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De la loi de 1791 à la dématérialisation : 230 ans d’innovations en France

De la loi de 1791 à la dématérialisation : 230 ans d’innovations en France
Publié le 19/04/2021 à 15:29

De l’Antiquité jusqu’à la loi PACTE, en traversant les révolutions – française, puis industrielle –, la protection de la propriété industrielle n’a cessé de se renforcer au cours du XIXe siècle, s’appuyant sur un cadre législatif national et désormais international avec la Convention d’Union de Paris. Les conditions de l’obtention et de l’exploitation des trois titres de propriété industrielle que sont les brevets, les marques, et les dessins et modèles sont désormais fixées. Notamment la recherche d’antériorité permettant de prouver la nouveauté de l’invention, l’originalité du dessin ou modèle, ou encore la liberté d’exploitation d’une marque, fait apparaître des besoins nouveaux en matière de recherche documentaire, qui amèneront l’INPI à mettre très tôt en place les conditions d’accès à l’information sous sa forme numérique. Puis suivront la dématérialisation des procédures et la diffusion des bases en open data, suivant une stratégie résolument tournée vers la donnée.

 

Aux origines de la propriété industrielle

La propriété industrielle a une histoire récente. Dans l’Antiquité ou au Moyen Âge, les créations ne génèrent pas de valeur économique en tant que telle, n’étant pas reproductibles. En France, même si l’Ancien Régime est marqué par le système des privilèges royaux sous la forme des concessions, les révolutions, française et industrielle, déclenchent le besoin de protection des créations. Les trois titres de propriété industrielle (brevets d’invention, marques, et dessins et modèles) apparaissent au début du XIXe siècle. La France, avec l’Angleterre et les États-Unis, est l’un des premiers pays à légiférer en la matière, avec une mise en place progressive du cadre juridique. Opérons un retour sur les origines de la propriété industrielle.


Les brevets d’invention

Avant la Révolution française, en raison de l’inexistence du droit de la propriété industrielle, seul peut être obtenu un privilège d’exploitation des innovations pour une durée maximale de quinze ans. La reconnaissance des droits individuels des inventeurs prend lentement forme à la fin du XVIIIe siècle avec l’émergence des idées libérales et sous l’influence de la loi anglaise de 1623 sur les inventions, dont on retrouve la teneur dans les cahiers des États généraux de 1789. En 1790, les États-Unis adoptent une loi sur les brevets d’invention. Ainsi, dans son élan libertaire, la Révolution française reconnaît à chaque citoyen le droit à inventer avec la loi du 7 janvier 1791 relative aux découvertes utiles et aux moyens d’en assurer la propriété à leurs auteurs. Il est désormais possible de se faire délivrer un brevet d’invention (pour cinq, dix ou quinze ans) sans examen préalable de la nouveauté, de la valeur ou de l’existence même de l’invention. Dans son principe, le brevet est conçu comme un contrat entre la société et l’inventeur, offrant à ce dernier un monopole exclusif d’exploitation pour une durée limitée. À son issue, l’invention devient la propriété de la société. Ce cadre légal devient le principe de la législation en la matière.La convention internationale pour la protection de la propriété industrielle, dite « d’Union de Paris », est la première grande mesure aidant les créateurs à protéger leurs inventions dans les autres pays signataires grâce à un droit de priorité. À partir de cette date, les ressortissants des pays précités disposent d’un délai de priorité de douze mois, à compter de la date du dépôt de leur demande dans un de ces pays, pour étendre leur dépôt dans les autres pays signataires au moyen d’une demande séparée.

Dès lors, la France crée, en 1901, un service centralisé pour assurer la propriété industrielle, l’Office national de la propriété industrielle (ONPI). Pour faire face à l’augmentation constante du nombre des brevets délivrés et à la nécessité de garantir une maîtrise de l’information, ce dispositif est renforcé par la création d’un registre national des brevets d’invention, en 1920.

