A la faveur d’une proposition
de loi déposée au Sénat, le Conseil national des barreaux espère recouvrir
cette possibilité retoquée en juillet par le Conseil d’État. Il souhaite en
prime la numérisation de la totalité des actes effectués par les avocats.
Un pas en arrière, deux pas
en avant ? Le Conseil national des barreaux (CNB) ne s’est pas laissé
abattre par l’annulation par le Conseil d’État, en juillet dernier, de
l’article 10 du décret n°2022-546 relatif à la loi Dupond-Moretti, privant
ainsi les avocats d’un précieux droit de reproduction du dossier pénal par
photocopie ou scanner. Bien au contraire, le barreau français compte doubler la
mise.
Dans une résolution adoptée
en assemblée générale, le 15 novembre dernier, l’organe représentatif de la
profession fait part de son intention de passer par la voie législative pour
réintroduire ce droit. Il souhaite par la même occasion élargir la numérisation
des actes pris par les avocats à la totalité de la procédure pénale. Cette
possibilité est pour l’instant limitée à une vingtaine d’objets, définis à
l’article D591 du Code de procédure pénale (CPP).
L’avocat-sénateur à la
rescousse
La formule deux en un du CNB
aurait pour véhicule une proposition de loi à article unique déposée en octobre
par le sénateur Les Républicains Francis Szpiner, avocat au barreau de Paris.
Encore en instance d’examen par la commission des lois, le texte reprend les
dispositions de l’article du décret annulé par le Conseil d’État. Sa décision
avait en effet été motivée par une question de forme, la loi de 2021 ne faisant
mention que d’une « consultation » et aucunement d’une « reproduction ».
Ce qui ouvre la voie à la réintroduction de cette notion par le législateur.
Le Conseil national des
barreaux « soutient cette initiative » mais propose une
rédaction « plus ouverte » dans sa proposition d’article 801-2
du CPP : « Dans tous les cas où, en application des dispositions du
présent Code, un avocat peut consulter le dossier de la procédure pénale ou en
demander la délivrance d’une copie, l’avocat, son associé, son collaborateur ou
un avocat disposant d’un mandat écrit à cette fin, peut, à l’occasion de cette
consultation, réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments
du dossier par tout moyen et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif
ou la prise de photographies. »
L’instance représentative des
avocats plaide en outre pour la suppression de la « dichotomie »
entre les notions de « consultation » et de « copie »
des dossiers, qui n’aurait plus de sens à l’ère numérique. Elle souhaite faire
valoir un « droit inconditionnel » pour les avocats à recevoir
la copie complète des dossiers pénaux, « condition essentielle pour une
défense de qualité ».
Les magistrats en
embuscade ?
Cheval de bataille des
avocats depuis des années, le droit de reproduction du dossier pénal était
l’une des principales victoires des précédentes mandatures du CNB. Outre le
gain de temps et la nécessaire modernisation de la procédure, le barreau des
barreaux l’estime indispensable pour pouvoir lutter à armes égales avec le
parquet. Son annulation avait suscité un rare émoi général de la profession.
« Nous l’avons pris
comme un coup de poignard », assure Philippe Baron, président de la
commission numérique du CNB. Mis en cause, l’Union syndicale des magistrats
(USM) et l’Association française des magistrats instructeurs (Afmi), qui
avaient déposé deux recours en 2022 contre le décret d’application.
« Je rappelle que ce
n’était pas la seule disposition visée », resitue le président de
l’USM, Ludovic Friat, pour qui il s’agissait avant tout de faire respecter la
hiérarchie des normes, entachée par certaines mesures du décret d’application.
Le représentant se satisfait donc de voir ce dossier prendre la voie
législative : « L’église est remise au centre du village ».
Quant à ses observations sur le fond, l’USM les réserve pour une éventuelle
consultation des représentants syndicaux par le Sénat.
Ce sont pourtant bien ces
réticences sur le fond, formulées par une partie des magistrats, que craint le
CNB. Devant le Conseil d’État, l’Afmi avait pu faire entendre ses réserves
liées notamment au risque de fuites, ainsi que son regret de voir l’accord du
juge remis en cause par la rédaction du décret. Entendue en 2019 par la mission
d'information de l'Assemblée nationale sur le secret de l'enquête et de
l'instruction, l'AFMI avait fait part de ses craintes en exposant le cas d'un
avocat ayant transmis des informations aux complices de son client pour faire
pression sur un témoin. Contactée, l'association n'a pas répondu.
Au CNB, cette opposition
d’une partie de la magistrature demeure incomprise. « Je leur ai dit
les yeux dans les yeux : je ne comprends pas leur position, sauf à ce qu'ils
veuillent nous cacher des choses dans les dossiers », rapporte
Philippe Baron, qui se désole de constater que des dossiers de centaines de
pages ne sont parfois à disposition que « dix minutes ou un quart
d’heure ». Et l’élu de prévenir : « Si [des magistrats]
considèrent que l’avocat ne doit pas avoir le même accès au dossier qu’eux, ce
qui est totalement anormal, on va rentrer dans une guerre. On y est prêts. »
Le CNB demande le tout
numérique
Le deuxième volet du rapport
du CNB devrait moins faire polémique. Là aussi dans une optique de rééquilibrer
l’outillage procédural de part et d’autre de la salle d’audience, le barreau
français souhaite lever les limitations imposées aux avocats pour la prise
d’actes numériques. L’article D591 du CPP en établit la liste exhaustive,
tandis que l’article D593 en exclut explicitement les demandes de mise en
liberté ou de mainlevée du contrôle judiciaire. Une rémanence de la période du
Covid, explique Philippe Baron, « quand les services du ministère ne
souhaitaient pas avoir des fleuves de demandes de mise en liberté par voie
dématérialisée ».
Le temps a passé, et les
avocats souhaitent que les promesses du tout dématérialisé formulées lors de la
conception de la procédure pénale numérique soient mises à exécution. Le CNB
propose l’abrogation des articles D592 et D593 et suggère la rédaction suivante,
plus ouverte, du D591 : « Selon les modalités figurantes dans
une convention passée entre le ministère de la justice et les organisations
nationales représentatives des barreaux, les avocats des parties peuvent
transmettre par un moyen de télécommunication sécurisé à l'adresse électronique
de la juridiction ou du service compétent de celle-ci, et dont il est conservé
une trace écrite, les demandes, déclarations, observations, conclusions,
mémoires et requêtes prévues par le présent code. »
Reste maintenant à savoir
comment le gouvernement se positionnera, voire s’il usera de son influence pour
faire avancer la proposition de loi sénatoriale. Contacté, le ministère de la
Justice n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Nicolas
Turcev