En Nouvelle-Aquitaine, un groupe interprofessionnel de prévention des
difficultés des entreprises a récemment été mis en place afin de mieux former
les professionnels du chiffre et du droit à détecter les défaillances
d’entreprises et ainsi favoriser le recours aux procédures amiables. Gwladys
Tohier, présidente de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de
Grande Aquitaine, revient pour le JSS sur la genèse et les ambitions d’un
projet lancé à son initiative et à celle d’Alexandra Blanch, administratrice
judiciaire, et qui jouit du soutien de Romain Grau, député LREM et président de
la mission d’information relative aux entreprises en difficulté du fait de la
crise sanitaire.
Pouvez-vous
vous présenter ?
Diplômée d’expertise comptable, j’ai débuté ma carrière en 2004 au sein
de Grant Thornton à Lyon. L’appel de l’océan étant plus fort, j’ai décidé de
créer mon cabinet BAB Audit Conseil à Biarritz en 2009, spécialisé dans l’audit
légal.
Femme de convictions, j’ai présenté ma candidature à la présidence de
la Compagnie régionale des commissaires aux comptes de Grande Aquitaine. Notre
équipe a été élue le 30 septembre 2020, et nous sommes entrés en fonction le 1er novembre 2020.
Comment et pourquoi avez-vous eu l’idée de créer un
groupe de travail dédié à la protection des difficultés des entreprises ?
Après mon élection, j’ai été contactée par l’administratrice judiciaire
Alexandra Blanch. Celle-ci intervient dans toute la France auprès d’entreprises
en difficulté et m’a fait part de ses inquiétudes sur les situations que
pourraient vivre les chefs d’entreprise à l’issue de la pandémie, ces derniers
souhaitant préserver leurs structures au risque de les surendetter.
Bien avant la pandémie du Covid-19, elle avait fait le même constat que
moi : de très nombreux chefs d’entreprises arrivaient trop tard dans son
bureau et souhaitaient agir de manière concertée avec des professionnels du
droit et du chiffre.
Alexandra Blanch m’a notamment alertée sur la nécessité de former au
plus vite mes confrères afin que ces derniers soient en mesure d’identifier les
situations complexes le plus en amont possible, et éviter autant que possible
la procédure collective en privilégiant les procédures de prévention des
difficultés.
Nous avons donc décidé de conjuguer nos forces et compétences pour
former tous les acteurs au niveau du territoire de la Nouvelle-Aquitaine.
Parallèlement, nous avons pris connaissance du rapport du député Romain
Grau qui constatait également ce besoin de formation des professionnels du
chiffre et du droit. Ce rapport nous a poussés à dupliquer prochainement au
niveau national le modèle que nous avions développé au niveau régional.
« Nous expliquons lors de la formation
que l’alerte peut être un électrochoc pour le chef d’entreprise afin qu’il
puisse demander de l’aide. »
Comment s’est déroulée concrètement la mise en place de
ce projet ?
Nous n’avons jamais vu un projet se monter aussi vite. En moins de deux
mois, j’ai pu sensibiliser mon Conseil régional à ce besoin de formation. Alexandra
Blanch nous a proposé cinq modules de formation et le projet était lancé. Nous
pouvons également compter sur l’appui du député Romain Grau pour faire
connaître nos actions et nos préconisations.
Les objectifs de cette initiative ont-ils été
atteints ? Les mesures que vous avez prises ont-elles permis,
notamment, de réduire les défaillances d’entreprise ?
Au niveau régional, nous avons atteint nos objectifs de former les
professionnels, mais il reste encore beaucoup à faire auprès des chefs
d’entreprise.
Nous partons du constat que même avant la pandémie, de trop nombreux
chefs d’entreprise se retrouvaient devant le tribunal de commerce, notamment
pour une procédure de prévention, sans connaître les différentes procédures
possibles. Nous devons être en capacité de leur exposer les différents outils
mis à leur disposition. Dans le cadre de notre groupe de travail, nous formons
nos confrères afin qu’ils puissent au mieux alerter les chefs d’entreprise dans
le cadre de la prévention des entreprises en difficulté et éviter ainsi de
nombreuses défaillances.
Au moyen de quels outils sensibilisez-vous les
professionnels du droit et du chiffre à leur devoir d’alerte ?
Nous expliquons lors de la formation que l’alerte peut être un
électrochoc pour le chef d’entreprise afin qu’il puisse demander de l’aide.
La procédure d’alerte peut en effet être stoppée par une procédure de
conciliation (une procédure amiable et confidentielle) qui vise à aider le chef
d’entreprise à mener des négociations avec ses créanciers.
Le but de la formation est d’expliquer à nos confrères comment utiliser
la conciliation pour qu’ils puissent la mettre à disposition du chef
d’entreprise et préserver ainsi la relation de confiance.
Procédure accélérée de traitement de sortie de crise
(PTSC), mandat ad hoc « express », procédure amiable à
moindre coût destiné aux entreprises de moins de dix salariés, etc., les
outils sont déjà nombreux pour prévenir les défaillances d’entreprise. Est-ce
suffisant selon vous ?
Oui, il y en a beaucoup trop. Selon moi, l’essentiel est de savoir les
utiliser et surtout de travailler avec des professionnels en équipe pour aider
au mieux les dirigeants.
Certains
prévoient une hausse des défaillances d’entreprise, « un mur de
faillites », dans les prochains mois du fait du remboursement des aides,
qu’en pensez-vous ?
Certaines défaillances d’entreprises ont été décalées avec les aides de
l’État et le « quoi qu’il en coûte ». Nous devons au maximum anticiper l’arrêt
des aides. Soyons tous au rendez-vous avant que cela n’arrive pour trouver les
meilleures solutions pour nos clients. Notre formation y contribue.
Pour l’instant ce projet est régional, mais vous avez
pour ambition de le déployer au niveau national…
Nous espérons nouer des partenariats avec toutes les compagnies régionales des commissaires aux
comptes, mais aussi avec les conseils régionaux de l’Ordre d’experts-comptables
qui souhaiteront dupliquer ce beau projet et agir pour préserver notre tissu
économique.
Propos recueillis par Maria-Angélica
Bailly