Il y a de quoi faire un ou des mémoires sur cette loi qui
se veut la dernière étape vers l’égalité réelle entre femmes et hommes, mais ça
n’est pas le lieu ni l’exercice demandé. Comme dans bon nombre de textes
français, l’approche globale choisie conduit à aborder des sujets qui, bien que
reliés par un objectif commun, faire avancer l’égalité économique entre les
femmes et les hommes, ne relèvent pas des mêmes problématiques.
La première partie touche à l’autonomie financière des
femmes, notamment en cas de divorce qui les appauvrit souvent – il s’agit de
mesures concrètes à implémenter qui ne créent pas de débat philosophique, je ne
commente donc pas, mais inutile de dire que suis en absolu soutien.
La deuxième concerne les efforts à mener sur la mixité
des filières d’enseignement et celle des organisations d’éducation supérieures
privées.
La troisième, qui a fait couler de l’encre (et ça n’est
pas fini), est celle de l’accès des femmes aux postes de direction avec, à la
clé, un quota.
La quatrième concerne l’accès des porteuses de projets
aux financements publics et la mixité de la direction des Fonds eux-mêmes.
égalité femme/homme et grandes écoles
Les questions de mixité des filières, de la gouvernance
des écoles et celle de la lutte contre le sexisme ou les VSS (Violences
Sexistes et Sexuelles) entre étudiants sont portées par d’autres textes du
ministère de l’Éducation supérieure et par des initiatives de la Conférence des
Grandes Écoles (CGE) depuis 2013 (signature de la Charte de l’Égalité de la
CGE) avec de réels effets. Le fait que la loi mentionne ces sujets et demande
de la transparence est un pas de plus pour pousser les organisations, de plus
en plus rares, qui étaient passives sur ces sujets. C’est donc positif, mais il
n’y aura pas, je crois, de difficultés particulières ou d’effet de levier
spécifique.
À la CGE, on en est à comparer les meilleures pratiques,
développer le Baromètre égalité qui existait déjà afin d’intégrer la question
des VSS, pour que cet outil, rendu obligatoire par la CGE à ses adhérents dès
2021, devienne l’outil de référence du ministère.
Le
dispositif « quota des instances de direction et cadres dirigeants »
On en a beaucoup parlé depuis mars 2020, soit depuis le
dépôt de la PPL par Marie Pierre Rixain. Cet objectif semble sur le papier
raisonnable, certains diront trop du fait du périmètre visé, des délais, etc.
D’autres le jugent inatteignable…
Pour rappel : le 1er mars 2022, on y est ! Publication
annuelle des écarts de représentation entre les sexes parmi les cadres dirigeants
– article L. 3111-2 du Code du travail – et parmi les membres des instances
dirigeantes. Mais qu’est-ce qu’une instance dirigeante ? En relisant
l’article L. 23-12-1 du Code de commerce : « instances, organes, groupements de
mandataires sociaux mis en place par tout acte : les statuts ou pacte ou toute
pratique sociétaire, aux fins d’assister régulièrement les organes chargés de
la direction générale dans l’exercice de leurs missions, jouant un rôle dans la
préparation ou l’autorisation de tout ou partie des décisions de gestion ».
La loi s’applique à toutes les entreprises, sans
distinction de forme juridique à partir de 1 000 salariés (sur trois exercices
consécutifs). À compter du 1er mars 2026, pour ces entreprises, la proportion
minimale de personnes de chaque sexe au sein de chacun de ces ensembles ne
pourra être inférieure à 30 % (article L. 1142-11 du Code du travail)
et 40 % dès le 1er mars 2029. Une sanction, dont le
montant est fixé par l’autorité administrative dans des conditions définies par
décret en fonction de la situation initiale de l’entreprise, des efforts
constatés et de ses motifs de défaillance, dans la limite maximale de 1 % de la
masse salariale de l’année civile précédant l’expiration du délai, entrera en
vigueur le 1er mars 2029.
Je réagis ici en juriste : je suis pour une transparence
obligatoire accrue, d’ailleurs l’index Pénicaud a démontré son effet vertueux
(la loi améliore cet outil – voir ci-après). Documenter change la donne ! Faire
un état des lieux et fixer des objectifs est la bonne manière d’aborder
n’importe quel problème (empreinte carbone, devoir de vigilance, etc.). Le
questionnement sur la nature obligatoire du quota est aussi un sujet. J’ai
longtemps été contre concernant les instances de direction pour des raisons de
faisabilité. Puis ayant travaillé le sujet avec Terra Nova, j’ai décidé de
porter l’idée.
Le résultat de la rédaction du texte n’est pas celui dont
j’aurai rêvé, mais c’est un compromis acceptable par toutes les parties :
gouvernement, société et entreprises surtout. Il ouvre des perspectives de
promotion de femmes méritantes. Espérons que le périmètre de 1 000 salariés
pendant trois exercices consécutifs n’empêche pas une progression volontaire de
la mixité de la direction dans les organisations plus petites, mais aussi dans
des grands groupes structurés avec un holding de tête, ce qui est le cas de
plusieurs sociétés cotées ! Il faut du temps (environ dix ans) à une loi qui
modifie une donne sociale ou sociétale pour assurer un plein effet. Il est donc
requis d’assurer un suivi et être en mesure de rectifier avec pragmatisme les
dispositifs. Quant aux sanctions, des incentives au titre d’une politique d’éga conditionnalité me semblaient préférables (voir le rapport du HCGE – Brigitte
Gresy à ce sujet).
