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Concours 2021 du Mémorial de Caen : plaider pour les droits de l’homme

Concours 2021 du Mémorial de Caen : plaider pour les droits de l’homme
Publié le 09/04/2021 à 17:38

Depuis plus d’un an, nombre d’évènements se déroulent sans public, crise sanitaire oblige. Un schéma d’autant plus triste quand il s’agit de prôner l’art oratoire et de défendre haut et fort les droits de l’homme. C’est donc à huis clos que s’est tenu, les 19, 20 et 21 mars derniers, l’édition 2021 des Concours de plaidoiries pour les droits de l’homme du Mémorial de Caen. Comme à son habitude, cette dernière a réuni les lycéens, élèves-avocats et avocats, venus défendre avec conviction un cas réel d’atteinte aux droits de l’homme, face à un jury bien présent, et à un public en distanciel, mais en nombre, pour écouter ces champions du verbe.

 

« Ce qui n’a pas de nom n’existe pas », disait le peintre français Francis Picabia. Une atteinte aux droits de l’homme existe-elle si elle n’est pas défendue ? peut-on s’interroger. Ainsi, chaque début d’année, se tiennent au Mémorial de Caen les Concours de plaidoiries pour les droits de l’homme. S’y succèdent, durant trois jours, des profils et générations diverses – des lycéens, des élèves-avocats et des avocats – venus, chacun leur tour, porter leur voix pour défendre un cas d’atteinte aux droits de l’homme auquel ils ont été particulièrement sensibles.

Chaque début d’année, nous y découvrons, des injustices innommables, des atteintes aux droits de l’homme, subies généralement dans l’ignorance et l’indifférence de tous.

Chaque début d’année, cette manifestation donne à voir de sombres parcours, mais éclaire ces destins brisés. Il y est question de combats menés au Liban, en Russie, en Syrie, en Espagne, en Afrique, et même de France.

Chaque début d’année, elle nous extirpe de notre bulle et de notre quotidien pour nous inscrire au cœur d’un monde sans frontières, au cœur d’un monde auquel on appartient. Ces combats deviennent les nôtres.

Chaque début d’année se déroulent donc les Concours de plaidoiries pour les droits de l’homme du Mémorial de Caen. Comme un coup de projecteur sur les droits de l’homme, comme un rendez-vous vous nécessaire.

Cette année, Covid oblige, il aura fallu attendre mi-mars afin que l’événement puisse avoir lieu. Les organisateurs ont en effet dû s’adapter pour répondre au protocole sanitaire mis en place, permettant aux finalistes d’être bien présents sur la scène du Mémorial pour défendre haut et fort les droits de l’homme, le tout face à un jury attentif et leurs accompagnants, mais sans public. Grâce à une retransmission en direct, ce dernier a toutefois pu suivre la manifestation à distance, et n’a pas manqué d’encourager les finalistes.

 


Le concours des lycéens, le concours de l’espoir

Comme le veut la tradition, la manifestation s’est ouverte sur la finale du Concours de plaidoirie des lycéens.

Sélectionnés sur plus de 1 300 dossiers reçus sous forme de vidéo, ils étaient précisément quatorze, ce 19 mars, pour défendre une cause qui leur tenait à cœur. Ce jour constituait pour eux l’aboutissement de plusieurs mois de travail durant lesquels ces lycéens ont peaufiné le fond et la forme de leur plaidoirie. Venus dénoncer des cas réels d’atteinte aux droits de l’homme, ils avaient chacun huit minutes pour convaincre le jury, composé de personnalités juridiques, médiatiques ou engagées dans la défense des droits de l’homme, et les 7 200 internautes qui suivaient le concours en direct.

Les orateurs ont été jugés sur leur prestation orale, bien sûr, mais aussi sur leur argumentation, les références juridiques, leur engagement, et surtout leur conviction.

Avant d’ouvrir cette 24e édition, le vice-président en charge de l’Éducation du Conseil régional de Normandie et président du jury, Maître Bertrand Deniaud, s’est adressé aux quatorze lycéens finalistes. Il leur a confié tout l’espoir qu’il plaçait en cette nouvelle génération qui, selon ses dires, devrait actuellement vivre la plus belle décennie de sa vie. Une période d’insouciance et de rêve. Mais hélas, depuis plus d’un an, cette dernière est bloquée, confinée, a regretté Bertrand Deniaud. En plein crise sanitaire, les jeunes ne peuvent plus apprendre, ni être formés, ni faire de stages, ni faire la fête, « ils ne peuvent même plus tomber amoureux », a-t-il déploré. « Ils ne sont pas uniquement des vecteurs de virus qu’il faut continuer à confiner, mais au contraire, des vecteurs de chaleur humaine, de bienveillance, qu’il faut mettre en lumière », a relevé le président du jury, se faisant à son tour le défenseur de cette jeunesse.

