ACTUALITÉ

Crise sanitaire : quelle mobilisation des acteurs de la justice commerciale ?

Crise sanitaire : quelle mobilisation des acteurs de la justice commerciale ?
Publié le 04/07/2020 à 11:00


Dans le cadre de la crise sanitaire, les acteurs de la justice commerciale ont dû adapter leurs pratiques pour continuer de répondre aux demandes des entreprises. La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, présidait, le 5 juin dernier, au sein du tribunal de commerce de Paris, une table ronde consacrée à cette mobilisation et aux premiers enseignements tirés de cette période. Compte-rendu. 


« Nous vous accueillons avec le plaisir trop rare d’un cousin qui accueille le chef de famille à l’occasion d’une période inédite et éprouvante », sourit Jean-Paul Netter, président du tribunal de commerce de Paris, à l’intention de Nicole Belloubet. 


Celle qui préside cette table ronde le martèle d’entrée de jeu : la question des entrepreneurs est « centrale ». La garde des Sceaux rappelle que, le 16 mars, le président de la République a annoncé un dispositif « important et exceptionnel » en raison de la crise sanitaire : report des charges fiscales et sociales, garanties de l’État à hauteur de 300 milliards d'euros, mise en place d’un fonds de solidarité pour les TPE, indépendants et micro-entrepreneurs… Mesures qui, selon la ministre, ont été « largement utilisées par les entreprises ». Toutefois, Nicole Belloubet s’inquiète qu’en dépit de ce dispositif, la trésorerie des entreprises, surtout celles fragilisées avant la crise, a été d’autant plus bouleversée par l’arrêt total, pour certaines, de l’activité.


« Notre ministère s’est mobilisé pour adapter notre droit et nos procédures à ces circonstances exceptionnelles », ajoute-t-elle. L’objectif, avec les ordonnances des 25 et 27 mars, est de limiter les fermetures des entreprises et les licenciements, mais aussi de maintenir l’activité des tribunaux de commerce, tout en assurant la sécurité sanitaire des personnes.


Par ailleurs, si la garde des Sceaux se félicite que la France soit dotée d’un large éventail de mesures et procédures en matière d’entreprises en difficulté, « une véritable boîte à outils tournée vers l’anticipation des problèmes » (mandat ad hoc, conciliation, etc.), elle ajoute toutefois que « la période actuelle commandait de faire évoluer ces instruments pour préserver leur efficacité ». D’où l’ordonnance publiée le 20 mai dernier, qui, venue compléter celle du 27 mars, poursuit l’adaptation du Code de commerce, afin de prendre en compte les conséquences de la pandémie sur les entreprises et les exploitations agricoles.


Pour Nicole Belloubet, cette ordonnance « s’inscrit dans la continuité, mais également dans une certaine modernité, puisqu’elle innove ». Elle favorise en effet les procédures amiables et vise un traitement « efficace et rapide » des difficultés des entreprises, visant à favoriser leur redressement. Le traitement des entreprises en situation irrémédiablement compromise est ainsi accéléré afin de favoriser un rebond plus rapide. Sont renforcés trois points, explique la ministre de la Justice : la détection des difficultés, via l’aménagement de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes ; l’adaptation de la procédure de conciliation, en permettant plus facilement au débiteur de solliciter une suspension de la poursuite des délais de paiement ; et, enfin, la possibilité d’une sauvegarde accélérée en supprimant les seuils d’ouverture.


Selon Nicole Belloubet, il faut absolument « pallier le risque économique auquel nous allons être confrontés ». La ministre de la Justice souligne qu’il a fallu réagir rapidement face à une situation complexe. Sur ce point, considère-t-elle, bien qu’elle devra « l’être encore, et sans doute encore plus », la justice commerciale a été au rendez-vous. 