Un point délicat est que soit correctement définie
l’instance de direction puisqu’elle correspond désormais à une notion légale
officielle. D’ailleurs, je m’interroge sur le périmètre de responsabilité entre
cette instance de direction et le conseil d’administration ; jusqu’à présent,
c’était le conseil seul qui disposait d’une existence légale et était
responsable des décisions avec le dirigeant mandataire social. Mais ceci est
une autre histoire, et je l’ai évoquée dans un article du JSS après un échange
sur la question au sein de la commission prospective de l’IFA.
Féminisation
des investissements et Bpifrance
Dans
le même esprit, un quota de 30 % de femmes sera imposé dès 2023 dans les
comités de sélection des projets, et 40 % à partir de 2027. Dans les deux ans,
la Banque publique d’investissement (Bpifrance) conditionnera l’octroi de
financements (prêt ou fonds propres) à la publication par les entreprises de
l’index de l’égalité professionnelle. Bpifrance publiera des données genrées en
matière d’aides et d’accès aux prêts tous les deux ans.
Ce
dernier point m’interpelle aussi. Oui il y a de manière patente un problème
d’inégalité de distribution et ce dispositif a du sens, mais tout ne s’explique
pas seulement par le fait que les fonds sont dirigés par des hommes, donc
considèrent mal ou d’une manière particulière un projet porté par une femme.
Mon expérience dans l’accompagnement d’entrepreneurEs (2007) et plus récemment
de startuppeuses (2017) m’a fait toucher du doigt qu’il faut aussi accompagner
celles-ci, car nombre d’entre elles ont des perceptions et attitudes que les
investisseurs ne décodent pas. On est ici clairement sur une question de biais
de genre.
Il
est donc utile que des femmes soient décideuses dans les fonds, car elles
décodent mieux ces freins moteur des femmes qui subissent le complexe de
l’imposteur et sont assez émotionnelles dans leur manière de porter le projet,
mais il est aussi important que les start-up se projettent en mode plus
ambitieux et l’assument.
Au
Club Génération Startuppeuse Essec et Wirate, nous sommes confrontés à cette
question et tentons de faire travailler les fondatrices sur des postures plus
assertives. Pour revenir à la loi, j’espère que touchant au périmètre public,
elle créera une onde de choc pour les fonds d’investissement privés, les clubs
de BA (Business Angel) et les banques. Plusieurs de ces acteurs ont déjà bougé
dont la BNP avec #ConnectHers, Sista, OwnYourCash, etc.
Comment
faire entrer les femmes dans les entités de décision (CoDir, ComEx, et Board) ?
L’accès élargi des femmes aux instances de direction est
en marche depuis quelques années, et la loi Rixain va sans nul doute
l’accélérer. Les entreprises se sont désormais saisies de cette question et
avancent avec plus ou moins de difficulté. Ma question ici est toujours là même
– celle qu’il y a dix ans je posais quant à la nomination de femmes dans les
conseils d’administration, et elle est double : comment et pourquoi faire ?
Sur le comment, les éléments de réponse sont là, il n’est
pas utile d’y revenir en détails. Entre les quotas légaux ou les objectifs
volontaires, les plans plus ou moins complets de promotion des femmes :
mentoring, coaching, réseaux, accès à des formations, CV à repérer autrement,
etc., et des formations bien sûr (non qu’elles ne soient pas compétentes,
j’évoque ici les softs skills).
Je m’attarderai donc sur le « pourquoi faire ? » Je ne
pose pas ici une question sémantique : par souci d’égalité et d’équité, les
femmes devraient évidemment avoir les mêmes chances d’accéder à ces postes.
Mais il est un fait : ce n’est pas le cas, ou pas encore. Alors dans le monde
en profonde mutation dans lequel nous vivons, j’interroge la capacité des
femmes à être nommées pour leurs compétences et attendues, mieux espérées pour
les qualités qu’elles ont pu/dû développer du fait de leur situation de
minoritaire (voir étude « Femmes et pouvoir » entre autres et toute les études
« Gender ») et leur conscience peut être plus affûtée de la nécessité de procéder
autrement, de valoriser le capital humain, d’être plus « citoyenne du monde ».
Mon conseil est de ne pas tout sacrifier à une ambition
personnelle, autrement dit de faire coïncider un agenda personnel et un agenda
collectif, de veiller, avant d’accepter un poste qu’on leur donne les moyens de
réaliser la mission, dont l’autonomie et la confiance. Bref, d’être exigeante
plutôt que reconnaissante d’être nommée et de ne jamais se soucier d’être là
parce que sont des femmes ! C’est à ces seules conditions de jeu de chaque
individu que ce concept de capitalisme inclusif et responsable peut devenir une
réalité.
Focus sur les compléments à l’Index de l’égalité
professionnelle applicables au 1er mars 2022
Cet Index est créé en 2018 par Muriel Pénicaud afin de
mettre fin aux inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes –
après que nombre de lois soient intervenues dont la loi Roudy). Les
organisations d’au moins 50 salariés sont concernées.
À partir de quatre ou cinq indicateurs (selon que l’entreprise
fait moins ou plus de 250 salariés), on obtient un nombre de points. La loi
Rixain impose désormais la publication de l’ensemble des indicateurs et non le
seul résultat total, sur le site de l’entreprise mais aussi désormais sur le
site du ministère du Travail, en incluant les mesures de correction et les
objectifs de progression requis lorsque la note finale est inférieure à
75 points. Ces mesures sont codécidées, à défaut déterminées par l’employeur
après consultation du CSE.
Puisque ce texte se veut porteur de l’étape ultime en
matière d’égalité professionnelle, « y a
plus qu’à ».
Viviane de Beaufort,
Docteure en Droit et professeure à l’ESSEC