Dans le cadre de la crise sanitaire, les
acteurs de la justice commerciale ont dû adapter leurs pratiques pour continuer
de répondre aux demandes des entreprises. La ministre de la Justice, Nicole
Belloubet, présidait, le 5 juin dernier, au sein du tribunal de commerce
de Paris, une table ronde consacrée à cette mobilisation et aux premiers
enseignements tirés de cette période. Compte-rendu.
« Nous vous accueillons avec le plaisir trop
rare d’un cousin qui accueille le chef de famille à l’occasion d’une période
inédite et éprouvante », sourit Jean-Paul Netter, président du
tribunal de commerce de Paris, à l’intention de Nicole Belloubet.
Celle qui préside
cette table ronde le martèle d’entrée de jeu : la question des
entrepreneurs est « centrale ». La
garde des Sceaux rappelle que, le 16 mars, le président de la République a
annoncé un dispositif « important et
exceptionnel » en raison de la crise sanitaire : report des
charges fiscales et sociales, garanties de l’État à hauteur de
300 milliards d'euros, mise en place d’un fonds de solidarité pour les
TPE, indépendants et micro-entrepreneurs… Mesures qui, selon la ministre, ont
été « largement utilisées par les
entreprises ». Toutefois, Nicole Belloubet s’inquiète qu’en dépit de
ce dispositif, la trésorerie des entreprises, surtout celles fragilisées avant
la crise, a été d’autant plus bouleversée par l’arrêt total, pour certaines, de
l’activité.
« Notre ministère s’est mobilisé pour adapter
notre droit et nos procédures à ces circonstances exceptionnelles », ajoute-t-elle.
L’objectif, avec les ordonnances des 25 et 27 mars, est de limiter les
fermetures des entreprises et les licenciements, mais aussi de maintenir
l’activité des tribunaux de commerce, tout en assurant la sécurité sanitaire
des personnes.
Par ailleurs, si la
garde des Sceaux se félicite que la France soit dotée d’un large éventail de
mesures et procédures en matière d’entreprises en difficulté, « une véritable boîte à outils tournée vers
l’anticipation des problèmes » (mandat ad hoc, conciliation, etc.),
elle ajoute toutefois que « la
période actuelle commandait de faire évoluer ces instruments pour préserver
leur efficacité ». D’où l’ordonnance publiée le 20 mai dernier,
qui, venue compléter celle du 27 mars, poursuit l’adaptation du Code de
commerce, afin de prendre en compte les conséquences de la pandémie sur les
entreprises et les exploitations agricoles.
Pour Nicole
Belloubet, cette ordonnance « s’inscrit
dans la continuité, mais également dans une certaine modernité, puisqu’elle
innove ». Elle favorise en effet les procédures amiables et vise un
traitement « efficace et rapide » des difficultés des entreprises,
visant à favoriser leur redressement. Le traitement des entreprises en
situation irrémédiablement compromise est ainsi accéléré afin de favoriser un
rebond plus rapide. Sont renforcés trois points, explique la ministre de la
Justice : la détection des difficultés, via l’aménagement de la procédure
d’alerte par le commissaire aux comptes ; l’adaptation de la procédure de
conciliation, en permettant plus facilement au débiteur de solliciter une
suspension de la poursuite des délais de paiement ; et, enfin, la
possibilité d’une sauvegarde accélérée en supprimant les seuils d’ouverture.
Selon Nicole
Belloubet, il faut absolument « pallier
le risque économique auquel nous allons être confrontés ». La ministre
de la Justice souligne qu’il a fallu réagir rapidement face à une situation
complexe. Sur ce point, considère-t-elle, bien qu’elle devra « l’être encore, et sans doute encore plus »,
la justice commerciale a été au rendez-vous.