 


« Le service public a été maintenu »


« Pour offrir des conseils aux dirigeants, l’idée a germé d’un numéro vert : 150 mandataires et administrateurs judiciaires se sont relayés bénévolement pendant sept semaines », raconte Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires (CNAJMJ). Au total, plus de 3 000 appels, d’une durée d’un peu plus de 30 minutes. Christophe Basse fait le constat que ces chefs d’entreprise déboussolés venaient de toute la France, issus de secteurs diversifiés, dont deux en tête, « qui ont vu leur activité s’arrêter totalement » : l’hôtellerie et la restauration, qui concernaient 25 % des appels, et le commerce de détail. « Dans 98 % des cas, il s’agissait de TPE et d’auto-entrepreneurs, de structures de moins 10 salariés qui n’avaient pas, dans leur entourage, les moyens d’avoir les conseils suffisants », pointe le président du CNAJMJ. Les questions ont principalement porté, au départ, sur les mesures de chômage partiel, puis, au mois d’avril, l’inquiétude était surtout liée au fait de savoir si les salaires du mois de mars allaient être « remboursés » avant de payer ceux du mois d’avril, rapporte Christophe Basse, qui affirme que la tension était « palpable ». « Heureusement, la mesure a été efficace », estime-t-il. En effet, jusqu’au 1er juin, en cas de recours à l'activité partielle au sein d'une entreprise, l’entreprise versait une indemnité égale à 70 % du salaire brut à ses salariés (100 % pour les salariés au SMIC) et était intégralement remboursée par l’État, pour les salaires jusqu’à 4,5 fois le SMIC.


Le président du CNAJMJ recense aussi beaucoup d’interrogations sur le fonds de solidarité permettant le versement d’une aide défiscalisée allant jusqu’à 1 500 euros aux plus petites entreprises, indépendants, micro entrepreneurs et professions libérales. « Beaucoup d’agriculteurs, notamment, avaient besoin de cette somme pour vivre », assure Christophe Basse, qui ajoute que les prêts garantis par l’État ont eux aussi fait l’objet d’une grande partie des appels passés, suite à la mise en place d’un dispositif exceptionnel par le gouvernement de garanties permettant de soutenir le financement bancaire des entreprises, à hauteur de 300 milliards d’euros. 


Pour Georges Richelme, président de la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF), la particularité de cette période, pour l’organe de représentation, a été le contact direct avec les entreprises. « C’est un rôle que nous n’avons pas l’habitude de tenir, même s’il s’agit d’un monde que nous connaissons parfaitement », rapporte-t-il. « À côté de cela, nous avons mis en place autour de la directrice de la concurrence une cellule d’écoute et de réorientation », ajoute Georges Richelme, qui se félicite par ailleurs que la Conférence ait « entretenu des relations constantes avec le ministère de la Justice » durant la période de confinement, « ce qui a permis de faire des propositions » pour être « au plus proche des préoccupations des justiciables ». La CGJCF a également adressé 17 messages d’information aux présidents des tribunaux, sous forme de notes destinées à faciliter la compréhension et l’application des mesures prises durant la crise. Le président de la Conférence générale le souligne : celle-ci a eu pour objectif de « maintenir l’opérationnalité » des tribunaux. Une opération qui, selon lui, ne pouvait réussir qu’avec la mobilisation des greffiers des tribunaux de commerce, « sans lesquels les TC ne fonctionneraient pas ». 


Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), rappelle à ce titre que, dès le 17 mars, l’accueil physique des greffes a fermé au public, ce qui n’a pas empêché certains greffiers de rester travailler dans les juridictions, les autres étant en télétravail. « Nous avons mis en place un service d’assistance pour pallier cette fermeture : 20 000 appels ont été passés par des dirigeants pour être assistés dans les démarches concernant leur entreprise et 22 000 mails ont été reçus », précise-t-elle. Elle assure que la préoccupation de la profession « a été de se saisir des outils numériques mis en place, au premier rang desquels la plateforme Infogreffe, mais aussi le tribunal digital, qui a fêté son premier anniversaire pendant le confinement ». L’instrument a d’ailleurs connu un engouement sans précédent, puisque 1 000 saisines ont été effectuées via celui-ci lors des premières semaines de confinement… soit autant qu’en un an. Quant au RCS, les dossiers ont été traités « comme habituellement », affirme Sophie Jonval ; néanmoins, l’activité a, logiquement, connu un fort ralentissement en matière de création d’entreprise, « les temps n’étant pas à l'initiative économique », se désole-t-elle. « Les immatriculations ont chuté de plus de 53 % pendant le confinement, mais 125 000 formalités ont été déposées en ligne sur Infogreffe sur cette même période, et nous avons délivré 450 000 extraits Kbis aux entreprises, pour qu’elles puissent effectuer leurs démarches afin de bénéficier des aides gouvernementales », se console la présidente du Conseil national des greffiers, qui assure que le service public « a été maintenu » grâce à ces divers outils. 