Convaincu que « l’Humanité porte en elle des valeurs nobles », le vice-président en charge de l’Éducation de Normandie a ainsi souhaité rendre hommage aux responsabilités qui lui incombent : « Ils ont cette maturité précoce que les difficultés du monde moderne leur imposent », a-t-il déclaré. « Je constate avec effroi que la génération qui va se présenter à nous assume encore plus ce que nous pensions » a-t-il poursuivi. Assurément tourné vers demain, c’est un discours plein d’optimisme que le président du jury a souhaité leur transmettre : « Tout au long des plaidoiries (…), nous allons cependant retrouver l’espoir. L’espoir que rien n’est perdu, l’espoir que cette génération se bat, se bat pour la vie, pour l’égalité, pour la dignité », a-t-il martelé. Retrouver l’espoir en demain, car Bertrand Deniaud en est certain, ces jeunes sont les bâtisseurs d’une société en devenir, qui sera « ouverte, digne, soucieuse des autres ».

Avant que ne débute le Concours, le président du jury s’est directement adressé aux finalistes, leur livrant un dernier message : « Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est que par vos prestations, votre courage, votre force de persuasion, vous nous apportiez la lumière, plein feu sur la vie, l’espoir et le bonheur. Soyez aujourd’hui, tous et toutes, nos projecteurs, pour nous guider sur une route qui sera, grâce à vous, le chemin de l’espérance. »À l’issue des prestations, le jury a rendu publiques ses délibérations.

Alexandre Pina (lycée René Cassin, Tarare) a remporté la 24e édition du concours de plaidoiries pour les droits de l’homme pour sa plaidoirie « Du sang dans la bouche ». Il y était question du sort d’un migrant, Moussa, contraint de travailler dans des serres, en Andalousie (Espagne), dans des conditions extrêmes et inhumaines. Des conditions d’autant plus dures pour ces travailleurs agricoles clandestins, à l’heure de la crise sanitaire. Ce concours était l’opportunité, pour Alexandre Pina, de « donner [s]a voix à ceux qu’on n’entend pas, ou plutôt qu’on n’écoute pas, alors qu’ils sont à quelques kilomètres d’ici ».





Alexandre Pina




Dans sa plaidoirie « Au nom de la loi », Rachel Demeuse (lycée Charles de Gaulle, Caen) a abordé le sujet du mariage forcé avec le destin de Malika, Camerounaise de 14 ans, donnée en mariage par son père à un homme de 50 ans. La jeune lycéenne a rappelé à ce titre que selon l’Unicef, 13 % des Camerounaises sont mariées avant l’âge de 15 ans. Sa prestation lui a valu le 2e Prix et le Prix du jury des lycéens, une nouveauté 2021 ! Ce concours, c’était l’occasion pour elle d’exprimer « ses idées de manières pacifique » à un large auditoire : « une chance quand on est lycéens », a confié la lauréate.

Ange Semi Bi (Lycée Camille Pissarro, Pontoise) a été de son côté récompensé du 3e Prix, pour sa plaidoirie « Le rêve d’un Burundi terre des droits humains ». Il y était question de violation de droits humains au Burundi, et plus précisément de six lycéennes et un écolier, arrêtés le 12 mars 2019 pour avoir gribouillé dans des manuels scolaires, sous la photographie du président du pays, Pierre Nkurunziza. Trois d’entre elles risquent encore cinq ans d’emprisonnement et 250 euros d’amende. Le lycéen a assuré s’être senti « pleinement concerné » par ce sujet, qui touche directement des personnes de son âge.

Se plaçant comme défenseure des mineurs victimes d’agressions sexuelles, Eva Rota Graziosi (lycée Saint-Jean, Besançon)s’est quant à elle vu remettre le 4e Prix du concours pour sa plaidoirie « Parler pour ceux qui n’osent pas le faire », rappelant que chaque année, en France, 165 000 enfants, âgés de 10 ans en moyenne, sont victimes de violences sexuelles (chiffres Ipsos). Il y notamment était question d’Adèle, violée par son grand-père et contrainte au silence pour ne pas briser l’équilibre familial.

