluquet, imberbe, échevelé, un sourire
en coin qui semble ne jamais le quitter), de faire son apparition dans le box.
« Transport, offre ou cession de cannabis et de cocaïne », en
récidive légale pour avoir été condamné le 2 février (en CRPC, 10 mois avec
sursis) pour les mêmes faits. Il demande un délai et son dossier sera renvoyé
au 9 juillet. Mais attendra-t-il son procès en prison ? C’est l’enjeu du débat.
Sourire en coin, Salah
semble se moquer et n’est pas très coopératif : il a refusé que l’on contacte
ses parents et ne fournit aucun lieu d’hébergement qui l’éloignerait du lieu où
il a été interpellé, à deux pas de chez ses parents où il vit. « Comment
voulez-vous que je requière un contrôle judiciaire ? Vous avez la mentalité d’un
mineur », déplore le procureur.
C’est tout l’enjeu
pour Salah : il ne peut pas vivre à côté du point de deal où il s’est fait arrêter,
à la cité Font-Vert, dans le quatorzième arrondissement de Marseille. Le
procureur n’est pas très enthousiaste à l’idée de l’envoyer en détention, mais
il estime qu’il n’a pas le choix. « Je n’ai
aucun élément et des parents défaillants. »
Alors la défense va se
démener. « Vous ne connaissez pas Monsieur et la famille qui l’entoure,
moi je suis son avocat depuis la première procédure, entame le conseil de Salah.
La famille de Monsieur est particulièrement cadrante. » Elle dit que
sa mère est présente mais attend devant la porte, car « c’est trop
difficile pour elle d’assister à l’audience ». La grande sœur est dans
la salle.
« J’ai un
hébergement en dehors de Marseille, mais je n’ai pas encore les justificatifs, indique
l’avocate. Vous pourriez très bien décider d’un contrôle judiciaire en lui
interdisant de se rendre à la cité Font-Vert. » Le prévenu sourit
toujours, la présidente le regarde, l’avocate commente : « C’est un
sourire de malaise, de profonde gène. » Salah est placé sous contrôle
judiciaire en attendant son procès en juillet.
Tentative d’assassinat
Christophe, comme Nour,
n’est pas de Marseille et, comme Salah, demande le renvoi. Enfin, son avocat le
demande, car il n’a pas pu étudier le dossier d’offre, de cession et détention
de cannabis qui le concerne. Il s’agit encore une fois de décider des mesures
de sûretés qui seront prises à son encontre.
Christophe, 23 ans,
est de Grenoble, et tous ses antécédents judiciaires ou presque y sont aussi.
Que fait-il à Marseille, quand y est-il arrivé ? « Il y a un mois, je
voulais y passer l’été. J’y ai des connaissances. » Il a aussi
des séquelles, des douleurs toujours vives liées à une tentative d’assassinat
dont il a été victime en 2019. « C’était par rapport au trafic ?
- Oui.
- A Grenoble ?
- A Marseille.
- Et vous y revenez ?
Vous êtes partie civile dans l’instruction ?
- Non.
- Vous n’avez pas
porté plainte ?
- Non. »
Sa dernière condamnation
(conduite sous stup’) a été prononcée à Paris le 5 avril 2024. Son métier est
d’acheter et de vendre divers objets sur Le Bon Coin ou Facebook (parfums,
trottinettes, etc.). « C’est légal », précise-t-il.
Les six condamnations
de Christophe, la plupart pour des infractions liées aux stupéfiants, incitent
le procureur à demander son maintien en détention. « C’est quelqu’un de
très mobile, et il pourrait ne pas se représenter devant vous. » La défense
réfléchit à haute voix : « Il réside à Aubagne. Bon, ce n’est pas la
bonne solution. Il pourrait retourner chez son cousin. Romainville ? »
Christophe attendra à la prison des Baumettes son procès calé quelques semaines
plus tard.
Julien
Mucchielli