Témoin d’une hausse
importante des violences commises dans son ressort, la juridiction girondine entend
mener une politique de proximité et de vigilance maximale, tant sur le plan civil,
pour prendre en charge les mineurs en danger, que sur le plan pénal, s’agissant
des mineurs en conflit avec la loi. Rencontre avec Loïs Raschel, procureur de
la République.
JSS : Vous
êtes procureur au TJ de Libourne depuis un an. Parmi les grandes priorités du
TJ, les infractions et violences contre les mineurs semblent occuper une place essentielle.
Pourquoi ?
Loïs Raschel : Si nous
sommes évidemment mobilisés contre toutes les formes de violences, nous portons
une attention particulière aux violences commises contre les mineurs. Il y a
plusieurs raisons à cela : d’abord, parce que la minorité implique une
vulnérabilité ; ensuite, parce que les violences faites aux mineurs sont
souvent commises dans un cadre familial et peuvent longtemps rester cachées.
Notre objectif est de tout
faire pour les repérer au plus tôt. Dans la plupart des cas, en raison de leur
âge, par crainte ou parce qu’ils sont pris dans un conflit de loyauté, les
mineurs ne dénoncent pas eux-mêmes les faits.
JSS : Quelle évolution du
nombre de dossiers relatifs à ces affaires le Tribunal de Libourne connaît-il ?
L.R. : Le
nombre de dossiers que nous traitons est en nette hausse, que le mineur soit
victime parce qu’il est lui-même maltraité ou parce qu’il assiste à des
violences dans le cadre familial.
S’agissant des violences sur
mineur commises par un ascendant ou par une personne ayant autorité sur lui, 76
procédures étaient recensées à Libourne en 2022. En 2023, ce chiffre s’est
élevé à 141 procédures. S’agissant des violences conjugales, la hausse entre
2022 et 2023 est de près de 66 %. Je ne dispose pas encore des chiffres de
l’année en cours, mais les premières données confirment cette dynamique.
Cela ne signifie toutefois
pas nécessairement que les violences sont plus fréquentes qu’auparavant. En
vérité, le travail engagé par le parquet depuis plusieurs années et la
vigilance que nous portons aux violences commises contre les mineurs font
émerger des dossiers de plus en plus nombreux.
JSS : De la commission
de l’acte de violence au jugement devant le tribunal, quelles parties prenantes
entrent en jeu dans ce processus ?
L.R. : Le
plus souvent, les violences que subissent les mineurs sont portées à notre
connaissance par des signalements : signalements de l’école, des services
du département, des médecins… Nous pouvons également être alertés par des
proches de l’enfant ou par des voisins qui s’adressent à la brigade de
gendarmerie locale.
Au parquet de Libourne, nous
disposons d’une messagerie dédiée aux mineurs pour recueillir ces signalements.
Chacun d’eux est traité dans les 24h par un magistrat spécialisé
« mineurs » ; c’est aussi l’intérêt d’être une petite
juridiction, tout doit être fait dans la journée. Les enquêtes qui sont ouvertes
sont ensuite confiées aux cellules d’atteintes aux personnes et à l’enfance (CAPE),
composées de gendarmes formés aux auditions des mineurs et à recueillir la
parole des enfants victimes. Il y a en a deux dans le ressort : Libourne
et Blaye.
En parallèle, nous échangeons
régulièrement avec les élus et nos différents partenaires avec un
objectif : être toujours plus réactifs et mieux identifier les situations
de maltraitance.
JSS : En 2022, Stéphanie
Forax, ancienne présidente du TJ de Libourne, citait le chiffre de 1 500 mineurs
suivis dans le domaine de l’assistance éducative. Dans quels types de situations
les mesures d’assistance éducative sont-elles prises ?
L.R. : Il
faut commencer par rappeler les textes. Si le mineur est en danger, des mesures
d’assistance éducative peuvent être ordonnées par le juge. Celui-ci peut être
saisi par les parents ou par l’un d’eux, par la personne ou le service à qui le
mineur a été confié, par le mineur lui-même ou par le procureur de la
République. Le plus souvent, le parquet est saisi par la CRIP, c’est-à-dire par
la « cellule de recueil des informations préoccupantes » qui existe
dans chaque département. Le juge des enfants pourra alors prendre différentes
mesures et décider du placement de l’enfant.
