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Égalité économique entre femmes et hommes – divers aspects de la loi « Rixain »

Égalité économique entre femmes et hommes – divers aspects de la loi « Rixain »
Publié le 11/03/2022 à 09:00


Il y a de quoi faire un ou des mémoires sur cette loi qui se veut la dernière étape vers l’égalité réelle entre femmes et hommes, mais ça n’est pas le lieu ni l’exercice demandé. Comme dans bon nombre de textes français, l’approche globale choisie conduit à aborder des sujets qui, bien que reliés par un objectif commun, faire avancer l’égalité économique entre les femmes et les hommes, ne relèvent pas des mêmes problématiques.

La première partie touche à l’autonomie financière des femmes, notamment en cas de divorce qui les appauvrit souvent – il s’agit de mesures concrètes à implémenter qui ne créent pas de débat philosophique, je ne commente donc pas, mais inutile de dire que suis en absolu soutien.

La deuxième concerne les efforts à mener sur la mixité des filières d’enseignement et celle des organisations d’éducation supérieures privées.

La troisième, qui a fait couler de l’encre (et ça n’est pas fini), est celle de l’accès des femmes aux postes de direction avec, à la clé, un quota.

La quatrième concerne l’accès des porteuses de projets aux financements publics et la mixité de la direction des Fonds eux-mêmes.

 


égalité femme/homme et grandes écoles

Les questions de mixité des filières, de la gouvernance des écoles et celle de la lutte contre le sexisme ou les VSS (Violences Sexistes et Sexuelles) entre étudiants sont portées par d’autres textes du ministère de l’Éducation supérieure et par des initiatives de la Conférence des Grandes Écoles (CGE) depuis 2013 (signature de la Charte de l’Égalité de la CGE) avec de réels effets. Le fait que la loi mentionne ces sujets et demande de la transparence est un pas de plus pour pousser les organisations, de plus en plus rares, qui étaient passives sur ces sujets. C’est donc positif, mais il n’y aura pas, je crois, de difficultés particulières ou d’effet de levier spécifique.

À la CGE, on en est à comparer les meilleures pratiques, développer le Baromètre égalité qui existait déjà afin d’intégrer la question des VSS, pour que cet outil, rendu obligatoire par la CGE à ses adhérents dès 2021, devienne l’outil de référence du ministère.



Le dispositif « quota des instances de direction et cadres dirigeants »

On en a beaucoup parlé depuis mars 2020, soit depuis le dépôt de la PPL par Marie Pierre Rixain. Cet objectif semble sur le papier raisonnable, certains diront trop du fait du périmètre visé, des délais, etc. D’autres le jugent inatteignable…

Pour rappel : le 1er mars 2022, on y est ! Publication annuelle des écarts de représentation entre les sexes parmi les cadres dirigeants – article L. 3111-2 du Code du travail – et parmi les membres des instances dirigeantes. Mais qu’est-ce qu’une instance dirigeante ? En relisant l’article L. 23-12-1 du Code de commerce : « instances, organes, groupements de mandataires sociaux mis en place par tout acte : les statuts ou pacte ou toute pratique sociétaire, aux fins d’assister régulièrement les organes chargés de la direction générale dans l’exercice de leurs missions, jouant un rôle dans la préparation ou l’autorisation de tout ou partie des décisions de gestion ».

La loi s’applique à toutes les entreprises, sans distinction de forme juridique à partir de 1 000 salariés (sur trois exercices consécutifs). À compter du 1er mars 2026, pour ces entreprises, la proportion minimale de personnes de chaque sexe au sein de chacun de ces ensembles ne pourra être inférieure à 30 % (article L. 1142-11 du Code du travail)

et 40 % dès le 1er mars 2029. Une sanction, dont le montant est fixé par l’autorité administrative dans des conditions définies par décret en fonction de la situation initiale de l’entreprise, des efforts constatés et de ses motifs de défaillance, dans la limite maximale de 1 % de la masse salariale de l’année civile précédant l’expiration du délai, entrera en vigueur le 1er mars 2029.

Je réagis ici en juriste : je suis pour une transparence obligatoire accrue, d’ailleurs l’index Pénicaud a démontré son effet vertueux (la loi améliore cet outil – voir ci-après). Documenter change la donne ! Faire un état des lieux et fixer des objectifs est la bonne manière d’aborder n’importe quel problème (empreinte carbone, devoir de vigilance, etc.). Le questionnement sur la nature obligatoire du quota est aussi un sujet. J’ai longtemps été contre concernant les instances de direction pour des raisons de faisabilité. Puis ayant travaillé le sujet avec Terra Nova, j’ai décidé de porter l’idée.

Le résultat de la rédaction du texte n’est pas celui dont j’aurai rêvé, mais c’est un compromis acceptable par toutes les parties : gouvernement, société et entreprises surtout. Il ouvre des perspectives de promotion de femmes méritantes. Espérons que le périmètre de 1 000 salariés pendant trois exercices consécutifs n’empêche pas une progression volontaire de la mixité de la direction dans les organisations plus petites, mais aussi dans des grands groupes structurés avec un holding de tête, ce qui est le cas de plusieurs sociétés cotées ! Il faut du temps (environ dix ans) à une loi qui modifie une donne sociale ou sociétale pour assurer un plein effet. Il est donc requis d’assurer un suivi et être en mesure de rectifier avec pragmatisme les dispositifs. Quant aux sanctions, des incentives au titre d’une politique d’éga conditionnalité me semblaient préférables (voir le rapport du HCGE – Brigitte Gresy à ce sujet).