« Le service public a été maintenu »
« Pour offrir des conseils aux dirigeants,
l’idée a germé d’un numéro vert : 150 mandataires et administrateurs judiciaires
se sont relayés bénévolement pendant sept semaines », raconte
Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs et
mandataires judiciaires (CNAJMJ). Au total, plus de 3 000 appels,
d’une durée d’un peu plus de 30 minutes. Christophe Basse fait le constat
que ces chefs d’entreprise déboussolés venaient de toute la France, issus de
secteurs diversifiés, dont deux en tête, « qui ont vu leur activité s’arrêter totalement » :
l’hôtellerie et la restauration, qui concernaient 25 % des appels, et le
commerce de détail. « Dans 98 %
des cas, il s’agissait de TPE et d’auto-entrepreneurs, de structures de moins
10 salariés qui n’avaient pas, dans leur entourage, les moyens d’avoir les
conseils suffisants », pointe le président du CNAJMJ. Les questions
ont principalement porté, au départ, sur les mesures de chômage partiel, puis,
au mois d’avril, l’inquiétude était surtout liée au fait de savoir si les
salaires du mois de mars allaient être « remboursés » avant de payer
ceux du mois d’avril, rapporte Christophe Basse, qui affirme que la tension
était « palpable ». « Heureusement, la mesure a été efficace »,
estime-t-il. En effet, jusqu’au 1er juin, en cas de recours à l'activité
partielle au sein d'une entreprise, l’entreprise versait une indemnité égale à
70 % du salaire brut à ses salariés (100 % pour les salariés au SMIC)
et était intégralement remboursée par l’État, pour les salaires jusqu’à
4,5 fois le SMIC.
Le président du
CNAJMJ recense aussi beaucoup d’interrogations sur le fonds de solidarité
permettant le versement d’une aide défiscalisée allant jusqu’à
1 500 euros aux plus petites entreprises, indépendants, micro
entrepreneurs et professions libérales. « Beaucoup d’agriculteurs, notamment, avaient besoin de cette somme pour
vivre », assure Christophe Basse, qui ajoute que les prêts garantis
par l’État ont eux aussi fait l’objet d’une grande partie des appels passés,
suite à la mise en place d’un dispositif exceptionnel par le gouvernement de
garanties permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises, à
hauteur de 300 milliards d’euros.
Pour Georges
Richelme, président de la Conférence générale des juges consulaires de France
(CGJCF), la particularité de cette période, pour l’organe de représentation, a
été le contact direct avec les entreprises. « C’est un rôle que nous n’avons pas l’habitude de tenir, même s’il
s’agit d’un monde que nous connaissons parfaitement », rapporte-t-il.
« À côté de cela, nous avons mis en
place autour de la directrice de la concurrence une cellule d’écoute et de
réorientation », ajoute Georges Richelme, qui se félicite par ailleurs
que la Conférence ait « entretenu
des relations constantes avec le ministère de la Justice » durant la
période de confinement, « ce qui a
permis de faire des propositions » pour être « au plus proche des
préoccupations des justiciables ». La CGJCF a également adressé
17 messages d’information aux présidents des tribunaux, sous forme de
notes destinées à faciliter la compréhension et l’application des mesures
prises durant la crise. Le président de la Conférence générale le
souligne : celle-ci a eu pour objectif de « maintenir l’opérationnalité » des tribunaux. Une opération
qui, selon lui, ne pouvait réussir qu’avec la mobilisation des greffiers des
tribunaux de commerce, « sans
lesquels les TC ne fonctionneraient pas ».
Sophie Jonval,
présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC),
rappelle à ce titre que, dès le 17 mars, l’accueil physique des greffes a
fermé au public, ce qui n’a pas empêché certains greffiers de rester travailler
dans les juridictions, les autres étant en télétravail. « Nous avons mis en place un service
d’assistance pour pallier cette fermeture : 20 000 appels ont été
passés par des dirigeants pour être assistés dans les démarches concernant leur
entreprise et 22 000 mails ont été reçus »,
précise-t-elle. Elle assure que la préoccupation de la profession « a été de se saisir des outils numériques mis
en place, au premier rang desquels la plateforme Infogreffe, mais aussi le
tribunal digital, qui a fêté son premier anniversaire pendant le confinement ».
L’instrument a d’ailleurs connu un engouement sans précédent, puisque
1 000 saisines ont été effectuées via celui-ci lors des premières semaines
de confinement… soit autant qu’en un an. Quant au RCS, les dossiers ont été
traités « comme habituellement »,
affirme Sophie Jonval ; néanmoins, l’activité a, logiquement, connu un fort
ralentissement en matière de création d’entreprise, « les temps n’étant pas à l'initiative économique », se
désole-t-elle. « Les
immatriculations ont chuté de plus de 53 % pendant le confinement, mais
125 000 formalités ont été déposées en ligne sur Infogreffe sur cette même
période, et nous avons délivré 450 000 extraits Kbis aux entreprises, pour
qu’elles puissent effectuer leurs démarches afin de bénéficier des aides
gouvernementales », se console la présidente du Conseil national des
greffiers, qui assure que le service public « a été maintenu » grâce à ces divers outils.