 


Concours des élèves avocats : pour la défense des libertés

Le samedi 20 mars, la finale de la 11e édition du concours des élèves a réuni 11 élèves-avocats, venus des 11 écoles d’avocats de France, pour défendre à leur tour des cas réels d’atteinte aux droits de l’homme. Suivi par près de 8 000 internautes, chaque candidat a défendu avec ferveur une injustice qui l’a particulièrement touché.

Le jury, composé de personnalités du monde juridique et médiatique, était cette année présidé par Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits de 2014 à 2020 et ancien ministre. « Une évidence », pour les organisateurs.

L’ancien ministre de la Justice a souhaité, en préambule, « rendre hommage aux élèves-avocats qui vont s’engager dans un travail dont la première mission, le premier principe, c’est de toujours, dans la consultation, les affaires, les contentieux, défendre la liberté, les libertés, et les droits fondamentaux ». En effet, pour Jacques Toubon, le droit de la défense est « une des libertés essentielles dans les démocraties ». « Un concours comme celui-ci, c’est-à-dire un concours d’hommes et de femmes qui auront à exercer la mission de la défense, dans une période comme celle d’aujourd’hui, prend une signification particulière », a-t-il déclaré. En effet, adoptés au lendemain des attentats du 11 septembre, le Patriot Act ou ses équivalents se sont imposés dans nos principes, partout dans le monde. « Depuis ce moment-là, partout, les impératifs de la sécurité ont commencé à primer sur ceux de la liberté », a déploré l’ancien Défenseur des droits. Faisant le parallèle avec les états d’urgence connus récemment en France (antiterroriste et sanitaire), Jacques Toubon a souhaité mettre en garde son auditoire contre l’atteinte généralisée des libertés, et la pérennisation dans le droit commun, de certaines procédures, répondant à une situation initialement exceptionnelle. « Ce privilège, que les sociétés démocratiques sont en train de donner peu à peu aux exigences de la sécurité par rapport aux garanties des libertés individuelles ou publiques, existe partout dans le monde, et de toutes les manières possibles. » Ce dernier a ainsi considéré cette dérive politique comme « inquiétante » « car selon lui, elle remet en cause les fondements de la démocratie. C’est ce qu’on appelle les démocraties illibérales ou “démocraties identitaires” ».

En pleine crise sanitaire, Jacques Toubon a établi le parallèle avec la situation sanitaire vécue en hiver 68-69. À cette époque, une grande pandémie de grippe s’était abattue notamment sur la France, faisant plus 30 000 morts. Cet épisode n’a pourtant engendré aucune mesure exceptionnelle, « 50 ans plus tard, le risque n’est pas supporté. La sécurité est devenue un impératif quasiment catégorique », a-t-il souligné.

Pointant cette « dérive de la suprématie rampante ou explicite de la sécurité sur la garantie des libertés », il a invité tout un chacun à se poser la question : « est-ce que nous pouvons continuer comme ça ? » Après l’état d’urgence, certaines « mesures intrusives » seront-elles maintenues ? « Je ne crois pas, à terme, que nos sociétés gagnent à être des sociétés du renfermement, du confinement, de la restriction, des sociétés de l’obligation », a confié l’ancien ministre.

Ce dernier a ainsi estimé que les dix prochaines années seraient un « instant critique » : soit nous allons « nous ressaisir » sans nous « laisser embarquer n’importe où par l’effet de la peur », soit nous n’en serons pas capables. Jacques Toubon a parlé d’une « grande entreprise collective » à mener, et « dans les entreprises collectives, il l’a assuré, il y des éclaireurs, des phares, des prescripteurs. Et les avocats en sont. » Un message fort et porteur pour ces élèves-avocats qui s’apprêtaient à monter sur scène.

