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Dans quel fort infradomimontain construit en Alsace par les Prussiens et accueillant des tamarins pinchés se trouve la chapelle slave Saint-Sava ?

Dans quel fort infradomimontain construit en Alsace par les Prussiens et accueillant des tamarins pinchés se trouve la chapelle slave Saint-Sava ?
Publié le 12/07/2020 à 11:00


Il est caché dans un repli. Le dernier repli des Vosges avant la plaine d’Alsace. Bastionné et semi-enterré, il permettait aux Allemands, pendant la durée de l’annexion, de s’y déployer et de s’y replier pour défendre Strasbourg.

On l’appelle le Fort Foch.

Construit avec treize autres forts à partir de 1872 par les Prussiens sur ordre du général Von Molkte, il assurait, avec ses 42 pièces d’artillerie, la défense en ceinture de la capitale alsacienne.

Il est situé sur la commune de Niederhausbergen, dont les habitants sont, par latinisation du nom germanique de cette cité… les Infradomimontains… Certains ont parfois voulu les nommer les « oiseleurs », eu égard au blason de la commune portant, outre un chêne d’or, trois merlettes au bec tranché.

Si merles et merlettes survolent le Fort Foch, c’est peut-être pour y taquiner les macaques.

Le Fort Foch héberge en effet depuis 1978 le Centre de Primatologie de l’université de Strasbourg, désormais intitulé SILABE, un acronyme anglais signifiant « Simian Laboratory Europe ». Près de 1 000 singes (actuellement 800) occupant en semi-liberté un espace boisé de 7 hectares y vivent et y sont observés dans le cadre d’études éthologiques par les chercheurs. Macaques, capucins, singes verts, ouistitis, tamarins pinchés à crête blanche, lémuriens… cohabitent pacifiquement autour du bastion.

Avant d’accueillir des singes, le Fort Foch a accueilli des explosifs, stockés en masse au début des années 1950 entre ses murs épais. Malheureusement, le 17 novembre 1953, 200 tonnes d’explosifs ont accidentellement explosé. Six ouvriers ont péri. Le Fort fut dès lors laissé à l’abandon avant d’être repris par l’Éducation nationale puis l’université.

Avant d’accueillir des explosifs, le Fort avait accueilli pendant la Seconde Guerre mondiale des prisonniers, notamment yougoslaves, détenus par les Allemands ayant retrouvé avec plaisir lors de la ré-annexion de l’Alsace « leur » forteresse dénommée à l’origine « Veste Kronprinz » en l’honneur du prince impérial héritier de la couronne germanique.

Certains de ces prisonniers ont laissé sur les murs de l’édifice fortifié un souvenir coloré particulièrement émouvant et historiquement intéressant.

Courant 1944, des officiers serbes incarcérés à Niederhausbergen décident en effet d’exprimer leur foi intense et leur talent d’artistes au travers d’œuvres picturales murales rappelant les édifices religieux de la Serbie. C’est ainsi que naît l’idée de la création, dans les casemates du Fort, d’une chapelle portant le nom du plus vénéré des Saints de l’Orthodoxie serbe, Saint Sava.

Ce Saint, mort au XIIIe siècle, fils d’un joupan (noble exerçant des fonctions de responsable territorial), est considéré par les fidèles comme isapostole, c’est-à-dire égal aux apôtres. Il est le fondateur de l’église autocéphale orthodoxe serbe. Son frère a été couronné premier roi de Serbie. Il est l’auteur d’un code contenant des lois civiles et des lois ecclésiastiques, et il a créé de nombreuses écoles autour des monastères.

Les geôliers allemands ne s’opposent pas au projet de création de cette chapelle et fournissent les pigments et les outils nécessaires.

Les travaux sont dirigés par Stanislav Belozanski, peintre, scénographe au Théâtre populaire de Belgrade.

Les esquisses sont dessinées par un autre détenu, Pavle Vasic, peintre, historien d’art, professeur à l’université de Belgrade. Ce dernier a en mémoire les principales icônes de l’art orthodoxe serbe.

Il réalise en effet une Vierge à l’Enfant (illustration) manifestement inspirée de la célèbre icône de la « Mère de Dieu aux trois Mains » conservée au monastère de tradition serbe de Hilandar, situé dans la République monastique du Mont-Athos, un territoire autonome qui n’est pas dans l’espace Schengen bien que se trouvant en Grèce.

La légende rapporte que c’est Saint Sava qui a apporté la précieuse icône à Hilandar.

De belles fresques à caractère religieux, inspirées du décor des monastères orthodoxes serbes médiévaux, réalisées en mars et en avril 1944, transforment dès lors la grisaille des murs du Fort. Des textes en cyrillique les accompagnent. Les Allemands acceptent de procéder à une inauguration de la chapelle le 13 avril 1944, sous l’autorité d’un colonel de la Wehrmacht, avec le concours d’une chorale de prisonniers dirigée par l’un des fondateurs de l’académie de musique de Belgrade.

Les fresques, tombées dans l’oubli, sont redécouvertes en 1989 et sont protégées en 1990 au titre des monuments historiques.

L’ouvrage fortifié de Niederhausbergen ? Un Fort infradomimontain ayant à l’origine 42 batteries d’artillerie, portant le nom d’un maréchal français catholique officier d’artillerie, général en chef des poilus, abritant une chapelle orthodoxe dédiée à un Saint créateur d’une batterie d’écoles, peinte religieusement par des officiers serbes très croyants et talentueux privés de liberté par des officiers allemands, au cœur d’une végétation alsacienne abritant des primates très poilus en semi-liberté…

 

Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire

 

Légende : Le Fort Foch à Niederhausbergen (Bas-Rhin) près de Strasbourg, abritant 800 singes, la chapelle Saint Sava créée et peinte dans le Fort par des prisonniers serbes en 1944, une fresque inspirée d’une célèbre icône orthodoxe serbe, un texte en cyrillique accompagnant cette fresque (photos tirées de l’ouvrage Prisons, patrimoine de France, éditions LexisNexis, publié en 2013 par l’auteur de cette chronique)

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