Depuis plus d’un an, nombre d’évènements se déroulent sans public,
crise sanitaire oblige. Un schéma d’autant plus triste quand il s’agit de
prôner l’art oratoire et de défendre haut et fort les droits de l’homme. C’est
donc à huis clos que s’est tenu, les 19, 20 et
21 mars
derniers, l’édition 2021 des Concours de plaidoiries pour les droits de l’homme
du Mémorial de Caen. Comme à son habitude, cette dernière a réuni les lycéens,
élèves-avocats et avocats, venus défendre avec conviction un cas réel
d’atteinte aux droits de l’homme, face à un jury bien présent, et à un public
en distanciel, mais en nombre, pour écouter ces champions du verbe.
« Ce qui n’a pas de nom n’existe pas »,
disait le peintre français Francis Picabia. Une atteinte aux droits de l’homme existe-elle
si elle n’est pas défendue ? peut-on s’interroger. Ainsi, chaque début
d’année, se tiennent au Mémorial de Caen les Concours de plaidoiries pour les
droits de l’homme. S’y succèdent, durant trois jours, des profils et
générations diverses – des lycéens, des élèves-avocats et des avocats – venus, chacun leur tour, porter leur voix pour
défendre un cas d’atteinte aux droits de l’homme auquel ils ont été
particulièrement sensibles.
Chaque début d’année, nous y
découvrons, des injustices innommables, des atteintes aux droits de l’homme,
subies généralement dans l’ignorance et l’indifférence de tous.
Chaque début d’année, cette
manifestation donne à voir de sombres parcours, mais éclaire ces destins
brisés. Il y est question de combats menés au Liban, en Russie, en Syrie, en
Espagne, en Afrique, et même de France.
Chaque début d’année, elle nous
extirpe de notre bulle et de notre quotidien pour nous inscrire au cœur d’un
monde sans frontières, au cœur d’un monde auquel on appartient. Ces combats
deviennent les nôtres.
Chaque début d’année se déroulent
donc les Concours de plaidoiries pour les droits de l’homme du Mémorial de
Caen. Comme un coup de projecteur sur les droits de l’homme, comme un rendez-vous
vous nécessaire.
Cette année, Covid oblige, il
aura fallu attendre mi-mars afin que l’événement puisse avoir lieu. Les
organisateurs ont en effet dû s’adapter pour répondre au protocole sanitaire
mis en place, permettant aux finalistes d’être bien présents sur la scène du
Mémorial pour défendre haut et fort les droits de l’homme, le tout face à un
jury attentif et leurs accompagnants, mais sans public. Grâce à une
retransmission en direct, ce dernier a toutefois pu suivre la manifestation à
distance, et
n’a pas manqué d’encourager les finalistes.
Le
concours des lycéens, le concours de l’espoir
Comme le veut la tradition, la
manifestation s’est ouverte sur la finale du Concours de plaidoirie des
lycéens.
Sélectionnés sur plus de 1
300 dossiers reçus sous forme de vidéo, ils étaient précisément quatorze, ce
19 mars, pour défendre une cause qui leur tenait à cœur. Ce jour constituait
pour eux l’aboutissement de plusieurs mois de travail durant lesquels ces
lycéens ont peaufiné le fond et la forme de leur plaidoirie. Venus dénoncer des
cas réels d’atteinte aux droits de l’homme, ils avaient chacun huit minutes
pour convaincre le jury, composé de personnalités juridiques, médiatiques ou
engagées dans la défense des droits de l’homme, et les 7 200 internautes qui
suivaient le concours en direct.
Les orateurs ont été jugés sur
leur prestation orale, bien sûr, mais aussi sur leur argumentation, les
références juridiques, leur engagement, et surtout leur conviction.
Avant d’ouvrir cette 24e
édition, le vice-président en charge de l’Éducation du Conseil régional de
Normandie et président du jury, Maître Bertrand Deniaud, s’est adressé aux
quatorze lycéens finalistes. Il leur a confié tout l’espoir qu’il plaçait en
cette nouvelle génération qui, selon ses dires, devrait actuellement vivre la
plus belle décennie de sa vie. Une période d’insouciance et de rêve. Mais
hélas, depuis plus d’un an, cette dernière est bloquée, confinée, a regretté
Bertrand Deniaud. En plein crise sanitaire, les jeunes ne peuvent plus
apprendre, ni être formés, ni faire de stages, ni faire la fête, « ils ne peuvent même plus tomber amoureux »,
a-t-il déploré. « Ils ne sont pas
uniquement des vecteurs de virus qu’il faut continuer à confiner, mais au
contraire, des vecteurs de chaleur humaine, de bienveillance, qu’il faut mettre
en lumière », a relevé le président du jury, se faisant à son tour le
défenseur de cette jeunesse.
