Le pilori, instrument de
justice quasi universel, a été utilisé pendant des siècles. Notre chroniqueur Étienne Madranges a puisé dans ses clichés pour en dresser ici un catalogue de
quelques exemples. Un certain nombre de lieux d’exposition publique des condamnés
ont survécu aux destructions et à l’urbanisation. Certains sont protégés par la
législation locale sur les monuments historiques et deviennent des objets de
visites touristiques sur lesquels s’attardent parfois les guides conférenciers
du patrimoine.
Stendhal dans « Le
rouge et le noir », évoquant Madame de Rênal, écrit : « Elle
était entraînée au hasard par des images contradictoires et douloureuses.
Tantôt, elle craignait de n’être pas aimée, tantôt l’affreuse idée du crime la
torturait, comme si le lendemain, elle eût dû être exposée au pilori, sur la
place publique de Verrières, avec un écriteau expliquant son adultère à la
populace ».
Une punition répandue
On croit souvent que
l’exposition au public des condamnés est une sanction médiévale, donc très
ancienne, et qu’elle a disparu avec les Lumières.
En 1810, Napoléon promulgue un
nouveau code pénal écrit par des esprits éclairés qui veulent une rupture avec
les survivances de l’Ancien régime et qui souhaitent une amélioration des
apports révolutionnaires. Et pourtant, on y trouve un article 22 qui
énonce : « Quiconque aura été condamné à l’une des peines des
travaux forcés à perpétuité, des travaux forcés à temps, ou de la réclusion,
avant de subir sa peine, sera attaché au carcan sur la place publique ; il
y demeurera exposé aux regards du peuple durant une heure ; au-dessus de
sa tête sera placé un écriteau portant, en caractères gros et lisibles, ses
noms, sa profession, son domicile, sa peine, et la cause de sa condamnation ».
L’article 20 du même code
punit en outre de la flétrissure sur la place publique tout condamné aux
travaux forcés à perpétuité, par l’application au fer chaud sur l’épaule d’une
empreinte composée des lettres T.P. (pour Travaux forcés à Perpétuité).
On trouve des piloris en
Europe et dans tous les territoires conquis ou occupés par les Européens. Mais
aussi presque partout dans le monde.
L’un des moyens de la haute
justice
Le pilori est l’une des
sanctions prononcées par les seigneurs et magistrats chargés de la haute
justice. Le côté infamant de la
punition permet d’humilier le condamné. Le juge transfère la sanction
au peuple ; il se contente d’ordonner l’exposition publique. Ce sont
ensuite les railleries, les crachats, les insultes, parfois des débuts de
lapidation qui viennent sanctionner le coupable. Le condamné doit porter une
mitre, qui n’a rien d’épiscopal, mais est un chapeau judiciaire pouvant porter
une inscription. Une mitre d’infamie donc, destinée à accroître la dérision.
Isabelle d’Artagnan, dans son
remarquable ouvrage « Le pilori au Moyen Âge dans l’espace français »,
écrit : « Le pilori est un instrument entièrement punitif, qui ne
connait pas le pardon ou la rédemption chrétienne. Le second but de
l’humiliation du condamné est de modifier sa personnalité juridique, voire son
identité sociale. L’exposition entame son capital social en le contraignant à
subir les moyens usuels du déshonneur, tels que les injures ou la souillure du
visage… Le condamné est renvoyé symboliquement au bas de l’échelle sociale
jusqu’à ce qu’il devienne un être considéré comme infâme ».
L’exposition des condamnés se
fait toujours le jour, jamais la nuit, et peut durer plusieurs jours. Les
historiens estiment qu’il y avait jadis en définitive assez peu de
condamnations à l’exposition publique.
Trois piloris en France, à gauche à Iseste (Pyrénées Atlantiques), datant de
1682 au rare décor armorié, au centre à Aubry-du-Hainaut (Nord), à droite à
l’entrée de Wangen (Bas-Rhin) avec son anneau et sa chaîne de cou. © Étienne Madranges. Photos extraites du livre de
l’auteur « Les palais de justice de France » (Ed. LexisNexis)
Trois piloris à l’étranger : à gauche sur la grand’place de Mariana dans
la région du Minas Gerais au Brésil (on remarque la présence du sabre et de la
balance), au milieu à Zadar en Croatie, à droite à Kotor au Monténégro. © Étienne Madranges
Lorsque le pilori est à
lanterne, ou lanterneau, le condamné s’installe à genoux dans la lanterne, qui,
dans certains cas, peut tourner. Le pilori est parfois appelé échelle
patibulaire, tantôt parce qu’il a une forme d’échelle, mais plus couramment
parce qu’une échelle permet au condamné d’accéder à la plateforme d’exposition.
Le pilori à lanterneau de Wroclaw, en Pologne (ancienne ville allemande de
Breslau) sur l’historique place du marché et, en insertion à gauche, le pilori
de Braine-le-Château (Belgique), lui aussi avec une lanterne permettant d’y
placer le condamné… une certaine similitude alors qu’il y a 1100 km entre les
deux sites ! © Étienne Madranges
Le pilori a parfois été
remplacé par le carcan.
A gauche le carcan du château de Mauvezin (Hautes-Pyrénées) © jnlafargue.
