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EMPREINTES D'HISTOIRE. Pourquoi le décor de la cour d'assises historique de Paris est-il singulier ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. Pourquoi le décor de la cour d'assises historique de Paris est-il singulier ?
Salle Voltaire du palais de justice de Paris et sa gigantesque fresque murale. (c) Étienne Madranges
Publié le 02/02/2025 à 07:00
Notre chroniqueur Étienne Madranges nous a fait visiter, dans de précédentes chroniques, la Grand’Chambre et la chambre commerciale de la Cour de cassation*, révélant quelques secrets des décors de ces salles historiques. Il nous emmène cette fois-ci dans la cour d’assises de Paris au décor tout à fait original. Pendant la seconde guerre mondiale et l’occupation, un jeune peintre y a réalisé une fresque de 60 m2 intéressante en prenant quelques libertés avec la réalité historique.

On l’appelle désormais la salle Voltaire. C’est la cour d’assises du palais de justice de Paris, construite au XIXe siècle, autrefois appelée cour d’assises de la Seine.

Des procès célèbres s’y sont déroulés. Y ont ainsi été condamnés l’anarchiste Ravachol lors de son premier procès, le docteur Petiot pour ses 27 assassinats, Paul Gorguloff, assassin du président de la République Paul Doumer, Violette Nozière ou encore Pierre Goldman lors de son premier procès. Y ont été acquittés les protagonistes d’affaires célèbres comme Madame Steinheil, Madame Caillaux ou encore Raoul Villain, assassin de Jean Jaurès.

Ce lieu judiciaire emblématique n’a pas connu certains autres grands procès. Dreyfus a été jugé par un conseil de guerre à l’extérieur du palais. Mata Hari a été jugée au palais par un conseil de guerre dans une petite pièce sombre. Pétain a été jugé dans la première chambre de la cour d’appel. Les plus grands avocats du XXe siècle y ont plaidé avec emphase et ferveur. De grands magistrats s’y sont employés à faire émerger la vérité.

En 1941, l’État, représenté par la préfecture de police de Paris, confie à un jeune peintre de talent, Henri Pelletier, dans le cadre d’une commande publique, la mission de décorer cette salle d’assises en prenant un thème ayant un rapport avec Henri IV, car il est prévu d’y installer deux tableaux représentant ce roi populaire.

Le peintre choisit de représenter un lit de justice de Louis XIII enfant, en 1610, tenu au lendemain de l’assassinat de son père Henri IV, avec Marie de Médicis, les magistrats du Parlement, les pairs de France, le chancelier, le duc d’Épernon, le duc de Guise… au total plus de 70 personnes.

Le peintre réalise en 1941 et 1942 une maquette et met plus de 6 mois pour finaliser sa fresque de 60 m2, cherchant à créer un chatoiement de couleurs, dont l’écarlate. Ne disposant pas d’un échafaudage, il utilise une échelle qu’il déplace au fur et à mesure de l’avancement de ses travaux. Il continue à travailler le matin pendant les sessions de la cour d’assises, adaptant ses horaires.


La fresque d’Henri Pelletier peut désormais difficilement être photographiée en entier en raison de la présence du box vitré destiné aux accusés ainsi que d’un écran TV. © Étienne Madranges

Quand un haquet donne le hoquet à la monarchie

Le 14 mai 1610, le roi Henri IV quitte le Louvre afin de se rendre au domicile de Sully en carrosse, accompagné de plusieurs grands officiers.

Sur le trajet, la course est tout à coup entravée par la présence d’un haquet qui bloque la circulation. Un haquet est une petite voiture hippomobile qui transporte des tonneaux.

Cet arrêt soudain du carrosse royal fournit à François Ravaillac, qui a des intentions régicides, l’opportunité de passer à l’acte. Ravaillac se précipite à la portière et assène trois coups de couteau, dont l’un mortel. Henri IV, dont l’aorte a été sectionnée, expire sur le champ.

Immédiatement informée du décès de son époux, la reine Marie de Médicis décide de convoquer sans délai un lit de justice avec les pairs de France et l’ensemble des membres du Parlement. Elle choisit de l’organiser non pas au palais de la cité, dans la Grand’Chambre du Parlement, mais au couvent des grands Augustins, situé à proximité du palais. Elle veut non seulement présenter officiellement son fils, âgé de 8 ans et demi, comme le nouveau roi, mais aussi s’imposer comme régente du royaume, d’autant qu’Henri IV n’a pas rédigé de testament.

Un lit dans un couvent

Le couvent des grands Augustins, créé en 1578 par Henri III à Paris sur la rive gauche de la Seine, abritait l’ordre du Saint-Esprit fondé par Henri III en 1579. Le chœur de son église, plus grand que la nef, et ses grandes salles, pouvaient accueillir d’imposantes assemblées, la chambre des comptes, les états généraux, le Parlement en certaines occasions. Les confréries des couteliers et des fourbisseurs (armuriers) y siégeaient.