Convaincu que « l’Humanité porte en elle des valeurs nobles »,
le vice-président en charge de l’Éducation de Normandie a ainsi souhaité rendre
hommage aux responsabilités qui lui incombent : « Ils ont cette maturité précoce que les difficultés du monde moderne
leur imposent », a-t-il déclaré. « Je
constate avec effroi que la génération qui va se présenter à nous assume encore
plus ce que nous pensions » a-t-il poursuivi. Assurément tourné vers
demain, c’est un discours plein d’optimisme que le président du jury a souhaité
leur transmettre : « Tout au long des
plaidoiries (…), nous allons cependant retrouver l’espoir. L’espoir que rien
n’est perdu, l’espoir que cette génération se bat, se bat pour la vie, pour
l’égalité, pour la dignité », a-t-il martelé. Retrouver l’espoir en demain,
car Bertrand Deniaud en est certain, ces jeunes sont les bâtisseurs d’une
société en devenir, qui sera « ouverte,
digne, soucieuse des autres ».
Avant que ne débute le Concours,
le président du jury s’est directement adressé aux finalistes, leur livrant un
dernier message : « Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est que par vos
prestations, votre courage, votre force de persuasion, vous nous apportiez la
lumière, plein feu sur la vie, l’espoir et le bonheur. Soyez aujourd’hui, tous
et toutes, nos projecteurs, pour nous guider sur une route qui sera, grâce à
vous, le chemin de l’espérance. »À l’issue des prestations, le jury a rendu
publiques ses délibérations.
Alexandre Pina (lycée René
Cassin, Tarare) a remporté la 24e édition du concours de plaidoiries
pour les droits de l’homme pour sa plaidoirie « Du sang dans la bouche ». Il y était question du sort d’un migrant,
Moussa, contraint de travailler dans des serres, en Andalousie (Espagne), dans
des conditions extrêmes et inhumaines. Des conditions d’autant plus dures pour
ces travailleurs agricoles clandestins, à l’heure de la crise sanitaire. Ce
concours était l’opportunité, pour Alexandre Pina, de « donner [s]a voix à ceux qu’on n’entend pas, ou plutôt qu’on n’écoute
pas, alors qu’ils sont à quelques kilomètres d’ici ».
Alexandre Pina
Dans sa plaidoirie « Au nom de la loi », Rachel Demeuse
(lycée Charles de Gaulle, Caen) a abordé le sujet du mariage forcé avec le
destin de Malika, Camerounaise de 14 ans, donnée en mariage par son père à un
homme de 50 ans. La jeune lycéenne a rappelé à ce titre que selon l’Unicef, 13
% des Camerounaises sont mariées avant l’âge de 15 ans. Sa prestation lui a
valu le 2e Prix et le Prix du jury des lycéens, une nouveauté 2021 !
Ce concours, c’était l’occasion pour elle d’exprimer « ses idées de manières pacifique » à un large auditoire : « une chance quand on est lycéens », a
confié la lauréate.
Ange Semi Bi (Lycée Camille
Pissarro, Pontoise) a été de son côté récompensé du 3e Prix, pour sa
plaidoirie « Le rêve d’un Burundi terre
des droits humains ». Il y était question de violation de droits humains au
Burundi, et plus précisément de six lycéennes et un écolier, arrêtés le 12 mars
2019 pour avoir gribouillé dans des manuels scolaires, sous la photographie du
président du pays, Pierre Nkurunziza. Trois d’entre elles risquent encore cinq
ans d’emprisonnement et 250 euros d’amende. Le lycéen a assuré s’être senti « pleinement concerné » par ce sujet, qui
touche directement des personnes de son âge.
Se plaçant comme défenseure des
mineurs victimes d’agressions sexuelles, Eva Rota Graziosi (lycée Saint-Jean,
Besançon)s’est quant à elle vu remettre le 4e Prix du concours pour
sa plaidoirie « Parler pour ceux qui
n’osent pas le faire », rappelant que chaque année, en France, 165
000 enfants, âgés de 10 ans en moyenne, sont victimes de violences sexuelles
(chiffres Ipsos). Il y notamment était question d’Adèle, violée par son
grand-père et contrainte au silence pour ne pas briser l’équilibre familial.