Enzo Niccolini représentait ce jour-là l’École des avocats de Montpellier. Dans sa plaidoirie « Mémoires arrachées : les justes contre les juristes », il évoquait la spoliation des Juifs par le régime nazi pour les œuvres d’art pendant la Seconde Guerre mondiale, et les combats des ayants droit pour leur restitution. Notamment celui Claude Cassirer, descendant d’une famille juive allemande, ayant intenté plusieurs actions pour récupérer l’œuvre de sa famille, le tableau « Rue Saint Honoré, Après-midi, Effet de Pluie » de Pissaro, exposé au musée national Thyssen-Bornemisza, en Espagne, à Madrid. La justice américaine a jugé pourtant que le Royaume d’Espagne était devenu le propriétaire légitime du tableau sur le fondement de la prescription acquisitive. « Cette décision et le comportement de l’Espagne m’ont semblé iniques compte tenu des engagements pris par ce pays au titre des principes de la Convention de Washington notamment », a déploré le jeune élève-avocat. Pour sa plaidoirie, il a reçu le Grand prix du Mémorial de Caen. Le président du jury a, à cette occasion, salué le « talent d’expression » de l’élève-avocat, mais également le sujet choisi par ce dernier, soulevant « l’impuissance du droit, ou plutôt la contradiction entre le juste et le droit », entre « le juste et la justice ».





Enzo Niccolini




Le Prix des droits de l’homme a été décerné à Olivier Bitoo, de l’École des avocats de Versailles, pour sa plaidoirie « Viol des êtres féminins en RDC », « l’opportunité, a-t-il assuré, de faire un grand pas dans la défense des femmes congolaises ». Son intervention a débuté par un chant. Une mélopée. Un appel à l’aide de ces 1 152 femmes violées par jour, au Congo, à cause d’un minerai indispensable à la fabrication des ordinateurs, des portables, des avions… Le coltant, un minerai « microscopique qui symbolise les gargantuesques souffrances, violences faites à ces femmes », a certifié avec intensité l’élève-avocat. Le jury a soulevé l’éloquence du lauréat et l’originalité de sa plaidoirie et son « sens des mots ».

Enfin, Marine Lecoq, de l’École des avocats de Rennes, s’est vu remettre par la bâtonnière du barreau de Caen, Nathalie Lailler, le Prix des libertés et de la paix. Sa plaidoirie, « Syrie, Humanité meurtrie », rendait hommage à Rimas, une jeune Syrienne de 4 ans, décédée le 5 novembre 2020 à la suite d’un bombardement alors qu’elle se rendait à l’école. Selon l’Unicef, a-t-elle rappelé, un enfant meurt toutes les 10 heures en Syrie. La mort de cette petite fille est, selon elle, « le symbole de ce que le régime de Bachar el-Assad entend détruire depuis des années : l’enfance ».

« Particulièrement sensible à la cause des enfants, j’ai souhaité attirer l’attention sur le conflit syrien et notamment sur le sort des enfants qui sont, depuis le début de la guerre, volontairement pris pour cible par le régime de Bachar el-Assad. Des crimes contre l’humanité au sens de l’article 212-1 du Code pénal sont commis en toute impunité à l’encontre des enfants », a expliqué Marine Lecoq. « Ces actes ne devront pas rester impunis, nous devons tous rester mobilisés et vigilants », a-t-elle déclaré.


 

Concours des avocats : "Avec la dignité commence la civilisation, avec l’indignité surgit la barbarie"

Le 21 mars, place aux robes noires ! Dix finalistes étaient venus ce dimanche mettre à leur tour en lumière un cas de violation des droits de l’homme. En raison des circonstances sanitaires, il n’y a pas eu, cette année, de prix jury du public, mais le jury officiel était bien présent dans l’auditorium pour assister aux plaidoiries.

Le président du 32e Concours de plaidoirie des avocats, Jérôme Gavaudan, président du Conseil National des Barreaux (CNB), a introduit la manifestation, assurant que l’expression « Plaider dans le désert » n’avait jamais autant pris son sens, avec une salle « à l’image de notre pays : vide de visages et de son, mais pas vide de sens ». « Laisser un avocat plaider pour les droits de l’homme n’est jamais de trop », a-t-il toutefois soulevé.

Dans son discours d’introduction, le président du CNB a rappelé le destin d’une famille kurde composée d’un homme, d’une femme enceinte de 8 mois, et de leurs deux enfants, arrêtés par les forces de l’ordre, la nuit du 1er au 2 septembre 2020, sur une plage du Pas-de-Calais, alors qu’ils tentaient, pour la troisième fois, d’atteindre l’Angleterre. La femme perdra quelques jours plus tard son bébé. Une enquête est en cours.

Jérôme Gavaudan a dénoncé, à travers ce récit, le procès de l’indifférence. « En France, en 2020, une enfant est morte d’une indifférence collective », a-t-il déploré, « La reconnaissance de la dignité, inhérente à tous les membres de la famille humaine, et de leurs droits égaux et inaliénables, constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde », a rappelé le porte-parole des avocats de France, précisant que « la reconnaissance de la dignité constitue le premier principe de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Tout commence par là », a assuré le président du CNB.

