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Covid-19 et données de santé : le numérique au chevet de la gestion de crise par le gouvernement

Covid-19 et données de santé : le numérique au chevet de la gestion de crise par le gouvernement
Publié le 05/08/2020 à 10:00



Pour lutter contre la crise sanitaire liée à la Covid-19, les pouvoirs publics ont recours à des dispositifs numériques impliquant le traitement de données personnelles et l’application des règles de protection des données personnelles, que la crise sanitaire n’a pas pour effet de suspendre. Le Comité européen de la protection des données (CEPD) a en effet déclaré dès le 19 mars : « l’urgence est une circonstance juridique susceptible de légitimer des restrictions aux libertés à condition que ces restrictions soient proportionnées et limitées à la période d’urgence ».


Les règles à suivre pour la mise en place de dispositifs en lien avec la pandémie ont été précisées par le CEPD et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), laquelle s’est de plus engagée à traiter en priorité tous les dossiers relatifs à l’épidémie.


La plupart des dispositifs numériques mis en place par les pouvoirs publics entraînent le traitement massif de données de santé qui, par exception, sera considéré comme licite s’il est notamment justifié par un motif d’intérêt public et sans qu’il soit alors nécessaire de recueillir le consentement de la personne concernée. Ces dispositifs comprennent l’application de suivi de contacts « StopCovid » (I), la plateforme des données de santé « Health data Hub » (II), les fichiers COVID et SI-DEP (III), et les caméras thermiques (IV), dont le présent article propose d’analyser certains aspects.


 


L’application StopCovid


L’application mobile StopCovid est un dispositif de déconfinement disponible depuis le 2 juin et dont l’objectif est d’alerter les utilisateurs d’un risque de contamination lorsqu’ils ont été à proximité d’un autre utilisateur diagnostiqué positif.


L’application repose sur le volontariat des personnes et utilise la technologie Bluetooth (sans géolocalisation).


La CNIL a rendu dans l’urgence deux avis sur cette application dans lesquels elle précise : « le dispositif projeté ne serait admissible que si le gouvernement disposait d’éléments suffisants de nature à établir son utilité pour la gestion de la crise, notamment dans le cadre du déconfinement ». Or, trois semaines après sa mise en service, l’application aurait été activée par moins de 2 % de la population. Le gouvernement précise que l’outil pourrait démontrer son utilité en cas de deuxième vague.


Une cartographie de la chaîne de contamination n’est possible que si l’application est massivement utilisée. La CNIL recommande d’écarter le consentement pour « permettre en toute sécurité juridique […] les éventuelles incitations des pouvoirs publics à une telle utilisation » et précise ensuite que l’usage volontaire de l’application est compatible avec le choix du consentement comme base légale. Or le consentement n’est valable que s’il est libre. Le CEPD dans ses Guidelines sur le consentement précise qu’« en règle générale, le RGPD prescrit que si la personne concernée (…) se sent obligée de consentir (…) alors le consentement ne sera pas valable ». On comprend donc que si la démarche volontaire est largement influencée ou encouragée, elle nuit alors au caractère libre du consentement. Ainsi, l’invitation de l’ancien Premier ministre aux citoyens d’installer l’application StopCovid et la phrase d’accueil de l’application (« avec StopCovid, participez à la lutte contre l’épidémie en limitant les risques de transmission ») font de l’utilisation de l’application un acte socialement responsable pour encourager ou à tout le moins influencer le comportement des individus. Or, cette influence affecte la faculté des citoyens de faire un libre choix exprimé par le consentement.


D’aucuns ont en outre indiqué que l’application collecterait plus de données qu’annoncé et que la fonction Bluetooth d’Android utiliserait des données de localisation. Le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris a alerté sur les « risques réels de fuite de données médicales et professionnelles, mais également des risques d’atteinte aux droits fondamentaux ».


Dans une mise en demeure du 15 juillet, la CNIL pointe des irrégularités dans le fonctionnement de l’application (information incomplète des utilisateurs sur les destinataires tels que l’INRIA, contrat de sous-traitance avec l’INRIA incomplet, analyse d’impact fournie à la CNIL incomplète et collecte de données pour évaluer le comportement de l’utilisateur non précédée par un consentement éclairé de ce dernier) et donne un mois au gouvernement pour y remédier.


 


Le Health Data Hub 


Le déploiement du Health Data Hub (« HDH ») a été anticipé pour les besoins de la gestion de l’urgence sanitaire et de l’amélioration des connaissances sur la Covid-19. Les données traitées dans ce cadre sont très variées et sensibles (données de pharmacie, de prise en charge en ville, de télémédecine, de résultats d’examens biologiques…).


