JUSTICE

DOSSIER. Au tribunal judiciaire de Libourne, la justice des mineurs en ordre de marche

DOSSIER. Au tribunal judiciaire de Libourne, la justice des mineurs en ordre de marche
Publié le 04/10/2024 à 09:35

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Témoin d’une hausse importante des violences commises dans son ressort, la juridiction girondine entend mener une politique de proximité et de vigilance maximale, tant sur le plan civil, pour prendre en charge les mineurs en danger, que sur le plan pénal, s’agissant des mineurs en conflit avec la loi. Rencontre avec Loïs Raschel, procureur de la République.

JSS : Vous êtes procureur au TJ de Libourne depuis un an. Parmi les grandes priorités du TJ, les infractions et violences contre les mineurs semblent occuper une place essentielle. Pourquoi ?

Loïs Raschel : Si nous sommes évidemment mobilisés contre toutes les formes de violences, nous portons une attention particulière aux violences commises contre les mineurs. Il y a plusieurs raisons à cela : d’abord, parce que la minorité implique une vulnérabilité ; ensuite, parce que les violences faites aux mineurs sont souvent commises dans un cadre familial et peuvent longtemps rester cachées.

Notre objectif est de tout faire pour les repérer au plus tôt. Dans la plupart des cas, en raison de leur âge, par crainte ou parce qu’ils sont pris dans un conflit de loyauté, les mineurs ne dénoncent pas eux-mêmes les faits.

JSS : Quelle évolution du nombre de dossiers relatifs à ces affaires le Tribunal de Libourne connaît-il ?

L.R. : Le nombre de dossiers que nous traitons est en nette hausse, que le mineur soit victime parce qu’il est lui-même maltraité ou parce qu’il assiste à des violences dans le cadre familial.

S’agissant des violences sur mineur commises par un ascendant ou par une personne ayant autorité sur lui, 76 procédures étaient recensées à Libourne en 2022. En 2023, ce chiffre s’est élevé à 141 procédures. S’agissant des violences conjugales, la hausse entre 2022 et 2023 est de près de 66 %. Je ne dispose pas encore des chiffres de l’année en cours, mais les premières données confirment cette dynamique.

Cela ne signifie toutefois pas nécessairement que les violences sont plus fréquentes qu’auparavant. En vérité, le travail engagé par le parquet depuis plusieurs années et la vigilance que nous portons aux violences commises contre les mineurs font émerger des dossiers de plus en plus nombreux.

JSS : De la commission de l’acte de violence au jugement devant le tribunal, quelles parties prenantes entrent en jeu dans ce processus ? 

L.R. : Le plus souvent, les violences que subissent les mineurs sont portées à notre connaissance par des signalements : signalements de l’école, des services du département, des médecins… Nous pouvons également être alertés par des proches de l’enfant ou par des voisins qui s’adressent à la brigade de gendarmerie locale.

Au parquet de Libourne, nous disposons d’une messagerie dédiée aux mineurs pour recueillir ces signalements. Chacun d’eux est traité dans les 24h par un magistrat spécialisé « mineurs » ; c’est aussi l’intérêt d’être une petite juridiction, tout doit être fait dans la journée. Les enquêtes qui sont ouvertes sont ensuite confiées aux cellules d’atteintes aux personnes et à l’enfance (CAPE), composées de gendarmes formés aux auditions des mineurs et à recueillir la parole des enfants victimes. Il y a en a deux dans le ressort : Libourne et Blaye.

En parallèle, nous échangeons régulièrement avec les élus et nos différents partenaires avec un objectif : être toujours plus réactifs et mieux identifier les situations de maltraitance.

JSS : En 2022, Stéphanie Forax, ancienne présidente du TJ de Libourne, citait le chiffre de 1 500 mineurs suivis dans le domaine de l’assistance éducative. Dans quels types de situations les mesures d’assistance éducative sont-elles prises ?