Ce dernier a invité chacun à poser un regard sur ces hommes, sur ces femmes : « Les droits de l’homme ne sont rien sans le regard que nous portons sur l’autre ». « Ce regard que reconnait la dignité de l’autre, c’est un droit inaliénable », a pointé l’avocat, rappelant que l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui place la dignité avant les droits : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».

Le président du jury a rendu hommage à cet événement, « Un concours si beau, si grand, si ouvert sur le monde et sur les droits de tous », car selon lui, « plaider pour la dignité, c’est plaider pour les droits de l’homme. La dignité fait appel à notre humanité, plus qu’à nos manuels juridiques. La dignité, c’est le droit qui s’incarne dans l’autre. » Car oui, pour Jérôme Gavaudan, certaines lois, certaines ordonnances sont indignes : « Laisser une femme ou un homme innocent en détention parce qu’on ne peut pas, pour des raisons sanitaires, le présenter à leur juge, c’est indigne. Interdire la livraison de linge propre aux détenus pour des raisons sanitaires, c’est indigne. Laisser le virus se rependre dans les centres de détentions administratifs, c’est indigne. Imposer des audiences derrière une caméra parce qu’on a peur de la Covid, c’est indigne. Juger les gens sans eux, parce qu’ils sont malades sans eux, c’est indigne », a-til dénoncé, avant d’appeler son auditoire à être prudent et attentif : « avec la dignité commence la civilisation, avec l’indignité surgit la barbarie », a-t-il conclu.

Á l’issue des délibérations, le prix du Mémorial et de la Ville de Caen a été remis à Maître Laura Temin, du barreau du Val-de-Marne, pour sa plaidoirie « Incarcérés sans même avoir été jugés : le sort de ceux tristement surnommés “les mules” ». Elle y a dénoncé ce qu’elle a appelé l’« automatisation des peines » de la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, un sujet qui la touche en premier lieu, car il s’agissait, a-t-elle confié, de son premier dossier en tant qu’avocat commis d’office. Une femme, mère de deux enfants, était jugée en comparution immédiate, le 18 septembre 2019, pour importation d’un kilo de cocaïne en métropole, entre Cayenne et Orly. L’audience n’a duré que 15 minutes. La femme a été condamnée à la peine d’un an d’emprisonnement avec maintien en détention ; une peine que l’avocate a jugé disproportionnée. Mais à la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, pour les « mules » (qu’elle préfère appeler les transporteurs), ses confrères lui ont expliqué que la peine forfaitaire est souvent la suivante : 1 kilo de cocaïne = 1 an d’emprisonnement. C’est comme ça. Les peines sont-elles décidées à l’avance ? s’est alors interrogée la jeune avocate. Et alors dans ce cas-là, pourquoi plaider ?





Laura Témin



Pourquoi plaider face à l’automatisation des décisions de justice ? Une question que s’est à son tour posée, à sa manière, Maître Océane Mahé, du barreau des Ardennes, lauréate du Prix du barreau pour sa plaidoirie « Réinventer la justice du futur ». Cette dernière – qui avait déjà participé à la finale du concours des lycéens dix ans auparavant –, a choisi de parler des risques liés aux outils de justice prédictive. Loin des films de science-fiction, l’avocate s’est appuyée sur des faits bien réels pour élaborer sa plaidoirie : elle y a cité par exemple les logiciels PredPol, qui visent à « identifier des points chauds où statistiquement, le taux d’infraction est plus élevé », et COMPAS, évaluant le risque de récidive d’une personne accusée ou condamnée, aujourd’hui utilisés aux États-Unis. Et la France n’est pas en reste, puisque « des services de police et de gendarmerie utilisent des logiciels de police dite prédictive pour cartographier la délinquance », a-t-elle assuré. Dans ce contexte, la jeune avocate s’est interrogée : « le modernisme triompherait-il de la justice humaine ? ». « Vais-je, dans les années à venir, plaider devant un juge appliquant mécaniquement le résultat qui sera sorti de la machine ? ». « Et comment combattre les erreurs commises par l’algorithme ? » Par ailleurs, qu’en est-il de nos espaces privés ? Les questions sont posées.

 

Constance Périn

 

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