JUSTICE

CHRONIQUE. A Marseille, le trafic de stupéfiants recrute de plus en plus en dehors de la ville

CHRONIQUE. A Marseille, le trafic de stupéfiants recrute de plus en plus en dehors de la ville
Publié le 25/07/2024 à 15:42
Les comparutions immédiates de Marseille jugent plusieurs dossiers de trafic de stupéfiants, dont certains mettent en cause des personnes extérieures à la ville, venues spécialement pour être employées par le réseau. Un phénomène récent qui prend de l’ampleur et inquiète le ministère public.

Il fait chaud ; de la fenêtre ouverte du fond de la salle, provient un vacarme qui couvre les voix. La présidente hausse le ton : « Vous habitez Bordeaux, vous êtes en Terminale, pour une raison qu’on ignore vous êtes allé sur Marseille, et là on vous retrouve sur des points de vente de stup’. Vous passez le bac dans un mois ; qu’est-ce que vous faites sur un point de deal ? »

« J’ai été forcé », répond Nour, un homme de 19 ans tout habillé de noir. Il a été arrêté le 25 mars et condamné le 11 avril pour du trafic de stup’, et le voici un mois plus tard devant la même chambre des comparutions immédiates de Marseille, pour la même raison. « Par manque d’argent aussi », rajoute le jeune prévenu.

« Vous connaissez quelqu’un à Marseille ? Non ? Vous avez trouvé une annonce sur Snapchat ? Non, vous savez de réputation ? C’est ça ? Vous voulez pas passer votre bac ?

- Si.

- Vous avez eu quelle condamnation en avril ?

- 200 heures de travaux d’intérêt général.

- Vous ressortez du tribunal, et qu’est-ce qui se passe ?

- Je repars à Bordeaux, et je reviens ici car j’ai des litiges avec ma famille à Bordeaux et que je pouvais être hébergé ici. J’ai croisé un groupe de jeunes à la cité, ils m’ont forcé à vendre.

- Pourquoi vous ?

- Ce soir-là, je dormais dans la rue, j’ai croisé les jeunes qui m’ont proposé de dormir dans un hôtel en échange d’un service, mais je ne savais pas quoi, et le lendemain ils me disent que je dois vendre.

- Les policiers sont en surveillance et ils vous voient dissimuler un paquet qu’ils saisissent : 300g de cannabis 16g de cocaïne et 160 euros. »

Première incarcération

Nour est détenu depuis 3 jours. « C’est votre première incarcération ?

- Oui.

- Et alors ?

- J’espère que c’est ma dernière.

- Vous êtes combien en cellule ?

- On est 3.

- Et vous avez dormi par terre ?

- Oui. »

Il est en terminale management et gestion, et n’avait pas d’antécédent jusqu’au 11 avril dernier. « C’est quoi vos projets ?

- Avoir le bac et poursuivre mes études

- (Procureur) Vous fumez de la résine de cannabis et vous pensez avoir votre bac ?

- Je vois pas en quoi ça m’empêcherait d’avoir mon bac.

- (Présidente) Vous pensez que c’est une réponse adaptée ? »

« Du ferme pour quelqu’un qui prépare le bac ? Je suis contre ça »

Le procureur, d’un ton mélancolique, s’émeut de ce que le cas de Nour révèle de la physionomie du trafic à Marseille  : « Depuis quelques mois, on assiste à la mise en cause de personnes dans le trafic de stupéfiants venant de l’extérieur de Marseille. Ils viennent de Rennes, de Bordeaux, de la région parisienne. Pourquoi ? Parce que la plupart des Marseillais qui charbonnent sont soit en prison, soit assassinés, et il qu’il y a une pénurie de main d’œuvre. »

A la différence près que ces nouveaux profils issus du reste de la France « n’ont pas l’expérience de nos Marseillais et se font vite attraper avec une facilité déconcertante », précise le procureur, qui indique qu’il s’agit du cinquième cas où un dealer habitant loin de Marseille, condamné dans la cité phocéenne, revient sur les lieux.

La raison de cette étrange prise de risque ? Le réseau obligerait les personnes condamnées à revenir vendre gratuitement pour rembourser leur dette. « Mais ça il ne le dit pas, il dit juste : “j’étais contraint”. Ce qui me gêne, c’est que vous avez affaire à un étudiant. C’est tragique. Quelle peine je vais demander ? Du ferme pour quelqu’un qui prépare le bac ? Je suis contre ça, je ne suis pas d’accord car ça va saper son avenir », estime le procureur. Il requiert 6 mois de prison avec un sursis probatoire de 3 ans, avec obligation de soins, et une interdiction de fréquenter le département du 13 pour une durée de 5 ans.

