EMPREINTES D'HISTOIRE. Cette semaine, notre
chroniqueur revient sur l’affaire de la statue de Saint-Michel installée en
Vendée par la municipalité des Sables-d'Olonne devant une église Saint-Michel
sur une parcelle communale. Une affaire qui a mobilisé les journalistes de presse
écrite et télévisée, qui a fait intervenir et même déplacer des personnages
politiques, et qui a fait travailler les juges. Une polémique qui a amené un
archange à se mouvoir de quelques mètres.
Un tribunal administratif,
une cour d’appel administrative puis le Conseil d'état. Il a fallu des
juridictions unanimes pour décider que l’Archange Michel n’avait pas droit de
cité sur le domaine public dès lors qu’on l’y installait au XXIe
siècle.
Dans un pays, la France, où
62 communes portent le nom de Saint-Michel ! Dans un pays où l’un des
sites les plus visités par les touristes du monde entier s’appelle… le mont
Saint-Michel ! Dans un pays dont la capitale offre un point de rencontre
incontournable intitulé… Place Saint-Michel !
Une statue familière
récupérée
C’est l’histoire toute simple
d’une statue en bronze conçue en 1935 qui orne la cour d’une école privée
vendéenne pendant 80 ans. Une école Saint-Michel devenue école Saint-Elme. En
Vendée, aux Sables-d'Olonne. Une école dont les locaux sont voués à la destruction
en raison de son transfert. Bien qu’érigée dans un lieu scolaire privé, la
statue de Saint-Michel devient au fil des ans un élément du patrimoine visuel
et historique de la cité sablaise. Lors de la destruction des locaux scolaires,
elle est entreposée dans les ateliers municipaux.
En 2018, afin de conserver et
de mettre en valeur cet emblème local, la municipalité décide de sauver
l’Archange et de l’installer devant l’église Saint-Michel de la commune… sur la
place Saint-Michel. L’église, construite en 1909, n’est pas un bien
communal. C’est un édifice privé appartenant au diocèse de Luçon. La place
Saint-Michel appartient quant à elle au domaine public.
La volonté d’un maire, d’une
municipalité et d’une population
Le conseil municipal vote en
2018 à l’unanimité la décision d’implanter Michel devant l’église et sur la
place éponyme. Quelques rarissimes protestataires s’inquiètent au nom de la
laïcité, s’étonnant que des responsables publics en ignorent les règles élémentaires.
La statue est néanmoins boulonnée sur un socle devant l’église lors d’une
manifestation au cours de laquelle un prêtre procède à une bénédiction.
En 2019, les protestataires,
confrontés à la décision du maire refusant en décembre 2018 d’enlever Michel,
décident d’engager un recours devant la juridiction administrative afin
d’exiger le retrait de la statue du domaine public.
En 2022, la population est
invitée à s’exprimer. Des milliers de Sablais se sentent concernés. Près de
4000 habitants, soit plus de 94% des votants s’étant déplacés, plébiscitent,
pour la statue… le statu quo.
Le maire qualifie la statue
« d’emblème d’un quartier, figure de proue du patrimoine local »,
qui est, selon l’édile, « parfaitement inoffensive, reconnue par des
gens qui croient et qui ne croient pas… ».
Les Sablais et leurs élus
apparaissent ainsi quasi unanimes pour défendre « leur » ange. Il
faut dire que les Sablais ont pour coutume de défendre toutes leurs
traditions*, qui ne se résument pas à la consommation de mogettes et de
produits de la mer tels le bar ou la sardine, ou encore de préfou, de flan
maraîchin et de gâche vendéenne.
Le recours gagnant d’une
association laïque offensive
Les dirigeants de
l’association vendéenne « La Libre Pensée », représentation départementale
de la Fédération nationale de « La Libre Pensée » (laquelle
revendique environ 4000 membres en France et a compté parmi ses membres Anatole
France, Édouard Herriot, Jean Rostand ou encore le syndicaliste Marc Blondel),
exigent du maire dès 2019 le retrait de la statue. L’objet de l’association est
sans ambiguïté :
« La Libre Pensée
ayant pour principe la tolérance mutuelle, le respect des autres et de
soi-même, la liberté absolue de conscience, elle se refuse à toute affirmation
dogmatique. La Fédération de la Libre Pensée de Vendée travaille à
l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social
de l'humanité : elle lutte contre l'influence des enseignements privés et
confessionnels ou patronaux générateurs d'obscurantisme, d'injustice sociale.
