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EFB : la nouvelle promotion « à un moment charnière »

EFB : la nouvelle promotion « à un moment charnière »
Publié le 19/01/2022 à 16:20

Lors de sa rentrée au Palais des congrès de Paris, la dernière cuvée d’élèves-avocats de l’EFB a notamment été invitée à « s’imprégner » des notions d’éthique et de déontologie. Dans une société en pleine mutation, Richard Malka, parrain de la promotion, a de son côté enjoint les futures robes noires à faire usage de leur liberté de parole. « Vous êtes les derniers à être libres ! » a-t-il assuré. Compte rendu.

 

 


Le 6 janvier, ils étaient 1 558 élèves-avocats à se presser, fiers et un peu impressionnés, aussi, devant les portes du Palais des congrès, place de la Porte Maillot, à l’occasion de leur rentrée solennelle. Après une précédente édition exceptionnellement en distanciel, c’est devant la cour d’appel de Paris délocalisée, comme le veut la tradition, que la promotion 2022-2023 de l’EFB, légèrement moins nombreuse que sa prédécesseure du fait d’un examen particulièrement redoutable, a prêté son « petit serment », main levée et masque sur le nez. À la lecture de la fameuse formule par le directeur de greffe, « Je jure de conserver le secret de tous les faits et actes dont j’aurai eu connaissance en cours de formation ou de stage », et au signal du Premier président, dans un grincement de fauteuils coordonné, une vague de timides « je le jure » a parcouru les rangs.

« C’est un moment important que vous vivez aujourd’hui, un moment fondateur, le début d’une longue et belle histoire professionnelle. Votre serment n’est pas encore celui de l’avocat, (...) mais il vous engage personnellement et moralement au secret professionnel, au-delà d’une simple obligation de confidentialité contractuellement prévue » a rappelé le Premier président de la Cour d’appel de Paris Jean-Michel Hayat. En écho, le procureur général Rémy Heitz n’a pas manqué de souligner que ce serment n’a de petit « que le nom ». « C’est votre premier serment, qualifié de “promissoire”, en ce qu’il comporte une promesse, un engagement fort. [Votre] unisson ne doit pas occulter le fait que ce serment vous engage individuellement, personnellement et très fortement. (...) Vous allez avoir accès à des informations d’une sensibilité particulière, qui mettent en cause des intérêts patrimoniaux parfois considérables, mais aussi et surtout l’honneur d’hommes et de femmes impliqués à un titre ou à un autre – victimes, auteurs – dans des procédures particulières. C’est la force de ce serment qui fondera la confiance de ceux qui se tourneront vers vous dans des moments souvent difficiles de leur vie. En vous, vos interlocuteurs verront des professionnels assermentés. (...) Le serment est donc un acte essentiel et profond. Ce n’est pas seulement une formalité, c’est un moment solennel, un rite de passage, le sésame qui va vous permettre de suivre pendant les 18 mois à venir la formation dispensée par l’EFB. »






Jean-Michel Hayat préside la cour d’appel délocalisée au Palais des Congrès

 

 


Top départ pour 18 mois

Pour les futurs avocats, cette formation – à distance jusqu’à nouvel ordre – sera composée de six mois à l’école, six mois au sein d’un cabinet d’avocat, mais aussi six mois dans une autre entité, au titre de leur « PPI » (projet pédagogique individuel). Un an et demi, « c’est à la fois long et court », a observé, lors de son intervention, le directeur de l’école, Gilles Accomando, venu succéder à Pierre Berlioz l’an dernier. « Long, certainement, pour vous qui êtes pressés de pouvoir exercer cette belle profession d’avocat. Court, car il convient de vous faire acquérir à la fois la connaissance des pratiques professionnelles de l’avocat, un savoir-faire et un savoir-être. Notre ambition est de vous préparer au mieux pour exercer le métier que vous avez choisi », a-t-il indiqué. 

Le chef d’établissement a assuré que l’enseignement dispensé à l’EFB permettrait d’explorer toutes les facettes de la profession, des moins glamour – tel le fonctionnement d’un cabinet d’avocat et les contraintes économiques liées à sa gestion – aux plus contemporaines : « Nous avons conscience que vous êtes les avocats de demain et qu’à ce titre, vous devez manier les banques de données, les outils d’intelligence artificielle. C’est ce que vous ferez au travers de notre Lab. » 

Gilles Accomando a par ailleurs insisté : la formation n’est pas simplement « destinée » aux élèves, ces derniers en seront les « acteurs », notamment en choisissant deux spécialités parmi plusieurs domaines de compétence, ou encore en participant à des exercices de mise en situation. À l’instar des « foisonnements », ces cas pratiques voués à la simulation d’un procès (des écritures aux plaidoiries), et de la Clinique Juridique, laquelle propose des consultations juridiques gratuites délivrées par des élèves supervisés par un avocat.