Le 15 mai 1610, quelques heures seulement après le décès d’Henri IV, Marie de Médicis, le chancelier du royaume, le duc d’Épernon, le duc de Guise et les Grands du royaume, le premier président Achille de Harlay et les membres du Parlement se retrouvent donc, après une messe matinale, assemblés dans l’immense chœur de l’église du couvent des grands Augustins afin de permettre au jeune Louis XIII de tenir le premier lit de justice de son règne.

L’affaire n’est pas simple car le roi est mineur et aucun roi avant lui ne s’est présenté en public avant les funérailles de son prédécesseur. Sully lui-même est hostile à l’opération : « Je sentois une extrême répugnance pour ce qu’on exigeait de moi. Il fallut pourtant encore avoir cette complaisance… ». Plusieurs évêques protestent, mais se rallient. La difficulté est bien d’ordre juridique : un roi mineur qui n’est ni consacré ni couronné peut-il tenir un lit de justice ?

Marie de Médicis, confortée par le duc d’Épernon qui se fait menaçant à l’égard des membres du Parlement, veut à tout prix légitimer sa régence. Le chancelier Nicolas Brûlart de Sillery calme les frondeurs, évoquant la nécessaire continuité de la royauté et la volonté du défunt Henri IV exprimée oralement.

Le lit de justice peut dès lors se dérouler dans le calme.

Le jeune roi récite un texte appris par cœur : « Messieurs, il a plu à Dieu d'appeler à soi notre bon roi, mon seigneur et père. Je suis demeuré votre roi, comme son fils, par les lois du royaume. J'espère que Dieu me fera la grâce d'imiter ses vertus et de suivre les bons conseils de mes bons serviteurs. Monsieur le Chancelier vous dira le reste ».

Finalement, contraints plus que convaincus, les magistrats du Parlement adoptent un arrêt déclarant la reine mère régente « pour avoir soin de l’éducation et de la nourriture de sa personne et l’administration des affaires de son royaume pendant son bas âge ». Marie de Médicis obtient ainsi les pleins pouvoirs.

C’est ce lit de justice que le peintre Henri Pelletier reproduit en 1941 et 1942 sur le mur de la cour d’assises de la Seine. Mais il prend quelques libertés avec l’histoire de France.

Un lieu et un décor erronés

Pour réaliser sa fresque, le peintre s’inspire d’une part de documents anciens et d’autre part, surtout, d’une gravure d’époque conservée aux archives nationales. Il transpose dans la Grand’Chambre du palais de la cité la scène qui s’est déroulée en réalité dans le couvent des grands Augustins.


À gauche, une gravure du 17e siècle, conservée aux archives nationales, montrant le lit de justice tenu par le jeune Louis XIII le 15 mai 1610 au lendemain de la mort de son père ; À droite, la partie centrale de la fresque de Pelletier dans la salle de la cour d’assises de Paris. © Étienne Madranges

Il commet de ce fait plusieurs erreurs. Tout d’abord, une erreur de lieu, puisque le lit de justice de 1610 ne s’est pas déroulé au palais de la cité, dans la Grand’ Chambre. Ensuite, une erreur de décor concernant la présence d’une crucifixion (n° 6 sur l’illustration ci-dessus), découlant de l’erreur de lieu. Sur la gravure figure une crucifixion qui était accrochée au mur du chœur de l’église du couvent des grands Augustins et qui était bien présente le 15 mai 1610. Dans sa fresque, Pelletier insère le célèbre « retable du Parlement », crucifixion réalisée au XVe siècle, qui est restée au palais de la cité pendant 4 siècles, a échappé à ses quatre incendies majeurs, et a fini au Louvre en 1904 (où il est toujours visible). Ce tableau n’était donc pas présent lors du lit de justice. Il se trouvait dans la Grand’ Chambre. Pelletier est allé le recopier au Louvre.

Sur la gravure, le jeune roi (n° 1 de l’illustration) est assis sur un trône sous un dais, porteur d’habits de deuil. Pelletier le représente sur un coussin moelleux. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la crèche de Noël des chrétiens et Jésus, nouveau roi, avec Marie sa mère. Ici, la reine, à genoux (n° 2 de l’illustration), se prénomme Marie, n’est pas vraiment en robe de deuil, et on accueille bien en 1610 un nouveau roi.

Les tribunes, sortes de guichets ou loggias, balcons intérieurs sur lesquels se pressaient les dames de la Cour (n° 8), existaient bien dans la Grand’ Chambre du Parlement, au palais de la cité et étaient connues, car reproduites dans diverses gravures du XVIIe siècle. Mais il n’y en avait pas au couvent des grands Augustins lors du lit de justice.

Par ailleurs, les armes royales figurant au-dessus du roi (n° 7) ne présentent que le seul grand collier de l’ordre du Saint-Esprit créé par Henri III. Or, il était toujours associé au collier de l’ordre de Saint-Michel fondé par Louis XI. Les deux grands colliers étaient, au XVIIe siècle, indissociables dans le décor. Pelletier insère à tort à plusieurs endroits le « L » de Louis alors que les décors royaux et les meubles portent encore le « H » de Henri.