 


Confinement : 760 audiences dans les 141 juridictions commerciales 


Sophie Jonval rappelle que si, lors de la première semaine du confinement, les juges consulaires n’ont pas pu tenir d’audiences d’ouverture de procédure collective, par la suite les ordonnances ont permis de le faire par tous moyens : dans ce cadre, la visioconférence a été instaurée. Se posait donc la question de l’outil adéquat et, surtout, sécurisé. « Le Conseil a jeté son dévolu sur Tixeo, agréé par l’ANSI et recommandé par la CNIL », indique Sophie Jonval. 


Une solution qu’il a fallu s’approprier, souligne pour sa part le président du tribunal de commerce de Paris. « Il n’y avait jamais eu de visioconférence dans cette maison avant la crise sanitaire ! On teste Tixeo la dernière semaine de mars et, le 1er avril, on tient la première audience de procédure collective, qui réunit à distance trois juges, un procureur, un greffier et des justiciables. » Se reconstitue alors, raconte Paul-Louis Netter, un tribunal immatériel, avec un seul point fixe : un bureau au sein du greffe, où le greffier a organisé la conférence. « Ce tribunal immatériel va travailler, et on va tenir nos audiences ainsi, deux jours par semaine, d’abord, puis trois jours par semaine. La majorité des juges se sont déclarés volontaires pour tenir ces audiences, avec un sens de la mission et une conscience de l’urgence aigus », raconte-t-il. Le président du TC de Paris évoque une expérience inédite qui a « bien fonctionné », mais qui ne « doit pas devenir le modèle ».


Il n’en reste pas moins que, par le biais de ce procédé, 760 audiences ont ainsi été tenues dans les 141 juridictions commerciales pendant le confinement, dénombre Sophie Jonval. Cependant, l’activité n’a pas été aussi intense que d’ordinaire, les entreprises ayant bénéficié des mesures gouvernementales. « Seules » 3 800 procédures collectives ont ainsi été ouvertes pendant toute la durée du confinement, contre 4 000 rien qu’en mars 2019. 


Le tribunal de commerce de Paris a quant à lui « traité 351 affaires de procédures collectives, ce qui a concerné plus de 10 500 salariés », intervient Paul-Louis Netter. « Le 16 mars, tout le monde s’est dispersé et on ne savait pas vraiment quand on allait se retrouver. Mais il nous a semblé rapidement évident qu’il fallait absolument poursuivre le traitement des difficultés des entreprises, sinon, les salariés ne seraient pas couverts. On s’est d’abord attachés à cela », assure le président du TC de Paris, rejoint par Rémy Heitz, procureur de la République de Paris, qui parle d’un « constat partagé par tous » : « Dès le 1er avril, le parquet a été présent aux audiences de procédures collectives, comme garant du respect de la loi et de l’intérêt général. » En termes de procédures collectives, le tribunal de commerce de Paris n’a donc « pas de retard », se réjouit le président, sans compter toutefois le stock des déclarations de cessation de paiement sur assignation. Paul-Louis Netter explique : « Dans ce contexte spécial, les acteurs qui avaient assigné avant le confinement n’ont pas tenu à audiencer l’assignation ». La période à venir risque donc d’être chargée. « Pendant le confinement, on peut parler d’un calme relatif, puisqu’on a surtout été amenés à traiter de difficultés déjà présentes, concernant une période antérieure à la crise sanitaire. Mais les entreprises ont été sous perfusion pendant la crise, et quand la perfusion cessera, elles seront hélas en grande difficulté », alerte Rémy Heitz. 


En matière de prévention, le tribunal de commerce de Paris a traité 55 dossiers, soit 43 000 salariés concernés, dont un dossier touchant 16 000 salariés sur plusieurs pays. « On a eu six fois moins de dossiers mais trois fois plus de salariés concernés, car les dossiers ont été déposés par des entreprises beaucoup plus importantes », souligne Paul-Louis Netter, qui juge qu’il était « impérieux de continuer à traiter ces dossiers-là ».


