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EMPREINTES D'HISTOIRE. L'exposition au public des condamnés était-elle courante autrefois ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. L'exposition au public des condamnés était-elle courante autrefois ?
Pilori monolithe, centre du village de Guane dans les Andes (Colombie). (c) Étienne Madranges
Publié le 06/10/2024 à 07:00

Le pilori, instrument de justice quasi universel, a été utilisé pendant des siècles. Notre chroniqueur Étienne Madranges a puisé dans ses clichés pour en dresser ici un catalogue de quelques exemples. Un certain nombre de lieux d’exposition publique des condamnés ont survécu aux destructions et à l’urbanisation. Certains sont protégés par la législation locale sur les monuments historiques et deviennent des objets de visites touristiques sur lesquels s’attardent parfois les guides conférenciers du patrimoine.


Stendhal dans « Le rouge et le noir », évoquant Madame de Rênal, écrit : « Elle était entraînée au hasard par des images contradictoires et douloureuses. Tantôt, elle craignait de n’être pas aimée, tantôt l’affreuse idée du crime la torturait, comme si le lendemain, elle eût dû être exposée au pilori, sur la place publique de Verrières, avec un écriteau expliquant son adultère à la populace ».

Une punition répandue

On croit souvent que l’exposition au public des condamnés est une sanction médiévale, donc très ancienne, et qu’elle a disparu avec les Lumières.

En 1810, Napoléon promulgue un nouveau code pénal écrit par des esprits éclairés qui veulent une rupture avec les survivances de l’Ancien régime et qui souhaitent une amélioration des apports révolutionnaires. Et pourtant, on y trouve un article 22 qui énonce : « Quiconque aura été condamné à l’une des peines des travaux forcés à perpétuité, des travaux forcés à temps, ou de la réclusion, avant de subir sa peine, sera attaché au carcan sur la place publique ; il y demeurera exposé aux regards du peuple durant une heure ; au-dessus de sa tête sera placé un écriteau portant, en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine, et la cause de sa condamnation ».

L’article 20 du même code punit en outre de la flétrissure sur la place publique tout condamné aux travaux forcés à perpétuité, par l’application au fer chaud sur l’épaule d’une empreinte composée des lettres T.P. (pour Travaux forcés à Perpétuité).

On trouve des piloris en Europe et dans tous les territoires conquis ou occupés par les Européens. Mais aussi presque partout dans le monde.

L’un des moyens de la haute justice

Le pilori est l’une des sanctions prononcées par les seigneurs et magistrats chargés de la haute justice. Le côté infamant de la punition permet d’humilier le condamné. Le juge transfère la sanction au peuple ; il se contente d’ordonner l’exposition publique. Ce sont ensuite les railleries, les crachats, les insultes, parfois des débuts de lapidation qui viennent sanctionner le coupable. Le condamné doit porter une mitre, qui n’a rien d’épiscopal, mais est un chapeau judiciaire pouvant porter une inscription. Une mitre d’infamie donc, destinée à accroître la dérision.

Isabelle d’Artagnan, dans son remarquable ouvrage « Le pilori au Moyen Âge dans l’espace français », écrit : « Le pilori est un instrument entièrement punitif, qui ne connait pas le pardon ou la rédemption chrétienne. Le second but de l’humiliation du condamné est de modifier sa personnalité juridique, voire son identité sociale. L’exposition entame son capital social en le contraignant à subir les moyens usuels du déshonneur, tels que les injures ou la souillure du visage… Le condamné est renvoyé symboliquement au bas de l’échelle sociale jusqu’à ce qu’il devienne un être considéré comme infâme ».

L’exposition des condamnés se fait toujours le jour, jamais la nuit, et peut durer plusieurs jours. Les historiens estiment qu’il y avait jadis en définitive assez peu de condamnations à l’exposition publique.


Trois piloris en France, à gauche à Iseste (Pyrénées Atlantiques), datant de 1682 au rare décor armorié, au centre à Aubry-du-Hainaut (Nord), à droite à l’entrée de Wangen (Bas-Rhin) avec son anneau et sa chaîne de cou
. © Étienne Madranges. Photos extraites du livre de l’auteur « Les palais de justice de France » (Ed. LexisNexis)


Trois piloris à l’étranger : à gauche sur la grand’place de Mariana dans la région du Minas Gerais au Brésil (on remarque la présence du sabre et de la balance), au milieu à Zadar en Croatie, à droite à Kotor au Monténégro
. © Étienne Madranges

Lorsque le pilori est à lanterne, ou lanterneau, le condamné s’installe à genoux dans la lanterne, qui, dans certains cas, peut tourner. Le pilori est parfois appelé échelle patibulaire, tantôt parce qu’il a une forme d’échelle, mais plus couramment parce qu’une échelle permet au condamné d’accéder à la plateforme d’exposition.


Le pilori à lanterneau de Wroclaw, en Pologne (ancienne ville allemande de Breslau) sur l’historique place du marché et, en insertion à gauche, le pilori de Braine-le-Château (Belgique), lui aussi avec une lanterne permettant d’y placer le condamné… une certaine similitude alors qu’il y a 1100 km entre les deux sites ! © Étienne Madranges

Le pilori a parfois été remplacé par le carcan.