À droite un carcan particulier en forme
d’instrument de torture exposé au château de Bran (Roumanie). © Étienne
Madranges
Des cages sur un clocher
En 1530, à Münster
(Allemagne), un prince-évêque très puissant règne sur cette riche cité de
Westphalie. Son pouvoir est cependant contesté par les protestants captivés par
les prêches d’un prédicateur talentueux. Celui-ci se convertit à l’anabaptisme
et rejoint le chef des anabaptistes qui définit Münster comme la « nouvelle
Jérusalem ». Le prince-évêque organise la résistance et, en 1535, son
armée prend le dessus. Les responsables anabaptistes sont torturés et occis. On
décide alors d’exposer leurs cadavres dans des cages accrochées au clocher de
l’église Saint Lambert. L’exposition dure jusqu’à ce qu’il ne reste plus que
des ossements. Ces cages sont toujours visibles (illustration).
Les cages accrochées au clocher de l’église Saint Lambert à Munster (Allemagne)
dans lesquelles furent exposés les corps des chefs anabaptistes en 1536, sont toujours
visibles. © Étienne Madranges
Une expression courante
« Mettre au pilori »,
« clouer au pilori » sont des expressions très usitées. Au XIXe
siècle, un journal prend le titre de « Le pilori ».
Journal « Le Pilori du 21 juin 1848 consacré au procureur général André
Dupin. © DR
Victor Hugo, mentionne à 45
reprises le pilori dans « Notre Dame de Paris », par exemple
en évoquant la Place de Grève : « … Il faut dire qu’un gibet et un
pilori permanents, une justice et une échelle, comme on disait alors, dressés
côte à côte au milieu du pavé, ne contribuaient pas peu à faire détourner les
yeux de cette place fatale, où tant d’êtres pleins de santé et de vie ont
agonisé… ».
Il existe dans certaines
communes une rue de l’Échelle, qui renvoie à la présence d’un pilori dans le
passé.
D’autres cités insistent sur
la présence d’un pilori comme élément important du décor, comme à
Castelnau-de-Montmiral (illustration ci-après), bastide albigeoise préservée, classée
parmi les plus beaux villages de France.
Le pilori de Castelnau-de-Montmiral (Tarn). © Étienne
Madranges
Les fourches patibulaires
Les fourches patibulaires
(expression toujours utilisée au pluriel) sont un gibet composé de colonnes et
de poutres ou traverses posées sur ces colonnes. Les condamnés à mort étaient
pendus à la poutre transversale après leur confession et leur exécution. Leurs
corps étaient dévorés par les oiseaux et autres animaux.
Les cadavres étaient parfois
jetés dans un champ voisin, d’où l’intitulé de « champ pourri »
dans certains territoires.
Le nombre de colonnes
dépendait de l’importance du seigneur local et de l’étendue de sa
circonscription de haute justice. Dans certaines cités, comme à Draguignan, un
gibet particulier était réservé aux Juifs.
Les lieux utilisés étaient la
plupart du temps situés en hauteur, sur une colline ou un tertre par exemple,
afin que les corps soient vus de loin. De nombreuses villes ont des lieudits
appelés « la justice » qui témoignent de la présence de
fourches patibulaires dans le passé.
Les fourches patibulaires de Brélès (Finistère) dépendant de la baronnie de
Kergroadez, restaurées par la municipalité de Plourin (Finistère) ; le seigneur de Kergroadez avait droit à 4 piliers. ©
Étienne Madranges. Photos extraites du livre de l’auteur « Les palais
de justice de France » (Ed. LexisNexis)
Elles étaient très
réglementées sous l’Ancien Régime.
On trouve dans « les
Œuvres de Maître Jean Bacquet, avocat du Roy en la Chambre du Trésor »,
ouvrage de droit publié en 1744, au chapitre IX : « En cet endroit
convient entendre combien que les hauts-justiciers aient ordinairement fourches
patibulaires, à deux, trois, ou quatre piliers, tant pour signe et marque de
leur haute-justice, que pour l’exécution d’icelle : toutefois lesdits
hauts-justiciers ne peuvent, sans le congé du Roy, entériné par le juge royal,
de nouveau faire ériger et bâtir fourches patibulaires, au-dedans des fins et
limites de leur haute-justice. Pareillement ne peuvent de leur autorité privée faire
relever, redresser et réédifier les fourches patibulaires anciennement bâties
par eux, ou leurs prédécesseurs, sinon dans l’an et jour qu’elles sont tombées
ou ont été abattues…. Ce qui a été dit des fourches patibulaires doit être
observé pour les piloris, poteaux à mettre carcans, lesquels ne peuvent être de
nouveau plantés ni après l’an et jour de la chute d’iceux relevés et plantés
par les seigneurs hauts-justiciers… On tient que les hauts-justiciers ne
peuvent avoir pilori en la ville en laquelle le Roy a pilori… Il convient entendre
que les fourches patibulaires se doivent ériger selon la coutume des lieux… Les
Comtes peuvent ériger fourches patibulaires à six piliers, les Barons peuvent
avoir quatre piliers, les Châtelains peuvent avoir justice patibulaire à deux
piliers… ».
Le tribunal médiatique, ou le
pilori contemporain
Désormais, presse et réseaux
sociaux ont inventé le nouveau pilori. La dénonciation, l’exposition publique,
l’humiliation résultent d’accusations, d’écrits, d’affirmations, de témoignages
avant tout procès digne de ce nom. Nicolas Hulot, Patrick Poivre d’Arvor,
Gérard Depardieu, pour ne citer que trois exemples emblématiques, ont subi le
pilori pré-judiciaire.
On expose à la vindicte
publique non plus les condamnés mais les soupçonnés, présumés innocents de
surcroit.
L’abbé Pierre est, lui,
définitivement condamné à la peine maximale. Sans jugement. Mais à juste titre ?
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 237