Un point délicat est que soit correctement définie l’instance de direction puisqu’elle correspond désormais à une notion légale officielle. D’ailleurs, je m’interroge sur le périmètre de responsabilité entre cette instance de direction et le conseil d’administration ; jusqu’à présent, c’était le conseil seul qui disposait d’une existence légale et était responsable des décisions avec le dirigeant mandataire social. Mais ceci est une autre histoire, et je l’ai évoquée dans un article du JSS après un échange sur la question au sein de la commission prospective de l’IFA.

 


Féminisation des investissements et Bpifrance

Dans le même esprit, un quota de 30 % de femmes sera imposé dès 2023 dans les comités de sélection des projets, et 40 % à partir de 2027. Dans les deux ans, la Banque publique d’investissement (Bpifrance) conditionnera l’octroi de financements (prêt ou fonds propres) à la publication par les entreprises de l’index de l’égalité professionnelle. Bpifrance publiera des données genrées en matière d’aides et d’accès aux prêts tous les deux ans.

Ce dernier point m’interpelle aussi. Oui il y a de manière patente un problème d’inégalité de distribution et ce dispositif a du sens, mais tout ne s’explique pas seulement par le fait que les fonds sont dirigés par des hommes, donc considèrent mal ou d’une manière particulière un projet porté par une femme. Mon expérience dans l’accompagnement d’entrepreneurEs (2007) et plus récemment de startuppeuses (2017) m’a fait toucher du doigt qu’il faut aussi accompagner celles-ci, car nombre d’entre elles ont des perceptions et attitudes que les investisseurs ne décodent pas. On est ici clairement sur une question de biais de genre.

Il est donc utile que des femmes soient décideuses dans les fonds, car elles décodent mieux ces freins moteur des femmes qui subissent le complexe de l’imposteur et sont assez émotionnelles dans leur manière de porter le projet, mais il est aussi important que les start-up se projettent en mode plus ambitieux et l’assument.







Au Club Génération Startuppeuse Essec et Wirate, nous sommes confrontés à cette question et tentons de faire travailler les fondatrices sur des postures plus assertives. Pour revenir à la loi, j’espère que touchant au périmètre public, elle créera une onde de choc pour les fonds d’investissement privés, les clubs de BA (Business Angel) et les banques. Plusieurs de ces acteurs ont déjà bougé dont la BNP avec #ConnectHers, Sista, OwnYourCash, etc.

 


Comment faire entrer les femmes dans les entités de décision (CoDir, ComEx, et Board) ?

L’accès élargi des femmes aux instances de direction est en marche depuis quelques années, et la loi Rixain va sans nul doute l’accélérer. Les entreprises se sont désormais saisies de cette question et avancent avec plus ou moins de difficulté. Ma question ici est toujours là même – celle qu’il y a dix ans je posais quant à la nomination de femmes dans les conseils d’administration, et elle est double : comment et pourquoi faire ?

Sur le comment, les éléments de réponse sont là, il n’est pas utile d’y revenir en détails. Entre les quotas légaux ou les objectifs volontaires, les plans plus ou moins complets de promotion des femmes : mentoring, coaching, réseaux, accès à des formations, CV à repérer autrement, etc., et des formations bien sûr (non qu’elles ne soient pas compétentes, j’évoque ici les softs skills).

Je m’attarderai donc sur le « pourquoi faire ? » Je ne pose pas ici une question sémantique : par souci d’égalité et d’équité, les femmes devraient évidemment avoir les mêmes chances d’accéder à ces postes. Mais il est un fait : ce n’est pas le cas, ou pas encore. Alors dans le monde en profonde mutation dans lequel nous vivons, j’interroge la capacité des femmes à être nommées pour leurs compétences et attendues, mieux espérées pour les qualités qu’elles ont pu/dû développer du fait de leur situation de minoritaire (voir étude « Femmes et pouvoir » entre autres et toute les études « Gender ») et leur conscience peut être plus affûtée de la nécessité de procéder autrement, de valoriser le capital humain, d’être plus « citoyenne du monde ».

Mon conseil est de ne pas tout sacrifier à une ambition personnelle, autrement dit de faire coïncider un agenda personnel et un agenda collectif, de veiller, avant d’accepter un poste qu’on leur donne les moyens de réaliser la mission, dont l’autonomie et la confiance. Bref, d’être exigeante plutôt que reconnaissante d’être nommée et de ne jamais se soucier d’être là parce que sont des femmes ! C’est à ces seules conditions de jeu de chaque individu que ce concept de capitalisme inclusif et responsable peut devenir une réalité.

 

 

Focus sur les compléments à l’Index de l’égalité professionnelle applicables au 1er mars 2022

Cet Index est créé en 2018 par Muriel Pénicaud afin de mettre fin aux inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes – après que nombre de lois soient intervenues dont la loi Roudy). Les organisations d’au moins 50 salariés sont concernées.

À partir de quatre ou cinq indicateurs (selon que l’entreprise fait moins ou plus de 250 salariés), on obtient un nombre de points. La loi Rixain impose désormais la publication de l’ensemble des indicateurs et non le seul résultat total, sur le site de l’entreprise mais aussi désormais sur le site du ministère du Travail, en incluant les mesures de correction et les objectifs de progression requis lorsque la note finale est inférieure à 75 points. Ces mesures sont codécidées, à défaut déterminées par l’employeur après consultation du CSE.

Puisque ce texte se veut porteur de l’étape ultime en matière d’égalité professionnelle, « y a plus qu’à ».

 

 

Viviane de Beaufort,

Docteure en Droit et professeure à l’ESSEC



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