« Je n’ignore pas que la soif d’apprendre de l’avocat est essentiellement orientée vers les apprentissages professionnels (...) Mais il est tout aussi important de vous imprégner des vertus que sont l’éthique et la déontologie, notions essentielles qui devront vous accompagner tout au long de votre carrière », a, de son côté, nuancé Jean-Michel Hayat. Le Premier président a bien admis que ces deux concepts pouvaient, de prime abord, ne pas susciter de réel enthousiasme. « Pourtant, toutes les compétences opérationnelles ne suffiront pas si vous n’adoptez pas en toute occasion une attitude digne et probe, et si vous n’agissez pas avec indépendance en respectant éthique et déontologie. Prenez le temps de vous en imprégner, car elles émergent de plus en plus fortement dans nos vies professionnelles. » Un discours largement partagé par Rémy Heitz, pour lequel il s’agit même de deux matières « sans lesquelles on ne peut se prétendre auxiliaire de justice ». « Elles relèvent d’un état d’esprit, et c’est grâce à cet état d’esprit que vous serez crédibles auprès de vos interlocuteurs. La déontologie ne doit pas relever seulement d’une incantation, elle doit se vivre au quotidien. Les réflexes déontologiques seront pour vous une boussole qui vous guidera tout au long de votre exercice professionnel. » 

Pour sa part, la nouvelle bâtonnière de Paris Julie Couturier, présidente de l’EFB, a invité l’ensemble de la promotion à profiter pleinement de sa formation pour s’enrichir personnellement : « Vous allez développer une culture commune, des amitiés indéfectibles. Croyez-moi, on n’oublie jamais ces années-là, elles sont la signature d’une vie. » 18 mois qui, selon elle, pourront également être mis à profit pour réfléchir à l’avocat que chacun veut devenir. À ce titre, la bâtonnière a conseillé aux élèves-avocats de cultiver leur curiosité, leur ouverture d’esprit, leur créativité, afin de « nourrir » leurs « engagements ». « C’est de cette façon que vous deviendrez des avocats à part entière, et, je l'espère, des avocats heureux ! »

Mais au préalable, la promotion devra réussir le CAPA. Ce certificat d’aptitude à la profession d’avocat « se mérite », et « ne donne pas lieu à une délivrance automatique »a signalé Gilles Accomando, avant de se fendre d’un avertissement digne de tout chef d’établissement : « Ne négligez pas votre formation car vous pensez déjà à l’étape suivante ! »

 

 

« Nous sommes tous dans le même bateau » 

Cette audience solennelle était également l’occasion d’évoquer un sujet au cœur des préoccupations du monde judiciaire : les relations avocats-magistrats, parfois conflictuelles, comme l’illustre fréquemment l’actualité. « La crise sanitaire et les incompréhensions qu’elle a pu générer ont rendu plus que jamais nécessaire un partenariat vivant entre la magistrature et le barreau. (...) Ce qui nous rapproche et nous unit est bien plus important que ce qui nous divise », a ainsi martelé le Premier président. 

Jean-Michel Hayat s’est empressé à ce titre de se féliciter de la richesse des échanges noués « au quotidien avec les neuf bâtonniers du ressort de la cour d’appel de Paris »et de faire remarquer la « symbolique » dans le choix de confier la direction de l’ENM à l’avocate Nathalie Roret et la direction de l’EFB au magistrat Gilles Accomando. Des « signes forts » qui devraient permettre « de multiplier les formations en commun et une culture commune indispensable », a abondé Julie Couturier. La bâtonnière de Paris a répété son attachement fort à une relation harmonieuse entre les deux professions : « Nous sommes tous dans le même bateau, nous contribuons tous à la même œuvre. Il s’agit de travailler ensemble en bonne intelligence. » « Il n’est pas question de connivence », a appuyé Rémy Heitz, « mais d’écoute, de respect pour les missions, les fonctions et les contraintes des autres ». C’est dans ce sens que les premières Assises dédiées aux relations entre avocats, magistrats, greffiers et personnels de justice s’étaient tenues au Palais des congrès, fin 2019, avant de remettre le couvert en novembre 2021. Objectif : identifier les difficultés, renouer le dialogue et prendre un certain nombre d’engagements communs.

