Notre chroniqueur Étienne Madranges nous a fait visiter, dans de précédentes chroniques, la Grand’Chambre et la chambre commerciale de la Cour de cassation*, révélant quelques secrets des décors de ces salles historiques. Il nous emmène cette fois-ci dans la cour d’assises de Paris au décor tout à fait original. Pendant la seconde guerre mondiale et l’occupation, un jeune peintre y a réalisé une fresque de 60 m2 intéressante en prenant quelques libertés avec la réalité historique.
On l’appelle désormais la
salle Voltaire. C’est la cour d’assises du palais de justice de Paris,
construite au XIXe siècle, autrefois appelée cour d’assises de la
Seine.
Des procès célèbres s’y sont
déroulés. Y ont ainsi été condamnés l’anarchiste Ravachol lors de son premier
procès, le docteur Petiot pour ses 27 assassinats, Paul Gorguloff, assassin du
président de la République Paul Doumer, Violette Nozière ou encore Pierre
Goldman lors de son premier procès. Y ont été acquittés les protagonistes
d’affaires célèbres comme Madame Steinheil, Madame Caillaux ou encore Raoul
Villain, assassin de Jean Jaurès.
Ce lieu judiciaire
emblématique n’a pas connu certains autres grands procès. Dreyfus a été jugé
par un conseil de guerre à l’extérieur du palais. Mata Hari a été jugée au
palais par un conseil de guerre dans une petite pièce sombre. Pétain a été jugé
dans la première chambre de la cour d’appel. Les plus grands avocats du XXe
siècle y ont plaidé avec emphase et ferveur. De grands magistrats s’y
sont employés à faire émerger la vérité.
En 1941, l’État, représenté
par la préfecture de police de Paris, confie à un jeune peintre de talent,
Henri Pelletier, dans le cadre d’une commande publique, la mission de décorer
cette salle d’assises en prenant un thème ayant un rapport avec Henri IV, car
il est prévu d’y installer deux tableaux représentant ce roi populaire.
Le peintre choisit de
représenter un lit de justice de Louis XIII enfant, en 1610, tenu au lendemain
de l’assassinat de son père Henri IV, avec Marie de Médicis, les magistrats du
Parlement, les pairs de France, le chancelier, le duc d’Épernon, le duc de
Guise… au total plus de 70 personnes.
Le peintre réalise en 1941 et
1942 une maquette et met plus de 6 mois pour finaliser sa fresque de 60 m2,
cherchant à créer un chatoiement de couleurs, dont l’écarlate. Ne disposant pas
d’un échafaudage, il utilise une échelle qu’il déplace au fur et à mesure de
l’avancement de ses travaux. Il continue à travailler le matin pendant les
sessions de la cour d’assises, adaptant ses horaires.

