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EMPREINTES D'HISTOIRE. Quel magistrat alsacien demeura dans le château du célèbre Lazare de Schwendi ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. Quel magistrat alsacien demeura dans le château du célèbre Lazare de Schwendi ?
Château de Kientzheim (Haut-Rhin). (c) Étienne Madranges
Publié le 10/11/2024 à 07:00

Notre chroniqueur Étienne Madranges s’est rendu en Alsace, à Kientzheim, dans le château construit par Lazare de Schwendi et habité au XIXe siècle par Philippe de Golbéry, procureur impérial à Colmar, mais aussi premier président de la cour d’appel de Besançon. Il évoque ici l’histoire de ces deux personnages originaux qui ont marqué la plaine alsacienne, dans une région viticole produisant un cépage appelé tokay, présumé d’origine hongroise, mais qui a dû changer de nom pour préserver l’appellation magyare éponyme.

Au cœur du village de Kientzheim, sur le territoire de la commune de Kaysersberg (Haut-Rhin), se trouve un château dont l’origine remonte au XIIIe siècle et aux Habsbourg, ducs d’Autriche. Au fil des siècles, ce château est occupé successivement par des personnages marquant l’Alsace de leur personnalité. Il est ponctuellement saisi comme bien national et transformé en maison d’arrêt pendant la Révolution avant d’être vendu aux enchères à un avocat.

Lazare de Schwendi et la légende de l’arrivée présumée du tokay en France

C’est l’un des personnages emblématiques de la région de Colmar. Né en 1522 en Souabe, Lazare de Schwendi se met au service de l’empereur Charles Quint et commande des régiments de lansquenets lors de plusieurs batailles. Après l’abdication de Charles Quint, il sert, comme colonel, l’empereur Maximilien II, neveu du précédent, qui lui confie en outre des fonctions diplomatiques importantes.

En 1565, il combat les Turcs en Hongrie. Il s’empare de 4000 tonneaux de vin de Tokaj.

Devenu prévôt de Kaysersberg en 1573, il gère les nombreux domaines et propriétés variées acquis de chaque côté du Rhin, et notamment à Kientzheim en Alsace où il fait aménager le château.

Il se passionne pour le développement de la vigne.

La légende veut qu’il ait rapporté en Alsace des cépages hongrois issus de la région de Tokaj et que soit ainsi né le célèbre vin d’Alsace appelé Tokay.

En réalité, de simples constatations ampélographiques montrent que le cépage de Hongrie est un furmint, qui se récolte ultra mûr pour obtenir la pourriture noble donnant un vin liquoreux. Et le cépage alsacien est un pinot gris, présent en Alsace depuis des siècles, déjà connu au Moyen Âge.

Voulant cependant conforter la légende, le sculpteur Bartholdi a réalisé en 1898 une statue de Schwendi située à Colmar place de l’Ancienne Douane montrant le célèbre militaire brandissant des ceps de vigne importés de Hongrie pour encépager l’Alsace.

En tout état de cause, avec ou sans cépage importé, Schwendi reste pour les Alsaciens un héros humaniste incarnant l’idéal chevaleresque.

Il est inhumé dans l’église de Kientzheim, où une pierre tombale en grès rose le représente en uniforme militaire.


La statue de Lazare de Schwendi, sculptée par Bartholdi en 1898 au centre la place de l’Ancienne Douane à Colmar (Haut-Rhin) le représente brandissant des ceps hongrois rapportés en Alsace ; à droite la pierre tombale de Schwendi dans l’église de Kientzheim (Haut-Rhin). © Étienne Madranges

Philippe de Golbéry

Il se prénomme Marie Philippe Aimé, mais se fait appeler Philippe. Il parle français, allemand, alsacien, et traduit le latin.

Son père est juge de district à Colmar puis conseiller à la cour impériale et membre du Conseil souverain d’Alsace, le Parlement alsacien mis en place par Louis XIV à Colmar.

Il suit les cours de l’École de droit à Paris et devient avocat en 1808. Il quitte le barreau en 1811 pour rejoindre le parquet. En 1813, Napoléon le nomme procureur impérial à Colmar. Mais son engagement militaire en 1814 en faveur de l’Empereur l’incite, après Waterloo, à rejoindre à nouveau le barreau, tout en manifestant un certain soutien pour la Restauration et la Monarchie. En 1820 le Garde des Sceaux Hercule de Serre, qui avait été premier président de la cour de Colmar, le nomme conseiller à cette cour, ce qui l’amène à présider la cour d’assises de Strasbourg.
Élu député en 1834, il s’engage avec vigueur pour l’abolition de l’esclavage. Il fonde avec d’autres la société française pour l’abolition de l’esclavage. Il est nommé en 1841 par le roi Louis-Philippe procureur général à Besançon où il finit sa carrière avec le titre de premier président honoraire après s’être élevé avec véhémence à la Chambre contre l’édification de fortifications autour de Paris qui auraient été, selon lui, « la terreur de la France et la risée de l’étranger ».

Il vit dans le château de Kientzheim, hérité de son père qui l’avait acheté après la Révolution.

