Née il y a quelques mois, la toute
première chaire française consacrée au droit de la consommation a organisé un
colloque 100% en ligne autour de la directive omnibus, venue renforcer les
droits des consommateurs. Pour Marie-Paule Benassi, chargée de la politique des
consommateurs à la Commission européenne, le texte entend “fournir de la
clarté”.
Abritée par la Fondation de CY Cergy Paris Université, la première chaire
française dédiée au droit de la consommation est née en décembre 2019. Objectif
: réunir des chercheurs et des acteurs majeurs du monde de la consommation,
pour constituer un pôle national et international de référence.
Le 11 septembre dernier, elle a souhaité consacrer son colloque inaugural à
la modernisation des règles de protection des consommateurs par la directive
“omnibus" du 27 novembre 2019, en cours de transposition, destinée à assurer une
meilleure application des règles de protection des consommateurs.
En effet, “Il y a un problème dans la mise en œuvre des droits des
consommateurs par les entreprises : le taux de non-conformité reste encore bien
trop élevé. Il faut une concurrence plus loyale au niveau de l’Union
européenne”, souligne Marie-Paule Benassi, chargée de la politique
des consommateurs à la Commission européenne, en préambule de ce
colloque.
La directive prévoit entre autres un système de sanctions plus dissuasives
pour les plus grandes infractions, pouvant atteindre 4% du chiffre d’affaires
annuel des entreprises concernées. “Nous avons aussi voulu clarifier le
droit au recours, pour que les consommateurs lésés par des pratiques
commerciales déloyales puissent avoir un droit de recours individuel et obtenir
réparation”, ajoute Marie-Paule Benassi.
Plus largement, le texte a mis à jour un certain nombre de directives
existantes sur les pratiques commerciales déloyales, les clauses abusives,
l’indication des prix, etc.
Parmi les points essentiels, les consommateurs doivent par exemple pouvoir
identifier clairement, lors de leurs recherches en ligne, les résultats
sponsorisés par les entreprises. De la même façon, ils doivent être avertis
quand les prix sont personnalisés de façon automatique, ou encore, être assurés
que les avis qu’ils lisent, aujourd’hui bien plus déterminants dans leurs choix
que la publicité traditionnelle, sont de “vrais” avis, non des avis
financés. “Autre élément important, il faut bien rendre clair le fait que
certains services qui peuvent apparaître gratuits ont en réalité des
contreparties, comme l’utilisation des données des consommateurs dans le cadre
de la publicité. Il ne doit pas y avoir de doute sur le fait qu’il s’agit
d’activités commerciales sujettes aux droits des consommateurs”, insiste
Marie-Paule Benassi.
La question des annonces de réduction de
prix
Outre ces points succinctement évoqués, la modernisation de la
réglementation des pratiques commerciales concerne notamment l’encadrement des
promotions. Un thème sur lequel s’est longuement penchée la première table
ronde du colloque, à travers le prisme des annonces de réduction de prix.
Comme le précise la modératrice Carole Aubert de Vincelles, professeure de
droit à l’Université de Cergy-Pontoise, l’article 2 de la directive modifie
l’article d’une directive “dont on parle peu, car la France avait
depuis longtemps une politique d’affichage des prix” : celle de 1998 sur
l’indication des prix. Cet article 2 impose que toute annonce de réduction de
prix devra désormais - lorsqu’il sera transposé - faire figurer, à côté du prix
réduit, le prix antérieur le plus bas pratiqué par le professionnel dans le
mois précédent. “Le but est d’éviter que les prix soient augmentés de façon
exagérée juste avant une promotion”, explique Carole Aubert de Vincelles.
Si Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir, précise que la directive “n’est
pas une révolution : c’est un retour à la situation antérieure, car ce type de
réglementation existait auparavant en France”, il se réjouit toutefois que
l’article permette de retrouver de la sincérité dans les annonces de rabais,
pour qu’elles correspondent à la réalité. “A la faveur de la multiplication
des opérations de réductions de prix, on a vu fleurir des prix qui avaient
comme référence des prix de référence farfelus. Pour nous, c’est inquiétant”,
alerte-t-il. Aujourd’hui, et jusqu’à la transposition, précise-t-il, le
professionnel peut choisir librement un prix de référence. “Rien ne
l’empêche d’augmenter un prix quelques jours avant d’annoncer des rabais
mirobolants. C’est légal”, pointe-t-il. La directive a donc l’avantage
d’apporter, estime-t-il, de la transparence : “Cela évite que le
consommateur soit instrumentalisé par des annonces qui ne sont pas sincères.
L’annonce de réduction de prix ne doit pas être un miroir aux alouettes”.