Dans ses avis sur le HDH, la CNIL s’inquiète du risque d’exportation de données non anonymisées et de la possibilité de transférer des données en dehors de l’UE. En effet le contrat d’hébergement existant entre le HDH et Microsoft prévoit la possibilité de transferts hors de l’UE pour les opérations de maintenance et de résolution d’incidents techniques. La CNIL rappelle que le CEPD s’est déjà inquiété des dispositions du Cloud Act, permettant aux autorités américaines d’accéder aux données à des fins de sécurité nationale, alors que le RGPD interdit toute demande d’accès d’une autorité d’un pays tiers adressée à des entreprises soumises au RGPD. La CNIL exprime son souhait que l’entrepôt de données de santé et les services de gestion du HDH soient hébergés par des entités relevant exclusivement des juridictions européennes, et rappelle qu’à l’expiration de la période d’état d’urgence sanitaire, la centralisation de données au sein du HDH nécessitera son autorisation préalable.


Des organisations professionnelles ont déposé un référé-liberté devant le Conseil d’État pour demander la suspension d’un arrêté qui autorise l’hébergement par Microsoft des données du HDH. Pour écarter cette demande, le juge des référés a notamment considéré que conformément au Privacy Shield, toujours en vigueur, les États-Unis assurent un niveau adéquat de protection, que Microsoft figure bien sur la liste des organisations adhérant au Privacy Shield et que, si le Cloud Act peut s’appliquer à Microsoft, les requérants ne démontrent pas pour autant que les données de santé pseudonymisées que Microsoft héberge seraient susceptibles de faire l’objet d’une demande d’accès d’un juge américain pour les besoins d’une enquête criminelle. Le juge des référés a néanmoins ordonné à HDH de fournir à la CNIL tous les éléments relatifs aux procédés de pseudonymisation utilisés pour vérifier leur conformité.


Bien que le HDH soit déjà déployé, sa légalité sera encore discutée. Espérons qu’un éventuel demi-tour sera possible sans séquelles pour les droits et libertés des personnes concernées.


 


Les fichiers COVID et SI-DEP 


Le fichier SI-DEP mis en œuvre par le ministère de la Santé doit centraliser les résultats des tests de Covid-19, transmis par les médecins et les laboratoires d’analyse, tandis que le fichier Contact Covid, établi par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) doit centraliser les informations issues du fichier SI-DEP et des brigades des enquêtes sanitaires. Ces deux fichiers dérogent au secret médical, garanti par le Code de la santé publique, mais sont autorisés par la loi du 11 mai prorogeant l’état d’urgence et justifiés par la nécessité de faire face à l’épidémie.


La CNIL précise également que le refus de participer aux enquêtes sanitaires ne saurait entraîner de conséquences de quelque ordre que ce soit, et que compte tenu de leur caractère temporaire, les deux systèmes d’information devraient rester indépendants d’autres traitements. La CNIL demande la transmission de l’évaluation des analyses d’impact de protection des données réalisée pour ces deux traitements et annonce qu’elle sera très attentive aux mesures de sécurité prévues.


 


Les caméras thermiques


Afin d’évaluer le risque de contagion lors du déconfinement, certaines organisations publiques ont mis en place des dispositifs de prise de température automatique (caméras thermiques) dans les lieux ouverts au public.


La CNIL a constaté qu’une grande partie de ces dispositifs ne respectaient pas le cadre légal, alors que ces derniers impliquent le traitement de données de santé.


La Ligue des droits de l’Homme a intenté une action contre la commune de Lisses pour le retrait des caméras thermiques portables, mises en place à l’entrée des écoles pour contrôler la température corporelle des élèves, enseignants et personnels municipaux, et inviter ceux pour lesquels un écart anormal de température était constaté, à quitter l’établissement. Le 26 juin 2020, le juge des référés a ordonné à la commune de mettre fin à l’usage de ces caméras au motif qu’en l’absence de texte régissant ces dispositifs et faute de montrer que le consentement au traitement des données de santé avait été effectivement recueilli, les conditions permettant le traitement n’étaient pas remplies. Il précise que le consentement n’est pas libre si l’accès à l’école est subordonné à l’acceptation de la prise de température et si la conformité aux règles de protection des données personnelles du formulaire de consentement envoyé à chaque famille n’est pas démontrée. Le juge conclut que la réalisation d’une analyse d’impact aurait permis d’établir ces manquements et que son absence suffit à elle seule à entraîner l’illégalité du traitement.


La CNIL avait indiqué dès le 7 mai que la température n’est pas un symptôme systématique de la Covid-19 et que le Haut Conseil de la Santé Publique recommandait de ne pas mettre en place un dépistage par prise de température dans la population.


En raison des incertitudes liées à l’évolution de l’épidémie, la sortie du régime d’exception instauré par l’état d’urgence sanitaire est progressive. Un nouveau régime transitoire ad hoc a été instauré et devrait prendre fin le 30 octobre.


Les choix réalisés par le gouvernement en termes d’outils de gestion de la crise sanitaire, même motivés par les circonstances exceptionnelles et guidés par l’urgence, poseront les jalons des outils numériques du système de santé français de demain. Il faut donc être vigilant, car la réflexion du gouvernement se poursuivra au moins aussi longtemps que les recherches en cours d’un vaccin contre le coronavirus n’auront pas abouti.

 

Elsa Malaty,

Avocate en droit des données personnelles,

Hughes Hubbard & Reed LLP

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