L’avocat avait plaidé des conclusions de nullité et demande l’annulation de la procédure. Sur le fond, il n’a rien à ajouter au réquisitoire du procureur. Le tribunal non plus : rejet des conclusions et 6 mois de prison avec sursis probatoire avec les modalités requises.

« Vous avez la mentalité d’un mineur »

C’est au tour du très jeune Salah, 18 ans, qui en paraît 15 (freluquet, imberbe, échevelé, un sourire en coin qui semble ne jamais le quitter), de faire son apparition dans le box. « Transport, offre ou cession de cannabis et de cocaïne », en récidive légale pour avoir été condamné le 2 février (en CRPC, 10 mois avec sursis) pour les mêmes faits. Il demande un délai et son dossier sera renvoyé au 9 juillet. Mais attendra-t-il son procès en prison ? C’est l’enjeu du débat.

Sourire en coin, Salah semble se moquer et n’est pas très coopératif : il a refusé que l’on contacte ses parents et ne fournit aucun lieu d’hébergement qui l’éloignerait du lieu où il a été interpellé, à deux pas de chez ses parents où il vit. « Comment voulez-vous que je requière un contrôle judiciaire ? Vous avez la mentalité d’un mineur », déplore le procureur.

C’est tout l’enjeu pour Salah : il ne peut pas vivre à côté du point de deal où il s’est fait arrêter, à la cité Font-Vert, dans le quatorzième arrondissement de Marseille. Le procureur n’est pas très enthousiaste à l’idée de l’envoyer en détention, mais il estime qu’il n’a pas le choix. « Je nai aucun élément et des parents défaillants. »

Alors la défense va se démener. « Vous ne connaissez pas Monsieur et la famille qui l’entoure, moi je suis son avocat depuis la première procédure, entame le conseil de Salah. La famille de Monsieur est particulièrement cadrante. » Elle dit que sa mère est présente mais attend devant la porte, car « c’est trop difficile pour elle d’assister à l’audience ». La grande sœur est dans la salle.

« J’ai un hébergement en dehors de Marseille, mais je n’ai pas encore les justificatifs, indique l’avocate. Vous pourriez très bien décider d’un contrôle judiciaire en lui interdisant de se rendre à la cité Font-Vert. » Le prévenu sourit toujours, la présidente le regarde, l’avocate commente : « C’est un sourire de malaise, de profonde gène. » Salah est placé sous contrôle judiciaire en attendant son procès en juillet.

Tentative d’assassinat

Christophe, comme Nour, n’est pas de Marseille et, comme Salah, demande le renvoi. Enfin, son avocat le demande, car il n’a pas pu étudier le dossier d’offre, de cession et détention de cannabis qui le concerne. Il s’agit encore une fois de décider des mesures de sûretés qui seront prises à son encontre.

Christophe, 23 ans, est de Grenoble, et tous ses antécédents judiciaires ou presque y sont aussi. Que fait-il à Marseille, quand y est-il arrivé ? « Il y a un mois, je voulais y passer l’été. J’y ai des connaissances. » Il a aussi des séquelles, des douleurs toujours vives liées à une tentative d’assassinat dont il a été victime en 2019. « C’était par rapport au trafic ?

- Oui.

- A Grenoble ?

- A Marseille.

- Et vous y revenez ? Vous êtes partie civile dans l’instruction ?

- Non.

- Vous n’avez pas porté plainte ?

- Non. »

Sa dernière condamnation (conduite sous stup’) a été prononcée à Paris le 5 avril 2024. Son métier est d’acheter et de vendre divers objets sur Le Bon Coin ou Facebook (parfums, trottinettes, etc.). « C’est légal », précise-t-il.

Les six condamnations de Christophe, la plupart pour des infractions liées aux stupéfiants, incitent le procureur à demander son maintien en détention. « C’est quelqu’un de très mobile, et il pourrait ne pas se représenter devant vous. » La défense réfléchit à haute voix : « Il réside à Aubagne. Bon, ce n’est pas la bonne solution. Il pourrait retourner chez son cousin. Romainville ? » Christophe attendra à la prison des Baumettes son procès calé quelques semaines plus tard.

Julien Mucchielli

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