Confinement :
760 audiences dans les 141 juridictions commerciales
Sophie Jonval
rappelle que si, lors de la première semaine du confinement, les juges
consulaires n’ont pas pu tenir d’audiences d’ouverture de procédure collective,
par la suite les ordonnances ont permis de le faire par tous moyens : dans
ce cadre, la visioconférence a été instaurée. Se posait donc la question de
l’outil adéquat et, surtout, sécurisé. « Le Conseil a jeté son dévolu sur Tixeo, agréé par l’ANSI et recommandé
par la CNIL », indique Sophie Jonval.
Une solution qu’il a
fallu s’approprier, souligne pour sa part le président du tribunal de commerce
de Paris. « Il n’y avait jamais eu
de visioconférence dans cette maison avant la crise sanitaire ! On teste
Tixeo la dernière semaine de mars et, le 1er avril, on tient la
première audience de procédure collective, qui réunit à distance trois juges,
un procureur, un greffier et des justiciables. » Se reconstitue alors,
raconte Paul-Louis Netter, un tribunal immatériel, avec un seul point
fixe : un bureau au sein du greffe, où le greffier a organisé la
conférence. « Ce tribunal immatériel
va travailler, et on va tenir nos audiences ainsi, deux jours par semaine,
d’abord, puis trois jours par semaine. La majorité des juges se sont déclarés
volontaires pour tenir ces audiences, avec un sens de la mission et une
conscience de l’urgence aigus », raconte-t-il. Le président du TC de
Paris évoque une expérience inédite qui a « bien fonctionné », mais qui ne « doit pas devenir le modèle ».
Il n’en reste pas
moins que, par le biais de ce procédé, 760 audiences ont ainsi été tenues
dans les 141 juridictions commerciales pendant le confinement, dénombre
Sophie Jonval. Cependant, l’activité n’a pas été aussi intense que d’ordinaire,
les entreprises ayant bénéficié des mesures gouvernementales. « Seules » 3 800 procédures
collectives ont ainsi été ouvertes pendant toute la durée du confinement,
contre 4 000 rien qu’en mars 2019.
Le tribunal de commerce
de Paris a quant à lui « traité
351 affaires de procédures collectives, ce qui a concerné plus de
10 500 salariés », intervient Paul-Louis Netter. « Le 16 mars, tout le monde s’est
dispersé et on ne savait pas vraiment quand on allait se retrouver. Mais il
nous a semblé rapidement évident qu’il fallait absolument poursuivre le
traitement des difficultés des entreprises, sinon, les salariés ne seraient pas
couverts. On s’est d’abord attachés à cela », assure le président du
TC de Paris, rejoint par Rémy Heitz, procureur de la République de Paris, qui
parle d’un « constat partagé par
tous » : « Dès le 1er avril,
le parquet a été présent aux audiences de procédures collectives, comme garant
du respect de la loi et de l’intérêt général. » En termes de procédures
collectives, le tribunal de commerce de Paris n’a donc « pas de retard », se réjouit le
président, sans compter toutefois le stock des déclarations de cessation de
paiement sur assignation. Paul-Louis Netter explique : « Dans ce contexte spécial, les acteurs qui
avaient assigné avant le confinement n’ont pas tenu à audiencer l’assignation ».
La période à venir risque donc d’être chargée. « Pendant le confinement, on peut parler d’un calme relatif, puisqu’on a
surtout été amenés à traiter de difficultés déjà présentes, concernant une
période antérieure à la crise sanitaire. Mais les entreprises ont été sous
perfusion pendant la crise, et quand la perfusion cessera, elles seront hélas
en grande difficulté », alerte Rémy Heitz.
En matière de
prévention, le tribunal de commerce de Paris a traité 55 dossiers, soit
43 000 salariés concernés, dont un dossier touchant
16 000 salariés sur plusieurs pays. « On a eu six fois moins de dossiers mais trois fois plus de
salariés concernés, car les dossiers ont été déposés par des entreprises
beaucoup plus importantes », souligne Paul-Louis Netter, qui juge
qu’il était « impérieux de continuer à traiter ces dossiers-là ».