A gauche le carcan du château de Mauvezin (Hautes-Pyrénées)
© jnlafargue.
À droite un carcan particulier en forme d’instrument de torture exposé au château de Bran (Roumanie). © Étienne Madranges

Des cages sur un clocher

En 1530, à Münster (Allemagne), un prince-évêque très puissant règne sur cette riche cité de Westphalie. Son pouvoir est cependant contesté par les protestants captivés par les prêches d’un prédicateur talentueux. Celui-ci se convertit à l’anabaptisme et rejoint le chef des anabaptistes qui définit Münster comme la « nouvelle Jérusalem ». Le prince-évêque organise la résistance et, en 1535, son armée prend le dessus. Les responsables anabaptistes sont torturés et occis. On décide alors d’exposer leurs cadavres dans des cages accrochées au clocher de l’église Saint Lambert. L’exposition dure jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des ossements. Ces cages sont toujours visibles (illustration).


Les cages accrochées au clocher de l’église Saint Lambert à Munster (Allemagne) dans lesquelles furent exposés les corps des chefs anabaptistes en 1536, sont toujours visibles. ©
Étienne Madranges

Une expression courante

« Mettre au pilori », « clouer au pilori » sont des expressions très usitées. Au XIXe siècle, un journal prend le titre de « Le pilori ».


Journal « Le Pilori du 21 juin 1848 consacré au procureur général André Dupin. © DR

Victor Hugo, mentionne à 45 reprises le pilori dans « Notre Dame de Paris », par exemple en évoquant la Place de Grève : « … Il faut dire qu’un gibet et un pilori permanents, une justice et une échelle, comme on disait alors, dressés côte à côte au milieu du pavé, ne contribuaient pas peu à faire détourner les yeux de cette place fatale, où tant d’êtres pleins de santé et de vie ont agonisé… ».

Il existe dans certaines communes une rue de l’Échelle, qui renvoie à la présence d’un pilori dans le passé.

D’autres cités insistent sur la présence d’un pilori comme élément important du décor, comme à Castelnau-de-Montmiral (illustration ci-après), bastide albigeoise préservée, classée parmi les plus beaux villages de France.


Le pilori de Castelnau-de-Montmiral (Tarn).
© Étienne Madranges

Les fourches patibulaires

Les fourches patibulaires (expression toujours utilisée au pluriel) sont un gibet composé de colonnes et de poutres ou traverses posées sur ces colonnes. Les condamnés à mort étaient pendus à la poutre transversale après leur confession et leur exécution. Leurs corps étaient dévorés par les oiseaux et autres animaux.

Les cadavres étaient parfois jetés dans un champ voisin, d’où l’intitulé de « champ pourri » dans certains territoires.

Le nombre de colonnes dépendait de l’importance du seigneur local et de l’étendue de sa circonscription de haute justice. Dans certaines cités, comme à Draguignan, un gibet particulier était réservé aux Juifs.

Les lieux utilisés étaient la plupart du temps situés en hauteur, sur une colline ou un tertre par exemple, afin que les corps soient vus de loin. De nombreuses villes ont des lieudits appelés « la justice » qui témoignent de la présence de fourches patibulaires dans le passé.


Les fourches patibulaires de Brélès (Finistère) dépendant de la baronnie de Kergroadez, restaurées par la municipalité de Plourin (Finistère)
 ; le seigneur de Kergroadez avait droit à 4 piliers. © Étienne Madranges. Photos extraites du livre de l’auteur « Les palais de justice de France » (Ed. LexisNexis)

Elles étaient très réglementées sous l’Ancien Régime.

On trouve dans « les Œuvres de Maître Jean Bacquet, avocat du Roy en la Chambre du Trésor », ouvrage de droit publié en 1744, au chapitre IX : « En cet endroit convient entendre combien que les hauts-justiciers aient ordinairement fourches patibulaires, à deux, trois, ou quatre piliers, tant pour signe et marque de leur haute-justice, que pour l’exécution d’icelle : toutefois lesdits hauts-justiciers ne peuvent, sans le congé du Roy, entériné par le juge royal, de nouveau faire ériger et bâtir fourches patibulaires, au-dedans des fins et limites de leur haute-justice. Pareillement ne peuvent de leur autorité privée faire relever, redresser et réédifier les fourches patibulaires anciennement bâties par eux, ou leurs prédécesseurs, sinon dans l’an et jour qu’elles sont tombées ou ont été abattues…. Ce qui a été dit des fourches patibulaires doit être observé pour les piloris, poteaux à mettre carcans, lesquels ne peuvent être de nouveau plantés ni après l’an et jour de la chute d’iceux relevés et plantés par les seigneurs hauts-justiciers… On tient que les hauts-justiciers ne peuvent avoir pilori en la ville en laquelle le Roy a pilori… Il convient entendre que les fourches patibulaires se doivent ériger selon la coutume des lieux… Les Comtes peuvent ériger fourches patibulaires à six piliers, les Barons peuvent avoir quatre piliers, les Châtelains peuvent avoir justice patibulaire à deux piliers… ».

Le tribunal médiatique, ou le pilori contemporain

Désormais, presse et réseaux sociaux ont inventé le nouveau pilori. La dénonciation, l’exposition publique, l’humiliation résultent d’accusations, d’écrits, d’affirmations, de témoignages avant tout procès digne de ce nom. Nicolas Hulot, Patrick Poivre d’Arvor, Gérard Depardieu, pour ne citer que trois exemples emblématiques, ont subi le pilori pré-judiciaire.

On expose à la vindicte publique non plus les condamnés mais les soupçonnés, présumés innocents de surcroit.

L’abbé Pierre est, lui, définitivement condamné à la peine maximale. Sans jugement. Mais à juste titre ?

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 237

Les 10 empreintes d’histoire précédentes :


L'exposition au public des condamnés était-elle courante autrefois ? ;

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