Pour apporter sa pierre à l’édifice d’une compréhension mutuelle, et alors que les auditeurs de justice, futurs magistrats, doivent effectuer un stage de trois mois en cabinet d’avocat, Jean-Michel Hayat a réaffirmé son souhait d’accueillir les futurs avocats à la cour d’appel et dans les juridictions du ressort afin de leur faire découvrir, de l'intérieur, le fonctionnement, l’organisation, les contraintes des différents services. Une possibilité dont les élèves ne se saisissent pas pleinement, à son goût. « Si je me réjouis du nombre considérable des 53 stages PPI offerts au sein des 8 pôles de la cour d’appel, les bras m’en tombent quand j’apprends que 20 postes sont toujours vacants ! » s’est-il indigné. « Chers élèves-avocats, c’est une opportunité exceptionnelle de découvrir le fonctionnement d’une chambre civile ou correctionnelle, la richesse des référés, les points qui font débat à l’issue de plaidoiries, les recherches de jurisprudence entreprises pour éviter la cassation, l’examen des pièces. C’est une chance qui ne se reproduira plus jamais ensuite que de découvrir comment les juges élaborent leurs décisions, de découvrir le mécanisme qui conduit à retenir une peine plutôt qu’une autre. Ces stages permettent une immersion complète. Un tel stage est un plus qui enrichira votre CV. »

D’autant que pour davantage impliquer les élèves et œuvrer au rapprochement des professions, le ministère de la Justice vient de valider une expérimentation, portée conjointement par le Premier président, l’association Droit et procédure et la professeure de droit Soraya Amrani Mekki, qui consiste à confier au stagiaire PPI le projet de rapport d’audience sous l’autorité du magistrat dans les affaires civiles, sociales et commerciales. Ce rapport sera transmis 15 jours avant l’audience, par RPVA, à tous les avocats des parties, et indiquera les points sur lesquels la juridiction souhaiterait bénéficier d’un éclairage complémentaire. « Ainsi la plaidoirie deviendra interactive, avec une formation de jugement préalablement éclairée sur les tenants du litige, à l’écoute des plaidoiries, conçues pour répondre aux interrogations de la juridiction. » Financée par le ministère de la Justice, cette expérimentation, si elle est une réussite, pourrait être étendue à d’autres ressorts. 

 

 

Être avocat dans un monde en mutation

Autre sujet phare de cette rentrée : exercer dans une société en pleine transformation. Le procureur Rémy Heitz a prévenu son auditoire : « Vous voilà à l’aube de votre vie professionnelle ! Vous allez connaître des mutations auxquelles vous devrez vous adapter. »

La nouvelle promotion arrive en effet dans la profession à un « moment charnière », a renchéri Julie Couturier. « Ces dernières années, nous avons connu de nombreux attentats meurtriers, la crise du Covid – qui perdure –, les confinements et les couvre-feux, les distances sanitaires et sociales qui nous éloignent les uns des autres. Nous avons connu la peur, accepté le repli sur soi qui l’accompagne souvent, le recul de l’État de droit, et développé une angoisse de l’autre, de l’inconnu, de l’imprévisible. Nous avons observé l'aspiration à toujours plus de sécurité s’installer dans nos conversations, dans nos vies », a énuméré la bâtonnière, qui s’est interrogée : quel rôle l’avocat doit-il jouer dans ce contexte ? Quelle voix doit-il porter ? avant de conclure qu’un avocat « ne peut exercer en planant au-dessus de ses concitoyens ». « Notre métier exige de regarder la réalité en face pour trouver des solutions. Dans une société de clivages, où tout est devenu blanc ou noir, faire le pari de la complexité du monde, de la raison plutôt que de l’émotion, du droit plutôt que la violence, n’est pas une chose aisée, mais c’est là que demeure la puissance de l’avocat : dans sa capacité à prendre toute sa place dans la cité, à débattre, à défendre des principes humanistes. » 