La dernière étape majeure, avant l’adoption de la loi PACTE en 2019, est constituée par la loi du 2 janvier 1968, qui procède à une réforme complète de la législation en reprenant l’ensemble des textes modifiés depuis 1791 et en introduisant dans le droit français les dispositions de la Convention européenne de Strasbourg du 26 novembre 1963 sur l’unification de certains éléments du droit matériel des brevets, notamment la preuve d’une activité inventive et la présentation de revendications. Ces nouvelles exigences conduisent à mettre en place un examen obligatoire, tant sur le fond que sur la forme, de toutes les demandes de brevets avant leur délivrance, renforçant par là même le besoin de connaissance de l’antériorité.

 

Les marques de fabrique et de commerce

Si certains auteurs font remonter l’histoire des marques à la plus Haute Antiquité, le droit de la marque est cependant récent en France. En 1803, une première législation relative aux manufactures, fabriques et ateliers permet aux manufacturiers et artisans de déposer des marques auprès des tribunaux de commerce afin de les apposer sur leurs objets et d’engager éventuellement des actions en contrefaçon. La contrefaçon de ces marques est alors assimilée aux faux en écriture privée et est arbitrée par les conseils de prud’hommes. Puis la loi du 28 juillet 1824 visant à assurer la protection des noms commerciaux apposés sur des produits, vient compléter l’arsenal judiciaire instauré à l’encontre des contrefacteurs.

Au milieu du XIXe siècle, lors du développement industriel, la loi du 23 juin 1857 fonde le droit des marques de fabrique et de commerce. Désormais, une marque peut revêtir plusieurs formes. Elle peut être une dénomination, un emblème ou tout autre signe servant à distinguer les objets commerciaux, les produits fabriqués ou bien résultant d’une exploitation agricole. La propriété de la marque s’acquiert alors de deux façons : elle appartient à celui qui l’utilise le premier, ou à celui qui l’a déposée le premier. À partir de 1883, la Convention de Paris s’applique également aux marques et aux noms commerciaux, en permettant leur protection dans les autres pays signataires, avec un délai de priorité de six mois.

La loi du 31 décembre 1964 bouleverse également les règles en la matière. Une marque est reconnue comme « un signe susceptible de représentation graphique servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale ». Le dépôt de la marque auprès de l’INPI devient un préalable à sa propriété. L’enregistrement de la marque est soumis à un examen portant sur sa valeur intrinsèque ; le titulaire de la marque peut être déchu de ses droits dans le cas où la marque a cessé d’être exploitée pendant cinq ans.






Marque de commerce et de fabrique déposée le 16 mars 1885 par Georges Vuitton
destinée à des malles et articles de voyage (Archives INPI)


 

Les dessins et modèles industriels

Au cours d’un voyage à Lyon, en 1805, Napoléon Ier reçoit les doléances des industriels de la soie, qui demandent que leurs dessins d’étoffes soient protégés. Un projet de loi est adopté dès 1806. La procédure à suivre est la simple remise d’un échantillon, sous pli fermé et scellé, au conseil de prud’hommes. Ce dernier procède alors à l’enregistrement des dessins de fabrique, dont les dépôts sont conservés dans des archives. En cas de contestation entre deux fabricants, le conseil procède à l’examen des échantillons et décide de la priorité à accorder. En 1823, le Conseil d’État confirme l’application de la loi de 1806 à tous les autres domaines industriels. La Convention de Paris étend aussi la protection des dessins et modèles industriels dans les pays signataires, avec un délai de priorité de six mois.

L’évolution du cadre légal se poursuit avec la loi du 14 juillet 1909 qui met en place une procédure unique de dépôt pour la France entière. Une publication des dépôts permet de s’assurer de l’originalité du dessin ou modèle. Cela marque également la fin des dessins et modèles déposés à perpétuité, la durée de protection étant fixée à cinquante ans. Les créateurs obtiennent le « droit exclusif d’exploiter, vendre, faire vendre » leurs dessins et modèles grâce à leur dépôt en sus de la protection accordée par le droit d’auteur.