Concours des élèves avocats : pour la défense des libertés
Le samedi
20 mars, la finale de la 11e édition du concours des élèves a réuni
11 élèves-avocats, venus des 11 écoles d’avocats de France, pour défendre à
leur tour des cas réels d’atteinte aux droits de l’homme. Suivi par près de 8
000 internautes, chaque candidat a défendu avec ferveur une injustice qui l’a
particulièrement touché.
Le jury,
composé de personnalités du monde juridique et médiatique, était cette année
présidé par Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits de 2014 à 2020 et
ancien ministre. « Une évidence »,
pour les organisateurs.
L’ancien
ministre de la Justice a souhaité, en préambule, « rendre hommage aux élèves-avocats
qui vont s’engager dans un travail dont la première mission, le premier
principe, c’est de toujours, dans la consultation, les affaires, les
contentieux, défendre la liberté, les libertés, et les droits fondamentaux ».
En effet, pour Jacques Toubon, le droit de la défense est « une des libertés essentielles dans les
démocraties ». « Un concours comme
celui-ci, c’est-à-dire un concours d’hommes et de femmes qui auront à exercer
la mission de la défense, dans une période comme celle d’aujourd’hui, prend une
signification particulière », a-t-il déclaré. En effet, adoptés au
lendemain des attentats du 11 septembre, le Patriot
Act ou ses équivalents se sont imposés dans nos principes, partout dans le
monde. « Depuis ce moment-là, partout,
les impératifs de la sécurité ont commencé à primer sur ceux de la liberté
», a déploré l’ancien Défenseur des droits. Faisant le parallèle
avec les états d’urgence connus récemment en France (antiterroriste et
sanitaire), Jacques Toubon a souhaité mettre en garde son auditoire contre
l’atteinte généralisée des libertés, et la pérennisation dans le droit commun,
de certaines procédures, répondant à une situation initialement exceptionnelle.
« Ce privilège, que les sociétés
démocratiques sont en train de donner peu à peu aux exigences de la sécurité
par rapport aux garanties des libertés individuelles ou publiques, existe
partout dans le monde, et de toutes les manières possibles. » Ce dernier a
ainsi considéré cette dérive politique comme « inquiétante » « car selon
lui, elle remet en cause les fondements de la démocratie. C’est ce qu’on
appelle les démocraties illibérales ou “démocraties identitaires” ».
En pleine
crise sanitaire, Jacques Toubon a établi le parallèle avec la situation
sanitaire vécue en hiver 68-69. À cette époque, une grande pandémie de grippe
s’était abattue notamment sur la France, faisant plus 30 000 morts. Cet épisode
n’a pourtant engendré aucune mesure exceptionnelle, « 50 ans plus tard, le risque n’est pas supporté. La sécurité est devenue
un impératif quasiment catégorique », a-t-il souligné.
Pointant
cette « dérive de la suprématie rampante
ou explicite de la sécurité sur la garantie des libertés », il a invité
tout un chacun à se poser la question : «
est-ce que nous pouvons continuer comme ça ? » Après l’état d’urgence,
certaines « mesures intrusives » seront-elles maintenues ? « Je ne crois pas, à terme, que nos sociétés
gagnent à être des sociétés du renfermement, du confinement, de la restriction,
des sociétés de l’obligation », a confié
l’ancien ministre.
Ce dernier
a ainsi estimé que les dix prochaines années seraient un « instant critique » : soit nous allons « nous ressaisir » sans nous « laisser embarquer n’importe où par
l’effet de la peur », soit nous n’en serons pas capables. Jacques Toubon a
parlé d’une « grande entreprise
collective » à mener, et « dans les entreprises collectives, il l’a assuré, il
y des éclaireurs, des phares, des prescripteurs. Et les avocats en sont. »
Un message fort et porteur pour ces élèves-avocats qui s’apprêtaient à monter
sur scène.
Enzo
Niccolini représentait ce jour-là l’École des avocats de Montpellier. Dans sa
plaidoirie « Mémoires arrachées : les justes contre les juristes », il évoquait
la spoliation des Juifs par le régime nazi pour les œuvres d’art pendant la
Seconde Guerre mondiale, et les combats des ayants droit pour leur restitution.