La présidente de l’EFB est convaincue que le meilleur conseil que l’on puisse donner à un futur avocat est de construire son indépendance. Une quête dans laquelle les élèves-avocats pourront compter sur le soutien de leur parrain, l’avocat de Charlie Hebdo, Richard Malka, spécialiste du droit de la presse, scénariste de bandes dessinées mais aussi romancier, que la bâtonnière a désigné en concertation avec le vice-bâtonnier Vincent Nioré. « Pour vous accompagner dans cette construction professionnelle et personnelle essentielle, il vous fallait un Pygmalion », a-t-elle assuré à la promotion, avant de s’adresser au principal intéressé : « Qui que tu défendes, c’est à chaque fois notre liberté d’être, de dessiner, d’écrire, de penser ce que nous voulons que tu protèges. Tu es l’un des rares avocats capables de faire l’éloge de l’irrévérence et de revendiquer le droit d’emmerder Dieu sans jamais sombrer dans l’attaque, sans jamais chercher à blesser. À l’époque que nous vivons, cela tient de l’exploit et je souhaite à nos jeunes confrères d’en être à leur tour capables demain. »

 

 

« C’est une profession qui change la vie… »

Visiblement ému face à ses 1 558 filleuls attentifs et curieux, Richard Malka a livré un véritable plaidoyer sous les traits d’une déclaration d’amour à sa profession, ponctué par les applaudissements nourris de « sa » promotion déjà sous le charme, à qui l’avocat a promis une vie professionnelle « exaltante » et « passionnante » bien que semée d’embûches – bref, « une odyssée ». Puisque le JSS ne saurait le paraphraser, voici ce discours ici reproduit dans sa majorité :

(...) Aujourd’hui, vous entrez dans une profession qui va vous changer profondément ; une de ces professions qui agit sur ce que l’on est, qui change votre ADN, que vous ne laisserez jamais derrière vous – on est avocat 24h/24 –, qui changera votre manière de penser, de vous exprimer, votre rapport au monde. Être avocat, bien plus qu’un métier, c’est une fonction, une mission sociale, quasi philosophique, démocratique, qui donne un sens à l’existence ! Je peux vous garantir que vous affronterez mille tempêtes, que vous traverserez des épreuves, que vous plongerez dans la souffrance de ceux que vous défendrez, que vous devrez apprendre à perdre, et ça, c’est une des leçons les plus douloureuses de la vie, mais une des plus utiles. Que vous aurez des horaires impossibles et des honoraires qui ne seront pas forcément en corrélation. Je peux vous garantir que cela fatiguera vos conjoints. Que vous serez assommés de travail, de responsabilités, de stress. Il n’y a pas un mois au cours de ces 31 années d’exercice où je ne me suis dit qu’il fallait être maso ou fou ou les deux pour s’imposer une telle pression. Je peux vous garantir que vous vous ferez mal, et qu’en plus de tout cela, vous serez réprouvés, incompris, attaqués, car vous serez aux côtés des pestiférés, et dans les dîners en ville, il arrivera que vous voyiez des regards réprobateurs, et même parfois vous serez attaqués par la presse car vous aurez défendu un pédophile, un violeur, un terroriste, un fasciste, un meurtrier, ou pire ! un banquier. Alors, je vous donne un truc : vous leur répondrez que vous, vous avez un superpouvoir, vous voyez l’humanité partout, même chez les monstres, car il en reste toujours. 





Richard Malka




C’est pour cette vie-là que vous êtes en train de signer : ce n’est pas une sinécure, ça ne fait que moyennement envie, mais il y a des contreparties. Vous allez vivre, à partir d’aujourd’hui, une odyssée. Vous n’imaginez pas la richesse émotionnelle, psychologique, intellectuelle, l’intensité, l’incandescence que vous apportera cette profession. Au début, vous serez noyés au milieu de tâches ingrates, des démarches, des formalités. Mais parfois, vous parviendrez à des moments de grâce, vous défendrez des causes auxquelles vous croyez plus que tout, vous sauverez des salariés ou des entreprises, vous créerez du droit, vous emmènerez des salles d’audience par la seule force de votre conviction, et ça, c’est magique, cela vaut tout, car il y a peu de choses qui procurent des émotions aussi fortes, un tel sentiment d’utilité. Vous aurez la chance de posséder une transcendance. 

C'est une profession qui change la vie, où chacun peut trouver sa place, car elle offre mille possibilités. Certains plaideront, d’autres pas. Certains rejoindront des multinationales du droit, quand d’autres exerceront de manière artisanale dans de micro-structures. 

