La cession
d’usufruit viager faite à une société relève du régime fiscal des plus-values.
Attention toutefois au formalisme : la moindre mention d’un quelconque délai
entraînera la requalification en cession temporaire, soumise au régime beaucoup
moins avantageux des revenus. La requalification sera systématique, même si ce
délai est d’origine légale.
Partenariat
entre l’université de Franche-Comté et le Journal Spécial des Sociétés
L’université
de Franche-Comté et le Journal Spécial des Sociétés ont mis en place un
partenariat concernant la rédaction régulière de commentaires d’arrêts ou de
décisions de jurisprudence par les étudiants du master Droit de l’Entreprise.
Ces commentaires sont rédigés par les étudiants, sous le contrôle et la
supervision du professeur Jean-Pierre Legros, directeur du master Droit de
l’entreprise. Note par Thibault Heitz, Étudiant de M2 Droit de l’Entreprise –
Besançon.
|
Autrefois, la cession temporaire d’usufruit était un
mécanisme apprécié pour son régime fiscal avantageux. Cependant, en 2012, les
textes évoluent et viennent ôter tout intérêt fiscal à l’opération. Certains
tenteront de contourner ce régime avec des manœuvres plus ou moins ingénieuses
mais rien n’y fera : le législateur et la jurisprudence sont bien déterminés à
ce que la cession temporaire d’usufruit cesse de servir les stratégies
d’optimisation fiscale. Reste que la cession d’usufruit viager échappait à
cette nouvelle réglementation. Toutefois, le Tribunal administratif de Nice,
dans sa décision du 30 décembre 2020, va se montrer d’une extrême fermeté avec
une cession d’usufruit viager faite à une société. Les faits sont les suivants
: après avoir reçu par donation-partage, l’usufruit viager de parts sociales,
Madame D. va en céder l’usufruit à titre d’apport à une SAS. L’acte de
constitution de cette société prévoit qu’un tel apport ne peut être effectué
que pour une durée de 30 ans. L’administration fiscale en déduira alors un
caractère temporaire à l’usufruit cédé, et assujettira la cession au régime des
BIC plutôt qu’à celui des plus-values. Mme D. va présenter une réclamation à
l’administration fiscale, qui sera rejetée le 25 juin 2018. Elle saisit alors
le tribunal administratif de Nice et demande la décharge des cotisations
supplémentaires d’impôt qu’elle s’est vu imposer en avançant que les
dispositions de l’article 13-5, 1° du Code général des impôts ne sont pas
applicables à l’apport d’un usufruit viager. La question qui se pose ici est de
savoir si le rappel d’un délai légal dans la cession d’un usufruit viager à une
société permet de la requalifier en cession temporaire. Le tribunal va répondre
par l’affirmative : il rejette la requête de Madame D. aux motifs que
l’indication d’un délai de 30 ans dans l’acte de constitution de la société
emportait nécessairement un caractère temporaire pour l’usufruit, et qu’à ce
titre, c’est à bon droit que l’administration fiscale a appliqué le texte mis
en cause. Cette analyse s’inscrit dans une logique de lutte contre
l’optimisation fiscale en la matière depuis 2012 (I). Les juges vont se montrer
d’une sévérité extrême et même excessive dans leur raisonnement (II).
Une halte retentissante à
l'optimisation fiscale
La cession d’usufruit temporaire, jusqu’en 2012,
offrait un régime fiscal particulièrement généreux (A). En 2012, l’addition
d’un 5 à l’article 13 du CGI a largement changé la donne, n’épargnant
pratiquement que la cession d’usufruit viager (B).
Un mécanisme jadis prisé
Antérieurement à 2012, le régime fiscal de la cession
d’usufruit temporaire était le suivant : le prix de cession était imposé en tant
que plus-value, avec un taux de 12.8 % en matière mobilière (le plus souvent
des parts sociales) ou de 19 % en matière immobilière. D’un point de vue
patrimonial, un propriétaire, qui risquait de voir les fruits de son immeuble
être imposés à l’impôt sur le revenu (avec des taux allant jusqu’à 45 %), avait
tout intérêt à céder l’usufruit de son immeuble pour une durée déterminée : il
récupère la valeur des fruits pour cette durée via le prix de cession qui lui
n’est imposé qu’à 19 %. Ce mécanisme était un véritable pain béni pour qui
voulait optimiser sa fiscalité ; le législateur va s’en rendre compte, et y
mettra un terme en 2012.