Notamment celui Claude Cassirer, descendant d’une famille juive allemande,
ayant intenté plusieurs actions pour récupérer l’œuvre de sa famille, le
tableau « Rue Saint Honoré, Après-midi,
Effet de Pluie » de Pissaro, exposé au musée national Thyssen-Bornemisza,
en Espagne, à Madrid. La justice américaine a jugé pourtant que le Royaume
d’Espagne était devenu le propriétaire légitime du tableau sur le fondement de
la prescription acquisitive. « Cette
décision et le comportement de l’Espagne m’ont semblé iniques compte tenu des
engagements pris par ce pays au titre des principes de la Convention de
Washington notamment », a déploré le jeune élève-avocat. Pour sa plaidoirie,
il a reçu le Grand prix du Mémorial de Caen. Le président du jury a, à cette
occasion, salué le « talent d’expression » de l’élève-avocat, mais également le
sujet choisi par ce dernier, soulevant « l’impuissance
du droit, ou plutôt la contradiction entre le juste et le droit », entre « le
juste et la justice ».
Enzo
Niccolini
Le Prix des
droits de l’homme a été décerné à Olivier Bitoo, de l’École des avocats de
Versailles, pour sa plaidoirie « Viol des
êtres féminins en RDC », « l’opportunité,
a-t-il assuré, de faire un grand pas dans la défense des femmes congolaises ».
Son intervention a débuté par un chant. Une mélopée. Un appel à l’aide de ces 1
152 femmes violées par jour, au Congo, à cause d’un minerai indispensable à la
fabrication des ordinateurs, des portables, des avions… Le coltant, un minerai
« microscopique qui symbolise les
gargantuesques souffrances, violences faites à ces femmes », a certifié
avec intensité l’élève-avocat. Le jury a soulevé l’éloquence du lauréat et
l’originalité de sa plaidoirie et son « sens
des mots ».
Enfin,
Marine Lecoq, de l’École des avocats de Rennes, s’est vu remettre par la
bâtonnière du barreau de Caen, Nathalie Lailler, le Prix des libertés et de la
paix. Sa plaidoirie, « Syrie, Humanité
meurtrie », rendait hommage à Rimas, une jeune Syrienne de 4 ans, décédée
le 5 novembre 2020 à la suite d’un bombardement alors qu’elle se rendait à
l’école. Selon l’Unicef, a-t-elle rappelé, un enfant meurt toutes les 10 heures
en Syrie. La mort de cette petite fille est, selon elle, « le symbole de ce que
le régime de Bachar el-Assad entend détruire depuis des années : l’enfance ».
« Particulièrement sensible à la cause des
enfants, j’ai souhaité attirer l’attention sur le conflit syrien et notamment
sur le sort des enfants qui sont, depuis le début de la guerre, volontairement
pris pour cible par le régime de Bachar el-Assad. Des crimes contre l’humanité
au sens de l’article 212-1 du Code pénal sont commis en toute impunité à
l’encontre des enfants », a expliqué Marine Lecoq. « Ces actes ne devront pas rester impunis, nous devons tous rester
mobilisés et vigilants », a-t-elle déclaré.
Concours
des avocats : "Avec la dignité commence la civilisation,
avec l’indignité surgit la barbarie"
Le 21 mars, place aux robes
noires ! Dix finalistes étaient venus ce dimanche mettre à leur tour en lumière
un cas de violation des droits de l’homme. En raison des circonstances
sanitaires, il n’y a pas eu, cette année, de prix jury du public, mais le jury
officiel était bien présent dans l’auditorium pour assister aux plaidoiries.
Le président du 32e
Concours de plaidoirie des avocats, Jérôme Gavaudan, président du Conseil
National des Barreaux (CNB), a introduit la manifestation, assurant que l’expression
« Plaider dans le désert » n’avait
jamais autant pris son sens, avec une salle « à l’image de notre pays : vide de visages et de son, mais pas vide de
sens ». « Laisser un avocat plaider pour les droits de l’homme n’est jamais de
trop », a-t-il toutefois soulevé.
Dans son discours d’introduction,
le président du CNB a rappelé le destin d’une famille kurde composée d’un
homme, d’une femme enceinte de 8 mois, et de leurs deux enfants, arrêtés par
les forces de l’ordre, la nuit du 1er au 2 septembre 2020, sur une
plage du Pas-de-Calais, alors qu’ils tentaient, pour la troisième fois,
d’atteindre l’Angleterre. La femme perdra quelques jours plus tard son bébé.
Une enquête est en cours.
Jérôme Gavaudan a dénoncé, à
travers ce récit, le procès de l’indifférence. « En France, en 2020, une enfant est morte d’une indifférence collective
», a-t-il déploré, « La reconnaissance de
la dignité, inhérente à tous les membres de la famille humaine, et de leurs
droits égaux et inaliénables, constitue le fondement de la liberté, de la
justice et de la paix dans le monde », a rappelé le porte-parole des
avocats de France, précisant que « la
reconnaissance de la dignité constitue le premier principe de la Déclaration
universelle des droits de l’homme. Tout commence par là », a assuré le
président du CNB.