Marie-Paule Benassi abonde : la directive doit “fournir de la clarté”. “La
multiplication des changements de prix est une manière pour faire perdre au
consommateur l’évaluation qu’il a du prix juste. Il faut redonner des bases
claires dans certains éléments fondamentaux.”
Le texte permettra également d’assurer, affirme le président
d’UFC-Que-Choisir, une plus grande loyauté entre vendeurs, puisqu’il ne sera
plus possible de fausser la concurrence en annonçant de faux rabais. Cela vise
surtout les grands opérateurs sur internet, qui ont une “force de frappe
beaucoup plus importante que les magasins physiques”, déplore-t-il.
Du côté des fédérations aussi, on salue la mesure. Laure Baëté, responsable
affaires juridiques et environnementales à la FEVAD (Fédération du e-commerce
et de la vente à distance), met en exergue que “le prix est un marqueur
important, et le consommateur doit pouvoir y consentir de manière éclairée”,
d’autant qu’”une règle commune européenne crée une meilleure effectivité du
marché unique européen et une meilleure sécurité juridique”. Alain
Souilleaux, directeur juridique de la FCA (Fédération du commerce coopératif et
associé) juge pour sa part “important” que la relation de confiance avec
les consommateurs soit “renforcée”.
Toutefois, Carole Aubert de Vincelles indique que le texte soulève des
difficultés, puisque jusqu'à présent, la règle générale était que, par
principe, les pratiques commerciales étaient libres, sous réserve qu’elles ne
constituaient pas de tromperie ou de pratique agressive. “Le texte modifie
donc l’état actuel du droit européen. Comment le droit français va-t-il le
transposer ?” s’interroge la professeure de droit.
Selon Laure Baëté, l’article soulève plusieurs interprétations, car s’il
aborde la notion de prix antérieur, il n’aborde pas les autres prix de
référence. Cependant, la Commission européenne a mis en place des ateliers
d'interprétation, note la responsable affaires juridiques et environnementales
à la FEVAD. “Il est important que les Etats membres s’en nourrissent, car la
disposition est arrivée en bout de course, et il n’y a pas de considérant dans
la directive pour l’expliciter”.
Alain Souilleaux se questionne quant à lui sur l’ajout d’un “nouveau
droit d’information du consommateur”, “qui pose mécaniquement des
questions en termes de renforcement des obligations du commerçant vis-à-vis de
cette information”. Par ailleurs, la nécessité d’indiquer un prix de
référence signifie que certaines opérations promotionnelles pourraient
disparaître, suppose-t-il. Le directeur juridique de la FCA se demande en outre
ce qu’il en sera des produits de lancement. En la matière, la pratique consiste
jusqu’ici à proposer, au lancement d’un nouveau produit, un prix réduit par
rapport à un prix futur. “Pourrait-on ici considérer que le prix de
référence n’est pas encore appliqué mais néanmoins déjà identifié ?
L’application de ce prix serait juste suspendue. Le consommateur serait informé
loyalement, à partir du moment où il sait qu’à telle date, le prix change”,
développe Alain Souilleaux, convaincu que la pratique est “légitime” et
devrait continuer à être utilisée.
Dernière intervenante sur le sujet, Magali Jalade, directrice des affaires
publiques et réglementaires de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle
de la publicité), informe que sur la question de la publicité des prix, il
existe des règles déontologiques contenues dans une recommandation de l’ARPP
intitulée “publicité de prix”, qui constitue un “code de conduite”. Cette
recommandation, au même titre que toutes celles issues de l’ARPP, a été
co-construite avec le Conseil paritaire de la publicité, une des trois
instances qui contribue aux dispositifs de régulation de la publicité. Ce
Conseil réunit les représentants des associations et des professionnels et émet
un avis public sur la création d’une nouvelle règle ou sur sa mise à jour,
après audition des parties prenantes. En l’espèce, la recommandation “publicité
de prix” prévoit notamment des règles de présentation du ou des prix dans les
publicités et des mentions liées aux prix : des règles générales, et par
support, de lisibilité, intelligibilité, clarté et transparence du prix et des
mentions rectificatives, qui s’appliquent aujourd’hui au prix réduit et
s’appliqueront demain au prix antérieur avant réduction.
Parmi les situations
spécifiques encadrées par cette recommandation “publicité de prix”, une
disposition relative à la présentation de plusieurs prix dans la même publicité
pourrait s’appliquer pour le prix réduit et antérieur, estime Magali Jalade. En
effet, selon cette disposition, quand plusieurs prix figurent dans une même
publicité, il est possible de mettre en avant un de ces prix en indiquant les
chiffres dans des tailles de caractères différentes, tant que sont respectés
les principes de lisibilité, intelligibilité, transparence et clarté. “Cette
recommandation ne devrait pas être impactée par la nouvelle disposition de la
directive, dans la mesure où l’encadrement relève du droit dur. Néanmoins,
comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans une étude sur le droit souple en 2013,
la plus haute juridiction administrative reconnaît les recommandations de
l’ARPP comme des règles de droit souple”, souligne la directrice des
affaires publiques et réglementaires de l’ARPP.