C’est une profession où vous pourrez rester libres d’être ce que vous êtes ; où, lorsque l’on vient de nulle part comme c’est mon cas, que l’on n’a pas les codes, que l’on ne connaît personne, on peut réussir quand même. Je pense tout particulièrement à mon mentor Georges Kiejman, qui était le plus grand plaideur de sa génération, lui, le fils de concierge analphabète. Je pense aussi à Badinter, fils de fourreur, déporté, qui a eu la carrière que l’on sait. 

Vous avez de la chance, vous avez tous les possibles devant vous. Certains partiront avec plus d’atouts que d’autres, mais dans 5, 10, 15 ans, ce qui vous distinguera, ce sont vos qualités de cœur, vos qualités intellectuelles, vos qualités émotionnelles. Vous avez de la chance, car c’est un métier d’aventure et de combat qui ne connaît pas la routine. Chaque cas est différent, chaque audience est un duel et chaque enjeu sera essentiel pour vos clients. Vous avez de la chance, parce que c’est un métier noble : défendre, conseiller, c’est noble. Voilà probablement l’une des dernières professions de ce pays où l’on dispose d’une parole libre, et cela implique une seule obligation : en faire usage.

Vous avez devant vous une profession magique, merveilleuse. Vous allez rencontrer des confrères qui vous diront que c’est dur, que c’est bouché, que c’était mieux avant, que la confraternité se perd, que vous allez crouler sous les charges : tout cela est en partie vrai, mais ne les écoutez pas trop. C’est le plus beau métier du monde, un métier de passion. Je n’ai pas un seul instant regretté de l’avoir épousé, malgré toutes les épreuves traversées. Là où il faudra les écouter, c’est quand ils vous diront que le manque de moyens de la justice est notre calvaire à tous, et il faudra faire preuve d’une solidarité sans faille avec les autres professions judiciaires pour que cela cesse. 

Je vais vous révéler un grand secret qu'il m’a fallu du temps pour percer : peu importe que vous soyez doués ou non pour la parole. Ce n’est pas ça qui vous fera parvenir à l’excellence, à l’éloquence. Le secret, c’est à 90 % du travail, du travail, du travail, de l’oubli de soi. Le secret, c’est de vivre : aimez, soyez aimés, trompez, soyez trompés, ayez des peines, ayez des joies, soyez déprimés, soyez en colère, voyagez, lisez, vivez : c’est cela qui fera votre profondeur, et c’est votre profondeur qui fera votre éloquence, et peu importe si vous bafouillez. Soyez sincères, accumulez des expériences. Il faut du courage, car c’est la vertu cardinale, car sans courage, rien n’a de sens.

Vous serez souvent les derniers remparts des libertés, des libertés qui sont toujours menacées au nom du bien. Ceux qui veulent nous retirer nos libertés avancent toujours sous l’étendard du bien. Ne vous y trompez pas, il y a toujours de bonnes raisons d’abandonner nos libertés et notre État de droit ; d’abandonner la présomption d’innocence car il faut sacraliser certaines paroles ; d’abandonner la prescription au nom des victimes, la liberté d’expression car ça fait de la peine, le secret professionnel car le blanchiment ce n’est pas bien. Ces dernières années difficiles pour nos libertés, entre Covid et terrorisme, démontrent qu’il est compliqué de savoir où mettre le curseur, car il n’existe pas d’absolu non plus. La liberté n’est pas au-dessus de tout. Pour être libre, encore faut-il vivre… Chacun d’entre vous mettra le curseur où il voudra. Certains défendront des visions opposées, et c’est très bien ainsi. La seule chose que je vous demande, c’est d’exercer votre position critique, plutôt que de crier avec les loups. C’est d’avoir le courage de penser par vous-mêmes même si vous êtes seuls au monde. Votre métier ne consiste pas à être aimés ou compris : vous êtes au-dessus de cela, vous êtes les derniers à être libres, et pour le rester, il faut se moquer de l’opinion. Si vous vouliez être aimés, il fallait être fleuristes. (...) Bienvenue dans cette aventure exaltante, passionnante, qui fera de vous des piliers de la démocratie, des défenseurs de nos valeurs républicaines. Mettez toutes voiles dehors et partez à l’abordage d’une vie aussi riche qu’utile et éclatante. »

 

Bérengère Margaritelli

 

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