Le peintre reproduit cependant avec précision la présence du chancelier garde des Sceaux, Nicolas Brûlart de Sillery (n° 5 de l’illustration), le premier président du Parlement Achille 1er de Harlay (n° 4, sous le chiffre 4) et le duc d’Épernon avec sa fraise godronnée et son épée (n° 3) ; il n’oublie pas les hallebardiers chargés de la sécurité, porteurs de leur arme de hast polyvalente comportant en haut de la hampe une pointe de lance, un fer de hache et un bec de corbin. On croit déceler une pertuisane à gauche de la fresque.

Sans doute peint-il François de Bourbon, prince de Conti, cousin du défunt roi Henri IV, qui, malgré son handicap, était présent, mais il est impossible de le situer.


Détail de la fresque : en faux trompe-l'œil, deux fenêtres de la Grand’ Chambre du Parlement… Ni la cathédrale Notre-Dame ni la Sainte-Chapelle, ici reproduites, n’étaient visibles dans la réalité à travers ces baies. © Étienne Madranges

Henri Pelletier croît utile, pour enrichir le décor et les symboles, d’insérer une vue de Notre-Dame et de la Sainte-Chapelle derrière les fenêtres de la Grand’ Chambre. Or, ces deux monuments n’étaient absolument pas visibles depuis la salle historique longtemps désignée sous le vocable de « chambre dorée », décorée à la demande du roi Louis XII par l’artiste italien Fra Giocondo, transformée par les révolutionnaires en « salle de la Liberté » en 1793, incendiée par les communards en 1871, reconstruite ensuite, affectée à la Cour de cassation puis au tribunal puis à la Cour de cassation.


Trois chiens, symboles de la fidélité au roi, des grands du royaume et des magistrats du Parlement, insérés dans le décor de la fresque. © Étienne Madranges

Il ajoute trois chiens dans le décor, s’inspirant du retable du Parlement où figure un chien, symbole de la fidélité du Parlement au roi.


Henri Pelletier au travail sur le mur de la cour d’assises ; clichés conservés dans les archives de la préfecture de police de Paris ; à droite, un cliché Safara du journal Le Matin de 1942. © DR

Une date erronée

Le peintre signe son œuvre à deux reprises, et réalise son autoportrait en utilisant l’un des personnages à gauche de son décor. La date de 1945 figure en bas à droite de la fresque.

Or, cette date est fausse. À la fin de la seconde guerre mondiale, on a cherché à effacer tout ce qui pouvait être issu de la période vichyste. C’est ainsi qu’il a été décidé de ne pas retenir la date de 1942 correspondant à la réalisation effective de la fresque, mais d’y substituer la date de 1945 moins connotée !


Autoportrait du peintre à gauche de la fresque et les deux signatures de l’artiste avec la date erronée de 1945 insérée après la fin de seconde guerre mondiale afin d’éviter toute connotation avec le régime de Vichy.
© Étienne Madranges

Une presse plutôt enthousiaste

En 1941 et 1942, les journalistes sont autorisés à venir voir le peintre travailler.

Dans le « Cri du Peuple » du 3 septembre 1941, le journaliste André Miramas, admiratif, évoque « un morceau de bravoure » et conclut, après avoir relaté dans le détail les circonstances du lit de justice de 1610 : « souhaitons que cet exemple soit suivi et que le palais de justice soit bientôt orné de peintures murales qui retraceront les grandes dates de son histoire ».

Le 19 mai 1942, un reporter du journal « La France socialiste », venu assister à un procès criminel, semble approuver la fresque et écrit : « Le gris des cuirasses tranche agréablement avec le rouge framboise de Messieurs ». Mais il s’interroge sur la volonté du ministre de la Justice de rétablir dans la salle des assises la présence du Christ de Bonnat, en dépôt au Petit Palais, qu’il qualifie de « galiléen crucifié », et d’ajouter deux tableaux évoquant le roi Henri IV. Caustique, il conclut ainsi son article : « C'est ainsi que la révolution nationale affirme ses tendances rénovatrices et s’engage avec courage sur des chemins nouveaux. Cela viendra sans doute quand on rétablira la question, le pilori, la roue et le gibet ».

La salle d’assises historique n’est pas un lieu qui se visite souvent. Elle est toutefois accessible lors des procès criminels, sauf en cas d'huis clos. En raison de l’originalité de son décor et du caractère étonnant de sa fresque murale, elle pourrait utilement être intégrée dans les circuits de visite du palais de la Cité lorsque les mesures de sécurité le permettent.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Chronique n° 242

* Voir les chroniques n° 193 et 219 dans nos précédentes éditions.

 10 empreintes d’histoire précédentes :


Pourquoi le décor de la cour d'assises historique de Paris est-il singulier ;

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L'exposition au public des condamnés était-elle courante autrefois ? ;

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