Ces règles peuvent offrir une
alternative au droit dur, ou bien le compléter, accompagner sa mise en oeuvre,
l’expliciter. “L’Autorité est favorable à ce que la transposition soit
effectuée de manière identique dans tous les pays pour éviter des
interprétations et des applications différentes et créer des contraintes opérationnelles
et concurrentielles. L’article de la directive est sans doute précis mais pas
forcément explicite. Il pourrait donc être envisagé un renvoi à la
recommandation “publicité de prix”, qui fait appel à la responsabilité des
professionnels”.
Zoom sur les visites non sollicitées
La directive omnibus offre par ailleurs la possibilité aux Etats membres de
pouvoir durcir leur législation sur le démarchage à domicile, note Carole
Aubert de Vincelles.
Marie-Paule Benassi le souligne : certes, les visites non sollicitées sont
un “pan important” de l’activité économique, souvent utile pour les
consommateurs, “mais le vieillissement de la population et la
désertification des campagnes font que le consommateur le plus fréquent de ce
genre de services devient de plus en plus vulnérable, face à des entreprises
parfois peu scrupuleuses”. Afin de mieux les protéger, selon la directive,
les États membres peuvent décider de prendre des mesures contraignantes pour encadrer
cette vente à domicile non sollicitée.
La directive autorise à encadrer plus sévèrement les conditions dans
lesquelles les contrats sont proposés au consommateur, développe Philippe
Guillermin, chef du bureau de droit de la consommation à la DGCCRF (Direction
générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des
fraudes). Par exemple, fixer des horaires pendant lesquels les visites peuvent
avoir lieu : passé ce délai, seules les visites ayant reçu une approbation
préalable du consommateur pourraient avoir lieu. Les Etats pourraient aussi
aménager les dispositions ayant trait au paiement, comme interdire le paiement
pendant toute la durée du délai de rétractation. Ou encore, ils pourraient
durcir les obligations contractuelles une fois le contrat conclu, en allongeant
le délai de rétractation à 30 jours au lieu de 14, ou en offrant la possibilité
de se rétracter dans des situations qui, jusque là, excluent exercice du droit
de rétractation. Le consommateur pourrait donc revenir sur son engagement, y
compris quand la prestation de service est pleinement exécutée, ou quand le
contrat a pour objet un bien nettement personnalisé. “La France va-t-elle
mettre en oeuvre ses options ?”, questionne Philippe Guillermin, qui
spécifie que “pour le moment, aucune décision n’a été prise, mais une
expertise est menée”. A ce titre, le chef du bureau de droit de la
consommation à la DGCCRF considère “intéressant que la France dialogue avec
ses homologues à l’occasion des ateliers proposés par la Commission européenne”.
Alors, sévir ou ne pas sévir ? La France a le choix, mais tous les acteurs
ne partagent pas le même point de vue sur la question. “Doit-on vraiment
compléter la réglementation actuelle ou cela ne pourrait-il pas passer par
auto-régulation des secteurs ?” demande Florence Lanoé, directrice
juridique BtoC d’Engie, qui trouve que “par rapport au nombre de ventes
total, le nombre de plaintes est limité”. Selon elle, l’enjeu serait
d’abord de professionnaliser le secteur… comme dans son propre groupe.
Chez
Engie, cet encadrement passe d’abord “par la formation”,
illustre-t-elle. L’industriel a ainsi créé une école des ventes, formation pour
“donner les clefs concernant l’ouverture du marché de l’énergie, sur la
façon de vendre, sur les offres d'énergie et leur compréhension, et aussi sur
les pratiques loyales de vente”, détaille Florence Lanoé. La
professionnalisation passe aussi, dit-elle, par une réflexion autour de la
rémunération des vendeurs : “Nos partenaires travaillent actuellement sur l’intégration
d’une partie fixe dans la rémunération, en plus de la partie variable”.
Enfin, la directrice juridique insiste sur la nécessité du contrôle et des
sanctions des pratiques non conformes. “Chez Engie, avons désaccrédité en
2019 plus de 200 vendeurs, et nous avons mis fin à certains contrats avec nos
partenaires ; tout ceci dans l’intérêt des consommateurs et pour leur
protection”, appuie Florence Lanoé. Le groupe a également instauré une
distribution de flyers pédagogiques sur le rôle des différents acteurs du
marché de l’énergie, il réalise un appel systématique après la réalisation
d’une vente à domicile, “qui permet de nous assurer que la vente s’est bien
passée, et de confirmer la souscription avec le client”, assure-t-elle, et
il a mis en place une cellule téléphonique permettant de répondre à toutes les
questions des consommateurs prospectés et de répondre aux éventuelles
insatisfactions lors de ces ventes. “Pour que l’auto-régulation soit
efficace, elle doit être un minimum contraignante et obligatoire. On pense que
le fait de passer par le droit souple peut permettre d’atteindre les objectifs
européens en France. La mise en place d’une charte du droit de la consommation
serait idéale pour travailler sur tous ces sujets”, renchérit Florence Lanoé.
Pour Pierre Weinstadt non plus, “il n’est pas nécessaire de réglementer
les visites non sollicitées”. Le directeur juridique de la FVD (Fédération
de la Vente Directe) met en avant le fait qu’il y a 15 ans, la directive
pratiques commerciales déloyales avait déjà posé un cadre, et que la pratique
n°25 annexe 1 présume déloyales, “de manière irréfragable”, les visites
à domicile faites de manière agressive. “15 ans plus tard, alors même qu’il
n’y a pas de remontées particulières, sauf du pays de la commissaire européenne
où rien n’a été fait, la directive omnibus stigmatise la visite à domicile”,
tance Pierre Weinstadt. “A la FVD, nous pensons que le législateur européen
n’a pas tenu compte qu’il faut équilibre entre un niveau de protection élevé
pour les consommateurs et la compétitivité des entreprises. Ce n’est pas parce
que l’Europe a fait de la surenchère législative dans la directive omnibus que
la France doit nécessairement suivre ce pas”, poursuit le directeur
juridique de la FVD. La France n’était pas demandeuse de davantage
d'encadrement, appuie-t-il.
D’autant que les trois exemples donnés à l’article
55 de la directive omnibus sont des exemples déjà “parfaitement transposés”
en droit français, ajoute Pierre Weinstadt - comme la fixation des horaires,
prévue à l’article 121-6 du Code de la consommation. “Il y a tout ce qu’il
faut en droit français”, considère donc le directeur juridique de la FDV,
qui insiste : ”avant de légiférer, il est important de parler aux
entreprises afin de mesurer les conséquences que cela peut avoir, notamment
dans le domaine de la rénovation énergétique, qui fait l’objet de nombreuses
visites à domicile”.
Sans trop de surprises, Alain Bazot, président de l’UFC-Que Choisir,
déclare ne pas partager l’avis de Florence Lanoé et Pierre Weinstadt. Selon
lui, la question est de savoir si les intérêts des consommateurs sont menacés
ou non. Et pour cela, l’association part d’un constat : la recrudescence des
litiges dans le cadre du démarchage, que ce soit à domicile ou téléphonique. “Les
pratiques agressives deviennent la norme”, dénonce Alain Bazot. Pour le
président de l’UFC-Que Choisir, le cadre législatif a été “impuissant à
juguler ce phénomène”. Le premier secteur de litiges au sein de
l’association est ainsi le démarchage à domicile, avec 100 000 litiges. “Les
secteurs qui comptent le plus de démarchages sont en tête de gondole pour les
litiges. A titre d’exemple, sur la rénovation, nous faisons face à 4 000
plaintes, dont ? viennent du démarchage”, illustre Alain Bazot.
Encore plus
problématique, les litiges portent sur des sommes importantes : en moyenne, 20
000 euros. “On ne parle pas d’un kilo de pommes ou d’un autocuiseur !”,
ironise le président de l’UFC-Que Choisir. L’association “salue” donc
cette directive, rapporte-t-il, pas du tout persuadé, à l’inverse de Pierre
Weinstadt, que le droit français est déjà armé face au démarchage.
“Si on avait tout dans le droit français, que la directive revienne dire
la même chose ne devrait pas effrayer”, affirme Alain Bazot. Les secteurs
problématiques n’étant pas les mêmes d’un État à l’autre, il est, selon lui,
important de re-nationaliser un certain nombre de dispositifs, bien que tout
dépende désormais de la volonté politique du gouvernement.
“Au-delà de la protection des consommateurs, il y a un enjeu de vision de
la société dans laquelle nous voulons vivre, conclut Alain Bazot.
Est-ce qu’on peut envisager en France d’avoir des zones de non commercialité ?
Le domicile ne devrait-il pas être mieux sanctuarisé ? Faut-il autoriser qu’à
tout moment, 24h/24, 7j/7, on ait une immixtion de la commercialité dans la vie
privée ? Peut-on, de temps en temps, vivre sans être dans la consommation et la
sollicitation commerciale ? C'est l’enjeu majeur qu’il y a aussi dans la
déclinaison de la directive qu’aura à développer le gouvernement français”.
Bérengère Margaritelli