Il diffuse une forme de « Schwendimania » en Alsace et fait réaliser des peintures et dessins représentant l’Alsace de façon pittoresque et romantique.

Spécialiste de l’archéologie et du patrimoine historique, grand érudit, il appartient à des sociétés savantes et publie de nombreux ouvrages. Il s’intéresse aux pays étrangers et rédige une histoire de la Suisse qu’il définit comme le « noyau de notre hémisphère », comme « le réservoir de la Gaule, de la Germanie et de l’Italie », qui commence ainsi : « Il est, au centre de l’Europe, un pays que la nature semble avoir destiné à représenter éternellement l’image des premiers âges du monde… un pays où les hommes mêmes ont retenu quelque chose de la simplicité des anciens jours ».

Philippe de Golbéry s’éteint à l’âge de 68 ans dans son château de Kientzheim.


Le magistrat Philippe de Golbéry est inhumé, comme plusieurs membres de sa famille, dans le cimetière de Kientzheim, au pied du vignoble alsacien. © Étienne Madranges

Le tokay alsacien disparaît

A la fin du XXe siècle, certains pays engagent des actions tendant à protéger le nom de leurs produits liés à une région spécifique.

Il en va ainsi du champagne ou du cognac, avec des fortunes diverses. Il en va ainsi également de la feta, le célèbre fromage grec à base de lait de brebis. La France, mais également l’Allemagne et le Royaume-Uni comme le Danemark produisent et vendent à l’étranger de la feta. 13 000 tonnes de feta sont produites chaque année en France, en Lozère, dans l’Aveyron, dans le Tarn et le Gard. La Grèce, voulant protéger son fromage traditionnel, obtient en 2002 des autorités bruxelloises l’interdiction de nommer feta des fromages au lait de brebis produits ailleurs qu’en Grèce.

La Hongrie agit de même pour protéger l’appellation de son vin de Tojaj et saisit la Commission de la CEE.

Faisant droit à la demande hongroise, le règlement CEE 2164/80 du 8 août 1980 interdit à la France d’utiliser le nom de tokay, le réservant à la production hongroise de Tokaj.

La demande semblait pour l’Etat magyar d’autant plus légitime que, malgré la persistance historique des appellations parallèles, malgré la différence d’orthographe (Tokaj et tokay), le cépage alsacien n’avait rien de commun avec le cépage hongrois.

C’est ainsi que disparait le tokay d’Alsace et qu’apparait en substitution l’appellation pinot gris qui s’ajoute, parmi les 7 cépages d’Alsace (sans oublier le confidentiel Klevener d’Heiligenstein), aux côtés du riesling, du gewurtztraminer, du muscat, du sylvaner, au pinot blanc et au pinot noir.


Vignoble alsacien le long de la route du vin ; le cépage pinot gris est un cépage dit instable en raison de mutations anciennes : un même pampre peut porter des raisins rouges et des raisins blancs, et une même grappe peut être mixte ! © Étienne Madranges et Dominique Mallo

Le château de Kientzheim, désormais haut-lieu de la viticulture alsacienne

Le château de Lazare de Schwendi et de Philippe de Golbéry est depuis 1972 désormais la propriété de la Confrérie Saint-Étienne d’Alsace qui l’a acquis afin d’en faire un haut-lieu de la viticulture alsacienne. Elle y organise ses chapitres, y anime un musée du vin, y possède une œnothèque de plusieurs dizaines de milliers de bouteilles, dont certaines très anciennes, y assure des opérations à vocation pédagogique. Le splendide domaine peut être loué pour l’organisation de séminaires, de mariages et de manifestations, privées ou publiques.

La confrérie réunit des viticulteurs et des producteurs, des œnophiles, des amoureux du vin d’Alsace. Elle promeut tous les vins alsaciens et les fait connaître.


Le château de Kientzheim, propriété de la Confrérie Saint-Étienne d’Alsace, qui y organise ses chapitres et y assure la promotion des vins d’Alsace. © Étienne Madranges

En 2025, le nouveau grand maître, succédant au remarquable viticulteur de Riquewihr Étienne-Arnaud Dopff, dont la famille est à l’origine du développement du crémant alsacien, sera la dynamique magistrate Cécile Hartmann, ancienne présidente de tribunaux vosgiens.

A Kientzheim, les acteurs du monde judiciaire comme les acteurs du monde agricole et du monde économique demeurent associés afin de participer à l’essor et à la connaissance d’une région formidablement belle et entreprenante.

Étienne Madranges
Avocat à la cour
Magistrat honoraire
Conseiller œnophile de la Confrérie Saint-Étienne d’Alsace
Chronique n° 239

Rappelons que le vin doit être consommé avec modération

Les 10 empreintes d’histoire précédentes :


Quel magistrat alsacien demeura dans le château du célèbre Lazare de Schwendi ? ;

• Quel avocat du XIXE, luttant pour l'indépendance de son pays, et quel juge du XXIe, luttant pour l'indépendance de la justice ont été châtiés ? ;
• 
L'exposition au public des condamnés était-elle courante autrefois ? ;

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