CULTURE

Pourquoi l'Archange Michel est-il un symbole religieux dont les juges peuvent interdire l'exposition sur le domaine public ?

Pourquoi l'Archange Michel est-il un symbole religieux dont les juges peuvent interdire l'exposition sur le domaine public ?
L'Archange Michel de la fontaine Saint-Michel à Paris. (c) Étienne Madranges
Publié le 16/02/2025 à 07:00
EMPREINTES D'HISTOIRE. Cette semaine, notre chroniqueur revient sur l’affaire de la statue de Saint-Michel installée en Vendée par la municipalité des Sables-d'Olonne devant une église Saint-Michel sur une parcelle communale. Une affaire qui a mobilisé les journalistes de presse écrite et télévisée, qui a fait intervenir et même déplacer des personnages politiques, et qui a fait travailler les juges. Une polémique qui a amené un archange à se mouvoir de quelques mètres.


Un tribunal administratif, une cour d’appel administrative puis le Conseil d'état. Il a fallu des juridictions unanimes pour décider que l’Archange Michel n’avait pas droit de cité sur le domaine public dès lors qu’on l’y installait au XXIe siècle.

Dans un pays, la France, où 62 communes portent le nom de Saint-Michel ! Dans un pays où l’un des sites les plus visités par les touristes du monde entier s’appelle… le mont Saint-Michel ! Dans un pays dont la capitale offre un point de rencontre incontournable intitulé… Place Saint-Michel !

Une statue familière récupérée

C’est l’histoire toute simple d’une statue en bronze conçue en 1935 qui orne la cour d’une école privée vendéenne pendant 80 ans. Une école Saint-Michel devenue école Saint-Elme. En Vendée, aux Sables-d'Olonne. Une école dont les locaux sont voués à la destruction en raison de son transfert. Bien qu’érigée dans un lieu scolaire privé, la statue de Saint-Michel devient au fil des ans un élément du patrimoine visuel et historique de la cité sablaise. Lors de la destruction des locaux scolaires, elle est entreposée dans les ateliers municipaux.

En 2018, afin de conserver et de mettre en valeur cet emblème local, la municipalité décide de sauver l’Archange et de l’installer devant l’église Saint-Michel de la commune… sur la place Saint-Michel. L’église, construite en 1909, n’est pas un bien communal. C’est un édifice privé appartenant au diocèse de Luçon. La place Saint-Michel appartient quant à elle au domaine public.

La volonté d’un maire, d’une municipalité et d’une population

Le conseil municipal vote en 2018 à l’unanimité la décision d’implanter Michel devant l’église et sur la place éponyme. Quelques rarissimes protestataires s’inquiètent au nom de la laïcité, s’étonnant que des responsables publics en ignorent les règles élémentaires. La statue est néanmoins boulonnée sur un socle devant l’église lors d’une manifestation au cours de laquelle un prêtre procède à une bénédiction.

En 2019, les protestataires, confrontés à la décision du maire refusant en décembre 2018 d’enlever Michel, décident d’engager un recours devant la juridiction administrative afin d’exiger le retrait de la statue du domaine public.

En 2022, la population est invitée à s’exprimer. Des milliers de Sablais se sentent concernés. Près de 4000 habitants, soit plus de 94% des votants s’étant déplacés, plébiscitent, pour la statue… le statu quo.

Le maire qualifie la statue « d’emblème d’un quartier, figure de proue du patrimoine local », qui est, selon l’édile, « parfaitement inoffensive, reconnue par des gens qui croient et qui ne croient pas… ».

Les Sablais et leurs élus apparaissent ainsi quasi unanimes pour défendre « leur » ange. Il faut dire que les Sablais ont pour coutume de défendre toutes leurs traditions*, qui ne se résument pas à la consommation de mogettes et de produits de la mer tels le bar ou la sardine, ou encore de préfou, de flan maraîchin et de gâche vendéenne.