Le contentieux
général a quant à lui repris son cours la semaine du 27 avril par
visioconférence, et, le 11 mai, la réouverture des tribunaux a sonné la
reprise des audiences physiquement, en laissant toutefois le choix aux juges
qui souhaiteraient poursuivre la visioconférence. « De fin avril à début juin, nous avons tenu 306 audiences de contentieux,
traité 44 référés cabinets dont certaines décisions ont eu les honneurs de
la presse, s’agissant d’assureurs et de producteurs d’électricité. Enfin, nous
avons mis à disposition plus de 700 décisions résultant d’audiences tenues
avant le 16 mars et depuis cette date », résume le président du
TC de Paris.
Un « travail d’équipe »
« L’ampleur de la crise s’apparente à une
guerre où tout s’arrête : les destructions ne sont pas matérielles, mais
immatérielles », commente pour sa part Thierry Montéran, avocat au
barreau de Paris. « Ne reste à ce
moment à disposition des chefs d’entreprise que leur téléphone, première arme
contre le coronavirus. Nous sommes tous entrés en résistance active et avons
redécouvert le système D, contrepartie légitime du confinement. »
L’avocat raconte
ainsi qu’un de ses clients, dirigeant d’une entreprise de 70 salariés, ne
pouvait plus payer les salaires à la fin du mois. L’audience qui s’annonce est
alors un vaste « flou artistique ». « Nous ne connaissons pas le président du tribunal de commerce, ni le
greffier. Nous connaissons juste un administrateur judiciaire, régulièrement
nommé – grâce à lui, nous obtenons le numéro de téléphone du président, qui
s’occupe alors de tout : du greffier, du ministère public, du mandataire, de
valider le choix de l’administrateur judiciaire ». Le jour de
l’audience, l’affaire se tient par téléphone, décrit Thierry Montéran : le
président à la manœuvre, accompagné de deux autres juges, vérifie qui est au
téléphone, distribue la parole. « Le
lendemain, le jugement est prêt, les mandataires sont nommés, le dossier est
sur les rails. Moralité : le travail d’équipe a bien fonctionné »,
conclut l’avocat. « Que fait
l’avocat ? Rien. Que fait le tribunal ? Rien. Qu’ont-ils fait
ensemble ? Tout, avec le désir de bien faire, une capacité d’adaptation et
à travailler ensemble. »
Pour l’avocat, la
crise sanitaire se découpe en trois périodes. Une première période où chacun a
essayé de s’en sortir par tous moyens. Une période d’adaptation, ensuite. Puis
une troisième période, vers septembre/octobre, lors de laquelle toutes les
entreprises vont venir s’adresser aux tribunaux. « La question est : comment va-t-on traiter ce contentieux de
masse ? », s’inquiète Thierry Montéran.
Des outils pour un
redémarrage rapide de l’activité économique
Paul-Louis Netter
avertit : la crise semble s’inscrire dans la durée. À son sens, le retour
à la normale ne sera pas si rapide qu’on pouvait l’imaginer, voire, pour
certains, il n’aura pas lieu. « Nous
traversons une crise horizontale et verticale », estime-t-il, « qui ressemble aux caractéristiques de la
force majeure ; qui surprend tout le monde et risque de nous submerger. »
Il l’affirme : la crise a montré à quel point les économies sont
imbriquées. « Il ne s’agit pas d’opposer
créancier/débiteur/salarié, mais de trouver un équilibre, car aboutir à une
situation où l’on met les entreprises sous perfusion lourde reviendrait à
fausser la concurrence loyale. »
Il fallait donc
présenter une solution économique « souple
et rapide », souligne-t-il. D’où l’idée du tiers conciliateur, lancé
par Paris Place de Droit, dispositif d’aide aux entreprises destiné à résoudre
amiablement des situations commerciales potentiellement contentieuses liées à
la crise sanitaire. « Il ne s’agit
pas d’employer la voie procédurale mais de contribuer à la recherche d’une
solution, avec le recours à une personne familière des voies procédurales et
des grands principes du droit » : juge consulaire, avocat,
directeur juridique, universitaire ou encore huissier de Justice. Les parties
n’ont qu’à s’acquitter des frais de fonctionnement. Le président du tribunal de
commerce de Paris est enthousiaste : « C’est une initiative qui n’a encore jamais été mise en œuvre ! »
Pour le moment, difficile de mesurer son efficacité, mais Paul-Louis Netter
insiste : cette plateforme, qui n’a pas vocation à être pérenne, « doit être utilisée ».