Un coup d'arrêt terrible épargnant
toutefois les cessions viagères
Conscients de ces montages, le législateur intervient
fin 2012, avec la création du 5e paragraphe de l’article 13 du Code général des
impôts. Le nouvel article 13-5 vient classer le prix des cessions dans la
catégorie des revenus, et non plus en tant que plus-values. Sont concernées les
premières cessions effectuées à compter du 14 novembre 2012. Plus précisément,
il s’agit des cessions, échanges et apports d’usufruits (les donations étant
exclues) conclus pour une durée déterminée. La notion de première cession
appelle une précision car elle est trompeuse : à l’issue d’une première
cession, si le propriétaire cède à nouveau son droit d’usufruit,
l’administration considérera qu’il s’agit d’un nouvel usufruit, et donc d’une
nouvelle « première » cession. Pour qu’il y ait deuxième cession, elle doit
intervenir au cours de la durée de la première. Ce qu’il faut surtout retenir,
c’est que le nouveau texte ne porte que sur des cessions conclues pour une
durée déterminée : les cessions viagères d’usufruit restent imposées au régime
des plus-values. C’est effectivement la dernière forme de cession d’usufruit
qui présente encore un intérêt au niveau fiscal, mis à part les deuxièmes
cessions. S’agissant de Madame D., c’est bien d’un usufruit viager dont elle a
fait l’apport. En toute logique, comme elle le soutient, cet apport aurait dû
relever du régime des plus-values. Le tribunal ne sera pas de cet avis : les
juges vont estimer que cette nature viagère est bien remise en cause par la
mention d’un délai dans l’acte de constitution de la société à laquelle est fait
l’apport. Les juges font donc une application particulièrement stricte et
littérale de l’article 13-5 du CGI.
Une application littérale et
distordue des textes
Le tribunal niçois se montre particulièrement dur dans
son raisonnement avec une application littérale de l’article 13-5 du CGI, au
détriment du Code civil (A). Finalement, le jugement se contente de sanctionner
le contribuable pour avoir simplement rappelé un délai pourtant légal (B).
Un raisonnement littéral
partisan
Pour les juges, la mention d’un délai dans l’acte de
constitution de la société pour laquelle l’apport est réalisé est suffisante à
caractériser la dimension temporaire de l’usufruit. Deux analyses s’opposent
ici : l’analyse purement fiscale des juges et l’analyse civile de la cession
viagère. L’article 619 du Code civil prévoit qu’en matière de sociétés,
l’usufruit ne dure que 30 ans. C’est un délai légal qu’ici les fondateurs de la
société ont rappelé dans leur acte de constitution. Un usufruit viager qui serait
accordé à une société ne pourrait donc durer que pour 30 ans au maximum. Il
n’en demeure pas moins qu’en cas de décès du nu-propriétaire, cet usufruit
cessera. Dans les faits, le caractère viager reste donc prédominant. Il ne
s’agit pas de simplement céder un usufruit pour 30 ans. Il s’agit bien de le
céder jusqu’au décès du nu-propriétaire et, si celui-ci ne survient pas, d’y
mettre fin à l’expiration de ce délai. Pour les juges niçois, la lecture
purement fiscale va prédominer. Le fait d’avoir seulement rappelé ce délai
légal revient pour eux à insérer un délai fixe et justifie l’application de
l’article 13-5 du CGI. Cette position est critiquable puisque, comme dit plus
haut, le caractère viager de l’usufruit va primer dans les faits. Si les juges
s’inscrivent dans la continuité de la lutte initiée en 2012, ils font ici
preuve d’un zèle particulier auquel il aurait pu être préféré un peu plus de
pragmatisme.
Un raisonnement sanctionnant la bonne
volonté du contribuable
En définitive, le seul tort de la défenderesse est que
la société ait rappelé ce délai légal prévu par le Code civil. La seule mention
de ce dernier a suffi à provoquer la requalification de la cession. Cette
sanction, particulièrement dure, ne tenait qu’à cette précision. La chose en
est d’autant plus navrante que, dans un jugement de 2019 (TA Montreuil
4-12-2019 n° 1805676), les juges avaient admis la cession viagère de l’usufruit
à une société. En l’espèce, aucun délai n’était mentionné dans l’acte.
Pourtant, le délai de 30 ans prévu par le Code civil demeure bel et bien
applicable. Le jugement du tribunal niçois paraît donc critiquable sur deux
points. On peut d’une part regretter son analyse particulièrement littérale et
presque dogmatique de l’article 13-5 du CGI. D’autre part, on regrettera
surtout la dureté de la sanction pour ces contribuables qui, voulant bien
faire, ont eu le malheur de rappeler les dispositions d’un texte, pertinent de
surcroît. L’intérêt de cette décision se borne donc à rappeler aux
contribuables qui souhaitent céder un usufruit viager à une personne morale de
bien se garder de mentionner le moindre délai.