Le contentieux général a quant à lui repris son cours la semaine du 27 avril par visioconférence, et, le 11 mai, la réouverture des tribunaux a sonné la reprise des audiences physiquement, en laissant toutefois le choix aux juges qui souhaiteraient poursuivre la visioconférence. « De fin avril à début juin, nous avons tenu 306 audiences de contentieux, traité 44 référés cabinets dont certaines décisions ont eu les honneurs de la presse, s’agissant d’assureurs et de producteurs d’électricité. Enfin, nous avons mis à disposition plus de 700 décisions résultant d’audiences tenues avant le 16 mars et depuis cette date », résume le président du TC de Paris. 


 


Un « travail d’équipe »


« L’ampleur de la crise s’apparente à une guerre où tout s’arrête : les destructions ne sont pas matérielles, mais immatérielles », commente pour sa part Thierry Montéran, avocat au barreau de Paris. « Ne reste à ce moment à disposition des chefs d’entreprise que leur téléphone, première arme contre le coronavirus. Nous sommes tous entrés en résistance active et avons redécouvert le système D, contrepartie légitime du confinement. »


L’avocat raconte ainsi qu’un de ses clients, dirigeant d’une entreprise de 70 salariés, ne pouvait plus payer les salaires à la fin du mois. L’audience qui s’annonce est alors un vaste « flou artistique ». « Nous ne connaissons pas le président du tribunal de commerce, ni le greffier. Nous connaissons juste un administrateur judiciaire, régulièrement nommé – grâce à lui, nous obtenons le numéro de téléphone du président, qui s’occupe alors de tout : du greffier, du ministère public, du mandataire, de valider le choix de l’administrateur judiciaire ». Le jour de l’audience, l’affaire se tient par téléphone, décrit Thierry Montéran : le président à la manœuvre, accompagné de deux autres juges, vérifie qui est au téléphone, distribue la parole. « Le lendemain, le jugement est prêt, les mandataires sont nommés, le dossier est sur les rails. Moralité : le travail d’équipe a bien fonctionné », conclut l’avocat. « Que fait l’avocat ? Rien. Que fait le tribunal ? Rien. Qu’ont-ils fait ensemble ? Tout, avec le désir de bien faire, une capacité d’adaptation et à travailler ensemble. »


Pour l’avocat, la crise sanitaire se découpe en trois périodes. Une première période où chacun a essayé de s’en sortir par tous moyens. Une période d’adaptation, ensuite. Puis une troisième période, vers septembre/octobre, lors de laquelle toutes les entreprises vont venir s’adresser aux tribunaux. « La question est : comment va-t-on traiter ce contentieux de masse ? », s’inquiète Thierry Montéran.


Des outils pour un redémarrage rapide de l’activité économique


Paul-Louis Netter avertit : la crise semble s’inscrire dans la durée. À son sens, le retour à la normale ne sera pas si rapide qu’on pouvait l’imaginer, voire, pour certains, il n’aura pas lieu. « Nous traversons une crise horizontale et verticale », estime-t-il, « qui ressemble aux caractéristiques de la force majeure ; qui surprend tout le monde et risque de nous submerger. » Il l’affirme : la crise a montré à quel point les économies sont imbriquées. « Il ne s’agit pas d’opposer créancier/débiteur/salarié, mais de trouver un équilibre, car aboutir à une situation où l’on met les entreprises sous perfusion lourde reviendrait à fausser la concurrence loyale. »


Il fallait donc présenter une solution économique « souple et rapide », souligne-t-il. D’où l’idée du tiers conciliateur, lancé par Paris Place de Droit, dispositif d’aide aux entreprises destiné à résoudre amiablement des situations commerciales potentiellement contentieuses liées à la crise sanitaire. « Il ne s’agit pas d’employer la voie procédurale mais de contribuer à la recherche d’une solution, avec le recours à une personne familière des voies procédurales et des grands principes du droit » : juge consulaire, avocat, directeur juridique, universitaire ou encore huissier de Justice. Les parties n’ont qu’à s’acquitter des frais de fonctionnement. Le président du tribunal de commerce de Paris est enthousiaste : « C’est une initiative qui n’a encore jamais été mise en œuvre ! » Pour le moment, difficile de mesurer son efficacité, mais Paul-Louis Netter insiste : cette plateforme, qui n’a pas vocation à être pérenne, « doit être utilisée ».


