Notre chroniqueur Étienne
Madranges nous emmène avec lui cette semaine en Écosse, une terre qui s’appela
Calédonie, sur les pas d’un poète et romancier populaire auteur du célèbre
« Ivanhoé », grand défenseur de sa terre natale mais partisan
d’une entente raisonnée avec l’Angleterre, qui fut avocat mais aussi juge, et
qui remit à l’honneur le port du tartan et du kilt tout en façonnant une histoire
écossaise pleine de légendes et de mystères.
Walter Scott naît le 15 août
1771 dans une fratrie de 13 enfants à Édimbourg, capitale de l’Écosse. Son père
est avocat, ses grands-pères sont médecin et éleveur de moutons. A l’âge de 2
ans, atteint par la polio qui lui déforme une jambe, il se met à claudiquer.
Cela ne l’empêche pas de devenir un grand marcheur et un excellent cavalier, de
faire de longues randonnées de 20 à 30 kilomètres, de pratiquer l’escalade, de
prendre des bains de mer. Les vieilles chansons, les contes et légendes que lui
raconte sa grand-mère le sensibilisent à l’histoire de l’Écosse. Robin des
bois* et la forêt de Sherwood bercent son enfance. Les récits des soulèvements
jacobites l’inspirent.** Il étudie le latin, se passionne pour Tite Live et
Virgile, lit beaucoup et s’intéresse à la métaphysique.
Un avocat engagé
Il commence l’étude du droit à 16 ans, rédige une thèse en latin
sur l’élimination des corps des condamnés criminels (« De cadaveris
damnatorum ») et obtient à la Faculty of Advocates le diplôme
d’avocat en juillet 1792 lui permettant de succéder à son père, dans l’étude
duquel il entre comme clerc. Il plaide une dizaine d’affaires la première année
et perd son premier procès au cours duquel il défend un ministre ivre devant
l’assemblée générale de l’Église d’Écosse. Il lui arrive de plaider devant la
Chambre des Lords, la Cour de Session, la Haute Cour, et devant certaines
juridictions du premier degré.
En 1806, son titre et son
expérience d’avocat lui permettent d’être nommé Clerc Principal de Session (Principal
Clerk of Session), chargé de signer les actes de la « Court of
Session », cour civile suprême d’Écosse siégeant au Parlement
d’Edimbourg. Il écrit à son ami le poète George Ellis le 7 avril 1806 :
« le devoir est très simple, il consiste principalement à signer mon
nom… ma tâche est très facile car mon nom est très court ». Il va
jouer un rôle essentiel dans la redécouverte des insignes écossais (Honours
of Scotland). En effet, lors de l’Acte d’union entre l’Angleterre et l’Écosse
en 1707, la couronne, le sceptre et l’épée d’État écossais avaient été enfermés
dans un coffre et totalement oubliés. En 1818, Walter Scott aidé par des
officiers découvre au château d’Édimbourg un coffre en chêne contenant ces
insignes enveloppés dans un linge en lin. Scott est anobli et fait baronnet.
Juge et poète
Il écrit des odes, des
ballades, des sonnets, des élégies, s’adonne à quelques plaisirs que n’aurait
pas désavoué Bacchus. Il se porte volontaire pour rejoindre un régiment
constitué en vue de résister à une éventuelle invasion des Français qui ont
déclaré la guerre à la Grande Bretagne le 1er février 1793. Il se
marie en 1797 avec Charlotte Carpenter, qu’il trouve « attirante, mature
et sophistiquée », d’origine française (elle était la fille du Lyonnais
Jean-François Charpentier). Il s’intéresse au romantisme allemand.
En 1799, il est
nommé shérif adjoint du comté du Selkirkshire, c’est-à-dire juge
principal du comté, poste qui lui permet de passer
environ cinq mois de l’année dans les Scottish Borders (les Marches écossaises
situées au sud de l’Écosse) et qu’il occupera jusqu’à sa mort, se
contentant de juger les infractions pénales mineures. Il visite les châteaux et
les hautes terres d’Écosse.
Quelques-uns des châteaux écossais © Étienne Madranges
En 1805, il publie « Le
lai du dernier ménestrel » dans lequel il redonne à l’Écosse son nom
d’origine, ce nom de Caledonia que lui avaient donné les Romains : « Ô
Calédonie, fière et sauvage nourrice du génie poétique, terre de bruyères et de
forêts, terre de montagnes et de lacs, terre de mes pères, quelle main mortelle
pourrait rompre le lien filial qui m’attache à tes rochers ! Quand je revois
les lieux témoins de ma jeunesse, quand je songe à ce qu’ils furent, à ce
qu’ils sont, il me semble que, seul dans le monde, je n’ai plus d’autres amis
que tes bois et tes ruisseaux… ».