Le président du
tribunal de commerce en a également profité pour rappeler l’importance de la
prévention, afin de « redonner de
l’oxygène et des perspectives » aux entreprises. « Si l’entreprise constate qu’elle va être
amenée à affronter de graves difficultés, elle peut solliciter le concours de
conciliateurs ou de mandataires ad hoc, rappelle-t-il. Elle ne doit pas
attendre, et venir le plus vite possible se mettre sous la protection du
tribunal. Car venir tard, c’est presque toujours venir trop tard. »
Rémy Heitz renchérit : « Il
faut bien rappeler que les procédures préventives sont confidentielles ;
insister sur le fait que les chefs d’entreprise peuvent venir en toute
confiance dans une démarche préventive. »
Georges Richelme
s’inquiète pour sa part du financement de la reprise. Le président de la
Conférence générale des juges consulaires tire la sonnette d’alarme : si
les seules solutions sont les procédures collectives, qui suspendent le passif,
alors il risque d’y avoir un effet domino, et le crédit inter-entreprises
pourrait disparaître. Selon lui, la meilleure façon d’avancer est de se
tourner vers les procédures amiables. Il faut donc relancer les négociations, à
condition, insiste-t-il, de « rétablir
l’équilibre qui n’existe pas toujours entre le débiteur et le créancier ».
La Conférence a donc émis, en avril dernier, la proposition suivante :
réintroduire dans la procédure de conciliation une mesure qui datait de
l’ordonnance de 1967 – la suspension provisoire des poursuites, avec la faculté
de payer ses dettes pendant le temps de la négociation, pour réinitialiser le
circuit des liquidités entre entreprises. Cette mesure a été débattue au cours
d’entretiens avec la ministre Justice, relate Georges Richelme. La garde des
Sceaux a souhaité la mise en place d’un groupe de travail, qui a débouché sur « des débats assez tranchés ».
« Nous avons eu l’impression d’avoir
affaire à une certaine orthodoxie qui ignorait la réalité économique, mais la
traduction de notre proposition s’est finalement faite dans l’ordonnance du
20 mai, avec l’introduction de la suspension de l’exigibilité »,
témoigne le président de la Conférence. À ce titre, Georges Richelme considère
que la profession, « intervenue en
urgence », avec une « position
avancée », est « en ligne
avec la réalité de la relation commerciale ». « Nous avons donné un outil pour les
négociateurs », se réjouit-il.
En matière d’outils,
Christophe Basse évoque quant à lui trois articles de l’ordonnance du
20 mai, dont l’objectif était de permettre un redémarrage rapide de
l’activité économique, et qui viennent « garnir notre boîte à outils ». En premier lieu,
l’article 3, qui permet l’extension du champ d’application de la
sauvegarde accélérée. Le président du Conseil national des administrateurs et
mandataires judiciaires dresse un rapide historique : en 2010, la loi
avait créé la sauvegarde financière accélérée. Cette procédure s’était étendue
en 2014, avec une sauvegarde accélérée qui allait désormais concerner tous les
créanciers. Toutefois, le législateur réservait ces procédures à une certaine
typologie d’entreprises. L'article 3 de l’ordonnance du 20 mai vient
donc supprimer ces seuils. Christophe Basse en est persuadé : « Ces sauvegardes accélérées sont peu
utilisées : la suppression des seuils devrait donner de très bons
résultats. »
L’article 4 de
l’ordonnance assouplit pour sa part les modalités de consultation des créanciers,
jusqu’au 31 décembre prochain. Les délais de réponse sont raccourcis à
15 jours au lieu d’un mois, les moyens de consultation sont allégés (la
consultation et la réponse sont possibles par tous moyens). L’ordonnance permet
en outre de considérer le passif reconnu par le débiteur et attesté par
l’expert-comptable ou le commissaire aux comptes, « quand la jurisprudence demandait depuis toujours que l’intégralité du
passif déclaré soit pris en compte », met en exergue le président du
CNAMJ, qui ajoute que cela « entraînait
des délais assez longs, alors que désormais, sans attendre, le tribunal pourra
arrêter un plan, et le passif sera vérifié ensuite ». Enfin,
l’article 7, « qui attire l’attention et parfois les craintes »,
commente Christophe Basse, et a pour objectif de faciliter le maintien de
l’emploi dans le cadre d’une cession de l’entreprise, réduit le délai de
convocation et assouplit l’article L. 642-3 du Code de commerce. Ce
dernier ne permettait pas au dirigeant de proposer une offre de reprise de
l’entreprise, sauf à ce que le ministère public en fasse une requête par une
demande spécialement motivée. Une interdiction « motivée par la crainte de ne pas voir le débiteur racheter son
entreprise sans son passif », indique le président du CNAMJ. Ainsi,
seul le ministère public pouvait solliciter une dérogation.