Ce dernier a invité chacun à
poser un regard sur ces hommes, sur ces femmes : « Les droits de l’homme ne sont rien sans le regard que nous portons sur
l’autre ». « Ce regard que reconnait
la dignité de l’autre, c’est un droit inaliénable », a pointé l’avocat,
rappelant que l’article 1er de la Déclaration universelle des droits
de l’homme qui place la dignité avant les droits : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en
droits ».
Le président du jury a rendu
hommage à cet événement, « Un concours si
beau, si grand, si ouvert sur le monde et sur les droits de tous », car
selon lui, « plaider pour la dignité,
c’est plaider pour les droits de l’homme. La dignité fait appel à notre
humanité, plus qu’à nos manuels juridiques. La dignité, c’est le droit qui
s’incarne dans l’autre. » Car oui, pour Jérôme Gavaudan, certaines lois,
certaines ordonnances sont indignes : «
Laisser une femme ou un homme innocent en détention parce qu’on ne peut pas,
pour des raisons sanitaires, le présenter à leur juge, c’est indigne. Interdire
la livraison de linge propre aux détenus pour des raisons sanitaires, c’est
indigne. Laisser le virus se rependre dans les centres de détentions
administratifs, c’est indigne. Imposer des audiences derrière une caméra parce
qu’on a peur de la Covid, c’est indigne. Juger les gens sans eux, parce qu’ils
sont malades sans eux, c’est indigne », a-til dénoncé, avant d’appeler son auditoire à être
prudent et attentif : « avec la dignité commence la civilisation, avec
l’indignité surgit la barbarie », a-t-il conclu.
Á l’issue des
délibérations, le prix du Mémorial et de la Ville de Caen a été remis à Maître
Laura Temin, du barreau du Val-de-Marne, pour sa plaidoirie « Incarcérés sans même avoir été jugés : le
sort de ceux tristement surnommés “les mules” ». Elle y a dénoncé ce
qu’elle a appelé l’« automatisation des
peines » de la 12e chambre correctionnelle du tribunal de
Créteil, un sujet qui la touche en premier lieu, car il s’agissait, a-t-elle
confié, de son premier dossier en tant qu’avocat commis d’office. Une femme,
mère de deux enfants, était jugée en comparution immédiate, le 18 septembre 2019, pour
importation d’un kilo de cocaïne en métropole, entre Cayenne et Orly.
L’audience n’a duré que 15 minutes. La femme a été condamnée à la peine d’un an d’emprisonnement avec
maintien en détention ; une peine que l’avocate a jugé disproportionnée.
Mais à la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, pour les
« mules » (qu’elle préfère appeler les transporteurs), ses confrères
lui ont expliqué que la peine forfaitaire est souvent la suivante : 1 kilo de cocaïne = 1 an d’emprisonnement. C’est
comme ça. Les peines sont-elles décidées à l’avance ? s’est alors
interrogée la jeune avocate. Et alors dans ce cas-là, pourquoi plaider ?
Laura Témin
Pourquoi plaider face à l’automatisation des décisions de justice ? Une question que s’est à son tour posée, à sa manière, Maître
Océane Mahé, du barreau des Ardennes, lauréate du Prix du barreau pour sa
plaidoirie « Réinventer la justice du futur ». Cette dernière – qui avait déjà participé à la finale du concours des
lycéens dix ans auparavant –, a choisi de parler des risques liés aux outils de
justice prédictive. Loin des films de science-fiction, l’avocate s’est appuyée
sur des faits bien réels pour élaborer sa plaidoirie : elle y a cité par
exemple les logiciels PredPol, qui visent à « identifier
des points chauds où statistiquement, le taux d’infraction est plus
élevé », et COMPAS, évaluant le risque de récidive d’une personne accusée
ou condamnée, aujourd’hui utilisés aux États-Unis.
Et la France n’est pas en reste, puisque « des services de police et de
gendarmerie utilisent des logiciels de police dite prédictive pour
cartographier la délinquance », a-t-elle assuré. Dans ce contexte, la
jeune avocate s’est interrogée : « le modernisme triompherait-il
de la justice humaine ? ». « Vais-je, dans les années à
venir, plaider devant un juge appliquant mécaniquement le résultat qui sera
sorti de la machine ? ». « Et comment combattre les
erreurs commises par l’algorithme ? » Par ailleurs, qu’en est-il de
nos espaces privés ? Les questions sont posées.
Constance
Périn