En 1810, il publie un poème
épique, « The Dame of the Lake » (La Dame du lac). L’intrigue
se déroule dans l’Écosse du XVIe siècle avec son folklore et ses
paysages pittoresques. Le héros est un noble écossais qui voyage dans les
Highlands et tombe amoureux d’une très belle femme. Une colombe, symbole de
pureté et d’espoir, vole au-dessus d’un lac et lui inspire des pensées de paix.
Mais il ne pourra pas se marier en raison du contexte politique.
Il écrit de nombreux
ouvrages, publie un roman tous les neuf mois, se fait connaitre comme poète
mais également historien, devient l’un des auteurs britanniques qui publie le
plus et s’associe avec son éditeur Archibald Constable. Son éclectisme le
pousse aussi à être chroniqueur et critique littéraire.
Il fait construire son manoir
d’Abbotsford à partir de 1816.
Le manoir de Walter Scott à Abbotsford (Écosse) © Étienne Madranges
Ivanhoé
Avec « Ivanhoé »,
publié en 1817, Walter Scott aborde la morale, s’intéresse à la misogynie et à
l’oppression raciale. Cet ouvrage lance la mode du roman historique. Les
historiens le considèrent comme une œuvre d’une grande modernité politique et
comme l’un des romans historiques les plus remarquables.
On y apprend qu’un simple
baron peut juger et condamner une sorcière arrêtée sur ses terres. On y
découvre que la langue de la cour d’Angleterre est le franco-normand, langue de
l’honneur, de la chevalerie et de la justice, et que l’anglo-saxon est la
langue des paysans. On y évoque les éperviers, faucons et lévriers. On y lit,
au chapitre XXIV, un formidable dialogue entre une jolie femme juive, Rebecca,
et un redoutable templier, Bois-Guilbert, qui brûle de la violer.
On y défend de façon
subliminale la réconciliation entre Anglais et Écossais. Scott est
conservateur, favorable au roi, et apparait à travers cet opus comme un fin
politique. L’action se déroule au XIIe siècle en Angleterre pendant
le règne de Richard Cœur de Lion. Le chevalier exilé Ivanhoé rentre au pays,
doit lutter contre les préjugés sociaux et participe à des tournois afin de
regagner l’estime de son père. Les conflits entre Saxons et Normands permettent
d’aborder les thèmes de loyauté, d’amour, d’honneur, et de décrire les tensions
politiques au moyen âge. On y évoque à deux reprises Saint Thomas Beckett,
assassiné en 1173 en plein cœur de la cathédrale de Canterbury.
La cathédrale de Canterbury (Angleterre) où fut assassiné Saint Thomas Beckett
© Étienne Madranges
Ce livre contribue à faire de
Scott l’écrivain le plus lu et le plus admiré de son époque, populaire bien
au-delà de la Grande Bretagne. Ainsi, il connaît un certain succès en France.
Gustave Flaubert l’évoque dans « Bouvard et Pécuchet » et le
cite trois fois dans « Madame Bovary » : « Elle
se retrouvait dans les lectures de sa jeunesse, en plein Walter Scott. Il lui
semblait entendre, à travers le brouillard, le son des cornemuses écossaises se
répéter sur les bruyères ». Lorsque l’avocat de Flaubert, le bâtonnier
Jules Sénart, le défendra contre le procureur Pinard qui le poursuit pour
outrage à la morale et aux bonnes mœurs devant le tribunal correctionnel à
Paris en 1857, il citera cet extrait évoquant Walter Scott. Victor Hugo loue
son talent : « Walter Scott a
su puiser aux sources de la nature et de la vérité un genre inconnu ».
En 1822, en sa qualité de
président de la Royal Society of Edinburgh, il organise la visite en Écosse
du roi George VI, poussant le détail jusqu’à spécifier la couleur des tartans.
Le roi en habit des Highlands porte un kilt très court. Le port du kilt, qui
avait été interdit par Londres, redevient autorisé.
Un écrivain sachant affronter
les difficultés
En 1826, peu après la
publication de son « Histoire de l’Écosse », son éditeur
Constable dont il est caution fait faillite. Le voilà contraint de payer une
somme considérable. Il refuse l’aide de proches et d’amis. Il refuse même
l’aide du professeur de harpe de sa fille qui lui propose toutes ses économies.