Le président du tribunal de commerce en a également profité pour rappeler l’importance de la prévention, afin de « redonner de l’oxygène et des perspectives » aux entreprises. « Si l’entreprise constate qu’elle va être amenée à affronter de graves difficultés, elle peut solliciter le concours de conciliateurs ou de mandataires ad hoc, rappelle-t-il. Elle ne doit pas attendre, et venir le plus vite possible se mettre sous la protection du tribunal. Car venir tard, c’est presque toujours venir trop tard. » Rémy Heitz renchérit : « Il faut bien rappeler que les procédures préventives sont confidentielles ; insister sur le fait que les chefs d’entreprise peuvent venir en toute confiance dans une démarche préventive. » 


Georges Richelme s’inquiète pour sa part du financement de la reprise. Le président de la Conférence générale des juges consulaires tire la sonnette d’alarme : si les seules solutions sont les procédures collectives, qui suspendent le passif, alors il risque d’y avoir un effet domino, et le crédit inter-entreprises pourrait disparaître. Selon lui, la meilleure façon d’avancer est de se tourner vers les procédures amiables. Il faut donc relancer les négociations, à condition, insiste-t-il, de « rétablir l’équilibre qui n’existe pas toujours entre le débiteur et le créancier ». La Conférence a donc émis, en avril dernier, la proposition suivante : réintroduire dans la procédure de conciliation une mesure qui datait de l’ordonnance de 1967 – la suspension provisoire des poursuites, avec la faculté de payer ses dettes pendant le temps de la négociation, pour réinitialiser le circuit des liquidités entre entreprises. Cette mesure a été débattue au cours d’entretiens avec la ministre Justice, relate Georges Richelme. La garde des Sceaux a souhaité la mise en place d’un groupe de travail, qui a débouché sur « des débats assez tranchés ». « Nous avons eu l’impression d’avoir affaire à une certaine orthodoxie qui ignorait la réalité économique, mais la traduction de notre proposition s’est finalement faite dans l’ordonnance du 20 mai, avec l’introduction de la suspension de l’exigibilité », témoigne le président de la Conférence. À ce titre, Georges Richelme considère que la profession, « intervenue en urgence », avec une « position avancée », est « en ligne avec la réalité de la relation commerciale ». « Nous avons donné un outil pour les négociateurs », se réjouit-il.


En matière d’outils, Christophe Basse évoque quant à lui trois articles de l’ordonnance du 20 mai, dont l’objectif était de permettre un redémarrage rapide de l’activité économique, et qui viennent « garnir notre boîte à outils ». En premier lieu, l’article 3, qui permet l’extension du champ d’application de la sauvegarde accélérée. Le président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires dresse un rapide historique : en 2010, la loi avait créé la sauvegarde financière accélérée. Cette procédure s’était étendue en 2014, avec une sauvegarde accélérée qui allait désormais concerner tous les créanciers. Toutefois, le législateur réservait ces procédures à une certaine typologie d’entreprises. L'article 3 de l’ordonnance du 20 mai vient donc supprimer ces seuils. Christophe Basse en est persuadé : « Ces sauvegardes accélérées sont peu utilisées : la suppression des seuils devrait donner de très bons résultats. » 