L’article 7 permet aujourd’hui au débiteur ou à
l’administrateur/mandataire judiciaire d’en faire la demande. En revanche, les
débats doivent avoir lieu en présence du ministère public. Pour Christophe
Basse, il s’agit donc d’une mesure qui « reste contrôlée ; utile quand il n’y a pas d’autre solution ».
Face à ces différents
aménagements, le directeur des Affaires civiles et du Sceau au ministère de la
Justice salue la « mobilisation collective » et assure que cette
situation « a été, et continuera à
être, une forme d’expérimentation juridique et judiciaire pour voir se dégager
des expérimentations nouvelles qu’on n’aurait pas osé faire en temps normal,
car la prudence aurait prévalu sur la nécessité d’agir ». Selon
Jean-François de Montgolfier, il est donc important de dresser un bilan, pour
« faire le tri » de ce qui
pouvait être justifié par une situation exceptionnelle et ne peut donc pas être
pérennisé, et d’autres solutions qui trouveraient au contraire leur place dans
le droit commun. Il signale que la transposition de la directive du
20 juin 2019 doit conduire avant le 17 juillet 2021 à opérer une
réforme importante du livre 6 du Code de commerce. « Nous avons la chance dans notre malheur d’avoir pu expérimenter
certaines mesures que vous déciderez de pérenniser ou non », dit-il à
la ministre de la Justice.
Faciliter le rebond
Pour Sophie Jonval, il
faut aussi penser au rebond du chef d’entreprise après une procédure
collective. En la matière, elle souligne que le législateur, à travers la loi
PACTE, et plus particulièrement quatre dispositions phares, a souhaité
renforcer ce rebond. Ainsi, l’article 59 de la loi du 22 mai
2019 supprime la mention de la liquidation judiciaire au casier judiciaire.
« La liquidation ne veut pas dire
qu’on est malhonnête et, ici, il s’agit de donner une deuxième chance au chef
d’entreprise de bonne foi » appuie la présidente du CNGTC. Toutefois,
la mention de la liquidation figure encore pendant cinq ans au Fichier
national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers. Une
avancée qui, là encore, permet de « repartir » rapidement après la
clôture de la procédure.
L’article 57 élargit
quant à lui la possibilité d’avoir recours au rétablissement professionnel en
rehaussant les seuils pour pouvoir en bénéficier, et incite le juge à proposer
de façon plus formelle le recours à cette procédure « moins infamante » pour le chef d’entreprise, et qui, « dans sa terminologie, effraie un peu moins
le débiteur malheureux ».
Par ailleurs, Sophie
Jonval indique que le législateur a de nouveau réduit les délais de clôture de
procédure, notamment de liquidation simplifiée, qui peut être clôturée dans les
six mois de son ouverture, pour « permettre
au dirigeant de penser rapidement à ce qu’il pourra construire après ».
Enfin, alors que la
loi avait prévu dans le décret d’application pris le 10 février que les
mentions demeuraient « révélables » aux tiers pendant deux ans,
l’ordonnance du 20 mai a encore réduit ce délai (à un an). « Avec ces délais, le législateur et le
pouvoir réglementaire ont souhaité respecter un équilibre nécessaire entre
transparence et rebond », constate la présidente du Conseil national
des greffiers des tribunaux de commerce. Elle ajoute que pour rebondir, le chef
d’entreprise doit par ailleurs être accompagné de façon humaine pendant toute
la durée de la procédure collective, et cite, à ce titre, le dispositif APESA,
cofondé par le greffier Marc Binnié et destiné à apporter une aide aux chefs
d’entreprise en souffrance aiguë. Afin de contribuer au rebond, pas seulement
dans sa dimension économique, mais également dans sa dimension
psychologique.
Bérengère Margaritelli