Le recours gagnant d’une association laïque offensive

Les dirigeants de l’association vendéenne « La Libre Pensée », représentation départementale de la Fédération nationale de « La Libre Pensée » (laquelle revendique environ 4000 membres en France et a compté parmi ses membres Anatole France, Édouard Herriot, Jean Rostand ou encore le syndicaliste Marc Blondel), exigent du maire dès 2019 le retrait de la statue. L’objet de l’association est sans ambiguïté :

« La Libre Pensée ayant pour principe la tolérance mutuelle, le respect des autres et de soi-même, la liberté absolue de conscience, elle se refuse à toute affirmation dogmatique. La Fédération de la Libre Pensée de Vendée travaille à l'amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l'humanité : elle lutte contre l'influence des enseignements privés et confessionnels ou patronaux générateurs d'obscurantisme, d'injustice sociale. Elle défend la laïcité ». 

Les requérants s’appuient sur l’application stricte de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des Églises et de l’État qui énonce : « Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions ».

En décembre 2021, le tribunal administratif de Nantes, se fondant sur cet article 28, enjoint au maire de retirer la statue du domaine public communal dans un délai de 6 mois. La commune fait appel. Les débats ne portent pas seulement sur l’aspect religieux de la statue mais également sur le côté esthétique d’une œuvre d’art.

En septembre 2022, la cour administrative d’appel de Nantes confirme la décision du tribunal. La cour, faisant référence au premier article de la Constitution de 1958 (« la France est une république laïque ») énonce en particulier : « Saint-Michel, chef de la milice céleste des anges du Bien selon la religion abrahamique, est souvent représenté au moment de la fin des temps, l'Apocalypse et la fondation du Royaume de Dieu, en chevalier terrassant le diable, il est désigné comme saint par l'Église orthodoxe et par l'Église catholique et, depuis avril 2017, il est également le saint patron de la Cité du Vatican en raison de la consécration du pape François et selon le vœu du pape émérite Benoît XVI. Une statue représentant l'archange Saint-Michel fait ainsi partie de l'iconographie chrétienne et, de ce fait, présente un caractère religieux ».

Un recours devant le Conseil d'état ne prospère pas. La municipalité doit donc enlever Michel de la place Saint-Michel.

Un Archange finalement déplacé de quelques mètres : fin d’une polémique

La presse locale et nationale suit de près l’évolution de la situation, régulièrement qualifiée de Clochemerle, en référence au roman publié en 1934 par Gabriel Chevallier (traduit en 26 langues) situant à Clochemerle-en-Beaujolais une querelle liée à l’installation d’une vespasienne près d’une église afin de mettre en difficulté la baronne Alphonsine de Courtebiche.

Devant l’obstination de la ville et de ses élus à conserver la statue à proximité de l’église Saint-Michel, et dans le souci de calmer les passions, une solution a été trouvée. La ville a vendu pour 3000 euros le 5 juin 2023 à la suite d’un vote unanime du conseil municipal une parcelle de terrain de 53 mètres carrés à la paroisse, en réalité au diocèse de Luçon, afin d’améliorer l’accès de l’édifice aux personnes à mobilité réduite. Sur cette minuscule portion de place désormais privée, la statue a pu finalement être définitivement érigée et boulonnée, à un endroit non utilisé par la rampe d’accès. Après avoir parcouru… 13 mètres ! Permettant aux Sablais de sabler… le champagne ! Et au curé-doyen de protéger d’une nouvelle bénédiction la figure allégorique préservée.


La statue de Saint-Michel définitivement et légalement installée devant l’église Saint-Michel des Sables-d'Olonne. © Coll. Archives municipales des Sables-d'Olonne

Tout ça pour ça… Vote d’élus, vote d’habitants, dossiers d’avocats, pétitions et registres de signatures, déplacements de foules, appels aux dons, campagnes de presse, années de procédure, heures d’audience…

Saint-Michel, un sujet uniquement religieux ?

À l’origine, Michel est un ange ou un personnage céleste important dans les religions monothéistes.

La Bible chrétienne le mentionne tant dans l’Ancien Testament que dans le Nouveau Testament.

Dans ce dernier, Jean écrit dans l’Apocalypse au verset 7 du chapitre 12 : « Et il y eut la guerre dans le ciel. Michel et ses anges combattirent contre le dragon ».

La Bible hébraïque comprend parmi les « Ketuvim » (« Hagiographes ») un « Livre de Daniel » dans lequel on trouve au premier verset du chapitre 12 : « En ce temps-là, Mikhaël, le prince supérieur, qui a mission de protéger les enfants de ton peuple, sera à son poste ; et ce sera un temps de détresse tel qu'on n'en aura pas vu depuis qu'existent des nations jusque-là. En ce temps-là, la délivrance viendra pour ton peuple, pour tous ceux qui se trouvent inscrits dans le livre ».