La fresque d’Henri Pelletier peut désormais difficilement être photographiée en
entier en raison de la présence du box vitré destiné aux accusés ainsi que d’un
écran TV. © Étienne Madranges
Quand un haquet donne le
hoquet à la monarchie
Le 14 mai 1610, le roi Henri
IV quitte le Louvre afin de se rendre au domicile de Sully en carrosse,
accompagné de plusieurs grands officiers.
Sur le trajet, la course est
tout à coup entravée par la présence d’un haquet qui bloque la circulation. Un
haquet est une petite voiture hippomobile qui transporte des tonneaux.
Cet arrêt soudain du carrosse
royal fournit à François Ravaillac, qui a des intentions régicides,
l’opportunité de passer à l’acte. Ravaillac se précipite à la portière et
assène trois coups de couteau, dont l’un mortel. Henri IV, dont l’aorte a été
sectionnée, expire sur le champ.
Immédiatement informée du
décès de son époux, la reine Marie de Médicis décide de convoquer sans délai un
lit de justice avec les pairs de France et l’ensemble des membres du Parlement.
Elle choisit de l’organiser non pas au palais de la cité, dans la Grand’Chambre
du Parlement, mais au couvent des grands Augustins, situé à proximité du
palais. Elle veut non seulement présenter officiellement son fils, âgé de 8 ans
et demi, comme le nouveau roi, mais aussi s’imposer comme régente du royaume,
d’autant qu’Henri IV n’a pas rédigé de testament.
Un lit dans un couvent
Le couvent des grands
Augustins, créé en 1578 par Henri III à Paris sur la rive gauche de la Seine,
abritait l’ordre du Saint-Esprit fondé par Henri III en 1579. Le chœur de son
église, plus grand que la nef, et ses grandes salles, pouvaient accueillir d’imposantes
assemblées, la chambre des comptes, les états généraux, le Parlement en
certaines occasions. Les confréries des couteliers et des fourbisseurs
(armuriers) y siégeaient.
Le 15 mai 1610, quelques
heures seulement après le décès d’Henri IV, Marie de Médicis, le chancelier du
royaume, le duc d’Épernon, le duc de Guise et les Grands du royaume, le premier
président Achille de Harlay et les membres du Parlement se retrouvent donc,
après une messe matinale, assemblés dans l’immense chœur de l’église du couvent
des grands Augustins afin de permettre au jeune Louis XIII de tenir le premier
lit de justice de son règne.
L’affaire n’est pas simple
car le roi est mineur et aucun roi avant lui ne s’est présenté en public avant
les funérailles de son prédécesseur. Sully lui-même est hostile à
l’opération : « Je sentois une extrême répugnance pour ce qu’on
exigeait de moi. Il fallut pourtant encore avoir cette complaisance… ».
Plusieurs évêques protestent, mais se rallient. La difficulté est bien d’ordre
juridique : un roi mineur qui n’est ni consacré ni couronné peut-il tenir
un lit de justice ?
Marie de Médicis, confortée
par le duc d’Épernon qui se fait menaçant à l’égard des membres du Parlement,
veut à tout prix légitimer sa régence. Le chancelier Nicolas Brûlart de Sillery
calme les frondeurs, évoquant la nécessaire continuité de la royauté et la
volonté du défunt Henri IV exprimée oralement.
Le lit de justice peut dès
lors se dérouler dans le calme.
Le jeune roi récite un texte
appris par cœur : « Messieurs, il a plu à Dieu d'appeler à soi
notre bon roi, mon seigneur et père. Je suis demeuré votre roi, comme son fils,
par les lois du royaume. J'espère que Dieu me fera la grâce d'imiter ses vertus
et de suivre les bons conseils de mes bons serviteurs. Monsieur le Chancelier
vous dira le reste ».
Finalement, contraints plus
que convaincus, les magistrats du Parlement adoptent un arrêt déclarant la
reine mère régente « pour avoir soin de l’éducation et de la nourriture
de sa personne et l’administration des affaires de son royaume pendant son bas
âge ». Marie de Médicis obtient ainsi les pleins pouvoirs.
C’est ce lit de justice que
le peintre Henri Pelletier reproduit en 1941 et 1942 sur le mur de la cour
d’assises de la Seine. Mais il prend quelques libertés avec l’histoire de
France.
Un lieu et un décor erronés
Pour réaliser sa fresque, le
peintre s’inspire d’une part de documents anciens et d’autre part, surtout,
d’une gravure d’époque conservée aux archives nationales. Il transpose dans la
Grand’Chambre du palais de la cité la scène qui s’est déroulée en réalité dans
le couvent des grands Augustins.

À gauche, une gravure du 17e siècle, conservée aux archives
nationales, montrant le lit de justice tenu par le jeune Louis XIII le 15 mai
1610 au lendemain de la mort de son père ; À droite, la partie centrale de
la fresque de Pelletier dans la salle de la cour d’assises de Paris. © Étienne
Madranges
Il commet de ce fait
plusieurs erreurs. Tout d’abord, une erreur de lieu, puisque le lit de justice
de 1610 ne s’est pas déroulé au palais de la cité, dans la Grand’ Chambre.
Ensuite, une erreur de décor concernant la présence d’une crucifixion (n° 6 sur
l’illustration ci-dessus), découlant de l’erreur de lieu. Sur la gravure figure
une crucifixion qui était accrochée au mur du chœur de l’église du couvent des
grands Augustins et qui était bien présente le 15 mai 1610. Dans sa fresque,
Pelletier insère le célèbre « retable du Parlement », crucifixion
réalisée au XVe siècle, qui est restée au palais de la cité pendant
4 siècles, a échappé à ses quatre incendies majeurs, et a fini au Louvre en
1904 (où il est toujours visible). Ce tableau n’était donc pas présent lors du
lit de justice. Il se trouvait dans la Grand’ Chambre. Pelletier est allé le
recopier au Louvre.
Sur la gravure, le jeune roi
(n° 1 de l’illustration) est assis sur un trône sous un dais, porteur d’habits
de deuil. Pelletier le représente sur un coussin moelleux. On ne peut
s’empêcher de faire un parallèle avec la crèche de Noël des chrétiens et Jésus,
nouveau roi, avec Marie sa mère. Ici, la reine, à genoux (n° 2 de
l’illustration), se prénomme Marie, n’est pas vraiment en robe de deuil, et on
accueille bien en 1610 un nouveau roi.
Les tribunes, sortes de
guichets ou loggias, balcons intérieurs sur lesquels se pressaient les dames de
la Cour (n° 8), existaient bien dans la Grand’ Chambre du Parlement, au palais
de la cité et étaient connues, car reproduites dans diverses gravures du XVIIe
siècle. Mais il n’y en avait pas au couvent des grands Augustins lors du lit de
justice.
Par ailleurs, les armes
royales figurant au-dessus du roi (n° 7) ne présentent que le seul grand
collier de l’ordre du Saint-Esprit créé par Henri III. Or, il était toujours
associé au collier de l’ordre de Saint-Michel fondé par Louis XI. Les deux
grands colliers étaient, au XVIIe siècle, indissociables dans le
décor. Pelletier insère à tort à plusieurs endroits le « L » de Louis
alors que les décors royaux et les meubles portent encore le « H » de
Henri.
Le peintre reproduit
cependant avec précision la présence du chancelier garde des Sceaux, Nicolas
Brûlart de Sillery (n° 5 de l’illustration), le premier président du Parlement
Achille 1er de Harlay (n° 4, sous le chiffre 4) et le duc d’Épernon
avec sa fraise godronnée et son épée (n° 3) ; il n’oublie pas les
hallebardiers chargés de la sécurité, porteurs de leur arme de hast polyvalente
comportant en haut de la hampe une pointe de lance, un fer de hache et un bec
de corbin. On croit déceler une pertuisane à gauche de la fresque.
Sans doute peint-il François
de Bourbon, prince de Conti, cousin du défunt roi Henri IV, qui, malgré son
handicap, était présent, mais il est impossible de le situer.