La durée de validité d’un dessin et modèle va être progressivement réduite : tout d’abord en 1979, avec une période unique de vingt-cinq ans, renouvelable une seule fois ; puis les dépôts enregistrés à partir de 2001 le sont pour une période de cinq ans, qui peut être prorogée par périodes de cinq ans jusqu’à un maximum de vingt-cinq ans.

 

Aux origines de la dématérialisation

L’INPI et les nouvelles technologies

Ainsi, pour pouvoir jouir du monopole que confère un des droits de propriété industrielle précités, un préalable nécessaire est la nouveauté de l’invention, l’originalité du dessin ou modèle, ou encore la liberté d’exploitation d’une marque. Cette assurance d’exploitation s’acquiert par une recherche d’antériorité, en partie au sein des publications des bulletins officiels prévus par la Convention d’Union de Paris en 1883 : « Chacune des parties contractantes s’engage à établir un service spécial de la propriété industrielle et un dépôt central, pour la communication au public, des brevets d’invention, des marques de fabrique et de commerce. » La France s’est acquittée de cette obligation avec la création du Bulletin officiel de la propriété industrielle (BOPI) dès 1884, et la publication intégrale des textes et planches des brevets à partir de 1902.

À cet égard, les dispositifs de traitement de l’information sous forme papier ont très vite montré leurs limites à la fois en termes de gestion des volumes générés et en termes d’utilisation. À titre d’illustration, pour les domaines scientifiques, techniques et médicaux, la demande annuelle de copies de documents issues des brevets dans les années 1980 était d’environ 100 millions de pages. L’Office français classait chaque année plus de 70 000 brevets, représentant plus de 17 millions de pages.

Avec le développement de l’informatique et de ses fabuleuses possibilités de tri et de recherche, sont nées les bases de données documentaires, permettant d’identifier les documents pertinents dans des corpus contenant de gros volumes (au moyen d’une description synthétique, d’un ensemble de mots clés et d’un résumé). C’est pourquoi l’INPI s’est lancé, dès les années 1980, dans la réalisation de bases de données documentaires relatives aux brevets déposés en France.

Avec l’apparition des technologies électroniques permettant de numériser les documents et de stocker en grand nombre les images numériques correspondantes, des projets ont émergé pour accélérer la mise à disposition des documents auprès des utilisateurs.

À cet effet, l’INPI, en étroite coordination avec l’OEB, s’est lancé dans la mise en place de dispositifs de gestion documentaire électroniques innovants. La coopération technique entre les deux offices a joué un rôle moteur dans la modernisation des offices de brevets non seulement au niveau européen mais aussi au plan international grâce aux collaborations avec l’USPTO (office américain des brevets), le SIPO (office chinois), le JPO (office japonais) et le KIPO (office coréen). Ainsi, l’INPI a été un des premiers offices nationaux mettant en œuvre une politique volontaire d’automatisation des tâches de production et de diffusion de l’information.

 

Un projet européen structurant

Dans ce contexte, a été lancé en 1982 l’appel d’offres DOC-DEL par la DG 13 de la Commission européenne, avec pour objectifs de stimuler le secteur documentaire européen et de susciter la mise en place de services d’accès à l’information primaires sous forme électronique, en développant des infrastructures d’archivage et de fourniture électronique de documents et en incitant les organismes de normalisation européens à simplifier leurs procédures.

Le projet TRANSDOC porté par l’Office français a été retenu, un projet mené en association avec le CNRS, EDF, la Fédération nationale de la presse spécialisée et Télésystèmes-Questel (alors filiale de France Télécom) et avec le soutien du ministère en charge de la Recherche (MIDIST).

Ce projet, qui vise l’étude et la mise en place d’une chaîne automatique de traitement de documents pour les transmettre rapidement aux utilisateurs finaux, a considérablement accéléré la numérisation des activités au sein de l’INPI, et a permis de développer un véritable savoir-faire innovant et une réelle compétence en informatique documentaire, tous deux reconnus à la fois au plan national et international.