Environ 1500 ans après l’écriture de la Bible, au VIIe siècle de notre ère, le Coran, qui reprend et glorifie de nombreux personnages bibliques, qualifie Michel d’« envoyé de Dieu » au verset 98 de la sourate 2.

À l’évidence, Saint-Michel est bien au départ un personnage religieux, souvent vénéré, donnant son nom à des églises, des monastères, des écoles religieuses, saint patron de la France sous l’Ancien Régime, plus récemment de la Cité du Vatican. Pour les chrétiens, son rôle de gardien du paradis, chargé de la psychostasie (la pesée des âmes), en fait un personnage très important.

Mais l’Archange est également devenu un repère géographique. Outre les 62 communes éponymes, les rues, places, impasses portant le nom de Saint-Michel sont innombrables en France. Il est devenu le « patron » des parachutistes. Les militaires croyants et non-croyants l’honorent comme protecteur. À l’époque de la polémique sablaise, le maire est lui-même un ancien parachutiste.

A Forcalquier, il a inspiré en 1511 un statuaire particulièrement fantaisiste, bien loin du respect dû aux choses de la religion, en prenant pour prétexte la lutte contre les vices.


La fontaine Saint-Michel au cœur de la cité de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence), qui illustre la lutte contre les vices, n’est guère un symbole religieux tel qu’on peut l’imaginer ! © Étienne Madranges

À Montpellier, la médaille officielle de la ville remise aux citoyens d’honneur montre… une Vierge assise avec l’Enfant sur ses genoux. Personne ne s’en offusque. À Marseille, la « Bonne Mère » est incontournable dans le cœur des Marseillais : est-elle pour autant un symbole religieux ? N’est-elle pas plutôt un signe de ralliement, une protectrice virtuelle, une référence ? Il en va de même pour l’Archange Michel, qui n’est plus guère un symbole religieux, mais un personnage de l’histoire, vrai pour les uns, fictif et légendaire pour les autres.

Pour ne prendre qu’un exemple, on peut se rendre dans la petite commune de Le Falgoux, à 930 mètres d’altitude, dans le Cantal, non loin du Puy Mary. L’église y a été construite en 1909. Après la Première Guerre mondiale, un vitrail original y a été installé : il représente Georges Clemenceau, « le Père la Victoire », sous les traits de l’Archange Michel terrassant… l’empereur Guillaume II qui en perd son casque à pointe (illustration ci-après). Un vitrail tout à la fois religieux et civil !


Le vitrail de l’église de Le Falgoux (Cantal) ; Saint-Michel y figure sous les traits de Georges Clemenceau terrassant l’empereur germanique moustachu qui en perd son casque à pointe
© Étienne Madranges

Certaines figures a priori religieuses deviennent aussi des éléments de la mémoire collective.

La récente restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris a mis en lumière qu’un édifice religieux pouvait avant tout, dans une République parfaitement laïque, être un symbole incontournable de l’histoire de France, au cœur de la politique de la nation. En 1905, la loi de séparation fut votée dans l’urgence dans un contexte violemment anticlérical, dans un souci vengeur et confiscatoire.

Il serait peut-être temps de considérer que, dans un pays qui a eu des siècles de tradition chrétienne et qui accepte toutes les croyances, un pays dont 4500 communes portent le nom d’un saint ou d’une sainte, qui laisse une croix au sommet de son Panthéon civil à Paris et qui maintient 6 fêtes religieuses sur les 11 fêtes légales fériées, certains symboles liés aux Écritures perdent leur caractère religieux lorsqu’ils ne sont liés à aucun prosélytisme pour demeurer, pour l’éternité, de simples œuvres d’art ou des éléments forts du patrimoine culturel.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 244

* Parmi les Sablais défenseurs des traditions, on compte le magistrat André Dechezelles, né aux Sables-d'Olonne en 1909 (décédé en 1997), président de la Cour de sûreté de l’État, premier président de la Cour d’appel de Paris.

 10 empreintes d’histoire précédentes :



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