Il avoue : « C’est bien dur de perdre ainsi tous les travaux d’une vie
et d’être enfin devenu pauvre… Mais si Dieu m’accorde la santé et la force pour
quelques années de plus, je rachèterai tout cela ». Il redouble
d’acharnement au travail, écrit jour et nuit, et réussit à rembourser les
créanciers. Les droits d’auteur de sa « Vie de Napoléon »
l’aident à réduire sa dette.
Après avoir rencontré à Paris
le roi Charles X en 1826, il écrit en effet en 1827 une « Vie de
Napoléon » en neuf volumes, quelque peu pamphlétaire, qui soulève en
France des protestations véhémentes, notamment de la part des historiens.
Il continue à s’inspirer des
paysages des Highlands qu’il aime tant. Il aura en définitive réussi à recréer
l’histoire de « son » Écosse, « sa » Calédonie. Une
histoire pleine de mystères et de légendes dans une contrée fière de son
identité, une histoire où les paysages composés de collines, d’herbes sauvages
et de lochs sont prédominants, une histoire où la magie le dispute au
réel. Une Écosse authentique en toute simplicité mais une Écosse en majesté.
Paysages des Highlands (Écosse) parcourus par Walter Scott © Étienne Madranges
Un ami lui demande un
jour : « Quand trouvez-vous le temps de réfléchir ? ».
Scott, qui se lève chaque jour à 5 heures du matin et s’habille de façon simple
voire rustique, mais avec grand soin, lui répond : « Je mijote mes
idées une heure ou deux avant de me lever, puis, tout en m’habillant, j’arrange
dans ma tête mon projet de chapitre, et lorsque je suis en face de mon papier,
ma plume court toute seule ».
La bibliothèque du manoir d’Abbotsford où se réfugia Walter Scott pendant les
dernières années de sa vie © Étienne Madranges
Au moment de mourir entouré
de ses enfants le 21 septembre 1832, il dit à son gendre : « Soyez
homme de bien ».
Walter Scott ? Un
écrivain ainsi défini par l’historien Auguste Thierry : « Simple
romancier, Scott a porté sur l’histoire de son pays un coup d’œil plus ferme et
plus pénétrant que celui des historiens eux-mêmes ».
Mais surtout un poète, penseur
et homme politique, un mystique auquel le pape Jean-Paul 1er qui
n’occupa le trône de Saint Pierre que durant un mois rendit hommage avant de
mourir en 1978, regrettant mais écartant les « petites flèches »
presbytériennes du romancier contre l’Église catholique : « Honneur
à l’Ecossais !... Il reste le bien que vous avez fait ; il reste
votre vie exemplaire. Que restent donc aussi la louange et l’honneur ! Sir
Walter ! Je désire que les chrétiens et particulièrement les jeunes vous
entendent, vous suivent dans les régions sereines de l’esprit et de la
fantaisie dans lesquelles vous avez aimé vivre et faire vivre vos lecteurs. ».
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 220
* En anglais, Robin des
bois est Robin Hood. Le mot « hood » signifie capuche ou capuchon, donc
Robin est en réalité Robin à la capuche (plus rarement Robin le truand). Le
titre français Robin des bois résulte donc d’une erreur de traduction par
confusion entre Hood (capuche) et Wood (bois).
** les soulèvements jacobites sont des révoltes de rebelles au XVIIe
siècle tendant à ramener le roi Jacques Stuart sur le trône
Les 10 empreintes d’histoire précédentes :
• Quel avocat portant le kilt, baronnet adepte du tartan,
fut le père du romantisme écossais ? ;
• Quelles sont les curiosités de la salle d'audience de la chambre commerciale de la Cour de cassation ? ;
• Pourquoi Jules Verne se trouve-t-il devant le tribunal correctionnel en 1896 ? ;
• Comment Shakespeare, le barde anglais aux 39 pièces, aborde-t-il le thème de la résurrection ? ;
• Il avait conçu les écluses du canal de Panama, pourquoi Gustave Eiffel est-il incarcéré à la Conciergerie en 1893 ? ;
• Pourquoi l'archevêque de Paris et le premier président de la Cour de cassation par intérim ont-ils été fusillés le même jour ? ;
• Quel archichancelier "court-sur-pattes" ne fut jamais à court d'idées ? ;
• Pourquoi le Taj Mahal, monument de l'amour éternel, menacé par le chironomus calligraphus, est-il au cœur de procès à répétition ? ;
• Quel peintre lombard impulsif et ténébriste, sauvé de la prison par un ambassadeur de France, a fait d'une prostituée une vierge ? ;
• Quel écrivain, prix Nobel de littérature, est représenté la plupart du temps entouré de papillons jaunes ? ;