Elle défend la laïcité ».
Les requérants s’appuient sur
l’application stricte de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 dite de
séparation des Églises et de l’État qui énonce : « Il est
interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux
sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à
l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les
cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».
En décembre 2021, le tribunal
administratif de Nantes, se fondant sur cet article 28, enjoint au maire de
retirer la statue du domaine public communal dans un délai de 6 mois. La
commune fait appel. Les débats ne portent pas seulement sur l’aspect religieux
de la statue mais également sur le côté esthétique d’une œuvre d’art.
En septembre 2022, la cour
administrative d’appel de Nantes confirme la décision du tribunal. La cour,
faisant référence au premier article de la Constitution de 1958 (« la
France est une république laïque ») énonce en particulier : « Saint-Michel, chef
de la milice céleste des anges du Bien selon la religion abrahamique, est
souvent représenté au moment de la fin des temps, l'Apocalypse et la fondation
du Royaume de Dieu, en chevalier terrassant le diable, il est désigné comme saint par
l'Église orthodoxe et par l'Église catholique et, depuis avril 2017, il est
également le saint patron de la Cité du Vatican en raison de la
consécration du pape François et selon le vœu du pape émérite Benoît XVI. Une
statue représentant l'archange Saint-Michel fait ainsi partie de
l'iconographie chrétienne et, de ce fait, présente un caractère religieux ».
Un recours devant le Conseil
d'état ne prospère pas. La municipalité doit donc enlever Michel de la place
Saint-Michel.
Un Archange finalement
déplacé de quelques mètres : fin d’une polémique
La presse locale et nationale
suit de près l’évolution de la situation, régulièrement qualifiée de
Clochemerle, en référence au roman publié en 1934 par Gabriel Chevallier
(traduit en 26 langues) situant à Clochemerle-en-Beaujolais une querelle liée à
l’installation d’une vespasienne près d’une église afin de mettre en difficulté
la baronne Alphonsine de Courtebiche.
Devant l’obstination de la
ville et de ses élus à conserver la statue à proximité de l’église
Saint-Michel, et dans le souci de calmer les passions, une solution a été
trouvée. La ville a vendu pour 3000 euros le 5 juin 2023 à la suite d’un vote
unanime du conseil municipal une parcelle de terrain de 53 mètres carrés à la
paroisse, en réalité au diocèse de Luçon, afin d’améliorer l’accès de l’édifice
aux personnes à mobilité réduite. Sur cette minuscule portion de place
désormais privée, la statue a pu finalement être définitivement érigée et
boulonnée, à un endroit non utilisé par la rampe d’accès. Après avoir parcouru…
13 mètres ! Permettant aux Sablais de sabler… le champagne ! Et au
curé-doyen de protéger d’une nouvelle bénédiction la figure allégorique
préservée.

La statue de Saint-Michel définitivement et légalement installée devant
l’église Saint-Michel des Sables-d'Olonne. © Coll. Archives municipales des
Sables-d'Olonne
Tout ça pour ça… Vote d’élus,
vote d’habitants, dossiers d’avocats, pétitions et registres de signatures,
déplacements de foules, appels aux dons, campagnes de presse, années de
procédure, heures d’audience…
Saint-Michel, un sujet
uniquement religieux ?
À l’origine, Michel est un
ange ou un personnage céleste important dans les religions monothéistes.
La Bible chrétienne le
mentionne tant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau Testament.
Dans ce dernier, Jean écrit
dans l’Apocalypse au verset 7 du chapitre 12 : « Et il y eut la
guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon ».
La Bible hébraïque comprend
parmi les « Ketuvim » (« Hagiographes ») un
« Livre de Daniel » dans lequel on trouve au premier verset du
chapitre 12 : « En ce temps-là, Mikhaël, le prince supérieur, qui
a mission de protéger les enfants de ton peuple, sera à son poste ; et ce sera
un temps de détresse tel qu'on n'en aura pas vu depuis qu'existent des nations
jusque-là. En ce temps-là, la délivrance viendra pour ton peuple, pour tous
ceux qui se trouvent inscrits dans le livre ».