« Il faut le dire
clairement : un conjoint violent n’est pas un bon parent »
En 2023, 1 625 mineurs
étaient suivis. Là encore, les chiffres sont en augmentation. Il faut souligner
que les deux juges pour enfants de Libourne suivent un nombre de dossiers bien
supérieur à la moyenne nationale. La demande d’un troisième poste, effectuée et
portée par la présidente du TJ Laetitia Dautel, s’inscrit dans le plan massif
de recrutement annoncé par le ministre de la justice en mars dernier mais nous
sommes encore en attente de son calendrier.
JSS : A Libourne, les
violences intrafamiliales ont augmenté de plus de 50% en un an .
Quelle politique la juridiction mène-t-elle pour protéger les mineurs victimes
de la violence domestique, y compris en tant que témoins de ces
violences ?
L.R. : Les
enfants doivent également être protégés du conjoint violent, c’est un sujet
central sur lequel les magistrats de Libourne font preuve de volontarisme. Des
pôles « VIF » ont été créés dans les juridictions à la suite du
décret du 23 novembre 2023 : c’est évidemment le cas de Libourne. L’objectif,
pour nous, étant de mieux partager les informations au sein des différents
services.
Avec Laëtitia Dautel, nous
souhaitons une prise en charge transversale et globale des violences
intrafamiliales. Nous avons ainsi élargi le périmètre du pôle aux violences
subies par les mineurs dans un cadre familial. Cette question a été au cœur de
notre premier conseil de juridiction en avril dernier. Il faut le dire
clairement : un conjoint violent n’est pas un bon parent. La loi prévoit d’ailleurs
que celui qui a été condamné pour des violences sur l’autre parent peut se voir
retirer l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale.
JSS : Du côté cette fois
des infractions commises par des mineurs, quels sont les axes d’action
développés par le Tribunal de Libourne ?
L.R. : Nous
travaillons beaucoup sur les circuits de transmission et la rapidité de la
réponse pénale, en collaboration avec les délégués du procureur.
Depuis le mois de juin
dernier, nous avons mis en place un nouveau dispositif lorsque les violences
sont commises par des mineurs. Ce dispositif a vocation à s’appliquer aux
mineurs âgés de plus de 13 ans n’ayant pas d’antécédents judiciaires, pour les
faits de violences de faible gravité commis au sein d’un établissement
scolaire.
JSS : Pourquoi ne pas
cibler les mineurs plus jeunes ? Et comment cela se passe-t-il
concrètement ?
L.R. : Il
faut comprendre que nous pouvons rencontrer des difficultés à agir sur le plan pénal, parce que ce sont parfois des jeunes, qui ont seulement 10
ou 11 ans, et il n'est pas possible de les renvoyer à l'audience.
Dans le cadre d’une
alternative aux poursuites, un délégué du procureur référent mineurs devra convoquer l’auteur
des faits et ses représentants légaux sous dix jours.
JSS : Quel est
l’objectif poursuivi ?
Notre souhait est à la fois
de réagir le plus rapidement possible pour éviter que la situation ne s’aggrave
et de mettre en œuvre une réponse qui présente du sens pour l’auteur comme pour
la victime, comme la remise d’une lettre d’excuses, la rédaction d’un écrit sur
le thème du harcèlement….
Le dispositif dispose par
ailleurs d’un volet préventif. Les délégués du procureur pourront, à
l’invitation des chefs d’établissement, se rendre dans les classes touchées par
des phénomènes de violence ou de harcèlement. Nos liens avec l’éducation
nationale sont essentiels car nous ne pouvons agir seuls.
Nous avons l’an dernier
rencontré les chefs des établissements scolaires du ressort. Cette rencontre
sera reconduite dans les prochaines semaines en lien avec la direction
académique. En ce qui concerne les faits graves, le parquet fait preuve de la
plus grande fermeté.
Propos
recueillis par Laurène Secondé