L.R. : Il faut commencer par rappeler les textes. Si le mineur est en danger, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par le juge. Celui-ci peut être saisi par les parents ou par l’un d’eux, par la personne ou le service à qui le mineur a été confié, par le mineur lui-même ou par le procureur de la République. Le plus souvent, le parquet est saisi par la CRIP, c’est-à-dire par la « cellule de recueil des informations préoccupantes » qui existe dans chaque département. Le juge des enfants pourra alors prendre différentes mesures et décider du placement de l’enfant.

« Il faut le dire clairement : un conjoint violent n’est pas un bon parent »

En 2023, 1 625 mineurs étaient suivis. Là encore, les chiffres sont en augmentation. Il faut souligner que les deux juges pour enfants de Libourne suivent un nombre de dossiers bien supérieur à la moyenne nationale. La demande d’un troisième poste, effectuée et portée par la présidente du TJ Laetitia Dautel, s’inscrit dans le plan massif de recrutement annoncé par le ministre de la justice en mars dernier mais nous sommes encore en attente de son calendrier.

JSS : A Libourne, les violences intrafamiliales ont augmenté de plus de 50% en un an [1]. Quelle politique la juridiction mène-t-elle pour protéger les mineurs victimes de la violence domestique, y compris en tant que témoins de ces violences ?

L.R. : Les enfants doivent également être protégés du conjoint violent, c’est un sujet central sur lequel les magistrats de Libourne font preuve de volontarisme. Des pôles « VIF » ont été créés dans les juridictions à la suite du décret du 23 novembre 2023 : c’est évidemment le cas de Libourne. L’objectif, pour nous, étant de mieux partager les informations au sein des différents services.

Avec Laëtitia Dautel, nous souhaitons une prise en charge transversale et globale des violences intrafamiliales. Nous avons ainsi élargi le périmètre du pôle aux violences subies par les mineurs dans un cadre familial. Cette question a été au cœur de notre premier conseil de juridiction en avril dernier. Il faut le dire clairement : un conjoint violent n’est pas un bon parent. La loi prévoit d’ailleurs que celui qui a été condamné pour des violences sur l’autre parent peut se voir retirer l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale.

JSS : Du côté cette fois des infractions commises par des mineurs, quels sont les axes d’action développés par le Tribunal de Libourne ? 

L.R. : Nous travaillons beaucoup sur les circuits de transmission et la rapidité de la réponse pénale, en collaboration avec les délégués du procureur.

Depuis le mois de juin dernier, nous avons mis en place un nouveau dispositif lorsque les violences sont commises par des mineurs. Ce dispositif a vocation à s’appliquer aux mineurs âgés de plus de 13 ans n’ayant pas d’antécédents judiciaires, pour les faits de violences de faible gravité commis au sein d’un établissement scolaire.

JSS : Pourquoi ne pas cibler les mineurs plus jeunes ? Et comment cela se passe-t-il concrètement ?

L.R. : Il faut comprendre que nous pouvons rencontrer des difficultés à agir sur le plan pénal, parce que ce sont parfois des jeunes, qui ont seulement 10 ou 11 ans, et il n'est pas possible de les renvoyer à l'audience.

Dans le cadre d’une alternative aux poursuites, un délégué du procureur référent mineurs devra convoquer l’auteur des faits et ses représentants légaux sous dix jours.

JSS : Quel est l’objectif poursuivi ?

Notre souhait est à la fois de réagir le plus rapidement possible pour éviter que la situation ne s’aggrave et de mettre en œuvre une réponse qui présente du sens pour l’auteur comme pour la victime, comme la remise d’une lettre d’excuses, la rédaction d’un écrit sur le thème du harcèlement….

Le dispositif dispose par ailleurs d’un volet préventif. Les délégués du procureur pourront, à l’invitation des chefs d’établissement, se rendre dans les classes touchées par des phénomènes de violence ou de harcèlement. Nos liens avec l’éducation nationale sont essentiels car nous ne pouvons agir seuls.

Nous avons l’an dernier rencontré les chefs des établissements scolaires du ressort. Cette rencontre sera reconduite dans les prochaines semaines en lien avec la direction académique. En ce qui concerne les faits graves, le parquet fait preuve de la plus grande fermeté.

Propos recueillis par Laurène Secondé



[1] Chiffres de février 2024

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