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Décès de Gisèle Halimi, une avocate « irrespectueuse »

Décès de Gisèle Halimi, une avocate « irrespectueuse »
Publié le 10/08/2020 à 09:53


Décédée le 28 juillet à l’âge de 93 ans, l’avocate et femme politique Gisèle Halimi aura marqué l’histoire par son engagement sans relâche contre les injustices, notamment celles dont sont victimes les femmes. Au cours de sa longue carrière, deux procès feront date, aussi bien dans l’opinion publique que dans le droit.


Tout au long de ses 93 années d’existence, Gisèle Halimi, avocate de renom et ancienne députée de l’Isère, n’aura eu de cesse de défier l’ordre établi. Cette « pionnière », comme la qualifie l’historienne Michelle Perrot dans Libération, née en 1927 à Tunis dans une famille juive et modeste, deviendra avocate dans un milieu encore quasi exclusivement masculin, portera et médiatisera les grandes luttes féministes des années 1970 et 1980 (droit à l’avortement, criminalisation du viol) et sera en première ligne pour défendre l’indépendance de l’Algérie. Elle-même se qualifie d’avocate « irrespectueuse », ce qui l’amène à suivre sa propre voie tout en s’engageant totalement dans les combats qui lui tiennent à cœur. « C’est une femme qui a choisi sa vie, de bout en bout, aussi bien sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Elle était une femme très libre et très ouverte », décrit Michelle Perrot. Avocate parce que l’injustice lui est « physiquement intolérable », elle n’hésite pas à défrayer la chronique, comme par exemple avec la signature du Manifeste des 343, publié par Le Nouvel Observateur en 1971, mais aussi en s’emparant des procès hautement politiques dans l’espoir de faire bouger les lignes. Deux d’entre eux ont marqué l’Histoire, la grande, celle des droits des femmes, et donc le droit tout court.


 


1972, le procès de Bobigny


C’est un des grands procès pour défendre le droit à l’avortement. L’histoire est terrible. À 16 ans, Marie-Claire Chevalier est violée par un camarade de son lycée et tombe enceinte. Elle décide de se faire avorter, en parle à sa mère qui la soutient dans sa démarche, et subit donc cette opération illégale. En plus de l’épreuve psychologique et physique de l’avortement, son choix la mènera devant les tribunaux. Gisèle Halimi accepte de défendre la jeune fille avec toutefois l’idée d’une stratégie très précise : en faire un procès politique et surtout médiatique pour que cesse le « scandale du silence ». L’accusée doit garder la tête haute malgré les injures, elle n’a rien à se reprocher car la culpabilité n’est pas de son côté. La mère de Marie-Claire Chevalier, également poursuivie pour complicité, dira même au juge d’instruction dès sa première rencontre : « Mais, Monsieur le juge, je ne suis pas coupable ! C’est votre loi qui est coupable ! ».


Dans un entretien au Monde, l’avocate de Marie-Claire se souvient : « Alors, oui, j’ai choisi d’en faire un procès politique et de m’adresser, au-dessus de la tête des magistrats, à l’opinion publique et au pays. Les accusées reconnaissaient les faits, ne s’en excusaient pas, ne les regrettaient pas. Et, avec leurs témoins, elles faisaient le procès d’une loi et d’un système ineptes. Pendant que je plaidais, j’entendais la foule, aux portes du tribunal, crier avec Delphine Seyrig : “Libérez Marie-Claire !” ou ”Nous avons toutes avorté !” Ça porte, vous savez. Comme la colère que je ressentais devant ces hommes qui allaient nous juger et qui ne savaient rien de la vie d’une femme. »


L’opinion se range majoritairement derrière Marie-Claire Chevalier et le droit à disposer de son corps s’impose dans la société. La jeune fille est relaxée, et, à la sortie du procès, Gisèle Halimi est applaudie. Devant les caméras, elle sait déjà que le moment est historique : « Le procès […] a marqué un pas irréversible. » Pas de retour en arrière mais bien plus encore, l’affaire est un accélérateur pour le droit à l’avortement. « Ce procès va jouer un rôle crucial dans la mobilisation des femmes à l’époque, et de certains hommes aussi. C’est ce procès qui conduira ensuite au vote de la loi Veil, qui dépénalisera l’avortement en janvier 1975 », retrace l’historienne Michelle Perrot.


1978, le procès d’Aix


Dans la nuit du 21 au 22 août 1974, Anne Tonglet et Araceli Castellano, deux touristes belges, sont violées et battues pendant plusieurs heures par trois hommes dans une calanque de Marseille. Trois ans plus tard, Gisèle Halimi défend Anne Tonglet devant le tribunal des Bouches-du-Rhône. Or, à cette époque, le viol n’est pas encore considéré comme un crime, contrairement à ce que réclament les militantes féministes. Pour ce procès, l’objectif de Gisèle Halimi est « que l’on puisse parler du viol et dire que les femmes n’en sont pas coupables, qu’elles n’ont pas à garder le silence, se souvient Michelle Perrot. Dans la longue histoire des femmes contre les violences sexuelles, ce fut une action décisive, une parole essentielle, un acte aussi important que ce qu’elle avait fait pour le droit à l’avortement ». Un nouveau combat loin d’être gagné d’avance. Au micro de FranceInfo, Anne Tonglet raconte l’ambiance délétère au moment de l’affaire. « On nous a craché dessus, on nous a insultées, on nous a bousculées. Gisèle Halimi a été menacée de mort, encore après le procès. » Pour elle, « il y avait 5 % de chances qu’on puisse faire reconnaître le viol comme crime tellement cette société était patriarcalisée à l’extrême, c’était des mentalités pires que moyenâgeuses. Moi, je m’attendais à ce qu’on perde. » L’avenir lui donnera pourtant tort. Les trois hommes, qui plaidaient non coupable, sont condamnés. Le procès prépare le terrain à la loi de 1980 qui reconnaît le viol comme un crime. « Gisèle en a fait un procès extraordinaire. Généralement, ce genre d’affaires n’avait pas beaucoup d’importance. Gisèle en a fait véritablement un procès éclatant, à la suite duquel la loi sur le viol a été profondément modifiée. C’est sur cette loi que se sont appuyées ensuite toutes celles qui ont porté plainte pour viol », contextualise Michelle Perrot. L’historienne ajoute : « Elle est entrée dans l’histoire. Elle a fait l’histoire. » C’est donc un bout d’histoire qui s’est éteint ce 28 juillet.

Maïder Gérard

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