Environ 1500 ans après
l’écriture de la Bible, au VIIe siècle de notre ère, le Coran, qui
reprend et glorifie de nombreux personnages bibliques, qualifie Michel
d’« envoyé de Dieu » au verset 98 de la sourate 2.
À l’évidence, Saint-Michel
est bien au départ un personnage religieux, souvent vénéré, donnant son nom à
des églises, des monastères, des écoles religieuses, saint patron de la France
sous l’Ancien Régime, plus récemment de la Cité du Vatican. Pour les chrétiens,
son rôle de gardien du paradis, chargé de la psychostasie (la pesée des âmes),
en fait un personnage très important.
Mais l’Archange est également
devenu un repère géographique. Outre les 62 communes éponymes, les rues,
places, impasses portant le nom de Saint-Michel sont innombrables en France. Il
est devenu le « patron » des parachutistes. Les militaires croyants
et non-croyants l’honorent comme protecteur. À l’époque de la polémique
sablaise, le maire est lui-même un ancien parachutiste.
A Forcalquier, il a inspiré
en 1511 un statuaire particulièrement fantaisiste, bien loin du respect dû aux
choses de la religion, en prenant pour prétexte la lutte contre les vices.

La fontaine Saint-Michel au cœur de la cité de Forcalquier
(Alpes-de-Haute-Provence), qui illustre la lutte contre les vices, n’est guère
un symbole religieux tel qu’on peut l’imaginer ! © Étienne Madranges
À Montpellier, la médaille
officielle de la ville remise aux citoyens d’honneur montre… une Vierge assise
avec l’Enfant sur ses genoux. Personne ne s’en offusque. À Marseille, la
« Bonne Mère » est incontournable dans le cœur des Marseillais :
est-elle pour autant un symbole religieux ? N’est-elle pas plutôt un signe
de ralliement, une protectrice virtuelle, une référence ? Il en va de même
pour l’Archange Michel, qui n’est plus guère un symbole religieux, mais un
personnage de l’histoire, vrai pour les uns, fictif et légendaire pour les
autres.
Pour ne prendre qu’un
exemple, on peut se rendre dans la petite commune de Le Falgoux, à 930 mètres
d’altitude, dans le Cantal, non loin du Puy Mary. L’église y a été construite
en 1909. Après la Première Guerre mondiale, un vitrail original y a été installé :
il représente Georges Clemenceau, « le Père la Victoire »,
sous les traits de l’Archange Michel terrassant… l’empereur Guillaume II qui en
perd son casque à pointe (illustration ci-après). Un vitrail tout à la fois
religieux et civil !

Le vitrail de l’église de Le Falgoux (Cantal) ; Saint-Michel y figure sous
les traits de Georges Clemenceau terrassant l’empereur germanique moustachu qui
en perd son casque à pointe © Étienne Madranges
Certaines figures a priori
religieuses deviennent aussi des éléments de la mémoire collective.
La récente restauration de la
cathédrale Notre-Dame de Paris a mis en lumière qu’un édifice religieux pouvait
avant tout, dans une République parfaitement laïque, être un symbole
incontournable de l’histoire de France, au cœur de la politique de la nation.
En 1905, la loi de séparation fut votée dans l’urgence dans un contexte
violemment anticlérical, dans un souci vengeur et confiscatoire.
Il serait peut-être temps de
considérer que, dans un pays qui a eu des siècles de tradition chrétienne et
qui accepte toutes les croyances, un pays dont 4500 communes portent le nom
d’un saint ou d’une sainte, qui laisse une croix au sommet de son Panthéon
civil à Paris et qui maintient 6 fêtes religieuses sur les 11 fêtes légales
fériées, certains symboles liés aux Écritures perdent leur caractère religieux
lorsqu’ils ne sont liés à aucun prosélytisme pour demeurer, pour l’éternité, de
simples œuvres d’art ou des éléments forts du patrimoine culturel.
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 244

* Parmi les Sablais
défenseurs des traditions, on compte le magistrat André Dechezelles, né aux
Sables-d'Olonne en 1909 (décédé en 1997), président de la Cour de sûreté de
l’État, premier président de la Cour d’appel de Paris.