Détail de la fresque : en faux trompe-l'œil, deux fenêtres de la Grand’
Chambre du Parlement… Ni la cathédrale Notre-Dame ni la Sainte-Chapelle, ici
reproduites, n’étaient visibles dans la réalité à travers ces baies. © Étienne
Madranges
Henri Pelletier croît utile,
pour enrichir le décor et les symboles, d’insérer une vue de Notre-Dame et de
la Sainte-Chapelle derrière les fenêtres de la Grand’ Chambre. Or, ces deux
monuments n’étaient absolument pas visibles depuis la salle historique longtemps
désignée sous le vocable de « chambre dorée », décorée à la
demande du roi Louis XII par l’artiste italien Fra Giocondo, transformée par
les révolutionnaires en « salle de la Liberté » en 1793,
incendiée par les communards en 1871, reconstruite ensuite, affectée à la Cour
de cassation puis au tribunal puis à la Cour de cassation.

Trois chiens, symboles de la fidélité au roi, des grands du royaume et des
magistrats du Parlement, insérés dans le décor de la fresque. © Étienne
Madranges
Il ajoute trois chiens dans
le décor, s’inspirant du retable du Parlement où figure un chien, symbole de la
fidélité du Parlement au roi.

Henri Pelletier au travail sur le mur de la cour d’assises ; clichés
conservés dans les archives de la préfecture de police de Paris ; à
droite, un cliché Safara du journal Le Matin de 1942. © DR
Une date erronée
Le peintre signe son œuvre à
deux reprises, et réalise son autoportrait en utilisant l’un des personnages à
gauche de son décor. La date de 1945 figure en bas à droite de la fresque.
Or, cette date est fausse. À
la fin de la seconde guerre mondiale, on a cherché à effacer tout ce qui
pouvait être issu de la période vichyste. C’est ainsi qu’il a été décidé de ne
pas retenir la date de 1942 correspondant à la réalisation effective de la
fresque, mais d’y substituer la date de 1945 moins connotée !

Autoportrait du peintre à gauche de la fresque et les deux signatures de
l’artiste avec la date erronée de 1945 insérée après la fin de seconde guerre
mondiale afin d’éviter toute connotation avec le régime de Vichy. © Étienne Madranges
Une presse plutôt
enthousiaste
En 1941 et 1942, les
journalistes sont autorisés à venir voir le peintre travailler.
Dans le « Cri du
Peuple » du 3 septembre 1941, le journaliste André Miramas, admiratif,
évoque « un morceau de bravoure » et conclut, après avoir
relaté dans le détail les circonstances du lit de justice de 1610 :
« souhaitons que cet exemple soit suivi et que le palais de justice
soit bientôt orné de peintures murales qui retraceront les grandes dates de son
histoire ».
Le 19 mai 1942, un reporter
du journal « La France socialiste », venu assister à un procès
criminel, semble approuver la fresque et écrit : « Le gris des
cuirasses tranche agréablement avec le rouge framboise de Messieurs ».
Mais il s’interroge sur la volonté du ministre de la Justice de rétablir dans
la salle des assises la présence du Christ de Bonnat, en dépôt au Petit Palais,
qu’il qualifie de « galiléen crucifié », et d’ajouter deux
tableaux évoquant le roi Henri IV. Caustique, il conclut ainsi son
article : « C'est ainsi que la révolution nationale affirme ses
tendances rénovatrices et s’engage avec courage sur des chemins nouveaux. Cela
viendra sans doute quand on rétablira la question, le pilori, la roue et le
gibet ».
La salle d’assises historique
n’est pas un lieu qui se visite souvent. Elle est toutefois accessible lors des
procès criminels, sauf en cas d'huis clos. En raison de l’originalité de son
décor et du caractère étonnant de sa fresque murale, elle pourrait utilement
être intégrée dans les circuits de visite du palais de la Cité lorsque les
mesures de sécurité le permettent.
Étienne
Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 242

* Voir les chroniques n°
193 et 219 dans nos précédentes éditions.