En 1985, a été créé le Centre d’informatique documentaire de Sophia Antipolis, le CERDA (Centre d’Étude et de Recherche Documentaire Appliquée), qui est un centre informatique précurseur au niveau mondial, entièrement dédié à l’informatique documentaire.

Ce centre a mis en place une chaîne de publication électronique unique en son genre, avec un dispositif de numérisation rapide permettant la reprise de dix ans de publications et un système de stockage et d’accès rapide aux documents stockés sur des disques optiques numériques (DON) gérés par un juke-box. Dans un deuxième temps, des CD-ROM ont été utilisés, notamment par les bureaux régionaux de l’Institut, en raison de leur facilité de duplication et d’utilisation.

 

L’INPI, un précurseur en matière de production et de diffusion de l’information

L’INPI a ainsi développé une chaîne de publication complètement intégrée qui permettait la production automatique des documents brevets, des bulletins officiels (BOPI), des tables mensuelles, des éléments à envoyer à l’OEB et, bien sûr, des bases de données.

Par ailleurs, l’Office s’est structuré en créant un service spécifique pour développer les produits documentaires sous forme électronique dans les années 1980, entraînant les producteurs de bases de données dans son sillage : c’est ainsi qu’il a été l’un des membres fondateurs du groupement français des producteurs de bases et banques de données, le GFII (Groupement français des industriels de l’information).

En parallèle de cet intense développement des services documentaires en matière de brevets, l’INPI a été en mesure d’étendre ses prestations dans ses autres domaines de compétence : les marques, les dessins et modèles ainsi que le registre national du commerce et des sociétés et le répertoire des métiers.

Dès sa mise en place, au début des années 1990, le service EURIDILE, un service d’accès au registre national du commerce et des sociétés via le Minitel, a connu un très large succès et a longtemps été un des services les plus consultés. Le service ICIMARQUES a, quant à lui, été l’un des premiers services d’accès aux marques déposées à être accessible à tous. En outre, grâce à une campagne de numérisation en haute définition des logos de marques, ce même service a permis de visualiser ces logos sur Minitel.

Cette compétence acquise en matière de services électroniques a permis à l’INPI de se lancer très tôt dans la dématérialisation des procédures de dépôt de demandes de titres de propriété industrielle. C’est ainsi que l’Office a pu proposer la possibilité de procéder aux dépôts directement sous forme électronique, dans un premier temps (dès le début des années 2000), aux grands déposants (cabinets ou grandes entreprises), puis, dans un deuxième temps (à partir de 2018), à l’ensemble des déposants. C’est notamment ce qui explique que les procédures auprès de l’Office n’aient connu aucun temps d’arrêt pendant la crise sanitaire liée à la pandémie mondiale de 2020.

Désormais résolument tourné vers la mise à disposition et l’exploitation de ces gisements numériques, l’INPI s’est inscrit dans l’ouverture de ses données au travers de son programme de licences en open data pour ses différentes bases et a ouvert son portail de données en 2019. Également missionné pour tenir le registre des entreprises, l’Institut est un facilitateur qui permet de mettre en résonance les données de l’innovation et de l’économie, en offrant un accès gratuit via son portail à 53 millions de données.

Héritier des institutions qui l’ont précédé depuis la fin du XVIIIe siècle, l’INPI, créé en 1951, est devenu la mémoire et la représentation de l’innovation en France, grâce à ses bases, historiques et actives, librement consultables, tout en adoptant une stratégie résolument orientée vers la donnée et les traitements numériques intelligents pour continuer à innover et proposer à ses utilisateurs les services les plus performants et les plus adaptés dans un contexte technologique foisonnant et mouvant.



Steeve Gallizia,

Chargé de la valorisation des archives patrimoniales à l’INPI

 

Serge Chambaud,

Ancien directeur

du Musée des Arts et Métiers


Cet article a été publié pour la première fois dans le numéro de novembre 2020 de Réalités industrielles, une série des Annales des Mines.

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