L’article 4 de l’ordonnance assouplit pour sa part les modalités de consultation des créanciers, jusqu’au 31 décembre prochain. Les délais de réponse sont raccourcis à 15 jours au lieu d’un mois, les moyens de consultation sont allégés (la consultation et la réponse sont possibles par tous moyens). L’ordonnance permet en outre de considérer le passif reconnu par le débiteur et attesté par l’expert-comptable ou le commissaire aux comptes, « quand la jurisprudence demandait depuis toujours que l’intégralité du passif déclaré soit pris en compte », met en exergue le président du CNAMJ, qui ajoute que cela « entraînait des délais assez longs, alors que désormais, sans attendre, le tribunal pourra arrêter un plan, et le passif sera vérifié ensuite ». Enfin, l’article 7, « qui attire l’attention et parfois les craintes », commente Christophe Basse, et a pour objectif de faciliter le maintien de l’emploi dans le cadre d’une cession de l’entreprise, réduit le délai de convocation et assouplit l’article L. 642-3 du Code de commerce. Ce dernier ne permettait pas au dirigeant de proposer une offre de reprise de l’entreprise, sauf à ce que le ministère public en fasse une requête par une demande spécialement motivée. Une interdiction « motivée par la crainte de ne pas voir le débiteur racheter son entreprise sans son passif », indique le président du CNAMJ. Ainsi, seul le ministère public pouvait solliciter une dérogation. L’article 7 permet aujourd’hui au débiteur ou à l’administrateur/mandataire judiciaire d’en faire la demande. En revanche, les débats doivent avoir lieu en présence du ministère public. Pour Christophe Basse, il s’agit donc d’une mesure qui « reste contrôlée ; utile quand il n’y a pas d’autre solution ». 


Face à ces différents aménagements, le directeur des Affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice salue la « mobilisation collective » et assure que cette situation « a été, et continuera à être, une forme d’expérimentation juridique et judiciaire pour voir se dégager des expérimentations nouvelles qu’on n’aurait pas osé faire en temps normal, car la prudence aurait prévalu sur la nécessité d’agir ». Selon Jean-François de Montgolfier, il est donc important de dresser un bilan, pour « faire le tri » de ce qui pouvait être justifié par une situation exceptionnelle et ne peut donc pas être pérennisé, et d’autres solutions qui trouveraient au contraire leur place dans le droit commun. Il signale que la transposition de la directive du 20 juin 2019 doit conduire avant le 17 juillet 2021 à opérer une réforme importante du livre 6 du Code de commerce. « Nous avons la chance dans notre malheur d’avoir pu expérimenter certaines mesures que vous déciderez de pérenniser ou non », dit-il à la ministre de la Justice. 


 


Faciliter le rebond


Pour Sophie Jonval, il faut aussi penser au rebond du chef d’entreprise après une procédure collective. En la matière, elle souligne que le législateur, à travers la loi PACTE, et plus particulièrement quatre dispositions phares, a souhaité renforcer ce rebond. Ainsi, l’article 59 de la loi du 22 mai 2019 supprime la mention de la liquidation judiciaire au casier judiciaire. « La liquidation ne veut pas dire qu’on est malhonnête et, ici, il s’agit de donner une deuxième chance au chef d’entreprise de bonne foi » appuie la présidente du CNGTC. Toutefois, la mention de la liquidation figure encore pendant cinq ans au Fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers. Une avancée qui, là encore, permet de « repartir » rapidement après la clôture de la procédure.


L’article 57 élargit quant à lui la possibilité d’avoir recours au rétablissement professionnel en rehaussant les seuils pour pouvoir en bénéficier, et incite le juge à proposer de façon plus formelle le recours à cette procédure « moins infamante » pour le chef d’entreprise, et qui, « dans sa terminologie, effraie un peu moins le débiteur malheureux ».


Par ailleurs, Sophie Jonval indique que le législateur a de nouveau réduit les délais de clôture de procédure, notamment de liquidation simplifiée, qui peut être clôturée dans les six mois de son ouverture, pour « permettre au dirigeant de penser rapidement à ce qu’il pourra construire après ». 


Enfin, alors que la loi avait prévu dans le décret d’application pris le 10 février que les mentions demeuraient « révélables » aux tiers pendant deux ans, l’ordonnance du 20 mai a encore réduit ce délai (à un an). « Avec ces délais, le législateur et le pouvoir réglementaire ont souhaité respecter un équilibre nécessaire entre transparence et rebond », constate la présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce. Elle ajoute que pour rebondir, le chef d’entreprise doit par ailleurs être accompagné de façon humaine pendant toute la durée de la procédure collective, et cite, à ce titre, le dispositif APESA, cofondé par le greffier Marc Binnié et destiné à apporter une aide aux chefs d’entreprise en souffrance aiguë. Afin de contribuer au rebond, pas seulement dans sa dimension économique, mais également dans sa dimension psychologique. 

 

Bérengère Margaritelli

 

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles