DROIT

Droit de reproduction du dossier pénal : le barreau français revient à la charge

Droit de reproduction du dossier pénal : le barreau français revient à la charge
Le CNB souhaite un "droit inconditionnel" pour les avocats à recevoir la copie complète des dossiers
Publié le 03/12/2024 à 17:06

A la faveur d’une proposition de loi déposée au Sénat, le Conseil national des barreaux espère recouvrir cette possibilité retoquée en juillet par le Conseil d’État. Il souhaite en prime la numérisation de la totalité des actes effectués par les avocats.

Un pas en arrière, deux pas en avant ? Le Conseil national des barreaux (CNB) ne s’est pas laissé abattre par l’annulation par le Conseil d’État, en juillet dernier, de l’article 10 du décret n°2022-546 relatif à la loi Dupond-Moretti, privant ainsi les avocats d’un précieux droit de reproduction du dossier pénal par photocopie ou scanner. Bien au contraire, le barreau français compte doubler la mise.

Dans une résolution adoptée en assemblée générale, le 15 novembre dernier, l’organe représentatif de la profession fait part de son intention de passer par la voie législative pour réintroduire ce droit. Il souhaite par la même occasion élargir la numérisation des actes pris par les avocats à la totalité de la procédure pénale. Cette possibilité est pour l’instant limitée à une vingtaine d’objets, définis à l’article D591 du Code de procédure pénale (CPP).

L’avocat-sénateur à la rescousse

La formule deux en un du CNB aurait pour véhicule une proposition de loi à article unique déposée en octobre par le sénateur Les Républicains Francis Szpiner, avocat au barreau de Paris. Encore en instance d’examen par la commission des lois, le texte reprend les dispositions de l’article du décret annulé par le Conseil d’État. Sa décision avait en effet été motivée par une question de forme, la loi de 2021 ne faisant mention que d’une « consultation » et aucunement d’une « reproduction ». Ce qui ouvre la voie à la réintroduction de cette notion par le législateur.

Le Conseil national des barreaux « soutient cette initiative » mais propose une rédaction « plus ouverte » dans sa proposition d’article 801-2 du CPP : « Dans tous les cas où, en application des dispositions du présent Code, un avocat peut consulter le dossier de la procédure pénale ou en demander la délivrance d’une copie, l’avocat, son associé, son collaborateur ou un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin, peut, à l’occasion de cette consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies. »

L’instance représentative des avocats plaide en outre pour la suppression de la « dichotomie » entre les notions de « consultation » et de « copie » des dossiers, qui n’aurait plus de sens à l’ère numérique. Elle souhaite faire valoir un « droit inconditionnel » pour les avocats à recevoir la copie complète des dossiers pénaux, « condition essentielle pour une défense de qualité ».

Les magistrats en embuscade ?

Cheval de bataille des avocats depuis des années, le droit de reproduction du dossier pénal était l’une des principales victoires des précédentes mandatures du CNB. Outre le gain de temps et la nécessaire modernisation de la procédure, le barreau des barreaux l’estime indispensable pour pouvoir lutter à armes égales avec le parquet. Son annulation avait suscité un rare émoi général de la profession.

« Nous l’avons pris comme un coup de poignard », assure Philippe Baron, président de la commission numérique du CNB. Mis en cause, l’Union syndicale des magistrats (USM) et l’Association française des magistrats instructeurs (Afmi), qui avaient déposé deux recours en 2022 contre le décret d’application.

« Je rappelle que ce n’était pas la seule disposition visée », resitue le président de l’USM, Ludovic Friat, pour qui il s’agissait avant tout de faire respecter la hiérarchie des normes, entachée par certaines mesures du décret d’application. Le représentant se satisfait donc de voir ce dossier prendre la voie législative : « L’église est remise au centre du village ». Quant à ses observations sur le fond, l’USM les réserve pour une éventuelle consultation des représentants syndicaux par le Sénat.

Ce sont pourtant bien ces réticences sur le fond, formulées par une partie des magistrats, que craint le CNB. Devant le Conseil d’État, l’Afmi avait pu faire entendre ses réserves liées notamment au risque de fuites, ainsi que son regret de voir l’accord du juge remis en cause par la rédaction du décret. Entendue en 2019 par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le secret de l'enquête et de l'instruction, l'AFMI avait fait part de ses craintes en exposant le cas d'un avocat ayant transmis des informations aux complices de son client pour faire pression sur un témoin. Contactée, l'association n'a pas répondu.

Au CNB, cette opposition d’une partie de la magistrature demeure incomprise. « Je leur ai dit les yeux dans les yeux : je ne comprends pas leur position, sauf à ce qu'ils veuillent nous cacher des choses dans les dossiers », rapporte Philippe Baron, qui se désole de constater que des dossiers de centaines de pages ne sont parfois à disposition que « dix minutes ou un quart d’heure ». Et l’élu de prévenir : « Si [des magistrats] considèrent que l’avocat ne doit pas avoir le même accès au dossier qu’eux, ce qui est totalement anormal, on va rentrer dans une guerre. On y est prêts. »

Le CNB demande le tout numérique

Le deuxième volet du rapport du CNB devrait moins faire polémique. Là aussi dans une optique de rééquilibrer l’outillage procédural de part et d’autre de la salle d’audience, le barreau français souhaite lever les limitations imposées aux avocats pour la prise d’actes numériques. L’article D591 du CPP en établit la liste exhaustive, tandis que l’article D593 en exclut explicitement les demandes de mise en liberté ou de mainlevée du contrôle judiciaire. Une rémanence de la période du Covid, explique Philippe Baron, « quand les services du ministère ne souhaitaient pas avoir des fleuves de demandes de mise en liberté par voie dématérialisée ».

Le temps a passé, et les avocats souhaitent que les promesses du tout dématérialisé formulées lors de la conception de la procédure pénale numérique soient mises à exécution. Le CNB propose l’abrogation des articles D592 et D593 et suggère la rédaction suivante, plus ouverte, du D591 : « Selon les modalités figurantes dans une convention passée entre le ministère de la justice et les organisations nationales représentatives des barreaux, les avocats des parties peuvent transmettre par un moyen de télécommunication sécurisé à l'adresse électronique de la juridiction ou du service compétent de celle-ci, et dont il est conservé une trace écrite, les demandes, déclarations, observations, conclusions, mémoires et requêtes prévues par le présent code. »

Reste maintenant à savoir comment le gouvernement se positionnera, voire s’il usera de son influence pour faire avancer la proposition de loi sénatoriale. Contacté, le ministère de la Justice n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Nicolas Turcev

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